Le lendemain, Sofia et Aidan quittèrent Chesbury et prirent le train de la première heure pour Londres. Sofia avait dû laisser Fely enfermé dans sa cage durant tout le trajet afin d’éviter un duel sanguinaire entre le fennec et l’ara. Ils arrivèrent ensuite à la gare de Victoria Station et montèrent dans un fiacre qui les emmena à Tavistock Place. Une fois descendus de l’hippomobile, ils aperçurent Ernest près de chez eux, lequel distribuait ses journaux aux passants tout en clamant les nouvelles du jour. Sofia n’étant pas d’humeur à supporter un quelconque sarcasme de la part du vendeur de journaux et à se livrer à une joute verbale avec lui comme elle en avait l'habitude, ils attendirent que celui-ci s’éloigne avant de s’engouffrer dans leur immeuble.
Quelques heures plus tard, alors que Sofia pleurait car elle avait sermonné Fely qui avait une nouvelle fois tenté de s’en prendre à Wallace et qu’Aidan ramassait les plumes que son ara avait perdu dans la panique, quelqu’un vint frapper à leur porte. Après avoir séché rapidement ses larmes, Sofia ouvrit. Une jeune femme d’environ dix-huit ans se tenait dans l’encadrement de la porte. Cette dernière avait de longs cheveux blonds ondulés comme ceux de Sofia, deux grandes incisives, de grands yeux et portait une robe marron d'une grande simplicité. Bien que la visiteuse souriait, une nervosité muette s’imprimait dans son regard. Sofia et Aidan attendirent qu’elle dise quelque chose mais elle ne prononça pas le moindre mot.
-Bonjour, dit aimablement Aidan qui finit par briser le silence.
La jeune femme paraissait très tendue.
-Bonjour, répondit-elle sur un ton chaleureux où l’on pouvait déceler une sévère touche d’anxiété.
Puis un nouveau silence embarrassant s’installa.
-Vous êtes ? s’enquit Aidan.
-Je…Je suis Laurie Noland…Je venais me présenter car…je viens d’emménager…au premier étage, répondit-elle en indiquant du pouce l’appartement en question.
-Enchanté Miss Noland, dit Aidan. Voici ma cousine Sofia et moi je suis Aidan.
Laurie Noland continua à sourire, sans qu’aucun mot ne sorte de sa bouche. Un silence ponctué de malaise s’abattit à nouveau. La scène était très embarrassante.
-Euh…eh bien merci d’être venue vous présenter, dit Sofia, gênée de la situation.
-Euh…de rien…bonne journée à vous…
Alors que Laurie Noland fit demi-tour et s’apprêta à remonter les escaliers, cette dernière se retourna avant que Sofia ait fermé la porte.
-Désolée…je suis un peu nerveuse, dit-elle en triturant ses mains. Je n’ai pas l’habitude d’avoir des voisins. Du coup, je ne sais pas trop comment me comporter…Dites-moi, comment est-ce que l’on agit pour être une bonne voisine ?
Sofia et Aidan ne s’attendaient pas du tout à cette question.
-Et bien…Il suffit d’être aimable envers l’autre lorsque l’on se croise, répondit Aidan sur un ton bienveillant. Ou alors on peut aussi lui proposer de lui rendre un service si besoin est, par exemple.
-Oh, excellente idée ! s’exclama Laurie Noland en levant son index comme pour souligner son approbation. Eh bien, si un jour vous avez des idées de services que je pourrais vous proposer, n’hésitez surtout pas !
Sofia songea alors au problème posé par Fely et Wallace.
-Maintenant que vous en parlez, il y a peut-être un service que nous pourrions vous demander, avoua Sofia.
-Oh, vous avez trouvé une idée ! Génial ! Vous m’avez déjà rendu le service que je désirais en une seconde. Ca prouve que vous êtes de très bons voisins ! Je serais donc ravie de vous rendre la pareille.
-Euh…D’accord…Bon eh bien voilà, mon cousin et moi devons nous rendre au théâtre Lyceum Theatre ce soir. Seriez-vous d’accord pour garder nos animaux ?
Une lueur de panique s’incrusta alors dans le regard candide de Laurie Noland.
