La Mère Supérieure

 

Le lendemain matin, Louis prenait tranquillement son petit-déjeuner dès 8h, quand Ophélie débarqua. Habillée d’une jupe et d’un débardeur, elle semblait survoltée :

-Salut ! fit-elle. Pas encore prêt ?

-Je viens de me lever, répondit-il.

-Ça fait deux heures que je suis debout ! J’ai trop hâte ! On va enfin avoir des éclaircissements !

-Je ne voudrais surtout pas briser ton bel enthousiasme, mais il n’y a rien de garanti.

-Je sais, mais n’empêche, je le sens super bien. J’ai vraiment l’impression qu’on va enfin savoir.

-Savoir quoi ? demanda Ethan, en arrivant dans la salle à manger.

-Rien, rien, fit Ophélie. Tu sors aujourd’hui ?

-Ouais, je vais retourner au lac. Et vous ?

-On va à Mende, répondit la jeune fille.

-Toute la journée ?

-Oui, on a des trucs à faire.

-Bah, amusez-vous bien, alors ! fit-il en s’asseyant pour prendre son petit-déj.

 

Louis n’en revenait pas. Son frère venait carrément de les mettre ensemble. Depuis quand avait-il renoncé à elle ? Le plus surprenant étant Ophélie, qui n’avait pas démenti. Le ton naturel qu’avait employé la jeune fille le stupéfiait. Lui qui pensait qu’elle allait se justifier…

 

Malgré ses bonnes résolutions de la veille, il se sentait euphorique de passer une journée rien qu’avec elle, conforté par ce qu’elle venait de dire, sans compter qu’elle n’avait pas proposé à Ethan de se joindre à eux. Il se rappelait que lorsqu’elle « était » avec son frère et qu’ils tombaient sur Louis ou lorsqu’ils partaient quelque part, Ophélie lui proposait toujours de se joindre à eux. Est-ce que… Non, là, ça devenait trop dangereux. Et puis, elle ne voulait simplement pas parler du fantôme à une autre personne.

 

Louis termina sa tartine au plus vite et se leva de table :

-Je prends ma douche et j’arrive.

-Ok, je t’attends dans la voiture.

 

Souriant malgré lui, Louis remonta et tomba sur ses parents qui sortaient de leur chambre.

-Bonjour, mon chéri.

-Salut m’man, salut papa ! Bien dormi ?

-Et toi ?

-Bien, oui.

-Tu as l’air tout content. Qu’est-ce qui t’arrive ?

-Rien de spécial. Je vais prendre ma douche et avec Ophélie, on file pour la journée.

Malgré ses efforts, il n’avait pu dissimuler sa joie en parlant de la jeune fille.

-Ethan aussi ?

-Non.

-Tu passes la journée seul avec Ophélie ? s'étonna sa mère.

-Oui. 

Pour le coup, les parents échangèrent un regard surpris, mais n’ajoutèrent rien. Louis, redoutant des questions une fois la surprise passée, s’éclipsa.

 

 

La douche fut rapide. Vu qu’il allait dans un couvent, il enfila son jean noir et une chemise blanche que sa mère avait absolument tenu à ce qu’il prenne. Il la boutonna en la remerciant mentalement, puis sortit de la chambre et regagna la salle à manger où il fut accueilli par un concert d’exclamations :

-Wah ! fit Ethan. Il a mis une chemise, il va neiger !

-Qu’est-ce que ça te vas bien, fit sa mère. Tu vois que tu devrais en mettre plus souvent.

-Voilà, ajouta son père, là, ça fait homme.

 

À ce moment, Ophélie arriva. Elle s’était changée et portait elle-aussi un jean et un chemisier rose pâle sans manches. La voir causa un léger trouble à Louis, elle était réellement lumineuse.

-Vous êtes très élégants, fit sa mère, vous allez où ?

-A Mende. Tu viens ? reprit-elle à l’adresse du jeune homme.

 

Le trajet fut très agréable, Ophélie avait mis un fond de musique et ils parlaient tous les deux. Louis aimait vraiment être avec elle, la conversation passait d’un sujet à l’autre, de lui à elle. Jamais à court d’idées, elle parlait des films qu’elle aimait, passait à son groupe préféré avant d’embrayer sur ses amies d’enfance : Pauline et Florence.

