La journée d'un roi

Cléandre était assis sur un trône de paille, une assemblée chaotique de brins tissés à la hâte, formant une structure instable. Les brins de paille se courbaient autour de lui, créant une assise imparfaite qui, d’une manière étrange, épousait parfaitement sa posture décontractée. Chaque mouvement faisait crisser la paille sous lui, créant une sensation de légèreté, de liberté même. Il regardait autour de lui avec une satisfaction nonchalante : un roi de pacotille installé dans un fauteuil trop grand et qui se sentait pourtant chez lui.

Sur sa tête, une couronne de fortune, composée de brindilles de bois légèrement tordus, enroulés autour de sa tête, couverts de petites feuilles et de fleurs fanées. La couronne n’était pas imposante, ni digne des grands monarques. Cependant, elle avait quelque chose de grotesquement grandiose, une preuve que Cléandre, dans sa folie douce, régnait sur ce royaume d’imprévisibilité. Elle tenait sur son crâne de manière précaire, un simple morceau de ruban, attaché maladroitement autour de la couronne, flottait derrière lui, imitant une bannière, délibérément ridicule. Cléandre l'arborait tout de même avec l’assurance d’un monarque de légende.

Cconfortablement installé sur son trône de paille, il leva la main, non pour faire un geste majestueux, plutôt pour indiquer à ses sujets qu'il était temps d'agir. Il sourit largement et déclara d’un ton solennel :

— Messieurs et mesdames les gueux, les jardiniers et les balayeurs du royaume, je vous ordonne de… sauter à cloche-pied autour de cette fontaine, seulement sur les pierres les plus froides, afin de renforcer l’autorité de l’eau !

Les villageois, un peu déconcertés, s’exécutèrent avec un enthousiasme comique. Certains trébuchaient sur les pierres glissantes, d’autres faisaient des sauts maladroits, tous le faisaient avec une rigueur militaire. Le monarque, hilare, regardait cette scène, ce spectacle qui lui était offert.

Puis, il se tourna vers Miranda, toujours un peu à l’écart, l’observant d’un air amusé.

— Et toi, ma chère Miranda, tu me rendras un grand service en… trouvant la fleur la plus timide de tout le jardin et en lui murmurant un compliment sincère. Attention ! Il faut le faire sans qu’elle ne rougisse !

Miranda, avec un regard pétillant de malice, se pencha pour observer les fleurs et choisit une petite marguerite, toute recroquevillée sur elle-même. Elle s’agenouilla, susurra quelques mots à la fleur, et attendit. La marguerite ne rougit pas, le fait qu'elle reste aussi droite et immobile semblait suffire. Cléandre applaudit, tout fier de son ordre.

— Voilà, c’est bien ! Vous voyez, mes chers sujets, vous êtes tous dignes de ce royaume : un royaume où l’on ne craint ni le ridicule ni la logique !

Les villageois rirent en chœur, se tapotant les épaules et hochant la tête en accord. Miranda, quant à elle, fit une révérence exagérée.

Le trône de Cléandre, bien que de paille, emportait toute une nation dans une spirale d’absurdité de plus en plus irréversible. À peine un roi, et déjà il s’était découvert une passion soudaine pour le grand art de la gouvernance. L’absolutisme, voilà ce qu’il avait choisi, sans se soucier de la moindre nuance. Tout lui appartenait : les ruelles, les champs, les poules, les blés, les rires des enfants. Les lois ? Inexistantes. Les décrets ? Gribouillés sur un coin de nappe en attendant que la brise les emporte.

L’idée même que quelqu’un d'autre puisse partager ce pouvoir était pour lui une hérésie. Le royaume était une scène où il était l'unique acteur, les villageois ses figurants consentants, et Miranda… eh bien, Miranda était sa conseillère en sourires et éclats de rire. Quiconque osait proposer une idée qui ne venait pas de lui se voyait traiter de traître ou d'idiot, selon l'humeur de l'heure. Un marchand qui demandait à vendre plus que de la confiture de cerises sous prétexte de faire tourner l'économie ? Cléandre ordonnait d'un geste théâtral qu’on le jette dans la fontaine, histoire de purifier ses intentions mercantiles. La justice, chez lui, n’était pas une question de raisonnement, uniquement de spectacle, et l’on jugeait plus vite, plus fort, plus joyeusement.

Les abus du pouvoir, dans ses mains, n’étaient qu’une extension de son égocentrisme flamboyant. Tout le royaume était là pour l’admirer, lui, son panache et ses ordres farfelus. Ce n’était plus une gestion sage des affaires du royaume ; une série de caprices dignes d’un enfant de huit ans jouant à être empereur du monde. Le plus beau dans cette histoire, c’était que ses sujets, dans leur grande générosité, obéissaient avec un enthousiasme de perroquets dressés, n’osant remettre en cause l’intellect supérieur de leur roi à la couronne de rubans et de bric-à-brac.

Cléandre, couronné de bêtise, régnait ansi sur son royaume de l’absurde, en toute tranquillité, enivré par la douce musique de son propre égo.

Alors que la nuit étendait son voile, les derniers éclats de rire s'éteignaient dans la brise, et les sourires niais des villageois se fanaient, laissant place à d’autres, plus sombres, plus affamés, ceux de bouffons tapis dans l’ombre, prêts à saisir leur chance, sans que Cléandre premier et dernier du nom, ne se doute que son règne de pacotille touchait déjà à sa fin.


 


 

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