La Poursuite

   Tandis que le trio longeait la longue rue d’Haymarket que leur avait indiqué Spield, Faye arborait une mine guillerette et chantonnait l’air que le musicien et elle venaient de jouer à l’unisson. Sofia et Aidan s’échangèrent un regard amusé. Regard qui n’avait pas échappé à Faye. Celle-ci leur demanda ce qu’ils avaient.

   -Non, rien, répondit Aidan dont le sourire fendu le trahissait.

   Au bout de quelques instants, Sofia, Aidan et Faye arrivèrent Whitehall Place et aperçurent la bâtisse de Scotland Yard, dressée tout le long de son corps fait de briques blanches et surplombé d’une enseigne noire sur laquelle s’étalait « Metropolitan Police Service ». 

   Tandis que le trio s’apprêtait à monter les marches du perron, Sofia dit à Aidan :

   -J’espère qu’on ne tombera pas sur…

   -Vous ! pesta une voix brutale.

   A cet instant, Sofia vit Ascott sortir de la bâtisse et descendre les marches. Comme à son habitude, il avait les traits tirés par une infatigable colère qui semblait ne pas vouloir se dissocier de son visage. Il était accompagné par le jeune agent Jameson.

   -Je vais finir par croire que vous me coller comme des sangsues ! vitupéra-t-il à l’encontre de Sofia et Aidan.

   « Personne de sensé n’aurait envie de coller un rabat-joie comme vous » failli s’extraire de la gorge de Sofia. Mais elle parvint à retenir ces mots, ayant conscience qu’il lui serait difficile d’enquêter derrière les barreaux. 

   -Fichez-moi le camp immédiatement ! Vous n’avez rien à faire ici !

   -On a encore le droit d’arpenter les rues de Londres il me semble, non ? s’indigna Sofia. La ville ne vous appartient pas pour autant que je sache.

   -Miss Snow, votre insolence finira un jour par vous causer de sérieux ennuis !  

   -Tant que ce jour n’est pas aujourd’hui, ça me va pour l’instant. De toute façon, ce n’est pas vous que nous venions voir mais l’agent Jaw.

   -Eh bien il se trouve que Jaw est parti investiguer sous mes ordres à Hyde Park alors vous ne le trouverez pas ici ! Maintenant, Jameson, faites-moi décamper ces impertinents et au plus vite ! J’ai d’autres chats à fouetter !

   Puis Ascott fit demi-tour et regagna l’intérieur de Scotland Yard.

   -Quel bourreau ! dit Sofia à Jameson. Il est vraiment infernal !

   Jameson décrocha son carnet, écrivit quelque chose et le remis à Sofia. 

   - « Il ne faut pas en vouloir à l’inspecteur. Depuis la cavale de Néhémie Wilson et le décès d’un membre de la Chambre des Lords, il reçoit beaucoup de pression de la part du gouvernement. Et aujourd’hui, il est particulièrement de mauvaise humeur car il a lu l’article du Times qui a désigné la police de Scotland Yard incompétente quant au maintien de la sécurité de la ville. Pourtant, nous faisons tout ce que nous pouvons pour arrêter la meurtrière de Lord Nimbert et Laureen Leemoy ».

   A cet instant, Sofia, eut une idée. Lorsqu’elle avait rencontré Jaw et Jameson pour la première fois, dans la maison de son père à Chesbury, elle avait tenté un coup de bluff envers ces derniers afin d’obtenir les réponses qu’elle voulait et cela avait été fructueux. Elle décida de réitérer ce procédé.

   -Et qu’est-ce qui vous fait dire que la meurtrière de Nimbert est aussi celle de Leemoy ? Est-ce parce que les deux ont été tuée d’une fléchette empoisonnée ou bien…parce qu’une carte de jeu a été retrouvée dans leur poche ?

   Un air de stupéfaction se peignit sur le visage de Jameson. Il griffonna à nouveau quelque chose.

   « Comment êtes-vous au courant pour la carte de jeu retrouvée dans la poche de Nimbert ? »

   Le cœur de Sofia loupa un battement. Jameson venait de répondre à la question cruciale que se posait Aidan, Faye et elle.
   -Eh bien…Lors de la Fête des Merveilles, j’ai entendu certains de vos collègues dire…euh… qu’ils avaient trouvé une carte dans la poche de Lord Nimbert après son décès, mentit-elle. Et qu’elle avait été très probablement laissé là par l’assassin, comme une sorte de signature. Je ne sais plus de quelle carte il s’agissait, d’ailleurs. Ils avaient dit que c’était…Hmmm…

   Sofia feignit de réfléchir, en espérant que Jameson lui apporterait de lui-même la réponse qu’elle attendait. Ce dernier griffonna de nouveau quelque chose sur son carnet et le lui tendit.