-Oh, c’est que je n’ai pas la moindre expérience dans la garde d’animaux…Quoique quand on y réfléchit, je n’ai pratiquement aucune expérience dans rien. Cela ne vous dérange pas que je ne sois pas qualifiée pour cette tâche ?
-Vous savez, il s’agit juste de s’assurer que notre ara et notre fennec ne s’entre-tuent pas. Nul besoin d’avoir fréquenté Harvard pendant vingt-cinq ans pour pouvoir accomplir cette tâche, dit Sofia.
-Et bien j’accepte ! dit-elle avec une grande fierté, comme si elle venait d’être gratifiée d’une mission extrêmement importante.
-C’est très aimable à vous, dit Aidan. Est-ce que sept pennies de l’heure vous conviendraient ?
-Oh, je serais sûrement une bien mauvaise voisine si je vous faisais payer mes services.
-Voyons, pas le moins du monde. Tout travail mérite salaire.
-Non, non j’y tiens ! Ca me fait plaisir, sincèrement ! dit Laurie dont le sourire simplet s’agrandit.
-Bon eh bien d’accord, accepta Sofia. Merci Miss Noland.
A quatre heures de l’après-midi, Laurie se rendit comme prévu dans l’appartement de Sofia et Aidan pour garder Fely et Wallace. Alors que Laurie s’extasia devant le fennec tout en le qualifiant de « magnifique petit renardeau », Aidan, qui voyait sa cousine disposée à rebondir sur l’erreur de sa voisine, s’exprima en premier afin de remercier une nouvelle fois Laurie pour le service qu’elle acceptait de leur rendre à titre gracieux. Il saisit ensuite rapidement Sofia par le bras pour la conduire hors de l’appartement avant que cette dernière n’ait le temps d’ajouter son sempiternel « Ce n’est pas un renardeau mais un fennec ! ». Ils sortirent ensuite de leur immeuble et montèrent dans un fiacre.
Le Lyceum Theatre affichait complet ce soir-là. C’était un grand théâtre sophistiqué où foisonnait des sièges de velours et au lustre dorée scintillant. Sofia et Aidan s’installèrent vers les premiers rangs tandis que la rumeur des conversations emplissait la pièce. Un quart d’heure plus tard, le spectacle commença et un homme apparut sur scène. Les mains exagérément écartées comme s’il voulait étreindre le public, il poussa un rire puissant et théâtrale. De taille moyenne, il avait une petite queue de cheval châtain, une moustache guidon aux extrémités finement recourbées et un regard bleu très expressif. Il se présenta sous le nom d’Howard Chalmers.
-Merci Messieurs Dames d’avoir choisi la compagnie Cie & Chalmers pour passer votre soirée ! Permettez-moi de vous présenter mes quatre assistants ! Voici Miss Emeraude !
Une femme aux cheveux blond ondulés et mi-long salua alors la foule. A tour de rôle, ses associés furent présentés. Puis arriva sur scène une femme splendide aux cheveux couleur chocolat dont les reflets luisaient à la lumière de l’éclairage scénique. Sofia et Aidan la reconnurent. C’était la jeune personne de la Collecte qu’ils étaient venus voir.
-Et enfin, Miss Aphrodite ! clama Howard Chalmers en présentant sa partenaire.
Ce nom de scène n’étonna guère Sofia. Chez les Grecs, Aphrodite était la déesse de la beauté.
Les présentations effectuées, le spectacle commença. Pendant plus d’une heure, le public fut captivé par les tours d’escamotage et de passe-passe qui se déroulaient avec une impressionnante maestria. Stupéfaction et émerveillement défilaient à tout va sur les visages des spectateurs tout le long de la soirée. Un final grandiose. Puis le spectacle prit fin. Incroyablement conquis, le public offrit une ovation à la troupe, applaudissant avec ferveur tandis qu’Howard Chalmers, dans un dernier rire tonitruant, tendit à nouveau les bras en direction des spectateurs en guise de remerciements. Une fois les derniers saluts effectués, la troupe se retira de scène.
-C’est le moment de nous rendre dans les loges, dit Sofia à l’oreille d’Aidan.
Sofia et Aidan se rendirent devant l’entrée des coulisses et questionnèrent la première personne qu’ils virent.
