Je savais depuis déjà longtemps que mes années au lycée ne seraient pas de tout repos. Pourquoi ? Parce que je faisais partie de la promo 2003, celle qui s’était farcie la réforme du lycée. Celle qui avait passé son année de Seconde à essayer de comprendre le principe de spécialités et non de filières. Celle qui n’avait jamais aucune information sur les épreuves de Premières tant et si bien que nous nous disions que nous obtiendrions les informations la veille des épreuves à 23h59. Nous étions aussi l’année qui avait dû attendre jusqu’à la dernière minute pour apprendre que l’oral de français passait au contrôle continu à cause du Covid-19. Ah le Coronavirus ! On ne l’explique plus tant tout le monde sait ce que représente ce virus et le confinement qui a été nécessaire entre Mars et Mai 2020 pour éviter que les hôpitaux ne soient débordés. Cette étrange période qu’a été le printemps 2020 rentrera sûrement dans l’Histoire. Tout comme le second confinement de Novembre de cette même année.
Mais il y a d’autres faits que l’histoire oublie, d’autres qui sont ignorés et considérés comme mineurs, car ils n’ont touché que peu de personnes. En effet la fermeture d’un lycée pour cause de cluster en pleine seconde vague épidémique est tout à fait anodine pour ceux qui n’y sont pas. Mais c’est ma vision, celle d’une élève de Terminale au lycée Fier Limier de Tours que je souhaite vous partager, car mon lycée a dû fermer pour cette raison. Peut-être parviendrez-vous à comprendre pourquoi la journée du 5 novembre 2020 a été pour moi la plus invraisemblable de toute ma vie. Tout avait pourtant commencé normalement, si tant soit peu que l’on puisse parler de normalité lorsque tous les élèves doivent porter des masques et mettre du gel désinfectant sur leurs mains dès qu’ils pénètrent dans l’établissement. Nous venions tout juste de rentrer des vacances de la Toussaint et c’est le mercredi soir aux alentours de 21h qu’un mail nous est parvenu…
— Léa, il y a un mail du lycée.
— Il dit quoi ? répondis-je pas le moins du monde intéressé.
Ce devait sûrement être un message sans intérêt nous rappelant que le Coronavirus circulait toujours, qu’il fallait appliquer les gestes barrières, ou quelque chose dans ce goût-là.
— La majorité du personnel de direction est touché par le Covid, ils attendent l’arrêté préfectoral pour fermer officiellement le lycée.
— Quoi ?
Je me précipitai dans le salon où je vis mon frère avachi dans le canapé son téléphone à la main, les yeux rivés sur l’écran.
— On n’a pas cours demain ?
— Ils disent que l’arrêté préfectoral peut tomber jusqu’à tard ce soir.
— Et donc ?
— Tant que le préfet n’a pas dit qu’ils doivent fermer le lycée, il est officiellement ouvert.
— Donc on a cours ou pas ?
— Ben… fit mon frère en reparcourant le mail du regard. Ce n’est pas précisé. Mais si l’arrêté préfectoral tombe cette nuit, on aura pas classe demain.
Sa réponse était tout à fait censée, mais cela voulait dire que j’allais devoir me lever le lendemain matin pour vérifier que le lycée était bien fermé.
— Non mais il ne faut pas m’écouter quand je fais des blagues. Quand je disais qu’on obtenait toujours les informations à 23h59, c’était pour rire. Ils n’étaient obligés de s’y tenir, râlai-je.
Je retournai à ma chambre en bougonnant et par sécurité je fis mon cartable avant de prendre mon téléphone qui ne cessait de vibrer depuis tout à l’heure. Je ne fus absolument pas surprise de remarquer que la cause de ce concert de vibration n’était autre que le groupe WhatsApp de ma classe de Première. En y jetant un regard, j’aperçu que notre ancien professeur principal nous avait envoyé de gros paragraphes préventifs accompagnés de plus amples explications sur le mail que nous avions reçu.
— Bonsoir. Vous avez sans doute lu le message du Directeur Adjoint annonçant la fermeture imminente du lycée en raison de la propagation rapide du Covid-19 le classant en cluster. Dans l’attente de la réponse du préfet, je vous conseille par principe de précaution de ne pas vous rendre au lycée demain. On s’est mis d’accord avec d’autres collègues pour diffuser ce message à un maximum de personnes. Faites circuler ce message à tous vos contacts. Bonne soirée.