   -« C’était le 8 de trèfle. Mais nous n’avons trouvé aucune carte dans la poche de Laureen Leemoy. Toutefois, l’inspecteur Ascott est convaincu que la meurtrière de Lord Nimbert et de Laureen Leemoy est la même personne, compte tenu qu’ils ont été tués tous les deux d’une fléchette, et qu’il s’agit de Néhémie Wilson. A présent veuillez m’excusez, je dois vite retourner au poste avant que l’inspecteur ne s’emporte à nouveau. Bonne journée à vous. » 

   Puis Jameson regagna l’intérieur du bâtiment de Scotland Yard.

   -Bien joué So, dit Aidan. Grâce à toi, on a eu les réponses qu’on voulait ! Qui aurait cru que tu étais une aussi bonne menteuse.

   -Ca va Aidy, dit Sofia, gênée. Crois bien que je n’en suis pas fière.

   En effet, Sofia s’en voulait d’avoir manipulé Jameson pour lui tirer les vers du nez. Mais elle essaya d’apaiser sa conscience en se disant qu’elle n’avait eu guère le choix car il lui avait absolument fallu savoir si oui ou non une carte avait été retrouvé dans la poche de Nimbert pour avancer. Cela étant bien le cas, la conclusion pour le trio fut sans appel.

   -Donc, Nimbert avait lui aussi une carte dans sa poche au moment où il a été tué, conclut Aidan. Ce ne peux pas être une coïncidence. Leemoy et lui ont tous les deux été victimes de la même meurtrière.

   -Ca prouve que ça ne peut pas être Wilson qui est derrière ces meurtres ! dit Sofia. Qu’elle s’en prenne à Lord Nimbert, ça aurait pu avoir un minimum de sens attendu qu’elle le méprisait ouvertement. En revanche, je ne vois vraiment pas pourquoi elle aurait éliminé Leemoy. Wilson n’est pas du genre à s’en prendre à des innocents. 

   -Mais alors dans ces cas-là, qui donc peut-être cette femme qu’on a vu au Parlement et qui a été aperçue par les badauds à la Fête des Merveilles ? demanda Aidan. Comment se fait-il qu’elle ressemblait autant à Wilson ? Cette histoire est un véritable sac de nœuds…

   Sofia se tourna vers Faye. 

   -Faye, fais-nous ton numéro de « Je me met dans la tête des autres pour comprendre à quoi ils pensent » et aide-nous à éclaircir cette histoire.

   -Ah, génial ! Un nouveau jeu de rôle ! J’adore ! Très bien, essayons de réfléchir avec tous les éléments que nous avons à notre disposition…

   Faye posa les doigts sur ses tempes et ferma les yeux pour se concentrer.

   -Je me met dans la peau de mon personnage. C’est parti ! Hmmm…Alors je suis un politicien véreux qui déteste Wilson. Je la déteste. Oh ça oui, je la déteste ! Toutes les élites fortunées la détestent ! Maudite Wilson ! ...Le peuple de Londres la vénère. Elle nous pulvérise sur le plan de la popularité ! ...De plus, elle fédère tout le monde, si bien qu’à cause d’elle, une loi pour permettre aux femmes de voter va peut-être passer…Pour les misogynes que nous sommes, ce serait une tragédie sans nom...Il faut qu’on l’arrête le plus vite possible. On doit lui faire perdre sa popularité !... Mais comment ? ...Hmmm…Inventons quelque chose…Quelque chose comme…Comme…Comme une histoire de chantage…Oui…Mais c’est parole contre parole…Ca ne sera pas suffisant pour détruire la réputation de Wilson qui a solidement été bâtie sur des années…Non, il faut plus que ça…Il nous faut des actes…Des actes s’inscrivant dans la continuité des accusations qu’on veut lui faire porter…Et si…Hmm…Et si on programmait des atrocités… ! Pour montrer qu’elle est folle à lier… ! On a bien réussi à discréditer la fédératrice Hayden Annopler il y a plusieurs années, en manigançant l’attentat du Jour de l’Explosion…Alors réitérons la même chose et…

   -Et planifions des meurtres en série dont on pourrait accuser Wilson ! ajouta Aidan en pointant un index vigoureux vers Faye. 