-Excusez-nous s’il vous plaît, demanda Sofia à une jeune femme aux cheveux blond.
Cette dernière se retourna. Ils reconnurent l’assistante qu’Howard Chalmers avait présenté sous le nom de Miss Emeraude. Maintenant qu’ils étaient plus près d’elle, ils crurent comprendre la source de ce nom de scène car sous ses longs faux-cils se dissimulaient de magnifiques yeux verts d’un éclat rare.
-Oui ? répondit-elle avec un sourire affable.
-Bonsoir Miss, dit Aidan. Nous souhaiterions voir celle qui se fait appeler Miss Aphrodite.
-Ah, vous êtes des amis de Crystal ?
-Pas vraiment, répondit Sofia. Mais nous souhaiterions nous entretenir avec elle. C’est très important.
-L’ennui, c’est qu’il était prévu qu’elle s’entretienne également avec quelqu’un juste après la représentation de ce soir. Cela dit, la personne en question n’est peut-être pas encore arrivée. Allons voir.
Tandis que Miss Emeraude conduisit Sofia et Aidan à travers les coulisses, ces derniers purent s’apercevoir de l’ambiance bon enfant qui y régnait. Des costumes extravagants pendaient en désordre sur des portants, des valises dans lesquelles dépassaient des écharpes multicolores trônaient dans les recoins, des cartes de jeu jonchaient le sol et des phrases telles que : « Z’auriez pas vu ma fausse colombe ? » « Barry, fais attention à ce câble ! J’ai failli m’prendre les pieds d’dans ! » « Lily, tu peux m’aider à détacher ma robe s’te plaît ? » fusaient à tout va. Ils arrivèrent ensuite au fond d’un couloir où se situaient trois portes. Sur chacune d’entre elles étaient inscrits respectivement les noms de : « C. Simons » « L. Leemoy » et « H. Chalmers ».
Miss Emeraude toqua à la porte de la loge de « C. Simons ».
-Oui ? répondit une voix à l’intérieur.
-Crys, deux personnes souhaiteraient te parler. Ils disent que c’est important. Est-ce que…
-Tu peux les laisser rentrer, coupa la voix. Elle n’est pas encore arrivée.
Miss Emeraude se retourna alors vers Sofia et Aidan, leur souhaita une bonne soirée puis regagna la loge où il était inscrit « L. Leemoy ». Tandis que Sofia s’apprêtait à entrer dans celle de « C. Simons », elle aperçut que son cousin était figé sur place.
-Aidan, ça va ?
Effectivement, il semblait nerveux. Sofia crut comprendre pourquoi. A chaque fois qu’elle se rendait au British Museum, elle aussi était toute retournée à l’idée de voir Gene Mercery.
Puis ils pénétrèrent dans la loge où une délicieuse odeur de pêche flottait dans les airs. Miss Aphrodite, qui se nommait en réalité Crystal Simons, se trouvait de dos, assise sur une chaise et faisait face à un grand miroir encadré d’ampoules où sa magnifique silhouette était reflétée dans une parfaite netteté.
-Je vous ai repéré dans le public lors de notre représentation, dit Simons. Je me doutais que c’était vous dont ma collègue me parlait.
Simons se leva et se retourna, offrant aux deux cousins son sublime visage qui était dénué de toute trace des artifices dont elle avait été parée quelques instants plus tôt sur scène. Elle était incroyablement belle.
Sofia ne put s’empêcher de sentir une pointe de jalousie éclore au creux du ventre. Elle trouvait à la beauté de Simons une forme de perfection qui frisait l’insolence. Elle était toutefois persuadée qu’elle n’aurait pas ressenti la moindre jalousie si ce magnifique visage n’avait pas été celui d’une femme méprisante. Oui, en vérité ce qui la dérangeait, ce n’était pas la splendeur même de Simons mais de savoir que cette splendeur appartenait à une personne hautaine. Comme si cette beauté était trompeuse et qu’elle aurait sied à une personne plus bienveillante
Simons se dirigea vers eux à travers une démarche gracieuse et se plaça devant un Aidan qui était aussi fasciné que statufié. Sofia pensa alors que la divinité grecque qui aurait dû inspirer le nom de scène de Simons n’était pas Aphrodite mais plutôt Médusa. Connue aussi sous le nom de la Gorgone, cette déesse à la chevelure hérissée de serpents avait le pouvoir de pétrifier ses victimes par un simple regard.