Louis, moins bavard, essayait quand même de participer, mais ne connaissait aucun groupe, ce qui la fit rire. Il était plus à l’aise avec le cinéma et avoua qu’il avait vu les mêmes films qu’elle.

La route parut beaucoup plus courte à Louis que lors du trajet avec ses parents ; tant et si bien qu’il fut surpris de voir la ville apparaître.

-Bon, fit Ophélie, maintenant qu’on est là, reste à trouver ce couvent.

Ils parcoururent la ville pendant quarante-cinq bonnes minutes avant qu’elle ne gare la voiture. Là-dessus, elle sortit l’adresse et un plan de Mende sous les yeux surpris de Louis. Lui, il le réalisait maintenant n’avait même pas cherché. N’osant rien dire, il regarda l’adresse, admirant au passage l’écriture de la jeune fille. Ça avait toujours fait partie de ses petites manies, voir l’écriture d’une personne, sans entrer dans la graphologie, lui donnait l’impression de mieux la connaître. Il ne fut pas déçue, celle d’Ophélie était ronde et les lettres très espacées, il remarqua aussi qu’elle devait appuyer fort sur la mine.

 

-Evidemment, c’est dans les petites rues… marmonna-t-elle.

Se reconcentrant sur le plan, Louis vit qu’en effet, le carré où se trouvait le couvent était plein de petites rues. Ils cherchèrent un long moment, leurs têtes se rapprochant et s’effleurant.

Avant que Louis ne pointe le doigt :

-C’est là !

-Exact, fit-elle et nous, on est…

Un bref regard à l’extérieur avant de revenir sur le plan :

-Ici ! Ah, bah, ça va, on est pas si loin que ça. Bon, au moins, on a le temps.

-Autant aller y faire un petit tour, fit Louis, voir précisément où il est.

-Tu as raison, fit-elle.

Joignant le geste à la parole, elle sortit de la voiture, suivie de Louis, la verrouilla et ils partirent. Malgré l’apparente proximité du couvent, ils tournèrent pendant de longues minutes, revinrent sur leur pas avant d’enfin le découvrir.

L’aspect austère du vieux mur de pierre et le portail de fer les incitèrent au silence. Ils restèrent sur le trottoir à le regarder avant de s’en éloigner.

-C’est un peu flippant comme endroit, murmura Ophélie en glissant sa main sous le bras de Louis.

Celui-ci ne répondit pas, troublé par le geste spontané.

-Ça ne t’ennuie pas, j’espère…

-Pas du tout, réussit-il à répondre. Mais, heu, pourquoi ?

-Depuis que j’ai vu Angeline pour la première fois, ton bras me rassure, fit-elle simplement, inconsciente du trouble que ses mots provoquèrent chez lui.

Décidément, il était de plus en plus dur de ne pas céder à ses envies et de donner aux paroles d’Ophélie le sens dont il rêvait. Ils regagnèrent la voiture, puis lâchant son bras, elle regarda sa montre :

-11h50. On peut essayer de se trouver un restau, qu’est-ce que tu en dis ? Je t’invite.

 

Louis n’y voyant aucun inconvénient et ravi à la perspective d’un déjeuner en tête à tête avec elle, accepta. Ils examinèrent les cartes de plusieurs restaurants avant finalement d’opter pour une pizzéria. Mais, alors qu’il regardait machinalement les autres clients déjà attablés, son cœur marqua un arrêt : Chloé.

Tranquillement assise avec sa famille, sans doute, ne l’avait-elle pas encore vu. Pas du tout remis de son humiliation, il ne pouvait pas envisager de déjeuner dans la même pièce qu’elle, surtout si près et craignait encore, malgré le peu de chances qu’il y avait, qu’elle ne l’humilie encore plus. Il ne le supporterait pas, surtout devant Ophélie…

-Qu’est-ce que t’as ? lui demanda-t-elle soudain, inquiète de le voir soudain pâle alors que même face à Angeline, il semblait plus maître de lui.

-Rien, je… on devrait changer d’endroit.

Elle fronça les sourcils :

-Pourquoi ?

-La carte n’est pas formidable et tu ne vas pas m’inviter à déjeuner, c’est trop et …

-Louis, fit-elle, pas dupe. Qu’est-ce qu’il y a ?

Comprenant qu’il serait vain de nier, Louis se résigna :

-Tu vois la fille blonde assise près du mur à gauche ?