   -Oui ! s’exclama Sofia, totalement convaincue par ces hypothèses. Ca expliquerait la présence cette mystérieuse silhouette ! Les conspirateurs ont dû engager une femme qui ressemble à Wilson pour commettre ces meurtres ! Pour que ceux qui la verraient sur les lieux du crime pensent que Wilson est vraiment la coupable ! Les conspirateurs décident que la première cible sera Lord Nimbert car tout le monde sait que Wilson le détestait car il pouvait représenter une sérieuse menace pour le passage de la loi du droit de votes des femmes. 

   -Et les conspirateurs choisissent comme deuxième cible une personne pour s’assurer de faire passer Wilson pour une tueuse complètement folle aux yeux du peuple ! ajouta Aidan. Car maintenant que Wilson aurait perdu tout ce qu’elle avait, c’est à dire son honneur, sa réputation et son travail, ça l’aurait conduit à perdre la tête au point de s’attaquer à des innocents. De cette façon, les citoyens auraient peur d’elle, persuadés qu’elle pourrait s’en prendre à n’importe qui ! Ainsi, les conspirateurs auraient réussi leur coup : Wilson est définitivement discréditée et plus jamais le peuple londonien n’osera attribuer sa confiance à une femme, étant donné que les deux porte-paroles féminines qu’ils ont eu ces dernières années, à savoir Hayden Annopler et Néhémie Wilson, ont été accusées des pires horreurs.

   Présenté de cette façon, toutes ces conjectures énoncées avaient du sens et permettaient de dénouer progressivement cette affaire très complexe. Sofia adressa à Faye un regard empli d’admiration.

   -Faye tu es un génie ! Un véritable génie.

   -Je le savais déjà. Mais merci.   

   -Il y a cependant une seule chose que ton génie n’a pas encore su éclairer, dit Aidan sur un ton taquin. Pourquoi donc les conspirateurs laissent des cartes dans les poches des victimes ? Cette signature doit forcément avoir une signification bien précise. Mais laquelle ? Que pourraient symboliser les huit de trèfle et le neuf de carreau ?

   -La, je dois admettre que vous me posez une colle, répondit Faye. Aussi, je suggère que nous nous rendions à une librairie. Peut-être qu’on y trouvera des ouvrages qui traitent de la spécificité du rôle de chaque carte par rapport à différents jeux.

    -Oui, c’est une très bonne idée Faye, approuva Sofia. Venez, essayons de trouver une librairie.

   Sofia, Aidan et Faye quittèrent alors le quartier de Whitehall Place pour s’engouffrer dans une rue noire de saleté mais surtout noire de monde. Des hommes transportaient des lourdes charges sur leurs épaules, des enfants en guenilles poussaient des brouettes avec difficultés et des mendiants faisaient la manche à même le sol. Ils se trouvaient dans un quartier miséreux, fourmillant de personnes issues de la classe ouvrière. Tandis que Sofia, Aidan et Faye essayaient de se frayer un chemin à travers la nuée de badauds en haillons, une voix claironnante résonna à leurs oreilles :

   -Le six ! Chiffre de l’abondance ! Bonne pioche !

   Sofia interrompit son avancée dans l’allée brumeuse. Sur la pointe des pieds, elle essaya d’apercevoir au-dessus de la multitude des chapeaux melons et hauts mouvant la personne qui avait prononcé ces mots. Un peu plus loin, étalé sur le rebord d’un trottoir, se dressait une petite table en bois derrière laquelle se tenait un groupe de trois personnes mal fagotées. Il y avait une femme édentée avec une tignasse débraillée, un homme au teint noir de suie et une femme qui avait de longs cheveux d’une couleur violet foncé. Chacun d’entre eux ne semblaient pas avoir plus de vingt-cinq ans. Sur la table trônaient en désordre quelques cartes de jeu et une ribambelle de pièces. Tandis que la jeune femme aux cheveux violet ramassa la mise remportée en le réunissant dans sa main, l’homme qui se tenait à ses côtés s’exclama :

   -La prochaine mise est à six pence ! Qui veut parier M’ssieurs dames ?

   Quelques badauds se dirigèrent alors vers la table à travers une rumeur chahutante.   

   -Alors, quel chiffre va sortir ce coup-ci, s’exclama la femme édentée…Ah ! 7 de trèfle ! Symbole de la chance ! Allons, allons ! Lorsque la chance se présente, il faut tenter la sienne, M’ssieurs dames !

   Sofia, Aidan et Faye se regardèrent tous les trois. De toute évidence, la même idée les avait traversés. 

   -Ils ont l’air de s’y connaître au sujet des symboles des cartes, dit Sofia.

   -On dirait bien oui. Attendons de voir s’ils parlent du 8 de trèfle ou du 9 de carreau.

