Petit, pris d’un vertige, il serrait les paupières
Et ses yeux tapissés contemplaient des aurores ;
Ces fantômes coulaient entre la chair et l’or
Et semblaient faire tourner ses globes oculaires.
A mesure, profonde, montait une rumeur
Qu’il voulait être celle du sang dans ses vaisseaux,
Sentant rouler en lui comme entre des tasseaux
Son cœur que décrochait l’excès d’une langueur.
Puis, les yeux écorchés, il observait la nuit
Qui passait un grand bras dans sa gorge d’enfant,
Ainsi semblable aux lèvres de ses vieux parents,
Abouchant à sa bouche le vent d’un ancien puits.
Au matin, la lumière enfonçait ses pupilles
Et brisait en morceaux cornées et cristallins.
Des éclats et des stries couvraient alors le tain
Où se réfléchissait un monde plein d’esquilles.
Triste métamorphose, ainsi qu’une lettrine,
Elle rendait monstrueux les tout premiers moments,
Et le ciel paraissait s’écouler doucement
Comme filtre le sang sous une guillotine.
* * *
La main noire de la nuit, emportant son drapeau,
Laissait quelques épines autour de ses entrailles ;
Ce retors parturient d’un inhumain travail,
Se tassait en lui-même ainsi qu’un écheveau,
Cherchant à arracher les échardes de vent
Aux chairs qu’il meurtrissait avec ses propres dents.
Il était aussi bien la planche que l’étau,
Vertigineux Python, hybridé de Léto.
Je reviens passer une tête par ici pour continuer tranquillement ce voyage dans ton recueil -
C'est beau, c'est intense, c'est saisissant aux tripes ces visions d'un enfant apparemment assailli par ses cauchemars. Oui, je trouve cette retranscription belle - paradoxalement - alors que ce sont ici des terreurs qui s'expriment dans toute leur crudité. Mais bon, le travail littéraire et artistique en général a cela de fort, que de procurer une certaine émotion esthétique même avec ce qu'il y a de plus glaçant.
Coup de coeur particulier pour certains passages, comme :
"Ces fantômes coulaient entre la chair et l’or" (c'est digne d'un retable baroque, avec des squelettes, des spectres etc, mais dans leurs écrins dorés, l'effroi qui rencontre l'or).
"Qu’il voulait être celle du sang dans ses vaisseaux," (le rythme et les sifflantes ici, wow. Cela rend bien comme une morsure. Par contre j'ai compté 13 syllabes - rapport au E sonore de "celle" avant consonne - c'est voulu cette distorsion ?)
"Qui passait un grand bras dans sa gorge d’enfant,
Ainsi semblable aux lèvres de ses vieux parents,
Abouchant à sa bouche le vent d’un ancien puits." (J'aime ! Particulièrement horrifique et dérangeant ce moment, sans doute par ce rapport on ne peut plus direct au corps - avec cette intrusion non désirée et ce lien à l'oralité mais dans ce qu'elle a de plus malaisante - connectée en plus aux parents, brrrr !)
"Vertigineux Python, hybridé de Léto." (Quel envoi ! Vertige et aspiration, c'est en effet ce qui reste à la fin de la lecture.)
Encore bravo ! Toujours un réel plaisir de passer te lire !
À bientôt
Ah et même chose pour Agrippa, c'est un auteur de la transition XVIe - XVIIe qui m'intéresse beaucoup pour les mêmes raisons que toi
C'est très jolie et lent pour savourer chaque mot. On voit les rimes. Cependant je ne comprends pas pourquoi le poème est coupé en deux. Sinon la comparaison de la nuit à la mort ou quelque chose de lugubre est très bien trouvé.
Tu es vraiment un prof ?