Son message était tout à fait compréhensible et j’aurais sûrement fait de même à la place, mais tant que le lycée n’était pas officiellement fermé que faire ? Sécher les cours et jouer la prudence ? Ou venir tout de même et voir ce qu’il s’y passait ? En allant me coucher, je me fis la remarque que cette question ne serait sûrement plus d’actualité lorsque je me lèverai puisque l’arrêté préfectoral serait tombé. Pourquoi ne le serait-il pas d’ailleurs ?
Lorsque je m’éveillais le lendemain, j’appris de par mon frère qu’aucun mail ne nous était parvenu. J’entrepris alors d’appeler une amie, Lucie, qui m’affirma ne pas en avoir reçu non plus. Après un brève échange, nous tombâmes d’accord sur un point. En l’absence d’informations officielles, nous allions nous rendre au lycée, car nous habitions toutes deux à seulement quelques minutes de celui-ci. Ce fut donc avec la certitude de retrouver au moins une amie au lycée que je pris mon vélo et partit pour l’école en compagnie de mon frère, Pierre. En arrivant, l’un des personnels de la vie scolaire nous accueillit avec un discours un peu particulier.
— Avez-vous vu le mail du directeur adjoint hier ?
— Oui.
— L’arrêté préfectoral n’est pas encore tombé, en attendant vous resterez dans la cour. Vous n’aurez pas cours.
J’entrepris de poser mon vélo puis rejoignis un groupe de Terminales qui s’était posté dans un coin de la cour. Il s’agissait apparemment de tous les représentants de ce niveau malgré le fait que Lucie en soit totalement absente, alors qu’elle m’avait dit qu’elle venait. En me dirigeant vers eux, j’allumai mon téléphone pour prévenir tous mes contacts de ne pas venir au lycée. Si c’était pour rester coincé dehors pendant plusieurs heures, mieux valait éviter ça à un maximum de personnes.
— Salut Léa ! fit un ami en me voyant arriver.
— Salut Thomas !
— Tu sens qu’on va devoir attendre un max ? lâcha Céline, une terminale de ma classe de SES.
— Ben carrément. S’il faut attendre que le préfet se réveille, prenne son café, discute avec la secrétaire, s’assoit à son bureau, lise ses mails du matin, se rende compte que le lycée part en live, puis fasse l’arrêté…
— On en a pour un moment.
— Yep, la journée commence bien.
— Sinon, les élections américaines en sont où ? demanda Thomas dans une misérable tentative de changer de sujet.
Je baissai les yeux sur mon téléphone et activai les données mobiles. Mes misérables 50 MO de forfaits allaient sûrement souffrir. En quelques clics et une recherche internet, j’obtins les résultats.
— 264 pour Biden, et 214 pour Trump. Il faut 270 pour gagner.
— Ça se présente plutôt bien on dirait.
— Ça pourrait être pire. Il n’y a plus qu’à espérer que Trump ne remonte pas la pente, ajoutai-je avant d’arrêter de suivre la conversation pour me concentrer sur ma messagerie WhatsApp qui saturait.
Celle-ci dérivait d’ailleurs sur d’interminables débats politiques où Thomas expliquait à tout le monde pourquoi il n’appréciait pas Biden mais qu’il était le moins pire des deux candidats. Et où Arnaud, un garçon que je ne supportais pas exprimait son désaccord et tentait de démontrer par A plus B à un groupe de pro-Biden, que Donald Trump était un candidat bien meilleur. De fait, j’avais mon propre avis sur la question et il n’était pas nécessaire que je m’ajoute au clan Biden, ils étaient suffisamment nombreux et j’étais beaucoup plus intéressée par le message que je venais de recevoir.
— Les gars, ça craint.
— Allez vas-y, dit-moi pourquoi Trump n’est pas bien.
— Les gars ?
— Ben d’abord sa politique économique n’est pas viable sur la durée…
— Euh les mecs ?
— Et puis il a un non-respect évident pour la planète.
Céline s’aperçu que j’essayais d’en placer une et tenta de m’aider.
