La forêt se dressait là, majestueuse. Ils mirent pied à terre. Elysandre se sentait très émue face à un si beau spectacle de la nature. Elle ouvrit de grands yeux en découvrant ces arbres si gracieux en forme de lyre, couverts de larges feuilles bleutées et duveteuses. Elle aperçut quelques jeunes papillons bleus voletant entre les arbres. Elle n’en croyait pas ses yeux. Qu’était-ce encore que ces créatures mesurant la taille d’un enfant de dix ans ? Elle jeta un œil aux Nergaléens, ils semblaient trouver tout cela on ne peut plus normal. Ce monde constituait pour sûr un monde bien différent du sien. Voir Zéphyr les yeux brillants d’émotion devant ce tableau la rendit tout chose, une douce chaleur envahissait son ventre. Elle glissa sa main dans celle du beau Nergaléen et retint son souffle. Il ne se déroba pas, elle respira de nouveau, soulagée, le sourire aux lèvres bien malgré elle. Elysandre se flagellait d’être aussi légère alors que son frère devait vivre un enfer. Elle regarda de nouveau vers la forêt, incrédule, elle crut reconnaître d’énormes chenilles bleues lovées entre les branches.
Deux grands papillons bleus s’avancèrent, voletant quelques centimètres au-dessus de la neige, à la rencontre de la petite troupe. Zéphyr lâcha la main d’Elysandre et alla à leur rencontre.
— Marla, notre princesse, souhaite connaître la raison de votre présence ici, fit l’un des papillons à Zéphyr.
Elysandre n’entendit qu’une sorte de musique sortir de la bouche de ces étranges créatures. Leurs trompes se déroulaient au rythme de leurs paroles. Zéphyr semblait les comprendre puisqu’il leur répondit en parlant. Ils firent signe au groupe de les suivre. Zéphyr aida Elysandre à remonter en selle avec lui. Ils pénétrèrent dans la forêt en silence.
*****
Morgan
Morgan avait regardé, impuissant, le sol s’éloigner de lui à une vitesse vertigineuse. Il en avait eu la nausée, lui qui déteste les manèges, il avait été servi. Il avait senti une piqûre dans le dos et en un quart de seconde il s’était retrouvé immobilisé. Il avait reconnu le rire métallique de sa ravisseuse, celle qui avait déjà tenté de l’enlever une première fois. Ils volèrent un temps qui lui parut interminable. Il était terrifié. Il pensait à sa sœur, qui devait elle aussi être terrifiée et angoissée. Il pensait à leur grand-mère Griselda, la reverrait-il un jour ? Son cœur se serrait à cette idée. Ses cheveux emmêlés se collaient à son visage, il ne voyait plus grand-chose et était bien incapable de s’en dégager. Ils finirent enfin par se poser au cœur de la forêt. Kaëlig laissa choir sa proie sans aucune considération. Elle claqua des doigts et dessina des arabesques dans l’air avec l’index. Une fente apparut dans l’énorme tronc de l’arbre en face d’eux. La nymphe souleva sa victime et se glissa à l’intérieur. Il faisait noir. Morgan entendit de nouveau Kaëlig claquer des doigts et simultanément la lumière arriva. Après un instant d’adaptation de ses pupilles, il vit d’où provenait la douce lumière. Une boule lumineuse flottait au centre de la petite pièce. Il comprit vite que la chaleur qu’il commençait à ressentir en provenait. Il n’en croyait pas ses yeux. La nymphe l’avait installé sur un grand lit qui semblait fait des propres racines de l’arbre. Elle alla chercher une fiole d’une étrange couleur rouge. Elle lui fit boire en lui souriant pour la première fois. Il but malgré lui, ses muscles ne lui obéissaient plus. La nymphe regarda le jeune homme sombrer dans le sommeil. Elle dessina dans l’air d’autres arabesques et ressortit de son antre. Un rictus satisfait illuminait son visage.
