La Marche de la Mort et La Course des automates

Notes de l’auteur : Dans ce chapitre, nous retrouvons l'Ecorché et ses spectres pris dans une course destructrice vers le chateau de Rauk. Ils sèment la mort derrière eux car rien ne peut leur survivre.
Plus loin, les deux automates, toujours plus conscients de leur destinée, se mettent eux aussi en mouvement vers le Chateau maudit !
L'affrontement approche !

L’Écorché ne marchait plus.

Il courait.

Il fendait la forêt comme une lame fauche la chair, broyant les racines gelées, éparpillant les feuilles mortes, éclatant la pierre sous ses pas trop lourds. Derrière lui, ses lieutenants suivaient, ombres effilées, spectres d’acier et de lambeaux, animés par une volonté unique et glaciale. Ils n’avaient plus de voix, plus de noms, plus de but autre que celui que leur maître leur avait soufflé : avancer, ravager, éteindre.

À mesure qu’ils progressaient, le monde s’altérait.
Le givre se ternissait sous leurs pas. Les mousses se fanaient comme brûlées par un feu invisible. Même l’air semblait se contracter, se faire plus dense, plus âcre, plus hostile. Il n’y avait plus rien d’humain dans leur sillage — ni couleur, ni odeur, ni souffle.

L’Écorché n’éprouvait rien que de la haine.
Mais c’était une haine pure, dépouillée, transcendée.
Une flamme noire qui l’habitait comme un organe.
Elle l’aiguillonnait, le poussait à une vitesse inhumaine, dévorant toute pensée, tout souvenir, toute mémoire d’homme.

Son regard aveugle voyait loin.
Au-delà des forêts, au-delà de la brume, au-delà de la chair.
Il voyait Myra.

Myra.
Cette lumière insupportable, intolérable, incongrue dans un monde déjà tombé.
Elle ne devait pas exister.
Elle était une offense, une erreur, un flamboiement que le silence réprouvait.

Il fallait l’éteindre.
La réduire à un râle.
L’effacer du monde comme on efface un mot sacrilège sur une page souillée.

Sur sa route, tout mourait.

Les villages isolés, noyés dans les sapinières, s’éteignaient sans un cri.
Parfois, une porte battait encore au vent, la soupe fumait au coin de l’âtre, mais les âmes avaient disparu.
D’autres fois, il ne restait que la trace : une grange noire, une mare de chairs dans un puits, des champs jonchés de choses méconnaissables. Même les corbeaux, d’ordinaire si prompts à festoyer, évitaient le ciel de sa marche.

Les loups eux-mêmes avaient fui.

Mais rien ne pouvait l’arrêter.
Il ne fuyait pas. Il ne se défendait pas.
Il poursuivait la mort.
Il la semait.
Il la chantait à travers les arbres, dans une langue si ancienne que même les pierres la redoutaient.

Et la forêt gémissait. Elle entendait. Elle savait.

L’Écorché et ses spectres n’étaient plus qu’à quelques lieux du château de Rauk.

Encore une nuit — peut-être moins.
Et ils s’abattraient sur les compagnons comme la peste sur un village à genoux, sans prière, sans salut.

Le château de Rauk…
Il le sentait, là, dans la distance, comme un point de ténèbres suintant au cœur d’un monde déjà vidé de lumière.
Ce n’était pas une forteresse.
C’était une plaie.
Une respiration fétide dans la pierre.

Et là-bas, Myra.

Le nom s’échappa de sa bouche, fendu par les dents, plus proche d’une malédiction que d’un mot.

Myra.

Sa lame vibra dans son dos, comme si elle avait compris. Les spectres grincèrent autour de lui. Les vents froids soulevaient les corbeaux dans un ballet noir, annonciateurs d’un carnage encore à venir.

Il n’était plus qu’à deux jours de marche. Peut-être moins.

Mais l’Écorché ne connaissait pas la patience.
Il ne savait que la fin.

Et il courait vers elle.

 

La Course des Automates.

Ils avaient absorbé ce qu’il restait d’Aurélius.

Non seulement l’énergie vitale, ce souffle ténu logé au fond des os, mais aussi les traces plus profondes — les résidus de mémoire, les échos de douleur, les pensées fragmentées qui avaient traversé une vie entière d’errance, de foi et de questionnements. Ils avaient accueilli sans le vouloir la fatigue des années, les prières silencieuses, les certitudes brisées, et cette obstination farouche qui l’avait poussé à chercher, encore et encore, un sens dans le chaos. À chercher la Source. À comprendre le Fluide. À protéger Myra.

Et surtout, ils avaient hérité de sa volonté.

Depuis cet instant, il n’y eut plus de place pour le doute.

Ils quittèrent le monastère dans un silence que rien ne troubla. Leurs corps, faits de métal et d’alliages anciens, se mouvaient avec une précision qui n’appartenait ni aux vivants ni aux morts. Ils descendirent les pentes gelées sans effort, traversèrent les clairières où la neige s’accumulait comme une poussière blanche. Rien ne ralentissait leur avancée.

