La pipe

Par Kieren

« Cette pipe était détenue par un vieux géant solitaire. Je l'avais rencontré alors que je poursuivais l'ombre, j'avais alors 16 ans. Elle s'était faufilée par la fenêtre du dernier étage, mais avec la montée des eaux, c'était devenu le rez de chaussée.

 

Il y avait beaucoup de rumeurs concernant ce géant qui habitait là, la principale était qu'il mangeait les enfants d'un appétit d'ogre. Je me dis que j'étais trop grand pour être mangé et de toutes manières je poursuivais déjà un spectre, un deuxième monstre ne me faisait pas peur. Je pénétrai par la fenêtre.

 

À l'intérieur, je vis un fauteuil rouge et son propriétaire installé dessus, entrain de lire. En effet, il était gigantesque. Assis, il était obligé d'être courbé pour éviter de toucher le plafond de sa tête, et celui-ci était déjà très haut. Le géant avait une barbe qui tombait par terre et qui s'enroulait autour de son fauteuil, elle tapissait toute la pièce, formant un tapis. Et, sans quitter son livre des yeux, il prit une bouffée de sa pipe, et demanda d'une voix venue des confins des temps, qui troublait sa lecture en marchant ainsi sur sa barbe.

Je remarquai mon erreur et m'en excusai. Je me présentai et lui demandai s'il avait vu une ombre passer par là.

Il ne l'avait pas vu, il me demanda depuis combien de temps je la cherchais.

Je lui répondis 9 ans.

Il s'esclaffa en remarquant que je poursuivais un train que j'avais raté. Peut être même allait-il dans la direction opposée.

Vexé, je m'apprêtais à partir lorsque son bras démesuré me retint doucement. Il s'excusa devant son impétuosité et qu'il ne remplissait pas son rôle d'hôte. Il me demanda si j'avais soif et si je voulais manger. J'acceptai volontiers. Sans quitter son fauteuil il étendit son bras jusqu'à une pièce voisine et rapporta un bol de biscuit et un verre de lait. Je lui demandai s'il y avait des enfants dans les biscuits. Il rit en me disant que non, pas cette fois-ci.

 

Nous discutâmes longtemps. Je m'émerveillai devant sa bibliothèque qui recouvrait tous les murs de la pièce. Alors il écarta un peu sa barbe et me révéla un trou dans le sol, où clapotait l'eau de la mer. Il me confia que sa maison était très grande et très haute, que chaque mur était tapissé de lecture, et qu'il avait lu bon nombre de livre dans sa vie. Il avait commencé dès sa plus tendre enfance, au rez de chaussé, et au fur et à mesure qu'il grandissait, il montait les étages. Mais aujourd'hui, il ne pouvait plus les descendre, l'eau avait tout recouvert. Hors, prit de nostalgie, il rêvait de relire les livres de son enfance, tout en bas de la maison.

 

Alors sans mot dire, je sortis ma canne à pêche, j'accrochai un biscuit à l'hameçon, et je l'envoyai au travers du trou. Nous attendîmes longtemps, le grand-père et moi. Lorsque soudain, quelque chose tira sur mon fil. En remontant ma ligne, le géant se tritura la barbe, remplis d'appréhension. C'est alors que des livres sortirent de l'eau.

 

Le barbu sourit, les attrapa délicatement, prit une bouffé de sa pipe et souffla sur les documents de son enfance. Ceux ci séchèrent instantanément. J'avais le temps et la compagnie était bonne, alors nous renouvelâmes l'opération plusieurs fois.

 

À la fin de la journée, il me serra la main avec respect, me donna sa pipe et se replongea dans sa lecture.

 

Puis, ses yeux brillèrent d'un petit éclat de mélancolie, même si son sourire en disait autrement. »

 

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