Quatre ans plus tôt,
Comment avait-elle pu être aussi sotte ? Elle s’en voulait, se fustigeait de la bêtise dont elle avait fait preuve. Comme si un mâle de Kler Betöm était capable de mettre sa fierté de côté et devenir son ami après le foutoir qu’elle avait mis. Pourtant, elle était persuadé que Jenon l’avait apprécié… à sa façon. Ils avaient passé plusieurs mois à se soutenir, à partager leurs souffrances et leurs déboires, à se faire botter les fesses et être la cible des railleries du reste du groupe. Seuls contre tous, contre vents et marées. Aurait-il réellement pu simuler tout ce temps sans une once de sincérité ? S’était-elle vraiment trompée à ce point ? Non, son vernis avait forcément craquelé par moment, la carapace s’était fendillée et elle avait eu accès au vrai Jenon, à ses peurs, ses tourments et ses sentiments. Et c’est ce qui rendait son acte encore plus pénible à assumer. Bordel, elle lui avait enfoncé une dague dans la bedaine jusqu’ à la garde! Elle avait vu sa vie lui échapper peu à peu et son regard s’éteindre doucement, comme une flamme vacillant dans l’obscurité, jusqu’à ce qu’il la laisse seule avec elle-même. Elle avait pleuré la disparition de ce qui se rapprochait le plus d’un ami pour elle, malgré sa perfidie et sa trahison.
C’est le palpitant lourd et chargé de rancœur qu’elle se dirigeait à la rencontre de Feref. Oui, c’était lui le responsable de tout ça, avec Erwig. Jenon avait cherché à exister et à être reconnu par un frère qui de toute façon ne lui aurait jamais laissé la moindre place dans son cœur. Plus elle y pensait, plus elle était convaincue que le rustre au regard déviant avait orchestré tout ça, c’est lui qui avait dû pousser son frère à participer à cette formation. Il n’était pas le barbare simple d’esprit que Jenon avait dépeint, il était intelligent, fourbe, et dangereux. Et il allait payer sa responsabilité dans le malheur qui l’accablait.
Elle arrivait là où ils avaient aperçu Feref la dernière fois. Mais plus question de se tapir dans un coin, elle ne se déroberait plus, et c’est d’un pas décidé qu’elle pénétra dans le refuge de sa cible. Une longue lance, plus haute qu’elle de quelques pieds, était appuyée contre un arbre à quelques pas. Le fumier n’avait pas perdu son temps, il s’était préparé quelques arguments percutants pour accueillir comme il se devait un quelconque importun.
— Pas trop tôt !
Hélane sursauta, Feref se tenait dans l’ombre du feuillage d’un acacia faux-gommier. Il avait les yeux caves et le teint grisâtre, une barbe de quelques jours et une vilaine balafre sur la joue. L’attente l’avait usé, la soif ne devait pas arranger la donne, et malgré tout, un brasier sinistre crépitait au fond de ses prunelles. Il se cramponnait fermement à une autre pique de sa confection, et le rictus cruel cloué à sa trombine esquintée n’augurait rien de bon pour elle. Son regard s’arrêta sur la dague, et son sourire s’élargit, faisant apparaître une rangée chaotique de dents tortueuses.
— Parfait, reprit-il. D’une pierre deux coups, je poireaute depuis hier, qu’est ce qu’il s’est passé ? Où est Jenon ?
— Je suis seule, répliqua Hélane, le visage crispé. Et tu vas t’ôter du passage, que je ramène cette lame à cette vermine d’Erwig !
La brute plissa les paupières.
— Oh ! Le ventru était moins malin que ce qu’il pensait finalement, comprit-il soudain. Où est-il ? Assommé dans un coin je parie ?
— Mort… marmonna-t-elle.
Feref haussa un sourcil, perplexe.
— Mort ? Je ne m’attendais pas à autant de détermination de ta part. Tu as été radicale. Lui qui était persuadé de te mener par le bout du nez, il a dû être bien attrapé.
— C’est tout l’effet que ça te fait ? Je t’annonce le décès de ton frère et c’est ta seule réaction ?
