Vendredi 13 juin, 17h17. Le Diable fait son entrée en casque fluo et maillot élastique lui moulant le bide, une roue de vélo sous le bras.
LE DIABLE
J’ai pris la roue avec moi pour dissuader les voleurs de bécanes, ça ne vous dérange pas que je la pose là ? Regardez ! (Il pivote sur lui-même.) Je me trouve particulièrement sémillant dans cette petite tenue. Je me suis mis au vélo pour perdre un peu de poids et faire un peu de sport tout en montrant le bon exemple en partant en croisade contre le plus grand fléau de notre monde moderne.
Non, Madame, pas la peste ni le corona, mais l’obésité. Et il se trouve que j’ai trouvé la solution à la plus grande énigme de tous les temps.
Je sais pourquoi les gros sont gros. (Le Diable plisse les yeux d’un air savant et rusé sous son casque.) Saviez-vous que les sports d’endurance sont excellents pour vider l’esprit et faire apparaitre les solutions ? Après des kilomètres de vélo, de longues années d’observations pénibles et de savants calculs, j’en reviens toujours au même résultat.
J’ai résolu le problème sur lequel diététiciens et charlatans se penchent depuis l’avènement du hamburger en ne faisant que tourner autour du pot de Nutella. Mais on peut compter sur moi pour être direct et regarder la vérité en face.
Les gens s’exclameront : « Comment avons-nous pu ignorer une vérité si vraie si longtemps ? ». C’est que je vais sauver le monde de la pandémie d’obésité. Le problème, c’est que je risque gros à avancer cette théorie révolutionnaire. Êtes-vous prête à entendre la vérité à vos, ou plutôt à mes risques et périls ? Attention : les gros sont gros parce que…
(Le Diable laisse planer un silence.)
… ils mangent trop.
Reprenez votre souffle. Je sais que c’est un choc. C’est ainsi. Les choses les plus évidentes sont parfois les moins évidentes. Rien de tel que l’ère du politiquement correct pour nous faire croire des choses incorrectes. Le monde attendait juste quelqu’un d’assez innocent et courageux pour révéler la supercherie.
Cette personne est là devant vous. Je vais devenir le whistleblower de l’obésité. Comme Edward Snowden. Sauf que c’est beaucoup plus dangereux, je risque d’être encore plus persécuté que lui quand ma théorie sera rendue publique. Peut-être que je devrais fuir en Russie ou plutôt en Éthiopie, je pense que le climat y est plus clément.
Car a-t-on déjà vu des Éthiopiens obèses, je vous le demande ? Ça fait des années que j’observe mes pécheurs soumis à diverses situations culinaires en Enfer et je peux vous l’affirmer : on est ce que l’on mange. C’est une approche mathématique et systématique à la diététique. Ce n’est qu’une question de volonté et de… Quoi encore ?
Je savais que vous alliez essayer de prendre leur défense et d’excuser leurs mauvaises habitudes. Mais non, Madame, la compassion, dans ce cas, ne mène qu’à plus d’excès. De la rigueur et du willpower, voilà ce dont ils ont besoin. Car ce qui rentre est voué à ressortir sous forme fécale ou rester sous forme fatale.
Prenez par exemple une cacahuète. Elle va directement se loger sans ambages dans les jambages. La cellulite n’est en réalité rien d’autre que de la cacahuète transcutanée, un apéritif dans les cuisses ! C’est d’ailleurs pour ça qu’on envoie en Éthiopie des barres de caca… (DING DONG) Sainte Sauce ! Le FBI ! Je ne pensais pas qu’ils me trouveraient si vite. Je cache la roue sous le tapis et sors vite par la fenêtre, comme ça vous n’aurez qu’à leur dire que j’ai filé à vélo pour brouiller les pistes ! Merci d’avoir risqué votre peau en m’abritant le temps que je puisse faire éclater la vérité au grand jour.
Il sort par la fenêtre et s’échappe par le toit pour fuir la foule furieuse qui commence à manifester devant le bâtiment.
Ce monologue est un bijou d’ironie mordante et d’absurde parfaitement dosé. Le Diable à l'air à mi-chemin entre prophète auto-proclamé, cycliste zélé et satiriste désinvolte, nous entraîne une fois de plus dans une tirade aussi hilarante que dérangeante. Le ton faussement sérieux, la logique pseudo-scientifique et les envolées grandiloquentes sur fond de roue de vélo et de Nutella sont très drôle. Je pense réutiliser l'expression "Tourner autour du pot de Nutella" ah ah ! On dirait vraiment du théâtre de l’absurde au service d’une critique sociale grinçante.