— Les gars il y a Léa qui…
— Et en plus il a proposé qu’on s’injecte du désinfectant dans les veines. Du DESINFECTANT !
— Oh les mecs y a Léa qui veut en placer une depuis tout à l’heure, vous allez la fermer oui ?! s’énerva Céline.
Les garçons se turent et se tournèrent vers moi.
— D’après Mr Lorsi, mon ancien professeur principal, le directeur adjoint est placé en quarantaine, son frère (il était aussi enseignant au lycée) est déclaré cas contact, les deux adjoints du site technologiques sont touchés par le Covid-19 et le directeur vient d’être envoyé en réanimation à l’hôpital.
— Oh put…
La fin de la phrase de Benjamin, l’un des rares à avoir gardé le silence jusqu’à présent fut noyé par la sonnerie de début des cours. Une fois qu’elle se fut tue, tout notre petit groupe avait complètement oublié les élections américaines et mon téléphone venait de m’envoyer une notification comme quoi je n’avais plus de forfait. Contrite, je l’éteignis et le rangeai dans mon sac.
— Bon ben c’est définitif… le lycée est en roue libre.
— J’avoue, sans direction, je comprends qu’ils ne savent pas quoi faire.
— D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils attendent pour nous renvoyer chez nous ? C’est pas qu’on est plus de deux cents dans la cour, mais si quand même, fit remarquer Arnaud.
Un surveillant qui passait par là nous entendit et cru bon de nous répondre.
— On attend l’arrêté préfectoral.
— On sait. Mais en attendant on est coincé ici, vous ne pouvez pas nous renvoyer chez nous ?
— Officiellement, le lycée est censé fonctionner normalement et vous êtes censés avoir cours maintenant. Sauf que, comme vous le voyez, le lycée ne fonctionne pas là.
— Mais quel bazar…
Le surveillant acquiesça de la tête avant de poursuivre son tour de la cour.
— Bon on fait quoi ?
— Je ne sais pas, Benjamin.
— Super, on n’est pas dans la galère.
— Déjà si on reste ensemble on ne se retrouvera pas perdus tout seuls, fis-je.
— Hum… Pas faux mais… Qu’est-ce qu’ils font ?
Je me retournai et compris ce qui avait perturbé Céline. Un grand nombre des élèves de Première et Seconde quittaient la cour pour monter en classe. Des professeurs invitaient les retardataires à se dépêcher de retourner en cours. Bientôt, il n’y eu plus que notre petit groupe dans la cour. A cet instant, Céline aperçu la responsable de Vie Scolaire Terminale et se dirigea vers elle.
— Madame ?! Qu’est-ce qui se passe ?
— L’arrêté n’arrive pas donc on vous renvoie en cours en attendant. Vous êtes censés avoir quoi ?
— TP de physique avec Mme Falla, répondit Arnaud.
— Elle est aux labos, vous pouvez la rejoindre.
Tous les membres de notre groupe s’en allèrent et je me retrouvai seule en compagnie de Céline.
— Et vous ?
— On a SES avec Mme Cartel.
— Je ne suis pas sûre qu’elle soit là.
— Je l’ai vu à la fenêtre de la salle de professeurs, en arrivant tout à l’heure, fis-je en me souvenant avoir aperçu son visage à la fenêtre en grande discussion avec une prof d’anglais.
— Je vais aller voir, attendez ici.
Je restai donc plantée avec Céline dans la cour en me demandant si nous allions réellement avoir cours à deux. Je vis du coin de l’œil passer un professeur de mathématiques avec deux élèves. Apparemment, nous n’étions pas les seuls dans ce cas-là. Peu après, mon frère et son professeur de sport sortirent de l’établissement en grande discussion. Je me rappelai alors que Pierre m’avait dit commencer sa journée avec deux heures de sport. Il était vraisemblablement le seul de sa classe à être venu. A côté de moi, ma camarade de classe pouffa de rire. Le comique de la situation ne lui avait pas échappé non plus.
— Tu crois que la prof va nous prendre en cours ?
J’hésitai un instant.
— Après tout ce qu’il se passe, je ne serais pas surprise que oui.