— Et comment voudrais-tu que je réagisse ? Tu espérais du chagrin, des larmoiements ? s’esclaffa-t-il. Tu m’as presque rendu service oui ! Je me le traîne comme un boulet depuis sa naissance. Kesus ne rira plus de moi maintenant ! Mais ne t’en fait pas, il sera vengé…
Une lueur perverse venait d’illuminer sa pupille, et il s’approcha en inclinant sa lance. Son bras se détendit comme un serpent, et le coup fusa, sans prévenir. Hélane ne dût son salut qu’à une esquive in extremis effectuée instinctivement plus que réfléchie. Son corps avait répondu tout seul, bilan d’un long entraînement, doublé de celui de son père. Ceci dit, elle n’esquiverait pas éternellement. Sa dague lui était d’un bien piètre secours face à l’allonge de son adversaire. Tenter de l’approcher équivaudrait à se faire embrocher comme un poulet. Feref multiplia les estocades, et la jeune fille avait toutes les peines du monde à rester hors de portée de la pointe mortelle. Si encore elle avait pu se saisir de la deuxième lance contre l’arbre, elle aurait eu une chance de se défendre, mais il fallait pour cela contourner le gredin, et celui-ci était bien trop malin pour se laisser prendre. Assuré de son succès, son assaillant se permit même de pavoiser.
— Alors coureuse de rempart ! Tu pensais sans doute que l’action serait aussi simple qu’avec gras-du-bide ? Comment est-t-il crevé d’ailleurs ? Tu l’as eu en traître non ? A ton habitude ?
— Je t’ai vaincu à la loyal ! rétorqua-t-elle sans quitter le dard des yeux.
Feref porta une attaque haute qui faillit la surprendre et passa bien trop proche de sa joue à son goût. Merde, il va falloir prendre des risques si je veux m’en sortir, je ne m’en tirerais pas avec quelques galipettes. Sur une attaque particulièrement violente, la lance lui chatouilla les côtes, et elle rabattit violemment son coude sur la hampe, la saisissant au passage de sa main meurtrie pour l’immobiliser. De la main gauche, elle porta un coup d’estoc en visant le bas ventre, mais son manque précision amena la pointe de la dague sur l’aine, et ripa sur le cuir épais du gambison. Le coup suffit néanmoins à déstabiliser son ennemi, et elle en profita pour se propulser vers la deuxième pique et s’en saisir.
Son père lui avait enseigné quelques rudiments de maniement de lance et il était plus que temps de mettre à profit ses maigres connaissances en la matière. Le piège à éviter était de saisir la hampe à deux mains. Le néophyte aura tendance à empoigner l’arme à pleine mains et à assener des coups violents. Le premier défaut de cette méthode est que l’allonge étant bien moins importante, le bénéfice de la longueur du bois s’en trouve automatiquement diminué. Le deuxième défaut, et pas des moindres, est qu’en cas de parade ou d’esquive, il devient alors aisé pour l’opposant de riposter, le flanc étant totalement exposé et les deux mains occupées. Hélane pris le parti de tenir sa lance de la main droite, malgré sa blessure. Vu son manque de précision avec une lame courte, elle craignait, à raison, de ne pouvoir manier l’encombrante pique de la gauche. Elle serra les dents de douleur, alors que ses doigts charcutés se fermaient sur le bois rassurant. L’astuce consistait à prendre l’arme à proximité du talon, pour avoir une allonge suffisante, sans trop s’en rapprocher afin d’assurer une certaine précision sans risquer d’être victime du poids de la hampe. La lance s’accompagnait en principe d’un bouclier, mais la dague ferait l’affaire.
— Oh oh ! La gargouilleuse sait tenir une pique, qui l’eut cru ? ironisa Feref d’une voix graveleuse.
Hélane tenta une première attaque d’estoc, mais le mauvais équilibrage et le manque de fer à l’extrémité de l’arme eurent raison de sa précision. Feref para sans problème, et riposta dans la foulée du fort de sa lance sur le faible de celle d’Hélane. La jeune fille recula d’un pas rapide afin de stabiliser ses appuis. Un mauvais ancrage au sol lui serait fatal, il était vital qu’elle reste solidement campée sur ses pieds. Pourvu d’une plus grande amplitude, Feref maintenait un avantage sur son allonge et l’empêchait de l’approcher. Hélane tenta une approche avec une tenue de lance haute. La manœuvre s’avéra périlleuse, mais payante. Surpris par l’attaque arrivant au dessus de sa tête, son adversaire n’eut pas le temps d’effectuer une parade, et la pointe s’enfonçant dans son épaule. Le gaillard poussa un hurlement gras. La pique avait traversé l’épaisseur de cuir, et une large auréole pourpre apparut sous son omoplate. Il agrippa la lance et l’arracha des mains de Hélane avant de la jeter à terre.
