La guilde des corbeaux azuréens

Je m’entraînais dans ma chambre à l’auberge pour perfectionner ma maîtrise de la magie, pestant intérieurement, comme j’en avais l’habitude, que le fonctionnement de celle-ci me semble toujours contre-intuitif. Chaque bribe de compréhension ne faisait que soulever plus de questions. Pourquoi fallait-il que le savoir, en particulier le savoir magique, soit si difficile d’accès ? Mes réflexions furent interrompues par une voix derrière moi.

— Bonjour.

— D’où sortez vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? Ai-je réagi en me retournant.

Instinctivement, j’avais ouvert la main droite et fait apparaître des arcs d’éclairs entre mes doigts, j’étais sur le qui-vive prêt à le carboniser avec la puissance de la foudre. Un simple geste de la main lui a suffi pour faire disparaître les arcs, j’ai tout de suite compris que je n’avais jamais rencontré d’adversaire aussi dangereux.

— Pas la peine de jouer à ça avec moi, je ne te ferai aucun mal si tu ne m’y contrains pas, affirma-t-il alors que d’un geste il avait fait se redresser ma chaise tombée. Je m’appelle Lambeau et je suis venu te faire une proposition. J’appartiens à la guilde des corbeaux azuréens, nous pensons que tu as du potentiel. Tu pourrais nous rejoindre, ce qui serait profitable pour toi comme pour nous.

— Comment cela se passe ? Demandai-je en m’asseyant, je veux dire, si j’accepte, il y a tellement d’histoires qui circulent sur les guildes de traqueurs, c’est difficile de démêler le vrai, l’exagéré et le complètement faux.

— Ne t’inquiète pas Serge, il est habituel que les recrues potentielles se posent des questions. Nous autres magiciens, ou sorciers comme on nous appelle le plus souvent, sommes perçus comme des égoïstes avides de pouvoir. Et malheureusement, c’est le cas d’une majorité d’entre nous. Mais il y a plusieurs siècles déjà, Maguire a choisi de travailler en équipe et de forger des amitiés avec d’autres magiciens. Il a choisi la confiance en ses amis plutôt que de continuer à avoir peur en permanence…

— Attendez ! Maguire fait partie des membres actuels du conseil, non ? Ai-je réagi en le pointant du doigt

— Je comprends ta confusion, elle n’a pas lieu d’être, me répondit-il avec un geste apaisant des mains, c’est bien la même personne, au-delà d’un certain niveau de pouvoir, on peut devenir immortel.

— Vraiment ?

— Cela dépend de ce qu’on entend par là, en pratique un ou plusieurs magiciens réunissant une très grande puissance pourraient tuer l’un des membres du conseil, mais ce n’est pas arrivé depuis plus de deux siècles…

— Quoi ? Bondis-je déjà à moitié debout, je croyais qu’Onil avait rejoint le conseil il y a moins de dix ans.

— Tu es bien renseigné, cependant tu tires des conclusions erronées, expliqua-t-il en marchant en cercles devant le lit, Hamond n’est pas mort. J’ignore les détails sur son départ du conseil, je ne peux pas te dire si c’était volontaire ou si les autres membres l’ont exclu. Mais je t’assure qu’il est vivant et qu’il fait toujours partie des membres haut placés de la guilde. La théorie que j’entends le plus souvent dit que les autres membres l’ont exclu au profit d’Onil pour renouveler le conseil, avoir du sang neuf. Je ne suis pas convaincu, la limitation des places au conseil n’a jamais été gravée dans le marbre. Contrairement à bon nombre d’autres règles que tu devras respecter sous peine de sanctions.

Je n’aimais pas sa façon de parler avec les mains tout en débitant un discours qui devait être bien rodé.

— Vous mentionnez ces règles pour revenir au sujet initial de la discussion.

— En effet, tu es perspicace, si tu nous rejoins tu auras tout le temps d’en apprendre plus sur la guilde, et pour plus d’efficacité, je pense qu’il vaut mieux que l’on se recentre sur des considérations qui te seront utiles plus tôt.

— D’accord, alors soyons pragmatique et allons à l’essentiel de mon point de vue, qu’est-ce qui j’y gagne ? Et qu’est-ce que cela me coûte ?

— Tu rejoins une équipe qui assurera tes arrières, et un référent qui pourra faire office de mentor en matière de magie, tout en s’assurant que tes coéquipiers et toi respectez les règles. En ce qui concerne le coût, le principe est simple, tu dois transmettre une fraction de la puissance magique accumulée à ton référent. La règle établie stipule que cela doit être moins d’un cinquième de ce que tu as gagné depuis la précédente contribution. La fréquence de contribution et le montant exact sont à la discrétion de chaque référent.

