Dans la vallée de Céou en Périgord Noir, un petit hameau inconnu de tous survivait au pied d'une colline à plus de vingt kilomètres du bourg le plus proche. Composé de seulement trois maisons et d'une épicerie aux produits d’origine douteuse, nul n’avait jamais trouvé l'utilité de lui donner un nom. Ainsi, ce village n'était pas inscrit sur la moindre carte, ni même sur les guides touristiques départementaux, ou sur les listes interminables où tous les lieux dits étaient méticuleusement répertoriés. De fait il n'y avait absolument rien à voir dans ce hameau mis à part un vieux manoir délabré où deux personnes ayant l’âge d’être grands-parents vivaient.
En réalité, il s'agissait de mes grands-parents. Je ne les avais jamais vus, et les seules informations que j'avais pu glaner à leur sujet n’étaient pas très claires. Et étrangement lorsque je m’étais penchée sur la question, mes parents m'avaient vite dissuadé de poursuivre mes recherches sous prétexte qu'il ne valait mieux pas fouiller dans des affaires qui ne nous concernaient pas. Or je me sentais tout à fait en droit d'en savoir plus sur eux, d'autant que j’étais censée passer deux semaines chez eux au cours des prochaines vacances d’été. Mais personne ne l’entendait de cette oreille et tous refusaient catégoriquement de me donner des explications.
Ce fut donc avec seulement leur nom et mes billets que je me rendis à la gare pour prendre le train qui m'emmènerai jusqu’à la vallée. Un léger frisson parcouru mon dos lorsque ce dernier arriva dans un nuage de fumée et un crissement suraigu. Ce fut un wagon à la peinture défraîchie qui s’arrêta devant moi. Le numéro six suspendu au-dessus de la porte se balança un instant lorsque le train s’immobilisa avant de se détacher et tomber sur le quai. Désemparée, je baissai les yeux sur mon billet et vit que ma place était le numéro 66 de ce wagon. Ce serait donc à bord de cet intercité que je passerai les cinq prochaines heures.
Seule sur le quai et dans le train, je n'eus aucune difficulté à trouver mon siège dont la fabrique était tout aussi usée et élimée que le reste du wagon ou même du train. Je pris à peine le temps de ranger ma valise dans l’un des rangements prévus et m’assis dans mon fauteuil. Aussitôt l’intercité trembla, puis s’ébranla, et dans un concert de crissements et de cliquetis quitta la gare. Je n’ai gardé presque aucun souvenir marquant de ce trajet mis à part qu’à chaque arrêt, j’avais la désagréable impression que le train n’allait pas pouvoir s’arrêter. Ballottée de toute part, craignant que chaque instant soit le dernier, ce fut le pire voyage que j’eus jamais réalisé de ma vie. Toujours seule ou presque, des paysages verdoyants défilaient interminablement devant mes yeux sans que rien ne vienne les perturber. Il s’agissait toujours de champs à perte de vue bordés de forêts. Parfois, au lieu de bottes de foin il s’agissait d’un troupeau de vache, mais cela semblait être le seul point qui me permettait de dire que le train poursuivait sa route dans l’arrière-pays.
Lorsqu’enfin le train s’arrêta à ma gare, je m’empressai de descendre plus que ravie de quitter le tas de ferrailles qui m’avais servi de locomotion. L’inter-cité repartit presque aussitôt dans un accordéon de crissements et de sifflements suraigus qui me percèrent les tympans. J’en profitai alors pour m’empresser de m’éloigner, tant pour soulager mes oreilles que pour quitter la gare. D’ailleurs, l’endroit où j’avais été déposée ressemblait plus à un quai en béton qu’à une gare à proprement parler car seul un panneau en bois pourri indiquait le nom du lieu. Ou plutôt, devait avoir indiqué… Il ne restait à présent qu’un long poteau de bois de travers et une planche à moitié arrachée et couverte de longues marques parallèles pareilles à des griffures imprimées profondément dans le bois moulu. Je descendis du quai et suivit la petite route cabossée qui serpentait dans les bois alentours.
Il me fallut une bonne demi-heure pour atteindre le village et je ne pus que constater que mes parents n’avaient pas mentis. Il s’agissait réellement du plus petit hameau que je n’avais jamais vu. A peine trois ou quatre maisons, et une épicerie ouverte en permanence d’après l’indication sur la vitrine. Je me dirigeais vers cette dernière et passais la porte, en trainant difficilement ma valise derrière moi.
— Bonjour ! fis-je pour annoncer ma présence.