-Etes-vous venu me demander… (elle tendit sa main derrière la nuque d’Aidan et fit apparaître une plume) un autographe ? Ou alors… (elle tendit sa seconde main derrière l’autre côté d’Aidan et ramena un petit bouquet de jacinthes) pour me jeter des fleurs quant à ma prestation exceptionnelle ? Car appelons un chat un chat, ma prestation était tout bonnement exceptionnelle.
Simons huma les fleurs tout en plantant un regard enflammé à Aidan, que l’on aurait dit changé en statut. La Gorgone savourait l’effet qu’elle produisait sur ses victimes. Sofia décida d’intervenir.
-Si vous nous avez bien entendu lorsque nous parlions avec Miss Emeraude, la raison motivant notre venue est de caractère important et je ne vois pas en quoi vous couvrir d’éloges ou demander votre autographe relèverait d’une quelconque urgence.
Simons sourit. Le caractère bien trempé de Sofia l’amusait. Elle retourna devant sa coiffeuse pour s’assoir, y déposa le petit bouquet ainsi que la plume et saisit une brosse pour démêler sa somptueuse chevelure.
-Je vous écoute, dit Simons en s’adressant à eux par miroir interposé. J’espère que j’en aurais pour mon argent.
-Ne vous en faites, on ne vous barbera pas puisqu’il il s’agit d’un de vos sujets préférés. Lord Connors. Votre grand ami dont vous adorez vanter les mérites. Savez-vous qu’il m’a chassé de la Collecte de la Générosité la dernière fois ?
-J’en ai entendu parler, en effet. J’ai également ouï dire que vous vous étiez montré insolente envers l’épouse d’un membre de la Chambre des Lords.
-Vous devriez apprendre à mieux vous renseigner ! s’exclama Sofia. C’était Belling qui avait manqué de savoir-vivre ! Mais bien sûr, votre cher Connors a préféré évincer une personne du peuple ! Ce Connors qui est tellement un grand ami de la classe ouvrière qu’il est prêt à fomenter un attentat pour tuer des centaines d’innocents afin de se faire bien voir par les membres du gouvernement !
La brosse s’immobilisa dans la chevelure d’Aphrodite.
-De quoi parlez-vous ? s’enquit Simons avec un air plus sérieux.
-A votre avis ? Du Jour de l’Explosion ! Nous savons qu’il avait un lien avec les Dédaignées Indignées et qu’il les a trahis ! Vous savez ce que je crois ? Que votre cher Connors a ourdi un complot contre ce mouvement féministe afin de l’empêcher d’obtenir gain de cause pour le droit de votes des femmes ! Connors avait tout à gagner en orchestrant cette machination, n’est-ce pas ? La reconnaissance des Lords et le non-passage du droit de votes des femmes qui a toujours été considéré par les membres du Parlement comme une abomination ! Cela allait inévitablement renforcer sa popularité au sein du gouvernement !
-Miss, je pense que…
-C’est pour cela aussi qu’il m’a évincé de la Collecte ! Pour que je ne révèle pas en présence des journalistes le complot qu’il a fomenté contre les Déd…
-Miss, interrompit de nouveau Simons, avant de vous perdre dans des conjectures aussi hostiles que futiles, je me permettrais de vous retourner vos propres conseils, à savoir d’apprendre à mieux vous renseigner. A toutes ces accusations que vous portez envers Lord Connors, je vous répondrais en vous posant une seule question : pourquoi donc aurait-il fomenté un attentat lors de la manifestation des Dédaignées Indignées alors que c’est lui-même qui a financé leur campagne et ce, de manière totalement assumée ?
Sofia resta stupéfaite. Sans voix. Elle s’attendait à tout sauf à cette révélation.
-Quoi…?
-C’est bien ce que je pensais, dit Simons, ravie de constater la confusion de Sofia.
Simons recommença alors brosser sa longue cascade aux reflets chocolat.
