Une vieille venait, dans sa solitude,
D’adopter une perruche aux ailes bleutées
Qu’elle maintenait innocemment en servitude
Dans une belle cage aux grands barreaux dorés.
Mais l’oiseau flamboyant, pour le plus grand malheur
De sa maîtresse et de ses fragiles tympans,
Du soir au matin, à chaque instant, à toute heure,
Gonflait sa gorge et faisait résonner son chant.
La vieille, qui en sentait trembler sa carcasse,
Se lamentait : « Mon Dieu, comme elle jacasse !… »
Alors, dans l’espoir de faire plus harmonieux
Le cri de son infatigable compagne,
Elle alla chez un artisan astucieux
Qui, moyennant grasse paie, d’une experte poigne,
Fabriqua de ses mains, petites et habiles,
Une guitare minuscule, aux belles courbes,
À la taille de l’oiseau à l’affreux babil.
Il lui fit même un plectre, n’étant pas fourbe,
Et donna le tout à sa cliente conquise
Qui rentra aussitôt tester la marchandise.
La perruche, pleine de bonne volonté,
Prit avec grand soin l’objet entre ses plumes
Et fit de son mieux pour faire s’élever
Une musique légère comme l’écume.
Mais sitôt qu’elle entame un petit air de fête,
Ça grince comme de vieilles pies en horde.
C’est que les pauvres ailes de l’oiseau sont faites
Pour planer, parader, pas pour gratter des cordes.
« Arrête vite cette horrible sarabande !
Elle ne va pas tarder à me foutre les glandes… »
Alors la vieille poursuit sa tournée,
Demandant de l’aide de boutique en boutique,
Et s’arrête un matin chez un métallier,
Spécialiste des instruments de musique.
Il lui propose un très vieux gong en bronze
Qui aurait, raconte-t-on, servi autrefois,
Dans une abbaye fermée en 1911,
À faire résonner les heures des repas.
La vieille se prend à rêver, sur sa canne,
D’une perruche bavarde comme un moine.
Le volatile, comme il veut lui faire plaisir,
La regarde accrocher aux grands barreaux dorés
Ce bidule étrange dans lequel il se mire,
Et sur ses conseils, il se met à tapoter.
Alors le vacarme le plus épouvantable
Jaillit de la belle cage et c’est le chaos,
Qui fendille la vitre et fait trembler la table.
La vieille, désemparée, arrête l’oiseau.
« Mes oreilles sont à deux doigts de la fracture !
Dire qu’il faut encore payer la facture… »
Et le gong détesté rejoint rapidement
L’infernale guitare aux cordes délaissées.
La perruche enfin débarrassée, en gonflant
Ses belles plumes d’azur, se met à chanter.
Après tout ce qu’ont subi ses pauvres oreilles,
Ses cris et ses caquetages qui virevoltent
Sont presque un enchantement pour la vieille,
Qui sourit, haussant des épaules désinvoltes :
« Allez, va ! Piaille donc autant que tu veux ;
C’est ainsi que je te supporte le mieux… »
J'ai énormément aimé ce poème dont la fin m'a beaucoup fait sourire ! Tu as un sacré vocabulaire et ton écriture rend vraiment le poème très agréable à lire. L'imagerie est vraiment rigolote et les personnages attachants.
Hâte de lire la suite !
Pinky Nuage