Un vieil homme sorti de l’arrière-boutique et s’avança entre les rayons pour venir s’installer à la caisse.
— B’jour… Vous ch’rchez qu’que chose ?
— Je cherche le manoir de la rue du temps qui passe.
— Qu’que vous allez faire là ma p’tite ?
— Voir mes grands-parents.
— C’est pas franchement un s’per endroit pour des vacances. Vous les jeunes des villes, vous ch’rchez toujours des sensations, hein ?
— Non pas vraiment, répondis-je complètement déboussolée.
— Donc vous c’naissez pas la légende ?
Je lui fis comprendre d’un signe de la tête que je l’ignorais, mais au fond de moi j’espérais qu’il ne me la conterait pas. Les légendes tirées du folklore allaient bon train en campagnes, et leur contenu n’était jamais plaisant. Déjà que je ne souhaitais pas venir ici, une légende bidon n’était pas vraiment le genre de choses que je souhaitais entendre. Pourtant, l’homme prit sa plus belle voix de conteur et commença son récit. Embarrassée, je n’osai pas l’interrompre et par politesse j’écoutai toute l’histoire.
— C’est une légende connue dans tous le Périgord. On raconte qu’il y a plusieurs siècles, vivait un couple de nobles qui souhaitaient absolument avoir un enfant. Mais ils étaient infertiles. Incapables d’assurer leur descendance, ils décidèrent par colère et vengeance que personne n’aurait le droit d’avoir un enfant. Une nuit de pleine lune, dès le coucher du soleil, ils quittèrent leur manoir et tuèrent tous les enfants du hameau qui se situait au pied de leur demeure. Les habitants du village furent réveillés par les pleurs des bébés et ivres de rage en découvrant que leur progéniture avait été massacrée, ils poursuivirent le couple dans les bois. Mais au matin, nul n’en ressortit ni même dans les jours qui suivirent. Ce n’est que le lendemain de la pleine lune suivante que tous sortirent des bois agars et couverts de blessures. Depuis à chaque pleine lune, tous les villageois disparaissaient pendant toute une nuit et si l’on passait non loin de la forêt, on pouvait entendre une meute de loups pousser des hurlements. Des dizaines de personnes se sont risqués dans cette forêt afin de découvrir ce qu’il s’était passé, mais nul n’en est jamais revenu. On raconte qu’ils ont subits à leur tour le sort réservé à tous les habitants du hameau. A chaque fois que la pleine lune s’élève dans le ciel, ils se transforment en loups et dévorent tous ceux qui s’aventurent sur leurs terres.
L’homme s’interrompit et me regarda avec l’air de quelqu’un dans la confidence. Je remarquai aussitôt qu’il n’avait pas coupé les mots pendant son récit. A croire qu’il avait appris la légende par cœur pour impressionner ses clients, en l’occurrence moi.
— Mais c’est qu’une légende, hein. Maint’nant y se passe plus rien. Et personne ne disparait pendant la pleine lune. D’ailleurs c’est ce soir.
— Merci monsieur, mais du coup vous n’avez pas répondu à ma question.
— Ah ouais… C’est en haut d’la colline à droite au bout de la rue. Vous p’vez pas vous trompez, y a qu’une rue ici.
Je le saluai et quittai rapidement l’épicerie. Dehors le temps déjà couvert ne s’arrangeait pas, et l’heure déjà avancée n’aidait pas les rayons du soleil à éclairer l’endroit. Suivant les instructions du caissier, je descendis la rue et aperçu rapidement la colline et le manoir en question. Il était tel qu'on me l'avait décrit. Il se dressait au sommet d’une colline, immense et rendu encore plus imposant par le soleil qui descendait sur l'horizon. Son ombre semblait vouloir recouvrir une forêt vert sombre qui paraissait s’étirer à l'infini. Son accès était bloqué par une grande grille en fer forgé auquel une vieille cloche était attachée. Je pris le cordon et fit sonner l’instrument.
Quelques minutes plus tard, la porte d’entrée du manoir s’ouvrit et une silhouette en sorti. Celle-ci s’approcha lentement, et petit à petit, la forme se précisa jusqu’à ce que je puisse voir son visage. Il s’agissait d’une vieille femme, au dos courbé par l’âge et qui ressemblait énormément à ma mère, ce qui pouvait se comprendre puisqu’il s’agissait de ma grand-mère maternelle. Mme Elget, puisque c’était par ce nom que je la connaissais, s’approcha de la grille et planta une clé toute aussi rouillée que le portail dans la serrure. Après une poignée de secondes de difficultés, elle parvint à la faire tourner et m’ouvrit la porte.