-En effet, poursuivi-t-elle, c’est Lord Connors qui a financé la campagne des Dédaignées Indignées. Son épouse Dalhia en était une fervente adhérente et a donc suggéré à son mari d’apporter un soutien financier à leur mouvement de manière que leurs revendications aient une portée plus importante. Ce qu’il a accepté. En agissant ainsi, Connors avait conscience qu’il se mettrait à dos beaucoup de libéraux qui étaient farouchement opposés au droit de votes des femmes, comme vous l’avez-vous-même souligné. Mais même en sachant tout cela, Connors a continué de prendre position pour les Dédaignées Indignées. Cependant, les choses se sont gâtées pour lui après le Jour de l’Explosion. Les conservateurs ont mené une lutte sans merci contre les libéraux, les accusant d’être responsable de cette tragédie, prétextant que s’ils avaient eu assez de bon sens, jamais ils n’auraient laissé un de leur membre soutenir le mouvement de « féministes enragées ». Cette histoire a créé un chaos sans nom au sein du Parlement. Fort heureusement, l’acquittement d’Hayden Annopler pour faute de preuves ainsi que l’élection de justesse de Lord Palmerston, le chef des libéraux à cette époque, a fini par sauver la place de Connors au sein de la Chambre, bien qu’il ait mis des années à se refaire une réputation. Vous comprenez à présent pourquoi il ne peut être à l’origine de l’attentat du Jour de l’Explosion ? Cela aurait été une action suicidaire pour sa carrière politique.
Simons déposa sa brosse et saisit une bouteille de parfum avec lequel elle se vaporisa puis elle poursuivit :
-Bien qu’il ne soit pas toujours en accord avec eux, Connors milite énergiquement pour que les libéraux reprennent le pouvoir au sein du Parlement, Gladstone à leur tête. Si vous lisez les journaux, vous n’êtes pas sans savoir que notre ancien premier ministre a connu beaucoup de…problèmes ces derniers mois*. Tous les membres des libéraux doivent donc redoubler de vigilance quant au maintien de leur image pour favoriser leur chance de remporter les élections de novembre. Ne soyez donc pas surprise que Connors vous ait évincé de la Collecte après votre attitude extravagante, Miss. Vous imaginez, Lord Connors qui approuve qu’une citoyenne insulte devant des centaines de personnes la femme d’un autre Lord et tout cela au sein d’une œuvre de bienfaisance dont il a tant fait l’éloge auprès de la Reine. Cela n’avait rien de personnel ou parce qu’il appréhendait que vous révéliez un complot imaginaire. C’est juste qu’il tient à éviter le moindre scandale en ce moment qui serait susceptible d’entacher sa réputation et donc indirectement, celle des libéraux. Il doit mettre toutes les chances de son côté. Déjà qu’il est en bisbille avec certains membres de la Chambre depuis qu’il a apporté un soutien financier au journal de Néhémie Wilson que tous les membres du gouvernement détestent au plus haut point…
Nouvelle stupéfaction pour Sofia. Elle n’en revenait pas de ce qu’elle venait d’entendre.
-C’est Connors qui finance La Voix au Chapitre ? s’enquit Sofia.
-Miss, je vous l’ai dit. Lord Edmund Connors est l’ami de la classe ouvrière. C’est pour ça d’ailleur qu’il est surnommé Le Valet du Peuple. S’il peut soutenir un mouvement revendiquant le droit de votes des femmes, il le fera. S’il peut soutenir une troupe d’artistes comme nous afin de nous permettre de gagner en visibilité, il le fera. C’est pour cette que je l’apprécie énormément. Et s’il peut soutenir un journal indépendant donnant la parole à la classe ouvrière, et ce même si ça déplaît à la noblesse, il le fera. D’ailleurs au sujet de Néhémie Wilson, il se trouve que je dois…
Puis quelqu’un toqua à la porte.
-Crystal !
Miss Emeraude apparu dans l’encadrement de la porte. Elle tenait un grand bâton où un cœur trônait à l’extrémité.
-Howard veut que tu essaies ta robe pour le prochain spectacle. Il veut s’assurer qu’il n’y aura pas besoin d’y faire des retouches supplémentaires.
-J’arrive dans cinq minutes, lui répondit Simons.
-D’accord.
Puis Miss Emeraude se retira à nouveau en refermant la porte derrière elle.
-J’ai perdu le fil de la conversation, reprit Simons. Où en étions-nous ?
