Ce matin, Anna est seule dans la maison, tout le monde a déserté les lieux de bonne heure. Elle n'a même pas vu les garçons partir au lycée. Et Rémi, lui aussi est déjà parti. Elle n'arrive pas à se réchauffer. Elle vient d'avaler une dizaine de tasse de thé brûlant qui ont tous échoué dans leur mission. Elle tremble à s'en faire mal au dos tellement elle se contracte, elle ne peut pas se détendre dans cette maison igloo dans laquelle elle ne se sent pas bien ce matin. Elle veut fuir mais la pluie verglaçante entrave toute tentative d'évasion. C'est trop dangereux de prendre la voiture. Et à pied elle risque de se transformer en statue de glace en plein milieu de la cour. Elle est seule, s'inquiète. Une appréhension prend possession d'elle, elle ne comprend pas laquelle. Où est Rémi à cette heure là, que fait-il se demande t-elle. Elle sait qu'il doit être au travail, encore et encore, le travail. Elle ne peut pas lui dire qu'elle s'ennuie dans cette nouvelle vie, elle voudrait juste qu'il soit plus souvent là avec elle, que ses préoccupations ne tournent pas qu'autour de son boulot, et elle alors ? Elle a besoin de lui. La sonnerie du téléphone lui permet de s'extirper enfin de ces idées noires qui envahissent son esprit et lui donnent la migraine. Elle décroche son portable. Une voix douce et bienveillante se présente :
— Bonjour, je suis Madame Richard la CPE du lycée, je souhaiterais vous rencontrer vous et votre mari au sujet de Théo.
—Que se passe t-il , demande inquiète Anna.
—Je préfère vous parler de vive voix. Seriez vous disponible demain matin 11h?
— Je dois en parler avec mon mari, mais oui je pense que nous pouvons venir.
— Ok je vous attends demain. Merci de votre disponibilité. Bonne journée.
— Bonne journée.
Anna raccroche abattue par le coup de massue quelle vient de prendre sur la tête et qui termine de l'achever. Mécaniquement, elle pianote sur son portable et appelle Rémi :
— Allo, Anna ?
— Rémi il va falloir que tu sois à mes côtés à présent, tu ne peux plus te cacher derrière ton travail, Théo, Notre fils, a besoin de nous !
*
Sam s'est levé à l'aube ce matin, dans le bus il s'impatiente. Il fait danser ses ongles dans la bouche tout en se mordillant le bout des doigts comme si cela aidait le bus à avancer plus vite. Avec le verglas, le bus traîne la patte. Quand enfin le bus s'arrête, il descend aussi vite qu'il peut sur le sol glissant et marche à pas rapides jusqu'au banc du rendez-vous pris avec Léana. Il respire à plein poumon l'air frais, annonciateur de l'hiver qui approche. Il est heureux d'aller la retrouver. Sur le trajet, il pense à Théo. Il a appris par des camarades de classe que son frère s'était battu. Il est un peu déçu que Théo ne lui en ai pas parlé. Il ne peut pas vraiment lui en vouloir car lui même n'a pas osé lui demander. Il ne veut pas gâcher le bonheur qu'il partage avec Léana. De plus, Sam pense qu'il ne veut pas être aidé alors à quoi bon ? Malgré tout, ces arguments ne faiblissent pas cette sensation de lâcheté qu'il ressent vis à vis de son frère. Finalement, les états d’âme de Théo l’atteignent plus que ce qu'il veut bien croire. Il s'acharne une fois de plus sur les petites peaux mortes au coin des ongles. On dirait qu'il n'a pas manger depuis des jours. Léana arrive les sourcils interrogateurs :
— Ça va Sam, tu fais une drôle de tête ?
— Je pense à Théo, je m'inquiète pour lui. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas comment l'aider et s'il en a envie. Je me sens nul.
— C'est normal, le rassure t-elle avec douceur, je me sentirais pareille si j'étais à ta place.
— Je ne sais pas comment lui parler, il me fait peur tu sais. Des fois, je me dis qu'il pourrait faire une connerie. Tu penses toi qu'il pourrait faire un truc regrettable ? L'angoisse envahit Sam à cause des mots qu'il vient de lâcher à Léana. De ce qu'il vient d'admettre et de lui avouer.
—Je n'espère pas mais en même temps je ne connais pas bien ton frère tu sais. Tu ne me l'as jamais présenté.