-Oui, et après ?

-C’est... Chloé, la fille qui…

-Ah oui, la garce qui s’amuse à humilier les garçons, cracha-t-elle, acide. Parfait, tu as une occasion en or de lui clouer le bec.

Il la regarda :

-Non, non, mais je n’ai pas envie de …

-Tatata, je ne te demande pas ton avis. Ce qu’elle t’as fait est ignoble et si tu n’y tiens pas, moi, je vais lui faire payer.

-C’est idiot, tu ne la connaît pas, elle ne t’as rien fait et je ne vois pas l’intérêt de se venger. Et puis, qu’est-ce que tu veux faire ?

-Mais rien, tu vas simplement rentrer et demander une table pour deux, ensuite, je fais mon entrée.

Là, Louis était perdu :

-Et alors ?

-Alors ? Quand elle te verras avec moi, j’ose penser que ça va la surprendre.

-Pourquoi ? Qu'est-ce que ça va …

Ophélie se mît à sourire en prenant soudain la main du jeune homme brusquement statufié. Elle intercala ses doigts avec les siens, ce qui le fit rougir. Littéralement bloqué par ce contact et l’idée d’Ophélie, Louis n’arrivait plus à penser.

-Je…, mais… non, enfin, c’est stupide, ça ne peut pas marcher ! Tu penses réellement qu’elle va croire que tu sors avec moi ? Tu t’es vue ? Et, puis, je n’ai jamais eu de copine, je ne sais pas comment me … comporter, je…vais te …faire honte.

-Non, crois-moi, fit-elle simplement, elle va y croire. Et ne t’inquiètes pas, c’est moi qui fais le boulot ! Toi, tu te laisses faire. Bon, on y va ? J’ai faim.

 

Il fallut encore quelques minutes pour que Louis se laisse persuader et il n’était pas encore tout à fait convaincu en entrant dans le restaurant. Il évita soigneusement de regarder dans la direction de Chloé et s’approcha du comptoir.

-Bonjour, monsieur, une table ? demanda un serveur après avoir brièvement levé la tête.

-Oui, merci, pour deux, c’est possible ?

-Bien sûr, suivez-moi, je vous prie.

 

 

Le serveur l’installa, comble de malchance, à deux tables de la jeune fille. Avec un énorme nœud dans le ventre, Louis s’installa, conscient que Chloé l’avait repéré et reconnu. Il la voyait le regarder de temps à autre. Puis, à sa grande stupéfaction, elle se leva et vînt le voir :

-Salut Louis.

-Salut.

-T’es en vacances dans le coin ?

-Oui, heu, toi aussi ?

-Avec ma famille, je passe tout le mois de juillet, ici.

-Ah.

-Tu vas déjeuner avec ta mère ? reprit-elle un ton plus bas. La seule qui accepte de se montrer en public avec toi…

La critique venimeuse scotcha le pauvre garçon tétanisé par cette cruauté qui s’exerçait sur lui et à laquelle il ne s’attendait pas. Au bord du malaise, Louis attendait maintenant impatiemment l’entrée d’Ophélie…qui fut spectaculaire.

La porte s’ouvrit et tous les regards se tournèrent vers la silhouette parfaite, des regards essentiellement masculins. Resplendissante, elle vit Louis et sans la moindre hésitation lui adressa un sourire magnifique, pur et indéniablement sincère. A tel point que même lui y cru, au moins pendant quelques secondes. Elle fit quelques pas avant que le serveur ne vienne à sa rencontre, cette fois avec un large sourire :

-Bonjour mademoiselle, une table ?

D’une voix claire, elle répondit tranquillement :

-Non, je vous remercie, je viens rejoindre mon petit ami. Ah, je le vois.

La sincérité de son ton était évidente et, sous les yeux médusés de Chloé et du reste de l’assistance, elle vînt s’asseoir en face de Louis :

-Excuse-moi, mon cœur, j’avais oublié mon portable. Tu as commandé ?

-Non. Non, pas encore, je… j’ai préféré t’attendre.

Louis, par pur réflexe, avait failli lui répondre par un « ma chérie », mais s’était contenu.

-Un vrai gentleman.

Puis, désignant Chloé, statufiée, qui la dévorait littéralement des yeux :

-Qui est-ce ?

-Heu, Ophélie, je te présente Chloé. On est dans la même classe.