Ils n’avaient ni peur, ni colère. Mais ils savaient désormais.

Ils savaient ce que représentait Myra : non pas un simple être vivant, mais une singularité, une faille ouverte dans l’écorce de la fin.
Ils savaient ce qu’était Sylla : une blessure lente, insidieuse, une altération profonde, un pouvoir corrompu aux ramifications anciennes.
Et ils comprenaient ce que contenait le Fluide : une force vacillante, ambivalente, mais capable encore d’offrir autre chose que la chute.

Ils avaient donc choisi.

Non par empathie. Non par souvenir.
Mais parce que la logique froide de leur esprit, désormais traversé d’une lumière étrangère, les poussait à reconnaître dans la vie — aussi fragile, aussi imparfaite fût-elle — une possibilité.

Et Myra, en ce monde cendreux, demeurait l’ultime éclat encore chaud.

Elle n’était pas une mission. Pas une cible. Elle était ce qui restait d’un avenir.

Ils n’avaient pas de mots pour le dire. Pas de voix pour formuler leur serment.
Mais chaque pas, chaque enjambée sur les chemins gelés, devenait une déclaration muette. Une intention claire. Une réponse à la transmission silencieuse d’Aurélius.

Ils savaient que Rauk les attendait.

Quelque part, tapie entre les murs fendus de sa forteresse moisie, la chose qui l’habitait guettait, nourrie par la magie perverse dont Aurelius avait entrevu les contours. Ils savaient qu’il ne serait pas seul. Ils savaient ce qu’il était devenu. Et s’ils savaient cela, c’était parce qu’Aurélius l’avait su.

Mais quelque chose avait changé.

Depuis la fusion avec sa mémoire, leurs systèmes, si vieux, si rigides, s’étaient ouverts à un autre type de clarté. Non pas de la force brute, mais une forme de lucidité. Une perception nouvelle du monde, de ses enjeux, de ses failles.

Ils avaient vu plus loin. Ils avaient entrevu la Source. Et avec elle, l’issue.

Alors ils poursuivaient leur marche muette. Sans repos. Sans égarement.
Ils s’étaient promis d’intervenir. Non pour une cause abstraite, ni pour un ordre gravé dans un noyau oublié — mais parce qu’il le fallait. Parce qu’il restait, peut-être, quelque chose à sauver.

Ils avaient été conçus pour détruire.
Ils avaient été forgés pour lutter contre leurs semblables, et pour défendre, jadis, ceux qui les avaient façonnés.

Mais il était venu le temps de défendre plus que leurs créateurs.
Le temps de protéger la vie elle-même. Et sa porteuse la plus pure.

Ils se mirent en marche — non, en mouvement.
Une course, plutôt.
Sans haleine.
Sans battement.
Mais une course, effrénée, méthodique, inarrêtable.

Nul cri, nul mot ne ponctuait leur passage. Leurs pieds d'acier frappaient la terre gelée dans un rythme ancien, martèlement sourd des machines éveillées. Ils n’étaient ni vivants ni morts. Mais ils avançaient — et c’était cela, désormais, qui comptait.

Ils fonçaient vers elle.

Non pour la rejoindre, ni pour l’étreindre, mais pour se tenir entre elle et la fin.
Pour barrer la route au gouffre.
Pour devenir, s’il le fallait, le dernier rempart d’un monde trop abîmé.

Le vent n’avait plus d’emprise sur eux. La neige non plus.
Ils ne ressentaient ni froid ni fatigue.
Et pourtant, il y avait quelque chose, dans leur marche, d’étrangement proche d’une forme de ferveur.

Comme si la volonté du vieux moine, ancrée en eux désormais, les poussait au-delà de leurs propres limites.
Comme si l’écho de son dernier souffle battait encore dans leur ossature de cuivre, comme un tambour lointain.
Ils avançaient.
Ils ne ralentiraient pas.

Myra les attendait.
Même sans le savoir.

Myra !

Car désormais, ils connaissaient son nom.

Et cela suffisait.

 

 

 

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Talharr
Posté le 30/07/2025
Re,
Chapitre très sympa encore une fois. Ici on avance doucement, mais on sent que la fin approche. Tous le monde va se réunir au même endroit pour décider du sort de cette histoire :)
Le passage avec les Automates continue sur la lancée du précédent chapitre :)

Juste un mot oublié je crois :
"L’Écorché n’éprouvait rien que la haine" -- "que de la haine"

A la suite ;)
Brutus Valnuit
Posté le 30/07/2025
oui merci pour ton message. je suis très content que tu continue à lire mon histoire (tu es le seul pour le moment je pense).
La fin est proche et la tension augmente . J'espère que ça continuera à te plaire ?
Merci pour ta vigilance, également.
Talharr
Posté le 30/07/2025
Et très content de continuer, c'est pas vraiment mon style habituellement mais j'aime bien ton écriture et l'histoire est chouette à suivre. Et si on peut s'entraider ça fait plaisir :)
Brutus Valnuit
Posté le 30/07/2025
oui , merci pour ton aide, tes commentaires et tes conseils m'ont été très utiles.
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