— Tu es Alizée ?
— Oui, madame.
— Allez rentres avant de mourir de froid, la lune va bientôt se lever.
Elle m’offrit un grand sourire lorsque je passai la grille et m’avançai sur le chemin.
— Pars devant, nous allons passer à table. Et pas de « madame » avec moi, je m’appelle Agnès.
Je m’exécutai donc et entrepris de tirer ma valise le long du chemin en terre battue qui serpentait jusqu’au manoir toujours plus imposant. Un grincement à faire froid dans le dos me coupa et je vis du coin de l'œil qu’il s’agissait de la grille que Mme Elget avait refermé et verrouillé. Maudissant ma facilité à paniquer, je repris mon chemin et parvins très rapidement à la porte du manoir qu’Agnès avait laissée entrouverte. Une douce lumière orangée s’en dégageait et une vague de chaleur était perceptible. Impressionnée par l’immense taille du bâtiment qui me surplombait, je m’arrêtai un instant.
— Tu attends la lune ou quoi ? Allez rentres, fit ma grand-mère en arrivant derrière moi.
Je rentrais sans relever sa remarque pourtant particulière mettant cela sur le compte d’une vieille expression qui me serais inconnue, et d’un pas hésitant je franchis la porte. Malgré l’état extérieur délabré du manoir, l’intérieur était parfaitement entretenu. Pas un grain de poussière sur les vases et les poignées de portes, pas un accroc au tapis persan qui ornait le sol. Pas une écharde sur les cadres des peintures suspendues aux murs et aux meubles anciens de bois laqué et sombre. Des lustres scintillants étaient suspendus au plafond déjà haut, et des appliques murales qui n’étaient elles absolument pas d’époque diffusaient une douce lumière mordorée. Sifflée par tant de beauté, je restai un instant béate d’admiration avant de me reprendre et de refermer ma bouche que j’avais malencontreusement laissée ouverte sous le coup de la surprise.
— Laisses tes affaires ici, tu les monteras à ta chambre après le repas.
D’un geste, j’abandonnai ma valise et mon petit sac contre un mur du couloir avant de me diriger vers la salle à manger qu’Agnès me désignait du doigt. Un homme âgé était déjà assis à table et malgré son ton bourru lorsqu’il m’accueillit, il ne fut pas impoli pour autant. Le dîner fut copieux mais étrangement silencieux mes hôtes ne cessant de regarder la pendule dont le tic-tac régulier m’horripilait. Personne n’osa engager la conversation pas même ma grand-mère qui se contenta de faire le service grâce à d’énormes soupières et d’une magnifique carafe d’eau en porcelaine blanche ornée de fleurs et de petits oiseaux multicolores dont la beauté tranchait avec l’ambiance de plus en plus pesante. Une fois le repas achevé, j’aidai à débarrasser avant de m’enfuir à l’étage avec mes affaires. Je n’eus aucune difficulté à trouver la chambre qui m’étais destinée.
Enfin tranquille, je me laissai tomber sur le lit double les yeux rivés sur le plafond. Dans ma main mon téléphone vibra. J’y jetai un œil, il s’agissait d’un message d’une amie. Je m’empressai de lui répondre, mais malgré toutes mes tentatives, impossible de l’envoyer. Je devais me situer dans une zone blanche. Le SMS que je venais de recevoir devait être l’un des rares messages qui avais réussi à atteindre sa destination. Désemparée je m’allongeai sur le dos et me perdis dans la contemplation du plafond. C’est à cet instant que la fatigue du voyage dû avoir raison de moi car tout devint noir autour de moi.
Lorsque je m’éveillais, je sus aussitôt que quelque chose n’allait pas. Je ne me réveillais jamais la nuit et pourtant, il faisait bel et bien nuit noire. Je voulu me retourner pour me rendormir mais impossible de trouver le sommeil. Ma gorge sèche me gênait et mon corps semblait avoir décidé que je ne pourrais pas dormir tant que ma soif ne serait pas étanchée. J’entrepris donc de me lever et je pris mon téléphone pour qu’il me serve de lampe-torche. Je sortis sur le palier de l’étage en chausson avec l’intention d’être le plus discrète possible et d’éviter de réveiller mes grands-parents. Si ma grand-mère m’avait paru joviale et avenante, il n’en était pas de même avec mon grand-père et il serait mal avisé de me le mettre à dos dès la première nuit.