-Ravie de te rencontrer.

-Moi de même, fit Chloé tandis que ses yeux allaient de Louis à Ophélie. Vous êtes… ensemble ?

-C’est un problème ? demanda Ophélie en prenant ostensiblement la main de Louis qu’elle caressa du bout de l’index.

-Non, je… Cela fait longtemps ?

-Pourquoi ? Tu es une de ses ex ?

-Une… ex ? De Louis ? Non.

Puis, sans plus s'occuper d'elle, Ophélie se retourna vers Louis :

-On va déjeuner assez vite, je voudrais te montrer un endroit très spécial…

-D'accord, répondit-il.

-Ça va ? Tu as l'air nerveux…

-Non, mais tu es vraiment très belle…osa Louis dont le cœur tambourinait follement.

Ophélie leva la main de louis et y déposa un léger baiser :

-Merci, murmura-t-elle d'une voix douce qui faillit achever Louis...et Chloé

Eberluée, stupéfaite, elle les fixait toujours. Ce fut seulement quand sa mère la rappela qu'elle sursauta et fila sans dire un mot.

Le repas fut curieux. Ophélie jouait son rôle à la perfection et entraînait Louis dans son sillage. Suivant son exemple, il commençait à oser se comporter comme un petit ami. Il lui souriait, discutait avec elle et se penchait pour chuchoter plus intimement. Et quand il se rendit aux toilettes, il osa poser une main sur l’épaule d’Ophélie qui la recouvrit à son tour de la sienne, dans un geste parfaitement naturel.

Mais, d'un autre côté, pour Louis, ça en devenait presqu'un calvaire. Ainsi c’était donc comme cela qu’elle se comportait avec les chanceux qui sortaient avec elle. Douce, tendre et si naturelle dans ses attitudes, elle irradiait une absolue confiance en elle, faisant prendre confiance à Louis du gouffre qui les séparait. Ce n’était plus simplement une question d’âge ou de différences physiques, non, c’était encore autre chose. Ophélie était à part. Elle était le genre de femmes sur lesquelles on se retournait dans la rue. Le genre de celles que seuls des courageux comme Ethan osait aborder parce qu’ils avaient une parfaite confiance en eux et le physique qui allait de pair. Jamais Louis ne pourrait être à sa hauteur. Si ce repas était sa seule chance d’être en couple avec elle, même pour de faux, il aurait été heureux de l’avoir vécu…

Quand la famille de Chloé s'en alla finalement, après un dernier regard, il ne put s’empêcher d’être déçu. Le jeu était fini. Mais, contre toute attente, elle continua dans son rôle de petite amie. Même une fois dehors, elle ne lâcha pas sa main :

-Si on retombe sur la vipère, murmura-t-elle.

Louis en était évidemment ravi.

Ils avaient un peu d’avance, aussi ne partirent-ils pas directement vers le couvent, mais flânèrent en ville. Le paradis pour Louis qui déambulait avec une fiancée magnifique à son bras et qui pouvait croire, pendant encore quelques minutes, que le rêve était possible.

Mais quand ils arrivèrent devant la façade austère, les sourires s’effacèrent. Louis regarda sa montre. 13h50.

-On sonne ?

Ophélie n’hésita pas et pressa le bouton. Après quelques minutes, ils entendirent des pas et un lourd claquement avant que la porte ne s’ouvre sur une bonne sœur. Brusquement intimidés, ni Louis, ni Ophélie ne parlèrent.

-Je peux vous renseigner ? s’enquit la nonne.

-Oui, se reprit Ophélie. Nous avons un rendez-vous avec la… votre… Mère Supérieure.

-Effectivement, elle m’en a parlé. Suivez-moi, je vous prie.

Toujours aussi intimidés, ils suivirent silencieusement la nonne dans le couvent, bien plus vaste qu’ils ne l’auraient pensé. La grande cour pavée fut suivie par de hauts bâtiments, dont l’intérieur était presque oppressant : murs en lambris, moquette et, évidemment, partout les représentations catholiques de Jésus, Dieu et la Sainte vierge. Les deux adolescents ne parlaient pas, se contentant de se jeter de brefs coups d’oeils. Furtivement, Ophélie attrapait la main de Louis et la pressait. La sentant nerveuse, il osa brièvement passer son bras autour de sa taille et la serrer contre lui. Elle s’y abandonna, avant que Louis ne prenne conscience de ce qu’il faisait et ne la lâche aussitôt. Tu parles d’un timide ! Il avait de plus en plus de mal à s’interdire ce genre de gestes. Même si, pour sa défense, la vengeance exercée à l’encontre de Chloé l’y avait encouragé. Il devait néanmoins garder à l’esprit que ce n’était qu’un jeu. En poussant plus loin, il risquait de tout gâcher. Et puis, faire ça ici, franchement ! Dans un couvent !

