La Haine qui Marche

Notes de l’auteur : Dans ce chapitre, l'Ecorché se remet en marche après l'affrontement qui l'a opposé à Myra et les compagnons.
Les automates suivent leur chemin. Ils observent et jugent maintenant pour pouvoir choisir plus tard.
Quelle sera leur sentence ?
Quel est leur rôle ?

 

La brume se levait lentement sur les instants qui suivirent le combat qui l'avait opposé à la compagnie de Myra. Comme un voile souillé rejeté par un cadavre. Le silence était absolu, hormis le cliquetis grinçant d’un métal en mouvement.

L’Écorché marchait au milieu des restes du carnage, les bras ballants, sa grande lame traînant derrière lui. La neige souillée craquait sous ses pas. Autour de lui, tout était meurtri : des troncs fendus, des racines arrachées, des pierres noircies par le feu ou brisées sous l’impact de coups. Des éclats de fer gisaient entre des restes de chairs mortes et d’armures calcinées.

Ses chevaliers spectres n’étaient plus que quatre. Quatre silhouettes en loques d’ombres, debout malgré tout, animées par une volonté de pure vengeance. L’un d’eux boitait, l’autre perdait des fragments de côte à chaque pas, et les deux dernier n’avait plus de mâchoire. Mais tous suivaient leur maître.

L’Écorché s’arrêta au pied d’un grand rocher taché de sang noir. Il s’agenouilla lentement, sa respiration sifflante. Ses gantelets crissèrent en saisissant une poignée de neige mêlée de cendre. Il la serra, la broya, puis la porta à son front fendu, comme un rituel. Sa haine, jusqu’alors contenue, jaillit. Un cri sourd, venu du plus profond de lui, fit frémir les corbeaux perchés dans les arbres morts.

Il était furieux. Pas d’une fureur tapageuse — non. D’une fureur ancienne, brute, abyssale, comme si chaque fibre de son être, chaque fragment de sa mémoire d’homme déchu, hurlait pour qu’on lui rende ce qu’on lui avait pris : la guerre, le sang, la toute-puissance de tuer.

Il avait perdu. Il le savait. Mais il avait aussi senti la chaleur d’un souffle, un don vivant. Et cette chaleur… il la haïssait.

Les arbres eux-mêmes semblaient s’écarter à son passage. Les feuilles frémissaient dans un vent sans direction. Des lièvres morts gisaient ici et là, vidés de leur chaleur par un mal invisible. La forêt savait. La forêt avait peur.

D’un geste lent, l’Écorché tendit la main vers les restes d’un de ses compagnons tombés. Un éclat de chair encore animée remua dans la neige. Il planta un clou noir dans la carcasse — une forge de douleur — et murmura un mot ancien. La chair palpitante hurla, se tordit, puis se releva : un cinquième spectre naissait dans la douleur, revenue de l’enfer une fois encore.

Et ils se remirent en marche sur les traces de Myra. Où qu'elle aille il la suivrait !

L’Écorché ne s’arrêterait plus.

Plus loin, dissimulés dans l’ombre des futaies, les deux automates progressaient en silence.

Leur présence ne déclenchait aucun cri d’oiseau, aucun mouvement de bête. Ils avançaient avec la discrétion de la pierre tombale. Mais leur direction était claire. Leurs capteurs captaient la trace du fluide dans l’air, comme un parfum oublié.

Ils ne poursuivaient pas Myra comme on chasse une proie. Ils l’étudiaient. Ils ressentaient le fluide en elle comme une lumière dans l’obscurité d’un gouffre. Une lumière trop forte, trop pure — une anomalie à corriger ou à préserver. Leur logique n’était pas celle des hommes. Ils ne tuaient pas par haine. Ils choisissaient. Mais que faire de la fille ?

Leur choix approchait.

Ils s’étaient arrêtés à flanc de colline, au bord d’un ravin gelé, et observaient de loin. Là, dans l’obscurité mouvante des pins noirs, ils avaient vu le feu du combat entre les vivants et les morts. Le hurlement du loup géant avait résonné en eux comme une donnée nouvelle.

Ils voyaient l’Écorché. Ils voyaient les compagnons. Ils voyaient Myra. Et à travers elle, ils voyaient la Source.

Ils ne prenaient pas part. Pas encore. Le moment viendrait. Inéluctable, décisif comme un coup de couteau.

Mais leur jugement viendrait. Et quand il tomberait, ce ne serait ni clémence, ni cruauté. Ce serait la fin ou le recommencement.

Et ils se remirent en marche.

Les deux automates avaient pris de l’avance sur la Marche de l’écorché. Le vieux monastère de pierre, là-haut sur la crête, était déjà dans leur champ de perception.

Ils n’étaient plus que deux. Mais ils étaient la mémoire froide de tout un monde oublié.

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Talharr
Posté le 29/07/2025
Franchement les chapitres avec l'écorché et ses acolytes sont vraiment chouettes à lire :)
Une autre perception des lieux qui les entourent, ...
Avec les automates toujours pas loin.
Va y avoir du grabuge.
Brutus Valnuit
Posté le 29/07/2025
Merci !! j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire les passages sur "les méchants" de l'histoire.
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