*****
Un doux parfum de bruyère envahissait l’atmosphère, ils suivaient un chemin pavé de galets couverts de mousse. Elysandre observait les alentours, elle éprouvait la sensation étrange de connaître ces lieux sans pour autant les reconnaître. Elle observait leurs guides, le vol des grands papillons bleus était gracieux, un léger bruissement s’en dégageait. Les regarder invitait à la rêverie et à la méditation. Elysandre était subjuguée par la beauté et l’étrangeté de cette forêt. Ce petit chemin sinueux ressemblait beaucoup à celui qu’elle empruntait enfant, avec sa grand-mère Griselda, pour aller ramasser le muguet du Premier Mai. Il montait jusque dans une grande clairière nichée au creux des bois. Un véritable tapis lumineux constitué de milliers de lucioles courait de part et d’autre du chemin. Les arbreslyres s’entremêlaient par leurs hautes branches coudées. La jeune fille n’avait vu qu’un seul arbre en forme de lyre, il était doré à l’or fin sur toute sa surface – une œuvre d’art installée dans la forêt, non loin de chez elle.
Après un peu plus de deux heures de trajet, ils arrivèrent au cœur de la forêt dans une petite clairière. Un arbre doré, semblable à celui que connaissait Elysandre, en ornait le centre. La jeune fille eut un sursaut en apercevant ce qui devait être la fameuse princesse Marla. Elle la détailla de la tête aux pieds, impressionnée, voire même apeurée. Ses formes humaines étaient couvertes d’un fin duvet bleu semblable à celui du corps des papillons, elle possédait les mêmes antennes sur le haut du crâne et de grandes ailes bleues et duveteuses. La créature souriait au groupe de visiteurs.
Elle ferma les yeux un instant, songeant à son frère, des larmes perlèrent entre ses cils. Voyant cela, Zéphyr s’approcha d’elle, l’étreignit fort en l’embrassant sur le front. La princesse des grands papillons bleus marqua un imperceptible arrêt sur les deux jeunes gens avant de prendre la parole.
Elysandre, lovée contre le Nergaléen ne put s’empêcher un hoquet de surprise en découvrant une longue trompe sortir de sa bouche bleutée quand Marla prit la parole en une langue compréhensible de tous.
— Bienvenue jeunes voyageurs, en mon humble royaume, que nous vaut votre présence parmi nous ? Serait-ce votre quête pour Hywel qui vous a mené jusqu’ici ?
Les ailes de la princesse battaient avec majesté dans un lent mouvement hypnotique pendant qu’elle s’exprimait. Elysandre ouvrait et refermait la bouche en un O de stupéfaction. Elle entendait la créature dans sa tête et non par ses oreilles. Les Nergaléens sentirent des picotements sur leurs fronts et leurs tempes, Marla était en train de les sonder à la recherche de la réponse à sa question.
— Je vois…, déclara-t-elle, pensive.
Ses ailes battirent plus fort, elle s’envola légère telle une plume. Elle vint se poser juste devant la petite troupe et tendit la main à Elysandre qui n’osait pas bouger. Zéphyr lui glissa à l’oreille de tendre la sienne en retour pour ne point vexer leur hôtesse. Celle-ci s’exécuta craintive, la main tremblante. La douceur de la paume de Marla lui réchauffa le cœur. La princesse fixa longtemps la jeune fille et finit par la lâcher avec un regard surpris malgré un large sourire charmeur. Serait-ce possible ? se demandait Marla.
Les Nergaléens se plièrent en une rapide révérence, ce qui fit sourire la princesse.
— Le peuple de la forêt ailée vous offre son hospitalité pour la nuit, prenez garde de ne pas déranger nos chenilles et tout ira bien. Un émissaire va aller prévenir Hywel de votre arrivée parmi nous. Suivez mon amie Luna qui va vous indiquer où vous installer pour la nuit.
Zéphyr et ses amis refirent une révérence plus appuyée à laquelle participa la jeune humaine. Ils furent accompagnés dans une clairière beaucoup plus petite pour y passer la nuit. Ils obtinrent l’autorisation d’y installer leurs dômes. Ils venaient de finir de se restaurer.
*****
Morgan
Morgan se réveilla groggy. Il regarda autour de lui, se frotta les yeux. Non, il ne rêvait pas. Une sublime jeune femme rousse le couvait du regard. Il ne comprenait pas ce qu’il faisait là, ne reconnaissant ni la femme ni le lieu. Soulevant les couvertures qui lui tenaient chaud, il s’aperçut qu’il ne portait plus que son caleçon.