— Je vais te crever traînée !
Blessé dans son orgueil, au mépris de toutes les règles et de sa propre sécurité, il se saisit de son arme à deux mains, et la leva au dessus de la tête avant de l’abattre comme un forcené sur la tête de la jeune fille. Celle-ci bondit en arrière avant de se faire exploser la caboche. Cela faisant, elle prit conscience de la proximité du ravin dans son dos. Un pas de plus et c’était la chute assurée. Dans un cri de frustration, la brute épaisse réitéra sa tentative. Cette fois-ci, au lieu de reculer, Hélane se jeta en avant et percuta son agresseur au moment où le bâton amorçait sa course descendante. Surpris par l’initiative, Feref se pencha en arrière, et Hélane en profita pour jouer des castagnettes d’un coup de genoux bien placé. Ayant perdu instantanément toute velléité d’agression, le malabar s’étala au sol, les genoux repliés comme une coquille autour de son bas-ventre, les yeux exorbités de douleur et un interminable coassement aigu jaillissant de son clapet. Elle s’abattit comme la foudre sur lui, et la dague à la base de sa gorge, cracha :
— J’ai gagné Feref, tu mériterais que je t’envoie rejoindre ton frère, mais ça serait terriblement discourtois de lui imposer si tôt ta présence. Ce dernier ne répondit pas, tant occupé qu’il était à essayer de reprendre sa respiration. Elle relâcha son emprise et se releva difficilement. Elle ne pouvait plus fermer le poing tant ses doigts étaient enflés, sa cuisse l’élançait terriblement et sa caboche la martelait comme si une cohorte de soldats l’avait sauvagement piétinée. C’est à ce moment-là qu’une nouvelle souffrance vint s’ajouter aux précédentes. Plus violente, plus insidieuse et percutante. Une lance lui avait traversé le mollet. Elle se retourna dans un hoquet de douleur pour découvrir d’un œil stupéfait le propriétaire de l’arme. Vack se cramponnait fermement à l’autre bout en la dévisageant. Il tenait dans l’autre main la dague de Jenon.
— Elle l’a tué… putain Feref, elle a buté Jenon ! Et à moitié estropié mon frère !
— Vack, attend…
— Tais-toi pétasse ! hurla-t-il. Ferme-la! Je vais en finir avec toi !
Levant les mains devant son visage en un mouvement de protection inutile, elle recula d’un pas.
Et bascula.
Bordel, le précipice ! Elle chuta de quelques pieds et se rattrapa de la main gauche à une aspérité de la pierre à peine en relief. Une sueur froide lui coula le long de l’échine. Elle pédala désespérément dans le vide, quand son pied droit rencontra une surface dure. Un coup d’œil apeuré lui indiqua la présence d’une petite corniche. Elle se contorsionna à la limite de la rupture pour atteindre le petit renfoncement salvateur, et finit par y poser les deux pieds. Loin dessous, sa chute avait attiré l’attention des trois individus –Erwig, Neher et Bordur– qui la pointaient du doigt. Au dessus, Feref s’était remis de ses malheurs, les deux salauds s’étaient chacun muni d’une lance, et tentaient de la faire basculer dans le vide. Elle avait beau chercher dans tous les sens, cette fois, aucune échappatoire ne se profilait. Elle était bel et bien fichue.
— Je t’ai battu Feref ! cria-t-elle. N’as-tu donc aucun honneur ?
— Ce qui se passe durant l’épreuve d’accession au Korom reste secret ! répliqua-t-il. Je vais récupérer ta dague une fois que tu te seras aplatie la face, et Vack et moi, on rejoindra nos frères d’arme du Korom !
— T’es un bel enfoiré !