Et comme pour me donner raison, je vis la prof de SES (économie) descendre les escaliers qui menaient à la salle des profs. Son visage s’éclaira lorsqu’elle nous aperçut les mains dans les poches au milieu de la cour. La responsable de vie scolaire nous guida jusqu’à une salle vide proche de l’entrée du bâtiment et nous nous y installèrent.
— Vous préférez faire de la méthode ou finir la partie un de la leçon ?
Céline et moi échangèrent un regard embarrassé. C’était bien la première fois qu’on nous demandait ce que l’on voulait étudier.
— Tout me va, balbutia vaguement ma voisine.
J’opinai alors de la tête croisant les doigts pour que Mme Cartel ne nous pose pas d’autres questions. Mais heureusement, elle se décida à faire les deux. Dans la demi-heure qui suivit, elle nous expliqua à grand renforts d’exemples ce qu’était la discrimination ethnique à l’embauche ainsi que les méthodes employées pour tester les recruteurs et l’éviter. Puis elle se pencha sur de la méthodologie attendue en rédaction lors des épreuves prévues pour la fin d’année. Elle avait tout juste terminé lorsque la sonnerie de la fin de la première heure de cours retentit bien plus fort qu’à l’accoutumée. D’abord surprise, je conclus rapidement que cela devait être dû à un effet de résonnance dans le bâtiment puisque celui-ci était presque vide. Après tout, nous ne devions pas être plus de quatre ou cinq classes avec une centaine d’élèves au total dans le lycée. Rien que sur le niveau Terminale, nous étions une petite dizaine sur les deux cent quarante environ habituels. Des bruits de pas me sortirent de mes pensées, et je remarquai que deux autres élèves étaient entrés dans la classe suivis de la responsable de vie scolaire.
— Ils risquent d’arriver au compte-goutte. J’espère que ça ne te dérange pas ? fit-elle à l’attention de la prof.
Celle-ci lui désigna la classe. Nous étions à présent quatre sur les trente-trois attendus.
— Pas du tout.
Mme Cartel entreprit donc de reprendre toutes ses explications du début ce qui eut pour effet de me faire décrocher directement. Perdue dans mes pensées, je ne prêtai plus attention aux propos de la prof de SES et me concentrai plus sur l’étrangeté de cette journée. Nous avions démarré plus de trente minutes en retard, nous étions deux puis quatre en cours, n’étions pas certains que les leçons suivantes seraient assurées, ni combien de temps il faudrait au préfet pour remarquer que le lycée Fier Limier était en roue libre complète depuis la veille au soir. Et connaissant notre chance, l’arrêté préfectoral ne devrait pas tomber avant 10h30. Dans le brouillard de mon esprit, j’entendis vaguement la prof prononcer mon nom. Je levai les yeux de ma feuille croyant qu’elle me posait une question, mais je m’aperçus qu’elle ne faisait que mentionner une remarque que je lui avais faite un peu plus tôt dans le cours.
Au même moment, ma voisine me demanda si j’avais des idées d’arguments. Un peu perdue, je jetai un œil à la feuille qu’elle me désignait et compris qu’elle faisait allusion au devoir que notre professeur venait de nous donner à faire pour la semaine suivante, si tant soit peu qu’on ait cours. Je pris ma propre fiche et me penchai sur la question. Au moins, faute d’écouter la prof, je faisais quelque chose d’utile. Nous entamâmes donc un travail à deux pour décortiquer le sujet : vous montrerez que les négociations internationales en vue d’accords sur le climat se heurtent à de nombreuses contraintes économiques et politiques. La barbe… Le sujet était loin d’être aisé.
— Si ça avait été en lien avec la santé et le Coronavirus, ça aurait été bien plus simple.
— Pas forcément.
— Mhh… Ouais. Tient, Cop21 ça peut marcher comme exemple.
— Avec les accords de Paris ? Pas faux, en plus c’est encore récent, même si Trump s’en est barré.
— Apparemment, Biden voudrait revenir dans les accords.
— Il faut vraiment qu’il passe.
— Déjà on attend l’arrêté préfectoral, on rentre chez nous, et après on attend que les américains finissent de voter.
— Il ne va jamais tomber. Je te pari qu’on sera encore là ce midi.
— Non… Ce sera bon autour de 10h30, fis-je avec espoir.
— Dire qu’à la base en arrivant, ils nous avaient dit qu’on n’était même pas censés avoir cours aujourd’hui.
