La maison sur la colline

Par Rimeko
Notes de l’auteur : Ceci est une fanfiction (crossover entre The Haunting of Hill House, série Netflix, et Simetierre, roman de Stephen King), je ne possède aucun droit sur les éléments dans ce texte.
TW pour mort, violence, maltraitance animale, horreur psychologique

Aucun être vivant ne peut survivre sainement dans des conditions d’absolue réalité.

La maison se dresse sur sa colline, fière de ses pierres taillées et de ses hautes fenêtres, défiant les ténèbres nocturnes avec le contraste de ses pièces plongées dans la pénombre, volets fermés, rideaux tirés. Elle se tient ainsi depuis un siècle, et elle tiendra encore pour les siècles à venir, parce que ses murs sont droits, ses briques nettement alignées, son sol est ferme, et ses portes sensément maintenues closes. Le silence repose contre le bois et la pierre de la maison sur la colline, dont même les courants d’air ne s’échappent pas.

Le portail rouillé se referme en grinçant dans le dos de Rachel Creed. Elle s’attarde à côté de la voiture, le regard perdu entre les troncs éclairés crûment par la lumière des phares, frissonnante dans l’air frais du soir. L’obscurité lui rend son regard.

Elle entend le bruit des clés, les gonds de la porte d’entrée ; elle tend l’oreille, elle guette les premiers pas de Louis dans leur nouvelle demeure, mais les épais murs de la maison les étouffent, et Rachel n’écoute que la nuit qui semble retenir son souffle. Elle cherche la poignée de la portière dans son dos, à tâtons, elle l’entrouvre et étouffe aussitôt un petit cri quand une forme se faufile entre ses jambes, effleurant ses mollets nus, déclenchant un frisson qui remonte jusqu’au creux de sa nuque.

« Church ! »

Elle a le temps de voir leur chat se retourner vers elle, noir sur fond de ténèbres, invisible si n’étaient ses prunelles reflétant la lumière des phares. Il s’évanouit dans les ombres sitôt qu’il se détourne, et elle se retient de jurer seulement parce que Gage est encore assis sur la banquette arrière, sanglé en sécurité dans son siège auto. Ellie, quant à elle, vient de réussir à se dégager du tas de bagages et elle s’élance déjà à la suite de leur père, déjà englouti par la maison.

Rachel soupire et se penche à l’intérieur de l’habitacle pour prend son fils dans les bras. La démarche alourdie par son fardeau, elle parcourt la moitié du chemin jusqu’à la maison, le gravier crissant sous ses pas. La porte d’entrée se découpe dans un rectangle de lumière, assez vif pour lui faire plisser les yeux. Elle repose Gage à terre, grimaçant à la vive douleur dans ses lombaires que le mouvement a réveillée.

« Va rejoindre ton père, d’accord ? J’arrive toute de suite, il faut que je récupère Church. »

L’agente immobilière avait dit entendre des chiens, même si les voisins ont tous démenti posséder un animal encore en vie. Elle s’en souvient, parce que la précision l’avait mise mal à l’aise.

Elle surveille du coin de l’œil que Gage rentre bien à l’intérieur, et puis elle se met en quête de ce foutu chat. Ce n’est qu’après près d’une demi-heure quand, tremblante de froid, elle se résout à abandonner ses recherches, qu’elle découvre qu’il a bien trouvé le chemin tout seul, laissant des traces de pattes boueuses sur le parquet du hall d’entrée.

Alors, à son tour, Rachel Creed pénètre dans la maison.

 

*

 

Elle ne rêve pas.

Les yeux ouverts et secs, elle fixe le plafond. Quand elle ne cille pas pendant assez longtemps, elle voit la peinture commencer à cloquer, puis à se fendiller, puis une longue lézarde cours à travers toute l’étendue immaculée. Elle ne rêve pas, mais sur l’écran de ses paupières closes, pendant le très bref instant où elle les ferme, elle voit le visage de sa sœur morte.