— Tu es enfin réveillé mon amour, susurra Kaëlig en s’asseyant sur le lit à ses côtés.
— Qui êtes-vous ?
— Je suis Kaëlig, ton amour. Tu ne te rappelles pas ? dit-elle avec un air mêlant stupéfaction et inquiétude.
— Non… Je ne me souviens de rien, soupira-t-il. Même pas de mon prénom…
— Tu es Gamedh, voyons, ça ne te dit rien ? Vraiment ?
— Non…
Kaëlig se retourna, un sourire satisfait aux lèvres, l’élixir combiné à sa magie avait fait son effet. Le manipuler allait être facile.
— Tu as été victime de ces odieux Nergaléens, ils ont essayé de te piéger avec une jeune humaine. Ils t’ont frappé, enlevé et séquestré. Mais j’ai fini par réussir à te sortir de leurs griffes, narrait-elle tout en tortillant d’une main ses grosses boucles rousses et serrant les mains du jeune homme de l’autre.
Morgan avait beau essayer de se souvenir, rien, le néant total dans sa mémoire. Cette jeune femme à la peau légèrement bleutée l’intriguait. Il la trouvait très belle, certes, mais ne ressentait rien. L’avait-il vraiment aimée ? Malgré tout, il ressentait une terrible envie d’embrasser ses lèvres ourlées de rouge. Elle le regardait avec cet air si doux et inquiet. Il approcha de son visage, s’arrêta juste avant de frôler ses lèvres, scruta ses réactions. Elle souriait. Il posa ses lèvres sur les siennes et fut emporté dans un tourbillon d’émotions mêlées de plaisir et désir. Surpris, il recula pour reprendre son souffle. Elle souriait toujours, mutine. La joie inondait son visage si pâle.
*****
— Zéphyr, je suis très inquiète pour mon frère. Que va-t-il lui arriver ? Qui est cette Kaëlig ? D’où vient-elle ? fondit en larmes Elysandre.
Le jeune homme lui prit les mains avec douceur pour la rapprocher de lui. Il ne put s’empêcher d’admirer la beauté de l’humaine. Le parfum de sa peau l’attirait, c’était indéniable. Il la caressait des yeux malgré lui.
— Kaëlig est une nymphe de feu, elle est née du ventre de sa mère, la nymphe Koliana. La brouille entre notre nymphe protectrice Hywel et Koliana date de nombreuses années, une vingtaine d’années environ.
— Du ventre de sa mère ? Comme tout le monde, non ?
— Non, les nymphes peuvent aussi naître de leur élément, en sortant de terre telle une plante, en sortant du feu ou de l’eau ou encore soufflées par le vent.
Elysandre ouvrit des yeux ronds. Elle n’avait jamais rien entendu de tel dans sa jeune vie.
— Que s’est-il passé ? s’enquit Elysandre.
— Je vais commencer par le début. Hywel avait un compagnon dont j’ai oublié le nom. Ils étaient fusionnels, une attirance incontrôlable de leurs corps et de leurs esprits. Koliana et notre nymphe étaient amies à l’époque. Mais Koliana, qui avait perdu son époux peu avant la naissance de sa fille Kaëlig, en ressentait une immense jalousie. Elle enleva alors le compagnon de son amie, et le tua – selon les récits de nos aînés. Hywel entra alors dans une insondable colère et transforma la nymphe traîtresse en une statue de sel. Elle la fit ensuite fondre dans la rivière Blanche qui devint la rivière Koliana. Elle formula alors la malédiction des K., toute la descendance féminine de la traîtresse perdrait ses pouvoirs et se transformerait en statue de sel dès lors qu’une d’elles tomberait amoureuse. Depuis, Kaëlig a grandi, élevée dans la forêt par les nymphes des bois. Elle nourrit une haine féroce pour Hywel et donc pour ses protégés, nous les Nergaléens.
— O.K., mais je ne comprends pas pourquoi elle a enlevé mon frère ? Nous ne sommes pas des Nergaléens, nous, nous sommes humains, fit remarquer la jeune fille.
— C’est vrai, et je ne sais pas quelle mouche a piqué Koliana pour le prendre, lui.