— Bah sans directeur, c’est compliqué.
— Mouais. Enfin quand même, ils auraient pu nous renvoyer chez nous. C’est pas un cours ça… On est quatre.
Je haussai les épaules en signe d’impuissance puis me repenchai sur le sujet. De longues minutes plus tard, après une longue discussion avec les autres qui s’étaient finalement mis à travailler eux aussi sur le devoir, la sonnerie retentit. Tout en rangeant mes affaires, je posai à la prof une question qui me tournais en tête depuis quelques minutes.
— Vous avez cours maintenant ? Enfin après la récrée je veux dire.
— Je ne sais pas. Je vais aller voir en salle des professeurs.
Loin d’être rassurée par sa réponse, je rejoignis Benjamin dans la cour qui n’avait pas perdu son temps pour se lancer dans une partie de Among Us avec les rares Terminales présents.
— Ça allait ton cours ?
— Ouais, répondit-il en tentant pour la troisième fois de réussir un labyrinthe. Et crotte ! ragea-t-il lorsque l’imposteur le tua. Ça fait deux semaines que je n’ai pas été imposteur.
— On a cours du coup ? repris-je.
J’avais beau savoir de quoi il parlait, j’étais plus concentrée sur le TP de physique en enseignement scientifique que nous étions censés avoir après, que sur ses problèmes de jeu vidéo.
— Ben normalement oui, la prof est là.
— On n’aura qu’à y aller et voir si on a cours, ajouta Thomas en nous rejoignant.
— On sera quoi ? huit ?
— L’air de rien, il y a du monde de notre classe qui est venu au lycée.
— Nous on étaient deux puis quatre en SES.
— En maths ils sont passés de deux à sept, répliqua-t-il. Nous on étaient cinq.
— Pas mal… Ils étaient nombreux en fait.
— Carrément.
Nous poursuivîmes notre conversation pendant encore quelques temps avant de partir en direction des laboratoires lorsque la récrée se termina. Comme nous étions censés être en demi-groupes, une partie de notre comité s’en alla vers la partie SVT pendant que nous montions en Physique. Après avoir trouvé la salle dans laquelle nous étions censés avoir cours, il nous fallut attendre quelques minutes avant que la prof ne surgisse dans le couloir.
— Vous êtes combien ? fit-elle en guise de bonjour.
— Quatre.
— J’ai cru que vous n’étiez que trois comme ma classe précédente, répondit-elle en ouvrant la porte. Mettez-vous par deux ou trois par rangées, je vais chercher l’autre groupe.
Elle s’en alla aussitôt dans le couloir pendant que le reste de notre comité réduit pénétrait dans la classe. J’étais sur le point de les imiter lorsque j’aperçu mon professeur de mathématiques un peu plus loin dans le couloir. J’avais théoriquement cours avec lui cet après-midi. Pour m’en assurer, je l’interpellai un peu maladroitement. Celui-ci ne s’offusqua pas de ma question un peu directe mais ça réponse ne m’avança pas pour autant.
— Je ne sais pas. Si l’arrêté tombe, non. Sinon oui.
— D’accord merci.
J’entrai enfin dans la classe tout en réprimant mon agacement. Depuis la veille au soir, tout semblait dépendre de ce fichu arrêté préfectoral qui tardait à arriver. La situation était déjà suffisamment invraisemblable pour ne pas ajouter en plus l’absence de directives claire. Ce n’était pas comme si le lycée n’avait plus de direction depuis la plus de douze heures mais bon… Je dû poser mon sac un peu trop violemment sur ma table car mon amie Lucie qui revenait de SVT posa sa main sur le bureau pour en faire cesser le tremblement.
— Quel est le problème cette fois ?
Je grimaçai en entendant les deux derniers mots. Elle m’avait toujours dit que j’étais du genre à stresser pour rien et qu’à ce rythme j’allais mourir jeune. Evidement elle disait ça pour rire, mais j’avais vite compris que dès qu’elle disait ‘’cette fois’’, cela signifiait : Qu’est-ce qui te stresse encore ?
— Rien. J’en ai juste marre d’attendre la dernière minute pour avoir les informations, soupirai-je agacée. C’est…
— Stressant, je sais. Arrête de t’en faire pour si peu. On est en cours, et on nous dira quoi faire lorsque les informations arriveront.