Elle voit ces yeux hantés, la tête montée sur cette colonne difforme, les lèvres retroussées sur les dents en une grimace de douleur et de haine pure. Puis, en retrouvant le plafond intact, elle se rappelle de ces moments où elle priait pour que Zelda meure enfin. Pour que la douleur s’arrête.

Rachel ne rêve plus.

Elle ressasse ses souvenirs.

Le spectre de sa sœur ne la quitte plus, une silhouette au cou tordu, qui la fixe et lui susurre que ce sera bientôt son tour. Elle le mérite, après tout. Les mains de Rachel se crispent en serres arthritiques, griffent les draps du lit, elle pense les déchirer de ses ongles, elle contemple le plafond elle tremble elle veut hurler mais ne parvient qu’à gémir et Louis ne se réveille même pas.

 

*

 

Le chat pue.

Rachel a essayé de lui faire prendre un bain, mais il l’a griffée jusqu’au sang. Elle s’est entêtée malgré tout, parce que cette odeur de mort que l’animal traînait partout lui retournait le cœur et contractait ses entrailles en une multitude de nœuds d’angoisse, et pendant un instant Church a paru se faire à l’idée d’être immergé dans la baignoire. Puis, sans crier gare, il lui a donné un coup de griffe en travers du visage, si Rachel ne s’était pas reculée par pure réflexe il aurait pu atteindre l’un de ses yeux.

Le cœur battant contre ses côtes à les briser, son souffle coincé dans sa gorge, pendant une poignée de secondes elle n’avait pas bougé, fixant le chat avec des yeux ronds. Church avait toujours eu un petit côté sauvage ; c’était bien pour ça qu’ils l’avaient stérilisé, et surtout, jamais, jamais il ne les avait attaqués aussi vicieusement. Elle ne l’aurait pas gardé sinon, pas avec les enfants.

Elle aurait compris s’il se débattait. Si ç’avait été un accident. Mais alors que Rachel reste figée sur place, médusée, elle a soudainement la certitude que ce n’était pas un accident.

Elle claque la porte de la salle de bains derrière elle, abandonnant cette horreur de chat et le robinet qui coule, elle s’adosse au battant, et elle lève les yeux.

La femme au cou tordu lui adresse un sourire rouge de sang. Ses yeux sont morts.

Elle ne s’entend même pas hurler.

 

*

 

L’odeur s’infiltre partout dans la maison.

Louis a beau enfermer le chat dans l’abri de jardin, tous les matins ils le redécouvrent dans la maison. Rachel en a fait dix fois le tour, elle ne trouve pas d’entrée, aucun trou par lequel l’animal aurait pu se faufiler. Elle a l’impression de devenir folle.

La nuit, elle entend une porte grincer.

Elle se lève alors, le parquet est froid sous la plante de ses pieds, et elle déambule dans les couloirs silencieux pour s’assurer que toutes les portes sont bien fermées. Elle erre avec sa robe de chambre vaporeuse qui flotte derrière elle. Parfois, elle entend des murmures, et elle se dit que c’est les enfants, avant de se rendre compte qu’elle ne se tient pas devant leur porte.

« Maman, est-ce que la mort, c’est pour toujours ? »

Ellie la harcèle de questions à ce sujet. Louis n’aurait jamais dû lui en parler – Rachel lui en veut tellement pour ça... Comme si cette foutue maison n’était pas assez inquiétante comme ça, et ce chat qui pue la décomposition, à se demander où il trouvait toujours des charognes contre lesquelles se frotter comme ça – et puis, on ne devrait pas parler de la mort à ses enfants, un point c’est tout. Ils la découvriront bien assez tôt. En attendant, on pouvait ne pas en parler tout court.

Rachel sursaute quand elle entend à nouveau la porte grincer. Elle se retourne, mais il n’y a rien au bout du couloir, seulement la porte rouge sur laquelle ils ont essayé toutes les clés de la maison et qui refuse de s’ouvrir. Louis parle de l’abattre, parce qu’il y a une fuite quelque part, les murs pourrissent de l’intérieur ; au sous-sol fleurissent des fleurs noires et âcres. Il parle des risques à respirer cette moisissure, il s’inquiète pour les enfants, et Rachel ne parvient à penser qu’à une seule chose.