 

Leur guide les amena devant une porte de bois et leur demanda de patienter tandis qu’elle en franchissait le seuil. Elle en ressortait moins d’une minute plus tard, suivie par une autre religieuse au visage parcheminé et aux épaisses lunettes. Celle-ci les dévisagea longuement de son regard acier avant de parler :

-Je suppose que c’est vous que j’ai eu au téléphone hier ?

Voyant Ophélie incapable de parler après un tel accueil, Louis prit la parole :

-Oui, ma Mère. Je m’appelle Louis et voici Ophélie.

-Si voulez me suivre dans mon bureau…, fit-elle de son ton sec.

Ils s’installèrent dans des fauteuils tandis que la Mère Supérieure prenait place de l’autre côté :

-Bien, nous sommes à présent en face à face. Puis-je maintenant connaître la raison de votre demande ?

Louis et Ophélie échangèrent un regard. Ce fut la jeune fille qui se lança :

-En fait, Louis est en vacances avec sa famille dans le gîte que tient ma mère. C'est une vieille gentilhommière datant du 17e siècle et en aidant ma mère à faire un peu de rangement, il est tombé sur une malle de vieux dessins réalisés par une Angeline Lesellier en 1836. Il a voulu savoir ce qu'elle était devenue. Et après quelques recherches, nous avons fini par découvrir qu'elle avait été envoyée dans un couvent, peut-être le votre...

-D'où votre demande ?

Louis acquiesça. La religieuse fit passer son regard de l'un à l'autre sans dire un mot.

-Un effort méritoire d'aider ainsi vos hôtes et de prendre sur vos vacances pour aider à ranger. Mais puis-je savoir pourquoi témoigner d'un tel intérêt pour une personne qui n'est pas de votre famille ?

-Elle est de la mienne, intervînt Ophélie.

-Que sont devenus les parents de cette jeune fille ?

-Pardon ?

-Vous dites vous être renseignés sur elle, en bon passionné, vous avez dû aussi essayer de voir ce qu'étaient devenus ses parents…

Louis, sous le regard lourd de la religieuse, avait du mal à rassembler ses pensées :

-Son …père a fait une… crise cardiaque et sa mère est décédée chez… elle, bafouilla-t-il.

-Je vois.

De nouveau le silence oppressant et le regard lourd.

-Si vous me disiez ce qui vous a réellement conduit à faire ses recherches.

-Nous vous l'avons dit, fit Ophélie, d'une voix moins assurée. Elle… Nous…

-Mon enfant, je sens bien que vous me cachez quelque chose. Votre ami est tout rouge et visiblement très nerveux. Alors, dites moi réellement ce qui vous a amené ici.

 

Conformément aux craintes de Louis, la religieuse les avait percés à jour. Il prit une grande inspiration :

-Ce que nous allons vous dire n’est pas facile à comprendre et encore moins à croire, mais je vous assure que nous vous disons la vérité.

Là-dessus, il fit une pause, se tourna vers Ophélie pour s’encourager avant de poursuivre :

-Il se trouve que le gîte de ses parents est … hanté.

-Hanté ? fit la religieuse. Par un fantôme ?

-Oui.

-Vous l’avez vu ?

-A plusieurs reprises, oui.

-Vous aussi, mademoiselle ?

-Comme je vous vois.

-Puis-je savoir à quoi il ressemble ?

-C’est une adolescente habillée d’une robe à carreaux et qui porte de grosses chaussures. Elle a le visage baigné de larmes blanches scintillantes.

La religieuse garda le silence un long moment. Ses mains noueuses étaient croisées et elle semblait ne plus bouger, sauf son regard qui passait toujours de l’un à l’autre.

-Je sais de quoi ça a l’air, mais…

-Et, donc cet esprit daterait de l’année 1836, d’où votre demande…

Ils se regardèrent, interdits, avant qu’Ophélie ne prenne la parole :

-Vous nous croyez ?