Sam se sent soudain confus, les paroles de Léana sonnent comme un reproche. C'est vrai qu'il a été un peu égoïste ces derniers temps. Ce bonheur qu'il est en train de vivre, il ne veut le partager avec personne d'autre surtout pas avec Théo. Il craint qu'il lui gâche son euphorie et qu'il le fasse redescende de son petit nuage. Il se méfie de sa réaction s'il devait lui présenter celle qui l'aime. Ce n'est pas encore le bon moment pour des présentations officielles. Comme pour se trouver des excuses, il répond à Léana :
— De toutes façons, il s'en fout de tout. Je ne vois pas pourquoi je te le présenterai, il s'en fout de ma gueule et de ce que je vis. On ne partage plus rien, il me rejette ! Il fait chier!
Léana est surprise même un peu choquée de voir Sam s'emporter ainsi, lui le jeune homme si calme et d'apparence si décontracté. C'est ce qu'elle aime chez lui, sa sérénité. Elle s'approche de lui et lui dépose un baiser langoureux :
— Avec tout ça tu en as oublié de m'embrasser, mon petit rebelle !!
Léana arrive toujours grâce à ses répliques d'apparence anodines à mettre Sam mal à l'aise. Il s'en veut d'être aussi gauche. Néanmoins, il aime bien ses taquineries qui le remettent à sa place. Plus elle le bouscule, le fait sortir de sa zone de confort, plus il l'apprécie. L'heure du début des cours approche, les deux tourtereaux s'envolent main dans la main jusqu'au lycée.
A la pause, assommés par leur cours de maths, ils descendent dans le hall d'entrée pour échanger leurs livres logés dans le casier qu'ils partagent ensemble comme un vrai couple. Collés l'un à l'autre à s'embrasser aux yeux de tous, ils n'entendent pas tout de suite la rumeur du couloir s'enfuir vers la sortie du lycée. Les élèves se précipitent, se bousculent pour être les premiers à découvrir ce qui se passe dehors. Une foule se forme et des voix s'élèvent de l'assemblée. On peut entendre « sale pute » ou « espèce de sorcière, barre toi d'ici !!! ».
La forte agitation ramène les tourtereaux dans le monde réel. En voyant leur camarades courir dans le couloir, ils commencent à se poser des questions :
— C'est bizarre, on dirait qu'il se passe quelque chose dehors, s'interroge Théo.
— Oui regarde il y un rassemblement devant le lycée, dit-elle avec le doigt pointé vers les baies vitrées, on va voir ?
— Carrément, allons-y !!
Ils tentent de se frayer un chemin au milieu de la foule qui scande des slogans comme « défonce le !! » ou « arrêtez vous êtes fous ! ». Ils comprennent qu'une bagarre s'est formée. Néanmoins, ils n'arrivent pas à apercevoir les combattants. Sam surprend alors une conversation entre deux élèves qui évoque le prénom de Théo. Le cœur de Sam palpite à fond la caisse, ses jambes peinent à le retenir debout. Il prend conscience qu'il s'agit de Théo. Personne ne réagit pour l’arrêter, ce qui révolte Sam. Il veut intervenir mais le mur d'élèves formé devant lui l'en empêche. Heureusement, il entend la voix du professeur du sport et celle du CPE demander aux élèves de reculer. Un mouvement de dispersion permet à Sam d'entrevoir son frère gisant au sol le nez en sang. Les yeux de Théo sont maquillés, le trait de l'eye liner fait le tour de l’œil. Le regard étrange de Théo se fond dans celui de Sam. Ce dernier a un mouvement de recul, il se sent agressé comme un défi lancé par Théo. Sam est stoïque, figé au sol. Il réalise que son frère porte un drôle d’accoutrement : un t-shirt long noir sur un pantalon slim noir déchiré. Sam ne sait pas dire si son pantalon était déjà dans cet état avant la bagarre ou non. Il n'ose pas aller le voir. De toute façon,Théo ne lui en laisse pas le temps. Il vient de prendre d'escampette. La CPE occupée à éloigner les élèves finit pas se rendre compte que Théo s'est volatilisé. L’incompréhension la gagne, elle se dirige vers Sam qui ne réalise toujours pas ce qui vient de se passer. En voyant la CPE s'approcher, Sam sort de sa torpeur et décide de rattraper son frère. Léana le retient. La CPE se fait interpeller par la directrice qui hésite à aller à la rencontre de Sam pour finalement aller rejoindre sa hiérarchie.
— Attends Sam, tu ne peux pas le rattraper il est déjà loin.
