La Nuit et l'enfant

Petit, pris d’un vertige, il serrait les paupières

Et ses yeux tapissés contemplaient des aurores ;

Ces fantômes coulaient entre la chair et l’or

Et semblaient faire tourner ses globes oculaires.

 

A mesure, profonde, montait une rumeur

Qu’il voulait être celle du sang dans ses vaisseaux,

Sentant rouler en lui comme entre des tasseaux

Son cœur que décrochait l’excès d’une langueur.

 

Puis, les yeux écorchés, il observait la nuit

Qui passait un grand bras dans sa gorge d’enfant,

Ainsi semblable aux lèvres de ses vieux parents,

Abouchant à sa bouche le vent d’un ancien puits.

 

Au matin, la lumière enfonçait ses pupilles

Et brisait en morceaux cornées et cristallins.

Des éclats et des stries couvraient alors le tain

Où se réfléchissait un monde plein d’esquilles.

 

Triste métamorphose, ainsi qu’une lettrine,

Elle rendait monstrueux les tout premiers moments,

Et le ciel paraissait s’écouler doucement

Comme filtre le sang sous une guillotine.

 

* * *

 

La main noire de la nuit, emportant son drapeau,

Laissait quelques épines autour de ses entrailles ;

 

Ce retors parturient d’un inhumain travail,

Se tassait en lui-même ainsi qu’un écheveau,

Cherchant à arracher les échardes de vent

Aux chairs qu’il meurtrissait avec ses propres dents.

 

Il était aussi bien la planche que l’étau,

Vertigineux Python, hybridé de Léto.

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JeannieC.
Posté le 10/03/2024
Salutations !
Je reviens passer une tête par ici pour continuer tranquillement ce voyage dans ton recueil -
C'est beau, c'est intense, c'est saisissant aux tripes ces visions d'un enfant apparemment assailli par ses cauchemars. Oui, je trouve cette retranscription belle - paradoxalement - alors que ce sont ici des terreurs qui s'expriment dans toute leur crudité. Mais bon, le travail littéraire et artistique en général a cela de fort, que de procurer une certaine émotion esthétique même avec ce qu'il y a de plus glaçant.
Coup de coeur particulier pour certains passages, comme :
"Ces fantômes coulaient entre la chair et l’or" (c'est digne d'un retable baroque, avec des squelettes, des spectres etc, mais dans leurs écrins dorés, l'effroi qui rencontre l'or).
"Qu’il voulait être celle du sang dans ses vaisseaux," (le rythme et les sifflantes ici, wow. Cela rend bien comme une morsure. Par contre j'ai compté 13 syllabes - rapport au E sonore de "celle" avant consonne - c'est voulu cette distorsion ?)
"Qui passait un grand bras dans sa gorge d’enfant,
Ainsi semblable aux lèvres de ses vieux parents,
Abouchant à sa bouche le vent d’un ancien puits." (J'aime ! Particulièrement horrifique et dérangeant ce moment, sans doute par ce rapport on ne peut plus direct au corps - avec cette intrusion non désirée et ce lien à l'oralité mais dans ce qu'elle a de plus malaisante - connectée en plus aux parents, brrrr !)
"Vertigineux Python, hybridé de Léto." (Quel envoi ! Vertige et aspiration, c'est en effet ce qui reste à la fin de la lecture.)