-Mon enfant, fit-elle, j’ai 76 ans, je suis religieuse depuis mes 20 ans. J’ai vu suffisamment de choses qui pourraient paraître étrange à beaucoup de monde. Des choses que les gens ignorent et les fantômes en font partie.

-Vous en avez déjà vu ? demanda Louis.

La religieuse hocha la tête :

-À de nombreuses reprises. De plus, pour répondre à votre question, vous me paraissez sincère. Ce qui me surprend en revanche, c’est votre souhait de l’aider. La plupart des gens témoins de ces apparitions partent sans demander leur reste. Alors pourquoi l’aider ?

Louis ne répondit pas tout de suite :

-Je ne saurais trop comment l’expliquer… La première fois, j’ai eu la peur de ma vie, oui, évidemment. Mais, en la revoyant, constamment en pleurs, condamnée à traîner ce chagrin pour l’éternité, non, je ne pouvais pas la laisser comme ça. Et puis, hormis un premier contact brutal, elle s’est toujours montrée d’une façon plus … calme.

La religieuse fronça les sourcils :

-Vous voulez dire que ce fantôme s’est manifesté de plusieurs manières ?

-Oh oui, répondit Louis, paradoxalement plus à l'aise, j’ai tout eu. Elle m’apparait le plus souvent sous son apparence d’adolescente avec sa robe et elle m’attend dans une pièce ou apparaît doucement. Une fois, elle m’a même pris la main.

Disant cela, Louis sentit le regard étonné d’Ophélie.

-Mais, poursuivit-il, je l’ai aussi entendu discuter avec une personne tout aussi invisible.

-Un écho, fit doucement la nonne. C’est un fragment de son passé qu’elle a voulu partager avec vous, pour vous aider à comprendre.

-Il y a aussi un parfum qui flotte avant de disparaître rapidement, reprit Ophélie.

-Sans doute lié à un souvenir où à un lieu qu’elle aimait de son vivant.

-Et enfin, l’épisode de la douche, sa première vraie manifestation. Même si je n’ai vu d’elle que ses empreintes de mains sur la vitre.

-Ses empreintes ?

-Oui, des centaines qui sont apparues d’un seul coup.

-Et n’oublie pas le grand hurlement de l’autre jour, ajouta Ophélie. Parce que malgré ce qu’en dit ma mère, ce n’était certainement pas un courant d’air.

La religieuse les regarda à nouveau l'un après l'autre, les sourcils froncés :

-Je vois. De ce que vous m'en avez dit, cette jeune fille a visiblement un message à faire passer. Une fois celui-ci délivré, elle devrait enfin pouvoir trouver le repos.

-En fait, fit Louis, nous pensons qu'elle ne serait pas une arrière grand-tante d'Ophélie, mais plutôt, son arrière grand-mère.

-Expliquez-moi ça.

Louis raconta donc leurs recherches en détaillant les expressions du fantôme, ce qu'il avait obtenu en posant des questions, parfois Ophélie ajoutait une précision, puis il évoqua ce qu'il avait trouvé sur Sylvestre et leur idée du couvent.

-Je sais que nous n'avons aucune preuve formelle, fit Louis, mais…

-Cela me semble très crédible, fit la religieuse. Et je vous félicite de vos efforts, c'est très louable.

-Vous pensez qu'elle aurait pu être amenée ici contre son gré ? demanda Ophélie.

-A cette époque, oui. C'est très envisageable, surtout si son père avait les moyens de payer.

-Et… vous avez retrouvé les archives ? osa Louis.

-Quand le couvent à brûlé en 1920, les archives ne se trouvaient pas dans les bâtiments détruits, mais dans une dépendance un peu à l'écart.

Ophélie et Louis échangèrent un regard plein d'espoir :

-Donc…

-Nos archives sont complètes, hormis à partir de 1910, sans doute étaient-elles conservées plus près.

-Et, pouvons nous les voir ?

-Naturellement, je vous ais fait amener l'année 1836, fit-elle en indiquant une table où reposait un énorme livre, très ancien à en juger par la couverture crevassée.

 

Les deux jeunes gens se levèrent et s'approchèrent. Louis l'ouvrit précautionneusement et commença à en tourner les pages délicatement, jusqu'à ce qu'Ophélie le stoppe :

-Louis, là, Août 1836.