— Ouais ! Un enfoiré vivant !
Elle avait de plus en plus de mal a esquiver les pointes mortelles, elle ne faisait que retarder l’échéance et elle le savait, ne serait-il pas plus sage de se laisser tomber et d’en finir avec cette vie inique ? Après tout, quel avenir avait-elle ici ? Ses parents la pleureraient probablement, mais ensuite, que se passerait-il ? Manquerait-elle à quelqu’un d’autre? Sûrement pas.
Les deux lascars s’acharnaient de plus belle, elle pouvait déjà sentir le bois acéré lui transpercer le visage, et imaginer sa chute inéluctable trente toises plus bas, lorsque son corps fragile rencontrerait le sol rugueux à une vitesse vertigineuse. Ca ferait surement de sacrés dégâts, on retrouverait des morceaux d’elle à des lieues à la ronde. Finalement, pourquoi pas ?
Elle en était là de ses réflexions morbides quand elle fut interpellée par le calme soudain. C’était plutôt tranquille là-haut, quel tour pendable lui mijotaient-ils encore ? Elle attendit encore un moment, puis face à l’inactivité ambiante, elle se décida finalement à tenter l’ascension. Si c’était un piège, alors le sort en serait jeté. Elle risqua un œil hors du précipice et fut sidérée par la scène. Les deux fripouilles étaient allongées l’une sur l’autre dans une position grotesque. Feref gémissait faiblement en se tenant la tête, tandis que Vack, lui, était carrément dans les vapes, le nez dans la terre et les fesses relevées, pointant absurdement vers les cieux. De plus en plus interloquée, elle sortit du ravin et récupéra sa dague. Feref leva la tête vers elle, son œil droit disparaissait sous une boursouflure bombée, et le bout de son nez rejoignant sa pommette gauche donnait une bonne idée de l’élasticité de son os nasal. Sa prunelle valide suivait à son habitude une trajectoire déviante, et sa dentition s’était allégée de quelques ratiches. Il eut un faible sursaut en l’apercevant et baragouina une injure incompréhensible à son encontre, permettant à une incisive supplémentaire de se carapater. Bordur se tenait un peu plus loin, les bras ballants et les yeux imperméables. Hélane le pesa du regard.
— Bordur, c’est toi qui… ?
Le colosse grommela quelque chose qui s’assimilait à un acquiescement.
— Pourquoi ? souffla-t-elle d’une petite voix éraillée. Pourquoi être revenu m’aider ?
Le géant tourna les talons et se dirigea vers le chemin en maugréant :
— …N’te regarde pas !
Hélane en resta comme deux ronds de flan, les jambes flageolantes et les bras pendants. Qu’est ce qu’il vient de se passer là ? s’interrogea-t-elle, ébahie. Sur le côté, Feref remuait faiblement, l’air de reprendre ses esprits, et elle emboita prestement le pas à son sauveur. Dix minutes leur suffirent pour débouler dans la plaine, où l’accueil ne fût pas des plus chaleureux.
— Qu’est ce que c’est que ce foutoir ! brama Erwig, ses yeux globuleux menaçant sévèrement de se déchausser de leurs orbites. Bordur ! Qui t’as permis, espèce de demeuré lourdaud, de remonter là-haut ?
Loin de se laisser intimider, le géant plongea son regard d’acier dans celui de son instructeur et rétorqua doctement :
— Ce qu’il se passe pendant l’épreuve reste secret. J’ai une dague, elle a une dague, on intègre le Korom.
Erwig manqua de s’étouffer face à l’outrecuidance de son élève.
— Je refuse ! articula-t-il d’une voix lézardée. C’est hors de question, je m’oppose à cette mascarade, c’est encore moi qui commande ici !
— Lieutenant Erwig, nous avons…
— Ta gueule !! Quand j’aurais besoin de l’avis d’une chieuse dans ton genre, je te ferai signe !
Hélane ferma la bouche, piquée au vif. Neher décida alors d’intervenir :
— C’est la loi Erwig, énonça-t-il doucement mais fermement. Tu dois t’y plier, sinon ton entraînement tournera à la bouffonnerie et tu perdras toute crédibilité. Ces deux gamins ont remporté l’épreuve. Il ne manque plus qu’une dague et le compte sera rendu.