Encore bravo ! Toujours un réel plaisir de passer te lire !
À bientôt
Paul Genêt
Posté le 10/03/2024
Bonjour JeannieC, merci beaucoup pour ton message et ton écoute attentive de ces gammes. J'ai été un peu pris ces jours derniers mais je vais reprendre ma lecture de vos Chemins sous peu. Tu as raison, les motifs du baroque, en particulier ceux d'une certaine poésie baroque, imprègnent mes textes. Tu le sentiras plus encore dans "A l'école de la Chute" par exemple. Je suis notamment un grand admirateur des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné. Le premier vers qui retient ton attention ("Ces fantômes coulaient entre la chair et l'or") tente de décrire les formes colorées qu'on perçoit les yeux fermés et qui semblent "couler" entre la chair de la paupière et l'or de l'iris. Le second renvoie à cette hyper vigilance caractéristique de l'état d'anxiété qui conduit à sur-interpréter tout ce qu'on ressent comme des signes d'une faillite du corps. Le troisième passage que tu mentionnes est effectivement très violent. C'est ici l'image d'une maladie de l'âme, d'un désespoir sans fond qui est comme transmis à l'enfant à travers ce vent qui vient des profondeurs. Enfin, j'ai convoqué la mythologie pour conclure ce texte parce qu'elle me permettait de montrer à quel point l'enfant devient finalement son propre bourreau. Il est à la fois celui qui souffre et celui qui fait souffrir, un héautontimorouménos de sept ans pour poursuivre le thème de l'hybridation. Oh, et j'oubliais : oui, je m'affranchis des règles de la versification concernant le "-e". Je cherche à provoquer chez mon lecteur une lecture instinctive, qui lui permette de retrouver le rythme de l'alexandrin en pratiquant les élisions quand elles sont nécessaires. Mais j'admets que cela peut s'avérer troublant pour les lecteurs habitués à la lecture d'une poésie que je qualifierais, pour faire vite, de classique.
JeannieC.
Posté le 20/03/2024
Aucun problème de mon côté avec les petites irrégularités de versification, au contraire ! Je relevais au cas où ce soit une coquille, mais si c'était souhaité, à la bonne heure :D

Ah et même chose pour Agrippa, c'est un auteur de la transition XVIe - XVIIe qui m'intéresse beaucoup pour les mêmes raisons que toi
Fannie
Posté le 17/06/2020
Ces vers sont beaux et très imagés. Mais en les lisant, je me sens dépaysée face à des images qui semblent étrangères à mon esprit. Ces visions doivent être terribles, surtout pour un enfant.
Paul Genêt
Posté le 17/06/2020
Pour être précis, ces images sont les transcriptions littéraires a posteriori de sensations d'angoisse dans l'enfance. Ton commentaire me fait toucher la limite d'une certaine forme d'écriture : il est difficile de partager une expérience intérieure, même transformée par le langage poétique. Quand je me relis, je sais exactement à quoi correspondent ces images qui, pour toi, peuvent logiquement paraître étrangères. Il y a peut-être, malgré la littérature, des noirceurs au fond de nous qui resteront toujours incommunicables. Quoi qu'il en soit, les traduire dans un poème permet de les mettre à distance, de les considérer comme des objets et non plus seulement comme faisant partie de soi. C'est une source d'apaisement.
Loura
Posté le 19/01/2020
Salut,
C'est très jolie et lent pour savourer chaque mot. On voit les rimes. Cependant je ne comprends pas pourquoi le poème est coupé en deux. Sinon la comparaison de la nuit à la mort ou quelque chose de lugubre est très bien trouvé.

Tu es vraiment un prof ?
Paul Genêt
Posté le 19/01/2020
Bonsoir Loura, merci pour ton commentaire. Le poème est en deux parties parce que la première évoque des souvenirs d'angoisses d'enfance en essayant de retrouver la façon dont elles étaient perçues à l'époque tandis que la deuxième adopte un point de vue plus rétrospectif. Et pour répondre à ta question, oui, je suis vraiment prof ! Bonne soirée à toi.
Loura
Posté le 20/01/2020
Ah d'accord, maintenant que tu le dis je comprends mieux la séparation au milieu du poème. Juste comme ça, tu es prof dans quel matière et à quel niveau ?
Paul Genêt
Posté le 20/01/2020
Bonsoir Loura, je suis professeur de français en collège. Mais cette année, je suis en congé de formation afin de préparer un concours donc je n'ai pas de classe en charge. Je suis redevenu étudiant !
Loura
Posté le 20/01/2020
D'accord, moi je suis étudiante mais j'aimerai être prof d'histoire.
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