Sur la page se trouvait une liste de noms avec leur âge, leur ville d'origine et une dot très détaillée.

-Ce sont les bonnes sœurs arrivées au couvent ce mois-ci.

-Il n'y en a que trois, mais aucune Angeline Lesellier, nota-t-elle.

-Peut-être les autres mois… fit Louis en tournant les pages.

Malheureusement, force était de constater que le nom de l'aïeule d'Ophélie n'apparaissait nulle part.

-Zut, fit-elle, profondément déçue.

-Etes-vous sûrs qu'il s'agisse bien de cette période ? fit la religieuse.

-Certains, oui, puisque c'est à cette époque que Sylvestre à été incarcéré, sans doute parce qu'il cherchait à revoir sa bien aimée de façon trop insistante.

-Donc, le père d'Angeline l'aurait fait enfermer le temps d'éloigner sa fille.

-C'est ce que nous pensons.

-Effectivement, c'est possible. Regardez parmi les noms du mois d'août, reprit-elle après un temps de réflexion. Si elle était enceinte à ce moment là, le père a du verser beaucoup d'argent pour qu'elle soit acceptée et que les bonnes sœurs de l'époque ne la fassent vivre en recluse.

-C'est horrible, murmura Ophélie, bouleversée par le destin terrible de ses jeunes femmes.

-C'était malheureusement monnaie courante à l'époque, mon enfant.

-Apparemment, elle n'a pas été amenée ici, conclut Ophélie.

Découragés, ils se relevèrent.

 

-Et si… commença Louis.

-Si quoi ? le pressa Ophélie.

-C'est probablement chercher trop loin, mais on sait que la réputation du père d'Angeline comptait beaucoup. Il n'a peut-être pas voulu qu'on puisse remonter jusqu'à lui…

-Et ? demanda Ophélie.

-Vous pensez qu'il aurait changé le nom de sa fille ? intervint la religieuse.

-Est-ce que se serait si surprenant à l'époque ?

-Je ne sais pas, c'est vrai que c'est possible, mais …

-Regardez ! fit Ophélie. Là. Ernestine Levallier de Saint-Jean-du-Gard, 17 ans.

-Cela vous dit quelque chose ?

-Ernestine était le nom de sa mère et la maison ne se trouve qu'à quinze kilomètres de Saint Jean.

-Sans compter qu'entre Lesellier et Levallier… ajouta Louis. D'autant qu'elle a une dot conséquente et que l'âge correspond.

-Si elle était enceinte, il a fallu qu'il paye. A fortiori, s'il voulait récupérer l'enfant, admit la Mère Supérieure. Mais, la piste semble bien fragile. Ne vous emballez pas trop.

-Y a-t-il un moyen de savoir ce qu'est devenue cette Ernestine Levallier ?

-Elle a du finir ses jours ici.

-Donc, nous n'avons aucun moyen de confirmer ou d'infirmer nos hypothèses, fit Louis.

-Ce n'est pas ça qui nous arrêtent habituellement, remarqua Ophélie.

-Votre amie a raison, autant explorer cette piste jusqu'au bout. Attendez, fit-elle en tournant quelques pages. Voilà, Ernestine Levallier a pris le nom de Sœur Clémence.

-On a sa date de décès ?

-Non, en revanche, les bonnes sœurs décédées de l'ancien couvent ont étés déplacées dans le cimetière municipal après l'incendie.

-Donc, si nous trouvons sa tombe…

-Vous aurez son âge. J'admets que cela ne vous aidera pas beaucoup à confirmer vos théories, mais cela nous donnera une bonne indication.

 

Tous se relevèrent indécis.

 

-Que fait-on ? demanda Louis. On essaie de creuser la piste ?

-Evidemment, fit Ophélie. Ma Mère, pouvez-vous nous indiquer la route pour le cimetière ?

-Je vais faire mieux que ça, je vais vous accompagner.

-Vraiment ?

-Cette histoire m'intrigue et en tant que religieuse, mon devoir est d'aider cette pauvre âme à trouver le repos.

-Merci infiniment, fit Ophélie, visiblement émue.

La religieuse sourit :

-Allez m'attendre devant le portail, je vais chercher ma voiture.