   Sofia, Aidan et Faye se tinrent alors à l’écart tout en continuant d’observer attentivement ce qu’il se passait. De temps à autre, les trois joueurs commentaient l’évolution de leur jeu auprès des badauds venus tenter leur chance par la signification des cartes qui sortaient telles que le deux de pique, le trois de coeur ou encore le valet. « Carte de l’infortune ! Désolé, ce sera pour une autre fois ! » « Le pique, signe de la prospérité ! » « Ce n’est pas parce que le carreau sort que ça signifie que vous allez rester sur lui ! » Mais ni le huit de trèfle ni le neuf de carreau ne sortait. A un moment, la femme aux cheveux violet scruta les environs et son regard se posa sur Sofia. C’était un regard froid, empli de malveillance, ce qui mit cette dernière très mal à l’aise…

   Un quart d’heure plus tard, après que plusieurs badauds eurent effectué des mises dont la quasi-totalité s’étaient révélées perdantes (accompagnés d’injures ainsi que de menaces de bagarre pour hypothèse de triche) et que la cohue se soit légèrement dispersée, Sofia, Aidan et Faye s’avancèrent enfin vers le groupe de joueurs pour aller les questionner. A nouveau, la femme aux longs cheveux violets posa un regard le trio. Puis elle referma vigoureusement le plan de table en deux et cria à ses deux complices :

   -Vite ! Tirons-nous ! 

   Elle passa à la va-vite la bandoulière attachée à la table par-dessus son épaule et ses complices et elle s’enfuirent dans la direction opposée en fendant la foule. 

   Sofia fut stupéfaite de leur départ soudain.

   -Non, attendez ! héla Sofia.

   Celle-ci leur emboita le pas, Aidan et Faye sur ses talons. Un trio à la poursuite d’un autre. 

   Les fugitifs brûlèrent le pavé humide, bousculant au passage sans vergogne une flopée d’ouvriers dont la plupart dégringolèrent au sol atterrissant dans la boue, d’autres faisant tomber leurs lourdes charges à terre. Sofia passa sous une échelle, Aidan enjamba des marchandises, Faye sauta par-dessus une chariote poussée par un enfant. A en juger par la vivacité de leur pas, les fugitifs semblaient avoir l’exercice de la course. Ils bifurquèrent à plusieurs reprises à travers moult venelles dans le but de semer ceux qui les traquaient mais Sofia, Aidan et Faye se révélèrent tenaces et ne faiblirent pas leur allure. Sofia en venait presque à regretter sa course avec le fiacre car au moins, elle n’avait pas eu à fournir autant d’efforts physiques qui la conduisaient à avoir la respiration hachée comme c’était le cas maintenant.

   Les fugitifs s’engagèrent à nouveau au détour d’une ruelle. Lorsque Sofia, Aidan et Faye s’y engouffrèrent à leur tour, ils découvrirent qu’il s’agissait cette fois-ci d’une ruelle complètement déserte. Une ruelle sombre, froide, empreinte d’une atmosphère pesante. Puis une seconde plus tard, trois formes mouvantes surgirent d’un recoin sombre et Sofia fut brusquement plaquée contre le mur tandis qu’un choc sourd résonna au loin. Elle n’avait pas le temps de réaliser ce qu’il se passait qu’elle sentit quelque chose de pointu se presser contre sa gorge tout en apercevant un rideau de cheveux violet barrer sa vue.

   -Dis donc, bande de sangsues, on peut savoir pourquoi vous nous coller comme ça ? 

   Jamais Sofia n’avait entendu une voix aussi glaciale et menaçante. Son agresseuse la tenait avait une poigne expérimentée, si bien qu’elle était dans l’impossibilité de faire un seul geste. Elle pensa à crier à l’aide mais elle était si pétrifiée qu’elle n’en fit rien.

   -Lâchez-la ! s’écria Aidan.

   La silhouette de son assaillante lui obstruant la vue, Sofia ne pouvait apercevoir son cousin mais à en juger par les gémissements étouffés que Faye et lui poussaient quelques mètres plus loin, elle devinait qu’eux aussi devaient être fermement maintenus par les deux autres fugitifs qu’ils avaient pourchassés.

   -J’imagine que c’est Scotty qui vous envoie, n’est-ce pas ? s’enquit la femme aux cheveux violet.

   -Scotty… ? demanda Sofia d’une voix étranglée. 

   -Ne fais pas l’innocente, petite pimbêche ! rétorqua son agresseuse en la plaquant plus solidement contre le mur. Oui Scotty ! Ou Ascott, si tu préfères ! C’est pas la première fois que ce cher inspecteur nous envoient des indics pour nous espionner ! A chaque fois, c’est le même topo : des personnes déguisées en civil pour mieux se fondre dans la masse qui observent dans un coin nos méthodes pas très légales de gagner du blé. Puis ils attendent le bon moment pour nous pincer. Mais faut admettre que les autres espions de  Scotty avaient au moins le mérite d’être un peu plus discret. Vous, on vous a grillé tout de suite ! De vrais bleus ! 