-Mais quelqu’un nous a fait comprendre que Connors avait trahi les Dédaignées Indignées car il s’est désolidarisé d’eux.
-Très probablement parce qu’il a cessé le financement de leur campagne après le Jour de l’Explosion. Je ne vois pas en quoi cela fait de lui un traître.
Sofia était exaspérée de le reconnaître mais Simons présentait des arguments solides. Après tout, pourquoi Connors aurait-il organisé un attentat qui n’aurait eu pour autre conséquences que de saboter sa réputation et les chances à son parti de remporter les élections générales ? De plus, Sofia, qui vouait une admiration sans borne pour Néhémie Wilson, était convaincue que celle-ci ne se serait jamais alliée à Connors si elle n’avait pas été certaine qu’il était digne de confiance, et ce même si celui-ci lui proposait un apport financier considérable pour favoriser l’exposition de son journal. Ses doutes au sujet de Connors se dissipèrent.
Simons saisit un verre d’eau posé sur la coiffeuse et adressa à Aidan un sourire railleur.
-Au faite jeune homme, vous devez avoir la gorge sèche à force d’être bavard comme vous l’êtes. Souhaitez-vous un verre d’eau ?
En effet, depuis qu’il était entré dans la loge de Simons, Aidan, nerveux au possible, n’avait pas prononcé le moindre mot.
-Vous n’êtes pas obligée de vous montrer aussi méprisante, maugréa Sofia.
-Je ne vois pas où est le mal dans le fait de sous-entendre qu’il est muet comme une carpe. Mais quand on y pense, c’est logique d’être muet comme une carpe quand on a le charisme d’une carpe.
Tandis qu’elle bu son verre d’eau, son sourire moqueur s’amplifiant derrière le liquide transparent, le teint de Sofia vira au rouge vif.
-Non mais je rêve ! Pour qui vous prenez-vous, petite peste !
-Oh ne le prenez pas mal Miss, répondit Simons avec désinvolture. Je suis de nature assez franche, vous savez.
-Non, non ! Ne confondez pas franchise et méchanceté ! Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’être agréable à regarder vous donne le droit de parler aux gens de la sorte ! Ce n’est pas avec Connors mais plutôt avec Belling que vous devriez avoir des atomes crochus étant donné que vous partagez la même passion pour la vanité et le mépris ! Viens Aidan.
Sofia attrapa son cousin par la manche et sortit en trombe de la loge de Simons. Une fois sur le palier, elle écumait sa colère.
-Pourquoi tu l’as laissé te parler comme ça ? demanda-t-elle, furieuse.
-Tu sais…Elle à le droit de trouver que j’ai le charisme d’une carpe…
A en juger par le ton d’Aidan, Sofia devinait que la remarque cinglante de Simons avait blessé son cousin.
-Elle a le droit mais pas de te le dire de cette manière et encore moins si on ne lui a pas demandé son avis !
-Excusez-moi, Miss Simons est-elle là ? demanda paisiblement une voix derrière eux.
-Oui, dit Sofia en se retournant, toujours lancée dans son accès de fureur. Elle est dans sa loge et…
Mais elle s’interrompit sur-le-champ. Tandis que son cœur loupa un battement, elle sentit ses jambes s’engourdir.
Une belle femme métisse aux cheveux crépus se tenait devant eux. Droite comme un i, elle était vêtue d’une longue robe jaune par-dessus laquelle s’étirait un manteau en laine et arborait sous ses mains en croix un grand carnet. Voyant son portrait toutes les semaines dans La Voix au Chapitre, Sofia la reconnut aussitôt.
C’était Néhémie Wilson.
Tu as totalement raison en ce qui concerne les émotions de Sofia et Aidan quant au spectacle auquel ils viennent d'assister. J'ai été expéditive sur ce sujet, je vais procéder à une réécriture 😊
Disons qu'elle se prend pas pour n'importe qui surtout 😁
Mais idem, c'est vrai que je n'ai pas tant parlé de sa position quant au Dédaignées Indignées et du coup, ça mériterait peut-être que je le mentionne 🤔
Je prends notes en tout cas !
Et je suis contente que l'arrivée de Néhémie Wilson te plaise ! 😄
Merci 🥰🥰