— Tu ne comprends pas Léana, je ne peux pas le laisser tout seul je suis son frère jumeau il a besoin de moi !
— Au contraire, il a peut-être besoin d'être seul tu ne crois pas ?
—Je ne peux plus l'abandonner, j'ai été trop lâche avec lui. Je me suis trop persuadé que je ne pouvais rien faire pour lui, je dois le retrouver !! Tu comprends ?
Il a besoin que Léana approuve sa décision avant de partir. Il implore son approbation.
—Si tu penses que c'est ce que tu dois faire vas-y !!! On s'appelle plus tard ok ?
Sam lui sourit avec soulagement.
— Ok, à tout à l'heure, je t'aime.
Dans sa course effrénée, il prend conscience de ce qu'il vient d'avouer à Léana. C'est la première fois qu'il le dit à quelqu'un. Une sensation de honte s'empare de lui mais s'estompe vite au profit de sa détermination et de son objectif, celui de retrouver son frère. Sam est déçu de ne pas trouver son jumeau assis à l’arrêt de bus comme dans le scenario qu'il venait de se construire Il n'est pas là à l'attendre. Sam ne sait pas où le chercher. A t-il réussi à prendre un bus ? Rentre t-il à la maison ? S'est-il réellement enfuit ? Tant de questions sans réponse qui lui font tourner la tête. Il mise sur le retour à la maison. Il appelle sa mère pour tâter le terrain. Anna est en train de faire les courses, elle ne peut pas savoir si Théo est entrer et n'a pas l'air au courant de la bagarre. Sam ne lui dit rien pour ne pas l'inquiéter, ils échangent juste des banalités. Il raccroche et monte dans le bus qui vient de s’arrêter devant lui. Le trajet lui paraît interminable. Quand il arrive enfin chez lui, il fait face au silence. Merde, il est pas là. Après réflexion, il se dit que c'est bizarre que la porte ne soit pas fermée à clés, connaissant sa mère, ce n'est pas possible. Une lueur d'espoir s'empare de lui, il appelle son frère. Aucune réponse. Il survole les marches de l'escalier tellement il va vite pour vérifier l'étage. Pas de Théo. Soudain il entend un bruit sourd dans le grenier, un meuble qui bouge. Essoufflé, le cœur s'emballe de plus belle. Sam est pris de sueurs froides. Il accède à bout de souffle au grenier. Théo est là, au beau milieu des cartons en train de se regarder dans le psyché. Il ne l'a pas entendu arriver.
—Putain Théo tu m'as fais flipper. Je te cherche partout !!
Théo se retourne et le regarde avec un drôle d'air comme s'il n'était pas surpris de le voir là dégoulinant de sueur et les yeux exorbités.
—Ah t'es là, je ne t'ai pas entendu arriver. Pourquoi tu me regardes comme ça ?!!
—Pourquoi ? Tu me demandes pourquoi ? Putain mais parce que tu as une tête toute défoncée et que tu as un look complètement barré , voilà pourquoi !
—Tu ne me comprends pas toi non plus hein ? Tu me prends aussi pour un monstre ?
—Mais pas du tout, j'essaie de t'aider, de comprendre mais tu me fuis tout le temps. Putain je suis ton frère jumeau.
—Je ne me reconnais plus en toi frangin, et toi tu ne me connais plus. Tu n'as jamais voulu me connaître d'ailleurs, tu vois que ce que tu veux voir.
—N'importe quoi, c'est toi qui m'évites, tu veux jamais rien partager avec moi. C'est toi qui me juge tout le temps, je suis pas assez bien pour toi c'est ça ? T'as honte de moi ?
—Je pourrais te dire la même chose non ?
Sam a envie de pleurer, Théo est devenu trop inaccessible. Cela ne sert à rien de parler. Il capitule. Il n'a pas envie de se battre. Les bruits du grenier réussissent à briser le silence qui s'installe entre les jumeaux. Le craquement du plancher, le vent qui s'infiltre à travers l'entaille d'une fenêtre...
Je comprends la souffrance de Théo, mais en même temps une part de moi a envie de le secouer pour qu'il accepte de parler à son frère !
Et puis Anna la pauvre...Tout le monde souffre dans cette famille en fait. J'ai hâte que ça s'arrange.
Sinon, la phrase " Et Rémi, lui aussi est déjà parti." sonne un peu bizarre je trouve quand on lit. ça serait peut-être mieux d'écrire "Rémi aussi est déjà parti". C'est plus fluide selon moi.
Voilà, à bientôt !
je prends note de ta remarque.