— Je sais. Mais c’est énervant à force. Le lycée est complètement en roue libre, on nous a dit qu’on n’aurait pas cours mais finalement on en a, il y a limite plus de profs que d’élèves présents au lycée, et depuis le début de la journée c’est le bazar.
— Arrêtes d’exagérer, tout va bien se passer.
— C’est complètement invraisemblable.
— Dis pas ça… répliqua-t-elle mais je sentis dans sa voix qu’elle-même ne croyait en ses propres paroles.
Ce fut dans un silence quasi religieux que notre petit groupe de quatre sortit ses affaires. Je commençais tout juste à profiter du silence, denrée rarissime au lycée malgré les efforts des professeurs pour en obtenir plus, lorsqu’une troupe bruyante de sauvages pénétra dans la classe. Il s’agissait de l’autre demi-groupe qui venait nous rejoindre. Tout aussi bruyamment que lors de leur entrée, ils s’installèrent à leur tour mais surtout vers le fond de la classe. Une poignée de secondes plus tard, la professeure rentra dans la salle et ferma la porte derrière elle.
— Ce sera bien mieux à douze vous ne trouvez pas ?
Je me mordis la langue pour ne pas répondre par la négation, ce qu’elle aurait très probablement mal pris.
— Ouais, fit vaguement l’un des garçons du fond de classe en levant le nez de son téléphone qu’il avait, très discrètement, caché dans sa trousse.
Sa réponse dû convenir à la prof, car elle ne prêta même pas attention à son absence de concentration lorsqu’elle se mit à nous expliquer les consignes du TP. Tout ce que je retins de ses explications furent qu’un ampèremètre se branchait en série et un voltmètre en dérivation, chose que je savais déjà. Et aussi que l’on disait un quantum et des quanta. Toujours autant de logique dans la langue française… Puis elle nous distribua une feuille de la taille d’un post-it et qui faisait office de fiche de consignes. Bien incapable de comprendre tous les détails techniques du montage, je laissai les deux scientifiques dont mon groupe était formé se charger des branchements pendant que j’allumais l’ordinateur et lançais Excel. Ce fut en entendant Lucie et Benjamin grogner vis-à-vis de l’ampèremètre que je prêtai un peu d’attention à ce qu’ils faisaient.
— Un problème ?
— L’ampèremètre affiche -0,00.
— Et ce n’est pas bien ?
— Ben non pas vraiment, fit Benjamin en roulant des yeux devant mon ignorance.
— Oh c’est bon, je manipule ces engins deux fois par ans maximum. D’ailleurs il y a marqué ‘’branchement sur les milliampères’’ sur la fiche et non sur les ‘’dix ampères’’, avisai-je légèrement vexée.
Lucie corrigea le branchement mais aucune donnée ne s’afficha alors que notre montage était rigoureusement identique à celui du groupe devant nous qui eux avaient des résultats. Il nous fallut donc vérifier tous les câbles uns à uns ce qui nous prit vingt bonnes minutes. Temps que les garçons du fond de la classe passèrent à tenter de déclencher un débat sur les élections américaines avec la prof qui les ignorait avec superbe. Il était environ 10h30, lorsque ces mêmes hurluberlus lâchèrent sans raison apparente.
— Madame ! L’arrêté est tombé on doit rentrer chez nous !
Evidement personne n’y cru et tous continuèrent leur travail. Ce fut dix longues minutes plus tard que la responsable de vie scolaire rentra dans la salle et lâcha :
— L’arrêté préfectoral est tombé. Le lycée ferme jusqu’à mercredi 11 novembre inclus. Les élèves doivent rentrer chez eux.
Ce furent les dernières paroles que j’entendis avant de quitter la classe et l’école avec la vague impression que je ne le reverrai pas de sitôt. J’appris bien plus tard dans l’après-midi, alors que je suivais mon cours de mathématiques par visioconférence, que ce fichu arrêté était tombé très tôt ce matin mais que le lycée ne l’avait reçu qu’à 10h. Il avait donc fallu plus de quarante minutes à l’administration exsangue de l’école pour vider les dix salles de classe occupées ce jour-là.