— J’admets qu’un mentor pour m’aider à progresser dans ma maîtrise de la magie serait appréciable, mais, un cinquième ? Demandais-je en espérant que cette tentative de négociation ne soit pas trop maladroite, cela semble cher payé…

— Cela se discute, tu dois bien comprendre qu’une fois en groupe, tu récolteras plus d’éclats qu’à l’heure actuelle. Même en prenant en compte la règle de roulement, qui est simple. Dans l’équipe, lorsque vous récupérez un éclat, c’est chacun son tour. Et pour être clair, si tu dois absorber un éclat pour t’assurer la mainmise dessus alors que ce n’est pas ton tour, tu dois dès que possible transmettre la puissance correspondante à la personne prévue par le roulement. Des questions ?

— Je suis tenté, ceci dit j’ai une dernière question sur un point bloquant, si finalement je pense que cela ne me convient pas, est-il possible de quitter la guilde en bons termes ?

— Tu peux à tout moment contacter ton référent pour les problèmes que tu rencontres, et il doit t’aider. Soit lui-même, soit en en transmettant l’information à son propre référent. En dernier recours, si cela ne s’arrange pas, tu peux demander à partir. Mais il faut que tu comprennes que l’expression «en bons termes» a peu de chances de s’appliquer. En général, la mise en garde que l’on fait aux membres sur le départ les incite à quitter la zone d’influence de la guilde.

— Quelle mise en garde ?

— Un simple rappel, il n’y a aucune règle interdisant de s’en prendre au chasseur solitaire, bien que la guilde soit tolérante envers la plupart d’entre eux car ils ne nous menacent pas. Ils s’entretuent très bien sans nous. C’est même notre source de recrutement. Néanmoins, certains membres prennent pour un affront les départs et chassent ceux qui préfèrent une vie solitaire pour s’emparer de leur pouvoir.

— En quoi est-ce censé être un affront ?

— Personnellement, je m’en moque, pourtant je constate que la plupart des membres dans le bas de la hiérarchie considèrent qu’avoir acquis une partie du savoir de la guilde, puis partir s'apparente à du vol. C’est illogique, le paiement de la contribution à la guilde pose rarement de problème. Et elle est directement versée au référent qui fait office d’enseignant, qui lui-même paye pour l’enseignement qu’il reçoit. On peut remonter comme ça jusqu’aux membres du conseil.

— Les membres du conseil de la guilde des corbeaux azuréens sont-ils les plus grands magiciens de Patmosia ?

— C’est difficile à prouver, il y a d’autres grands magiciens qui dirigent leur propre guilde, cependant je le crois. Je n’ai jamais entendu parler d’une autre guilde dirigée par un conseil plutôt que par un magicien solitaire. Pour ce que j’en sais, notre guilde est la plus ancienne. Les autres ne sont que de pâles copies venant d’opportunistes incapables de comprendre l’essence même de notre fonctionnement.

— Vous m’avez convaincu, j’accepte de vous rejoindre. En revanche, je dois avouer que je ne connais pas ce sort qui vous semble probablement élémentaire pour transmettre une partie de sa puissance magique.

— Cela n’a rien de surprenant, tu n’as jamais eu à chercher à mettre en œuvre une telle pratique. Rassures-toi, puisque je suis ton recruteur, c’est moi qui ait la charge de ton accueil. Avant que l’on t’attribue un référent et une équipe, je dois te former pour que tu connaisses les sorts indispensables, et les règles de base. Afin que la suite de ton parcours dans la guilde puisse se passer sans accrocs. Dans la mesure où nous ne t'aurions pas proposé de nous rejoindre si tu n'étais pas raisonnablement doué, cela devrait prendre environ une semaine. Ensuite, lorsque j’estimerai que tu es prêt, tu effectueras ta première contribution. Et je t’orienterai vers ton référent qui t'intégrera à une équipe.

— La règle du cinquième s’appliquera ?

— C’est cela.

— Mais je n’aurai pas beaucoup gagné en puissance d’ici là, non ?

— Tu n’en as peut-être pas eu conscience mais nos dénicheurs de talent t’ont observé. Or vu le peu de temps où nous aurons échangé, cela sera suffisant. À moins d’une très mauvaise semaine de récolte pour toi qui ne serait pas due au temps que tu vas devoir me consacrer. Bien que je ne chasse plus les éclats, je te garantie que ce rôle de recruteur m’assure une progression de puissance magique très correcte et régulière grâce à un bon roulement de nouveaux membres.

Tout a un prix. Il suffit de rencontrer le bon interlocuteur.