Elysandre s’allongea en déposant sa tête sur les cuisses de Zéphyr adossé contre la paroi du dôme. Il commença à caresser avec tendresse sa chevelure noire aux pâles reflets bleutés. Des larmes sourdaient de sous les paupières de l’humaine. Ils restèrent ainsi à écouter le doux chant apaisant de la princesse Marla qui emplissait la forêt.
Chacun s’était installé dans l’un ou l’autre des dômes.
La berceuse de la princesse eut raison même des plus récalcitrants, tous s’endormirent d’un lourd sommeil réparateur. Ergad et Tewenn s’endormirent enlacés sous le regard bienveillant de Margod avant qu’elle ne sombre elle-même dans un sommeil sans rêves.
L’aube pointait déjà, Elysandre se réveilla la première, elle alla se rafraîchir dans le petit ruisseau qui coulait un peu plus loin. L’eau était moirée, le fond recouvert de petits cailloux scintillants, du mica peut-être. Plongée dans sa contemplation, elle n’entendit pas approcher Sliman. Quand elle le vit atterrir devant elle dans le ruisseau, l’éclaboussant au passage, elle couina de surprise. Il rit aux éclats devant sa mine furieuse.
— Alors on vient faire trempette de bon matin ?
— Tu trouves ça drôle ?
— Oh oui ! Beaucoup ! Ce voyage et mes compagnons de route sont bien trop taciturnes à mon goût !
— Pourquoi es-tu là alors ?
— J’avais envie de prendre l’air, de voir du pays. Je n’ai que trop peu souvent franchi les limites de notre belle forêt des saules bleus. J’étais curieux de découvrir les autres territoires. Ma mère et mon père adoptifs ne voulaient pas que je voyage. Ils préféraient me former à leur métier, mimes-acrobates.
— Ah ! c’est pour ça que tu en fais toujours des caisses quand tu débarques !
— Des caisses ?
— Oui des tonnes si tu préfères !
— Des tonnes ? Comment ça, des tonnes ? Je suis aussi léger qu’une plume, dit-il en fronçant les sourcils.
— Oui, quoi ! Tu arrives toujours en sautillant ou en exécutant des acrobaties !
— Toute ma vie à m’entraîner, quelle que soit la saison, ça laisse des traces, soupira-t-il. Il regarda au loin, les yeux dans le vague, immobile.
Le silence s’installa entre eux. Ils étaient plongés dans leurs pensées. Elysandre pensait à cette mère qu’ils n’avaient pas connue et aux mystères autour de la disparition de leur père. Sliman et elle possédaient un point commun, ils étaient orphelins.
— Que sais-tu de ta vraie mère, Sliman ? De ton père ?
— De ma mère, rien. De mon père, je sais juste qu’il était ami avec mon père adoptif. C’est pour ça que je peux porter son nom, Ishtannen.
— C’est notre grand-mère paternelle qui nous a élevés, Morgan et moi. Elle s’appelle Gri…
— Ah ! vous voilà, vous deux, on vous cherchait. Nous allons partir dès maintenant pour rendre visite à Urielle. Dépêchez-vous, les pressa Erin.
*****
Morgan
Il observait la jolie rousse qui manipulait des fioles de toutes les couleurs et toutes les tailles. Il essayait en vain de se souvenir d’elle, mais rien. Rien. C’était le néant total. Elle lui jetait régulièrement des regards pleins d’étoiles. Elle semblait très amoureuse de lui… Elle s’approcha et lui tendit une coupe remplie d’un liquide doré à l’odeur sucrée. Il ne put s’empêcher de le boire jusqu’à la dernière goutte. Elle l’embrassa avec langueur sans qu’il puisse la repousser même avec gentillesse… Il commençait à apprécier ce contact. Il ne put se retenir de la prendre dans ses bras, et l’embrasser avec encore plus de fougue. Peut-être que sa mémoire lui revenait par le biais de son corps. Il l’allongea sur le lit. Elle lui rendit ses baisers avec exaltation et commença à lui caresser le dos, languide. Il se souleva pour s’allonger de tout son long sur elle. Elle ouvrit les cuisses, ravie en ondulant sous lui. Doucement, elle fit descendre son caleçon. Il se sentit comme électrisé au contact de sa peau nue à peine recouverte d’un voile rouge orangé. Elle l’incita un peu plus en dégageant le tissu fin. Ils entrèrent en contact direct. Il perdit complètement pied.