La maison se dresse sur sa colline, son squelette de pierre bien solide, mais ne s’y accroche que ce silence étouffant, et ses racines se dissolvent dans la terre sombre comme Zelda pourrit dans son cercueil, quelque part à des lieux d’ici. Ils habitent dans des os creux où résonne l’écho d’un lointain glas.

Et cette porte d’un rouge sanglant, elle ne peut s’empêcher d’y voir un cœur agonisant, pompant sa décrépitude à travers toute la structure, au rythme de ses insomnies.

 

*

 

Rachel Creed regarde son fils remonter le couloir d’une démarche mal assurée, penchant sur un côté, jusqu’à ce qu’il perde l’équilibre totalement, dérapant sur le parquet détrempé. Son petit crâne heurtant le chambranle de la porte avec un bruit sourd la fait sursauter.

Elle sait qu’elle devrait faire quelque chose.

« Maman, est-ce que la mort, c’est pour toujours ? »

Les pièces vides chuchotent. Rachel est pieds nus, à nouveau, sa robe de chambre effleurant ses mollets nus quand un courant d’air froid court le long du couloir par la fenêtre fracassée. L’orage dissout le monde extérieur dans le fracas du tonnerre, les ténèbres nocturnes zébrés par la pluie battante, et chaque éclair la maison sur la colline soupire et tremble. L’odeur électrique de l’ozone se mêle à celle, âcre, de la moisissure. Le chat gratte à l’intérieur du mur.

Gage se relève, reprend son avancée maladroite vers l’escalier en spirale, celui dont Rachel a toujours eu peur, parce que le petit corps de son fils pourrait aisément se faufiler sous sa rambarde, il suffirait qu’il perde l’équilibre, et... Maintenant, cette peur l’a quittée.

Church pousse un miaulement déchirant – un cri d’effraie, un son dissonant qui irrite les nerfs de Rachel. Avec le manche du couteau, elle donne un coup sec contre les briques. Qu’il la ferme. Elle en est venue à détester ce chat qu’elle voyait comme un membre de sa famille, simplement parce qu’il la forçait à faire face à la réalité. Elle aurait des remords à l’avoir emmuré vivant, s’il n’était pas déjà mort.

Arrivée en haut des marches, avec une vue plongeante sur le hall, son fils qui s’approche de son mari, et le cadavre déjà au pied des escaliers, Rachel déglutit, s’efforce d’avaler la boule dans sa gorge. Quand elle lève le bras pour effleurer son cou du bout des doigts – par-dessus sa trachée meurtrie, sa jugulaire muette, jusque dans sa nuque – elle sent la protubérance de ses vertèbres brisées. Le corps de femme au cou tordu, celui-là même affalée sur le parquet de la maison sur la colline, ce n’est pas celui de Zelda.

C’est le sien.

Gage la suit alors qu’elle porte Louis à l’étage, admirant les nouvelles capacités de ce corps qui ne ressent plus l’effort, ni la douleur de son poignet déboîté quand son mari a glissé hors de son étreinte. Les petits chaussons de son fils laissent des traces écarlates sur chaque marche. Ellie est encore en bas, mais ce n’est pas grave, elle reviendra pour elle. Jamais elle n’abandonnera sa fille. Jamais elle ne la laissera entrevoir ce qu’est vraiment la mort. Inéluctable. Éternelle.

Elle laisse tomber le corps de Louis dans la pièce à la porte rouge. Le manche du couteau dépasse toujours de sa poitrine, le parquet verni boit avidement son sang. Elle avait tort ; ce n’est pas le cœur de la maison sur la colline qui se tapissait là, dissimulé derrière ce battant sanglant. C’est son estomac.

Et ici, blottis en son sein, ils resteront ensemble. Elle protègera ses enfants.

 

*

 

Aucun être vivant ne peut survivre sainement dans des conditions d’extrême réalité.

Et il n’y a rien de plus réel que la mort.

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