Petit, pris d’un vertige, il serrait les paupières
Et ses yeux tapissés contemplaient des aurores ;
Ces fantômes coulaient entre la chair et l’or
Et semblaient faire tourner ses globes oculaires.
A mesure, profonde, montait une rumeur
Qu’il voulait être celle du sang dans ses vaisseaux,
Sentant rouler en lui comme entre des tasseaux
Son cœur que décrochait l’excès d’une langueur.
Puis, les yeux écorchés, il observait la nuit
Qui passait un grand bras dans sa gorge d’enfant,
Ainsi semblable aux lèvres de ses vieux parents,
Abouchant à sa bouche le vent d’un ancien puits.
Au matin, la lumière enfonçait ses pupilles
Et brisait en morceaux cornées et cristallins.
Des éclats et des stries couvraient alors le tain
Où se réfléchissait un monde plein d’esquilles.
Triste métamorphose, ainsi qu’une lettrine,
Elle rendait monstrueux les tout premiers moments,
Et le ciel paraissait s’écouler doucement
Comme filtre le sang sous une guillotine.
* * *
La main noire de la nuit, emportant son drapeau,
Laissait quelques épines autour de ses entrailles ;
Ce retors parturient d’un inhumain travail,
Se tassait en lui-même ainsi qu’un écheveau,
Cherchant à arracher les échardes de vent
Aux chairs qu’il meurtrissait avec ses propres dents.
Il était aussi bien la planche que l’étau,
Vertigineux Python, hybridé de Léto.
Quoi qu'il en soit, tes vers sont très beaux et très recherchés, ce qui, encore une fois, te vaut toute mon admiration !
Merci pour ces superbes textes !
Je n’ai pas trop l’habitude de la poésie, pour tout dire à part Baudelaire, Rimbaud, et Eluard je n’en ai jamais vraiment lue, mais je suis ravi’e que les HOs m’amènent par ici pour me faire découvrir de nouvelles plumes !
Premier poème :
« Il avait le droit // C’était lui le clown »
Le lien logique sous-entendu entre ses deux vers fonctionne tellement bien...
« Et je ne regardais pas le taureau mourir »
Ah, j’avais pas tout de suite fait le lien entre le « spectacle pas pour le enfants » et la corrida, mais oui, les fêtes de la Madeleine... et ça rend cette conclusion d’autant plus intéressante : au final c’est comme avec le clown, un divertissement qui ne peut se comparer à ce que le narrateur souhaite vraiment, seulement en plus « adulte » et sanglant...
Deuxième poème :
Bon du coup je ne sais pas quels morceaux sont inspirés ou non, mais en tous cas j’aime particulièrement ces vers-là :
« Mais c’est à ta propre fin // Que tu mis le point d’une balle »
« Mais le tapis des étoiles qu’Il cousait // À ta propre peau // C’était le baiser qu’à la guerre // Les hommes ont aux lèvres en mourant »
Et puis le tout dernier aussi...
Troisième poème :
J’ai peut-être eu un peu plus de mal à lire celui-là ? Mais en tous cas, mention spéciale à « Où se réfléchissait un monde plein d’esquilles. » en partie parce qu’ « esquilles » est, je trouve, un bien joli mot avec des sonorités aussi coupantes que les arêtes qu’il évoque :P
J’aime beaucoup ta plume en tous cas, c’est super fluide et je n’ai jamais eu l’impression que tu choisissais les mots pour les faire rentrer dans le moule de la forme (pour tout dire, j’ai même dû aller vérifier si ça rimait bien, ça faisait de jolis échos naturels à mes oreilles ^^) – tout sonnait très juste. J’aime tout particulièrement le mélange entre ce style assez délicat, et puis le format de la poésie en général, avec des images parfois très graphiques et violentes ; à mon sens ça fonctionne très très bien !
Wow ce poème est très fort, avec des images puissantes. Les cauchemars de l'enfant sont une mine d'or d'inspiration dont tu tires profit ici. Il y a de très belles trouvailles dans les tournures de phrase, je t'ai mis mes passages préférés en-dessous. Intéressant aussi de découper ce poème en deux, pour marquer une rupture. C'est un procédé inhabituel dans ce genre.
Mes passages prefs :
"Puis, les yeux écorchés, il observait la nuit Qui passait un grand bras dans sa gorge d’enfant"
"Et le ciel paraissait s’écouler doucement Comme filtre le sang sous une guillotine."
Un plaisir d'avoir découvert ces gammes poétiques, j'ai passé un chouette moment !
A bientôt (=
Chouette de découvrir les inspirations derrière ce texte (=
Je reviens passer une tête par ici pour continuer tranquillement ce voyage dans ton recueil -
C'est beau, c'est intense, c'est saisissant aux tripes ces visions d'un enfant apparemment assailli par ses cauchemars. Oui, je trouve cette retranscription belle - paradoxalement - alors que ce sont ici des terreurs qui s'expriment dans toute leur crudité. Mais bon, le travail littéraire et artistique en général a cela de fort, que de procurer une certaine émotion esthétique même avec ce qu'il y a de plus glaçant.
Coup de coeur particulier pour certains passages, comme :
"Ces fantômes coulaient entre la chair et l’or" (c'est digne d'un retable baroque, avec des squelettes, des spectres etc, mais dans leurs écrins dorés, l'effroi qui rencontre l'or).
"Qu’il voulait être celle du sang dans ses vaisseaux," (le rythme et les sifflantes ici, wow. Cela rend bien comme une morsure. Par contre j'ai compté 13 syllabes - rapport au E sonore de "celle" avant consonne - c'est voulu cette distorsion ?)
"Qui passait un grand bras dans sa gorge d’enfant,
Ainsi semblable aux lèvres de ses vieux parents,
Abouchant à sa bouche le vent d’un ancien puits." (J'aime ! Particulièrement horrifique et dérangeant ce moment, sans doute par ce rapport on ne peut plus direct au corps - avec cette intrusion non désirée et ce lien à l'oralité mais dans ce qu'elle a de plus malaisante - connectée en plus aux parents, brrrr !)
"Vertigineux Python, hybridé de Léto." (Quel envoi ! Vertige et aspiration, c'est en effet ce qui reste à la fin de la lecture.)
Encore bravo ! Toujours un réel plaisir de passer te lire !
À bientôt
Ah et même chose pour Agrippa, c'est un auteur de la transition XVIe - XVIIe qui m'intéresse beaucoup pour les mêmes raisons que toi
C'est très jolie et lent pour savourer chaque mot. On voit les rimes. Cependant je ne comprends pas pourquoi le poème est coupé en deux. Sinon la comparaison de la nuit à la mort ou quelque chose de lugubre est très bien trouvé.
Tu es vraiment un prof ?