Apercevant l’escalier non loin, je me dirigeais vers lui en prenant soin de marcher le plus discrètement possible. Je passais devant la chambre attenante à la mienne lorsqu’un détail attira mon attention. Toutes les portes du couloir étaient fermées à l’acception de celle-ci. J’étais pourtant certaine de l’avoir vue fermée la veille au soir. Prise de curiosité, je passai ma tête dans l’embrasure et compris en un instant qu’il s’agissait de la chambre de mes grands-parents. Pourtant le lit double était vide et les draps défaits. Cela me surprit d’autant plus que j’avais remarqué qu’ils étaient un peu maniaques sur les bords puisque pas une saleté ne trainait, et pas le moindre objet n’était dérangé.
Un souffle de vent balaya soudainement la toiture du manoir dans un son assourdi ce qui me dissuada de pénétrer dans la pièce. Une légère sensation de malaise m’engourdit et je me cramponnai à mon téléphone dont la lumière était la seule source de réconfort aux alentours. Je repris mon parcours et descendis les escaliers sur la pointe des pieds. Chaque marche qui craquait résonnait étrangement dans le manoir vide et me faisais frissonner. Lorsque j’arrivais au rez-de-chaussée je me dirigeai vers la cuisine, dont j’avais heureusement retenu l’emplacement, faute de connaitre celui de la salle de bain. L’écoulement de l’eau du robinet brisa le silence surnaturel qui régnait dans le manoir. Le débit étant faible, je fus forcée d’attendre un long moment avant que mon verre ne soit rempli.
Un peu tendue, je ne cessais de me retourner avec la désagréable impression d’être épiée. Chaque craquement, chaque souffle de vent au dehors, chaque ombre mouvante le long du mur me faisait trembler. J’avais toujours eu peur du noir, même chez moi, et même en essayant de rationaliser et de me dire que les bruits n’étaient pas anormaux vu l’ancienneté du manoir, que les hurlements au dehors n’appartenaient qu’au vent, et que l’ombre qui dansait sur le mur était celle de l’arbre planté non loin de la fenêtre de la cuisine. Pourtant cette fois je n’arrivais pas à me calmer. Un bruit de verre brisé venu du couloir principal se fit alors entendre et mon sang se glaça dans mes veines. A tâtons je refermai le robinet, posai mon verre remplit d’eau à côté de l’évier, et braquai la lampe de mon téléphone devant moi.
— Il y a quelqu’un ?
Ma voix résonna dans le silence du lieu. Au dehors le vent s’était tu, et le seul bruit audible à présent était les battements effrénés de mon cœur. Je fis quelques pas en avant vers la porte de la cuisine donnant sur le couloir, mon bras tenant mon téléphone tendu devant moi.
— Il y a quelqu’un ?
En guise de réponse, j’entendis un grand claquement suivit du hurlement du vent. De panique, je reculai instinctivement et me cramponnai toujours plus fort à mon téléphone dont la lumière vacillante ne me semblait plus suffisante. Avec précautions, je m’approchai de l’interrupteur de la cuisine et appuyai dessus. La lumière ne s’alluma pas. J’entendis un nouveau claquement et les murs de la maison tremblèrent imperceptiblement. Prenant mon courage à deux mains, je passais la tête par la porte de la cuisine après avoir surveillé derrière moi qu’il n’y avait rien, et jetais un œil dans le couloir.
Celui-ci était vide et rien n’avait bougé à l’exception d’un vase qui gisait brisé sur le sol. La porte d’entrée était à présent béante et les deux battants heurtaient les murs en les faisant trembler au rythme des rafales de vents qui balayaient sans relâche la colline. Les jambes tremblantes et l’estomac noué je m’avançais vers la porte avec l’intention de la fermer, lorsqu’un hurlement se fit entendre. Ce n’était pas celui du vent, mais d’un animal. Un long cri, partant des graves et montant dans les aigus. Une nouvelle bourrasque souffla et le vent s’engouffra dans le manoir dans un beuglement glaçant. L’atmosphère du bâtiment jusqu’à présent chaude sembla se glacer et j’eu l’impression que la température venait de chuter. Mes dents se mirent à claquer, mais je ne savais pas si c’était à cause du froid, ou de la peur qui m’étreignait et s’insinuait lentement en moi tel le venin insidieux d’un serpent.