Le formateur jeta un regard pressant à son supérieur.
— Neher… tu ne peux pas cautionner ça, je vais être la risée de la Fière, une greluche au goulet, que va-t-on penser de moi ?
— Si blague il y a eu, c’est entièrement de ta faute ! le tança durement le guerrier. Dois-je te rappeler qui est à l’origine de cette farce ?
— Mais toi aussi tu seras impacté par cette imposture ! se rebiffa Erwig. Si elle intègre le Korom, elle sera directement sous tes ordres ! Et c’est sur toi que sera jeté le discrédit !
— Certes, mais je préfère goûter à l’humiliation de tes actes plutôt que de bafouer nos principes. Il ne sera pas dit que j’ai manqué à mes obligations et à mon honneur. De plus, continua-t-il en se tournant vers la jeune fille, elle devra, pour entrer dans le goulet, s’acquitter de ma formation et de mon épreuve, et ça n’a rien à voir avec ce qu’elle a pu endurer jusqu’à présent.
Erwig ricana.
— C’est vrai que la suite risque de la surprendre, aucune chance pour qu’elle s’en sorte… tu entends ça pisseuse ? Profite tout ton saoul de ta petite victoire, savoure-la bien car elle sera de courte durée !
— J’ai la troisième dague, haleta une voix rocailleuse quelques pas plus loin.
Feref avait tracté sa carcasse esquintée jusqu’ à la plaine. Le rustre avait perdu de sa superbe, il était tacheté de sang et trainait la patte laborieusement. Malgré tout, Hélane constata que son œil n’avait pas perdu sa lueur d’animosité lorsqu’il l’aperçut.
Erwig l’accueillit avec mépris.
— Tu es la honte de cette promotion, je ne veux même pas savoir comment tu as obtenu cette dague, alors que je comptais sur toi, que j’avais placé ma confiance en toi !
Le couteau ! réalisa Hélane avec aigreur. C’est lui, c’est ce fourbe d’Erwig qui a dû lui glisser dans ses chausses alors qu’il était inconscient !
— Je ne pouvais pas prévoir que ce pisse-froid allait revenir me prendre au dépourvu ! se défendit-il en désignant Bordur du doigt.
Celui-ci le dévora des yeux et répondit d’une voix gloutonne :
— Vient donc mon courtaud, que je te montre une fois de plus comment je m’arrange avec les cochons dans ton genre !
Neher coupa court aux dissensions des deux protagonistes.
— Il suffit maintenant ! tempêta-t-il. Gardez vos forces pour ce qui vous attend, vous en aurez bien besoin !
Il sortit un lourd grimoire à la couverture épaisse et racornie, noire comme le charbon, ainsi qu’une plume de sa besace et l’ouvrit sur une page jaunie par le temps. Hélane sentit sa mâchoire se décrocher. Elle était persuadée d’avoir déjà entendu parler de cet ouvrage à la texture granuleuse et sombre, même si elle n’avait jamais eu l’occasion de le contempler. Il s’agissait de la mémoire du goulet, où chaque nom, chaque histoire des guerriers ayant défendu le défilé étaient consignés. Cette œuvre n’avait pas de prix, il relatait le récit de Kler Betöm depuis le Pacte. Il ne s’agissait ni plus ni moins d’un trésor national, reposant censément au sein de la forteresse Derbeniss. Et voilà que l’instructeur le trimballait nonchalamment dans son cartable comme s’il s’agissait d’un vulgaire bouquin de recettes. C’est dire le poids qu’avait ce géant de la Fière, et la confiance que lui allouait le Bras d’Eryon. Il s’installa inconfortablement au sol et enfila une petite paire de lunettes sur le nez. Les jeunes gens le fixèrent la bouche ouverte et l’œil pantois ; pour ces gamins, dont on avait vanté les terribles exploits du guerrier depuis leur plus jeune âge, le voir s’installer dans la poussière et écrire comme un vulgaire scribouillard dépassait l’entendement.
— Ton nom ? grogna-t-il à l’attention de Bordur.
— Bordur Reatka .
L’instructeur se mit à écrire méticuleusement d’une petite écriture aux lettres serrées.