Les deux adolescents retraversèrent le couvent en souriant. Ils savaient tous les deux que cette piste était extrêmement fragile et pouvait aussi bien n'être qu'un feu de paille, mais quelque chose les incitaient à y croire. Et comme l'avait dit Ophélie : depuis le début, ils n'avançaient qu'avec des suppositions et s'étaient peut-être trompés du tout au tout.

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Jowie
Posté le 30/09/2018
Salut Sid, me revoilà comme d'hab' ;-)
Louis a complètement oublié que Ophélise est la copine d'Ethan, on dirait xD Il n'a pas l'air de ressentir des remords. Quand à Ophélie et à Ethan, la manière dont ils se comportent me donne l'impression que soit ils ont un accord entre eux (du genre : « on ne sort plus ensemble » ou alors « il n'y a rien à craindre avec Louis ») À voir comment tout cela évolue par la suite.
Oh là là, Chloé qui débarque ! Je ne voyais pas du tout ça venir ! Quelle situation embarrassante pour Louis ! En tout cas, j'ai trouvé super comme Ophélie lui a cloué le bec ! Elle était si impliquée dans son rôle ! Si impliquée en effet que notre pauvre Louis ne sait plus ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas...et moi non plus, je dois l'avouer !
En tout cas, c'était intéressant de suivre le duo au couvent pour leurs recherches. J'admets qu'à un moment, la bonne sœur allait leur rire au nez et les mettre à la porte, mais elle les croit, c'est super ! Elle me paraît gentille et je me réjouis de la retrouver dans le prochain chapitre:) D'ailleurs, j'aime beaucoup les différentes étapes de l'enquête d'Ophélie et de Louis qui sont sans cesse confrontés à des obstacles (comme le fait qu'Angeline a dû changer de nom, par exemple). Ça rend l'aventure d'autant plus réaliste et crédible, bien joué !
REMARQUES
Qu’est-ce que ça te vas bien → va
Quand elle te verras avec moi → verra
Ophélie se mît à sourire → mit
Et ne t’inquiètes pas → t'inquiète
elle se leva et vînt le voir : → vint
elle vînt s’asseoir → vint
la Sainte vierge → Sainte-Vierge
intervînt Ophélie. → intervint
Etes-vous sûrs → Êtes-vous
 
sidmizar
Posté le 30/09/2018
Salut Jowie !
C'est super de te voir toujours fidèle au poste ! 
J'avoue que le triangle Ethan-Ophélie-Louis sera à retravailler, certains comportements et attitudes ne sont clairement pas crédibles.
Quant à Chloé, je tiens vraiment à cette scène où elle tombe des nues en croisant Louis avec Ophélie, même si notre Louis ne sait plus où il en est, ni ce qu'il doit en penser.   
je suis très content que tu apprécies les différentes étapes de l'enquête, c'était une de mes angoisses majeures. 
Oui, la bonne soeur les croit, j'ai hésité à la montrer plus "sceptique" devant l'histoire de nos héros, mais j'aime bien l'idée qu'elle a croit aux fantômes et qu'elle les aide quand elle le peut. 
Allez, hop, je file à ton prochain com' ! 
 
Anna
Posté le 21/04/2017
Franchement, un excellent chapitre ! 
Non seulement c'est une bonne idée que ce "jeu" pour se venger de Chloé, mais tu n'as pas trop insisté sur l'émoi du jeune homme, ni sur les action d'Ophelie. Ça passe tout seul, c'est très credible.
J'ai apprécié que la mete supérieur soit compréhensive. Elle me fait un peu penser a mcGonagal ! (En tout cas je l'imagine comme elle).
Donc, j'ai beaucoup aimé cette lecture ! Vivement la suite; )
sidmizar
Posté le 21/04/2017
Salut Anna !
Ravi que mon histoire continue de te plaire, c'est toujours très gratifiant de recevoir un com' dès le chapitre publié. Merci !
Pour la vengeance envers Chloé, je ne voulais effectivement pas trop insister comme dans le chapitre au bord du lac où l'attitude d'Ophélie avait été trop "directe". Je suis donc soulagé que tu trouves cette scène crédible. La mère supérieure est compréhensive, car elle a déjà eu l'occasion de croiser des fantômes et le récit de Louis et Ophélie la convainc qu'ils disent la vérité. McGonagal... Oui, tiens, je n'avais pas fais le rapprochement, mais, effectivement, il y a un peu de ça.
À bientôt pour la suite ! 
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