Je ne sais qu’elle folie me prit, mais je passai la tête par la porte avant de la refermer. Là, à bonne distance de moi, sur le flanc de la colline, une silhouette se détachait dans la nuit. Et si des nuages couvraient le ciel, je pus voir qu’il s’agissait d’un homme qui se tenait debout, sans bouger. Un nouveau coup de vent me força me protéger les yeux pour ne pas recevoir de poussière, et lorsque je les rouvris, l’homme n’était plus là. L’avais-je rêvé ? A cet instant un nuage s’écarta et la pleine lune déjà haute dans le ciel illumina le paysage d’un éclat argenté et froid. J’aperçu alors, là où se tenait la silhouette quelques secondes plus tôt, un animal fortement ressemblant à un loup. Sans prêter attention à moi, il s’assit et lança un hurlement sinistre qui me sembla durer des heures.
Lorsque ce long cri s’éteignit, d’autres hurlements venus de la forêt qui bordait la propriété se firent entendre, et bientôt ce fut une cacophonie de cris qui parvint à mes oreilles. Quand les loups sortirent des bois, ombres sombres et presque invisibles dans la pénombre de la nuit, la légende que m’avais conté l’homme de l’épicerie me revint en mémoire. Prise de panique, je voulus rentrer dans le manoir, mais mon pied buta contre la marche du perron. Je tombai en poussant un cri et lâchai mon téléphone. J’entendis des grognements et vis que les loups avaient remarqué ma présence. L’un d’eux s’avança vers moi et les autres le suivirent.
Complètement paniquée, je m’emparai de mon téléphone dont je notai la vitre brisée et me précipitai à l’intérieur. Aussitôt, les animaux se mirent à courir et par reflexe plus que par réflexion, je claquai les battants de la porte derrière moi en rentrant. J’entendis nettement le concert de hurlements derrière les panneaux en bois, et je perçus le crissement de leurs griffes contre le bois de la lourde porte. Sans perdre de temps, je courus jusqu’à ma chambre et m’enfermais. Je pouvais sentir le sang pulser dans mes tempes et mon cœur tambouriner dans ma poitrine lorsque je m’armais d’un oreiller pour avoir de quoi me défendre lorsque les loups pénètreraient dans ma chambre, mais rien ne vint.
Les loups ne vinrent pas gratter à la porte, et leurs hurlements même ne se firent plus entendre. Il ne resta que le souffle du vent au dehors, et ma propre peur de voir quelque chose de pire surgir d’un coin de ma chambre. Après ce que je venais de voir, je m’attendais presque à voir le couple de nobles infertiles passer le pas de ma porte, un couteau ensanglanté à la main. Pourtant rien ne se passa, et je finis par comprendre que rien ne viendrait. Le souffle encore court, je posai mon téléphone sur la table de nuit et finis par m’endormir.
Lorsque je m’éveillais le lendemain, il faisait beau et le soleil était déjà haut dans le ciel. En me préparant pour descendre manger, je me fis la remarque que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas fait de rêve aussi réaliste. La légende que m’avait conté le vieil homme la vieille m’avais bien plus marqué que ce que je n’avais cru, et le cauchemar de cette nuit était là pour me le prouver. En sortant de ma chambre, je fus contente de remarquer que la lumière s’allumait et que la chambre adjacente à ma chambre était fermée. Par pur moyen de m’ôter mes derniers doutes, je risquai un œil dans la pièce et fut rassurée de voir que le lit était fait. J’avais donc réellement fait un cauchemar.
Pourtant en arrivant en bas, je vis ma grand-mère un balai à la main, en train de ramasser les débris d’un vase. Puis dans la cuisine, je vis un verre remplit d’eau posé sur le bord de l’évier. Une peur sourde se mit à gronder en moi et je me dirigeai avec appréhension vers la porte. Lorsque je l’ouvris, j’aperçu distinctement des traces de griffes toutes récentes dans le bois, et dans la boue juste devant le perron, une trace de patte griffue. Figée de terreur, je me tournai vers les bois m’attendant presque à voir les loups de la nuit dernière sortir du couvert de la forêt, mais rien. Je compris donc que les évènements de la nuit dernières n’étaient pas un rêve mais réels, et que si je montais dans ma chambre et jetai un œil à mon téléphone, je verrai sûrement que la vitre était brisée.
Dans la vallée de Céou en Périgord Noir, un petit hameau inconnu de tous survivait au pied d'une colline à plus de vingt kilomètres du bourg le plus proche. Il ne possédait qu’une seule rue au bout de laquelle se dressait un manoir connu par les habitants du village pour son histoire tragique et une étrange légende à propos de la pleine lune et de loups. Ce qu’ils ne savaient pas ? Cette légende était vraie.