— En l’an de grâce 577, Bordur Reatka intègre officiellement le Korom, détenteur de la dague…
Neher jeta un œil à l’arme du géant.
— … jade et fauve.
Il marqua une pause avant de continuer, et entama la deuxième partie de la page.
— Hélane Veloj intègre officiellement le Korom, détentrice de la dague turquoise et incarnate…
La jeune fille n’en revenait pas, la légende vivante se rappelait de son nom, probablement les vestiges du rayonnement de son père. N’empêche que… Il répéta la même opération pour Feref, et ferma son livre imposant, l’air satisfait. La scène avait revêtit un caractère irréel, comme si le temps lui-même s’était figé. Les trois vainqueurs étaient gentiment installés autour de leur futur formateur, comme des enfants passant un bon moment avec leur père, répondant docilement aux interrogations de celui-ci. Hélane pouvait sentir à deux pas d’elle la respiration saccadée de Feref, accroupit lui-même à deux pouces de Bordur. Qui aurait pu penser à cet instant que les trois larrons nourrissaient les uns envers les autres une haine viscérale, et avait contribué, quelques heures seulement auparavant, à s’étriper joyeusement ?
— Vous voilà à présent propriétaire d’une dague de Kler Betöm. Comme vous avez peut-être pu le constater ou vous en douter, elles sont uniques, le double liseré de couleurs différentes qui enlace le manche l’atteste. Elles seront vos armes de référence, et signeront votre identité et votre appartenance au Korom jusqu’à ce que vous ayez mérité votre ongle. Chacun de vos faits d’armes, héroïque j’entends, sera consigné dans la mémoire du goulet, expliqua-t-il en tapotant la couverture du grimoire.
Il balaya d’un œil abrupte et perçant les gueules accidentées, les mains talées, les membres meurtris et les mines anémiées de ses nouvelles recrues et balança :
— Vous me retrouverez dans deux lunes, jour pour jour, deux heures avant le crépuscule à l’entrée du goulet. Et prenez votre dague.
Hélane venait d’être intégrée au très prisé Korom, sans aucune forme de préambule, et Eljane seule savait ce que lui réserverait l’avenir.
Hélane va devoir se méfier de Freref et Erwing à mon avis, mais elle gagne un allié avec Bordur.
Le fait qu'on connaisse son futur fait perdre un peu de la dramaturgie, je trouve. On sait qu'elle va s'en sortir.
Et à présent on est bien quatre ans plus tôt!
Cet arc a un but bien précis qui risque de te surprendre plus tard^^
J'espère en tous cas!
Je ne pensais pas qu'il y aurait encore tant de difficultés avant de franchir la ligne d'arrivée. Hélane l'aurait méritée sa dague ! Comme on connaît le présent, le revirement de Bordur n'est pas surprenant mais ça reste un rebondissement plutôt satisfaisant.
Pour ma petite réserve, le premier combat contre Feref était un peu longuet, il y a un moment sur les explications des risques que comprend une stratégie etc que tu pourrais couper au moins en partie. Vu qu'on sait qu'Hélane va survivre, je pense que ce n'est pas nécessaire de faire durer le suspense. Le combat suivant était plus direct et efficace à mon sens.
Je trouve que c'est intéressant de mieux comprendre comment fonctionne l'arrivée des aspirants au Goulet, notamment avec les dagues !
Mes remarques :
"Pourtant, elle était persuadé que Jenon l’avait apprécié" -> persuadée
"C’est le palpitant lourd et chargé de rancœur" -> le cœur ?
"dans son cœur." espace en trop
"l’arme à pleine mains" s ou pas s, il faut le même sur les deux.
"Hélane pris le parti de tenir sa lance" -> prit
"accroupit lui-même à deux pouces de Bordur" ->. accroupi
Un plaisir,
A bientôt !
Je ne suis pas satisfait de cette partie avec Feref moi non plus. Je l'ai relu pour la énième fois, et c'est vrai qu'elle est longuette, voire ennuyante. Il faut absolument que je reprenne cette partie, d'autant plus qu'elle est transitoire. Je pense (et j'espère) que tu préféreras la partie sur le Korom.
Le palpitant : le cœur
A bientôt!