   -Nous ne sommes pas des espions de la police, dit Sofia, toujours aussi effrayée.

   -A d’autres ! Des bleus qu’on vous dit ! D’ailleurs…

   Elle en resserra plus énergiquement la lame contre le cou de Sofia, un sourire démoniaque se dessinant sur son visage malveillant. Sofia déglutit de terreur.

   -D’ailleurs, poursuivit-elle, je me demande si le sang des bleus est également bleu…Qu’est-ce que t’en pense Murielle ? Ca vaut le coup d’y jeter un œil, non ? 

   -Ouais, vas-y ! s’exclama celle qui retenait Faye en gloussant bêtement. Fais une petite vérification ! Ca sera toujours bien pour la science !

   -Non, lâchez-là ! cria Aidan, plus désespérément que la première fois en tentant de s’extirper de son assaillant. Lâchez-la ! 

   Terrifiée, Sofia sentit la pression de la lame s’exercer encore plus fermement contre sa peau, si bien qu’elle était persuadée que d’ici une seconde à l’autre, des gouttes de sang allaient perler le long de son cou. 

   -Lyd, ça suffit !

   Tous les regards convergèrent vers le fond de la ruelle. De celle-ci surgit la silhouette d’un homme au teint hâlé. Il avait des cheveux fins et gras ruisselant jusqu’au thorax, un nez proéminent et une bonne réserve de muscles se dessinait sous ses vêtements haillonneux.

   -Abaisse-ton arme, dit-il.

   -Mais Victor, dit la dénommée Lyd. Ces gens-là nous ont pourchass…

   -Ca fait combien de fois que je te le répète ! On est pas des Rosers ! Alors on agresse pas les gens !Abaisse ton arme. Et vous, lâchez les deux autres ! 

    La mort dans l’âme, Lyd dégagea sa lame de la gorge de Sofia, rendant le souffle à celle-ci. Ses deux acolytes quant à eux relâchèrent également Aidan et Faye, lesquels se relevèrent et allèrent rejoindre Sofia.

   -Très bien, pesta Lyd en rangeant la lame dans sa botte. Alors si ces sales fouineurs ne sont pas de mèche avec les condés, on peut savoir pour quelle raison ils nous ont coursé avec autant de ténacité ?

   -Si vous nous aviez laissé le temps de vous expliquer au lieu de nous agresser aussi brutalement, on vous l’aurait dit tout de suite ! s’exclama Aidan. C’est au sujet du jeu que vous venez de faire dans la rue.

   -Si c’est pour réclamer votre fric, ‘pouvez allez-vous faire voir ! dit Murielle. La maison rembourse personne !

   -Non, ce n’est pas ça, rétorqua Aidan. Tout à l’heure, nous vous avons entendu donner des explications au sujet de quelques cartes. Nous voulions donc juste savoir si vous pouviez nous dire ce que signifiait la cart…

   Mais les trois fugitifs étouffèrent des rires.

   -Pardon ? demanda Lyd avec un sourire moqueur. Des explications sur les cartes ?

   -Oui, vous aviez dit que la carte du sept de trèfle signifiait la chance. Alors nous…

   Mais Aidan fut de nouveau interrompu par les trois malfaiteurs qui étaient cette fois-ci secoués d’un fou rire incontrôlable. Seul Victor, celui qui avait empêché Lyd de s’en prendre à Sofia, restait muet et conservait un air impassible.

   -Jamais vu des crétins pareils ! s’exclama Murielle, riant aux larmes.

   -Parce que vous avez sérieusement cru à ce qu’on a dit ? renchérit l’homme au visage noir de suie, tout aussi hilare.

   -Hé, bandes de guignols, dit Lyd, je sais pas d’où vous venez mais de toute évidence c’est pas là-bas que l’intelligence a vu le jour. On fait comme si on s’y connaissait en cartes pour mieux faire passer nos magouilles et appâter les badauds. Pour attiser leur confiance, quoi. Ca coule de source pourtant, non ? En fait, vous avez vraiment le profil parfait pour travailler chez Scotty. Postulez, vous avez toutes vos chances ! Il adore s’encombrer d’imbéciles.

   -C’est vraiment pour cette raison que vous les avez poursuivis ? demanda Victor, sceptique. Pour avoir des informations sur la signification de cartes ?

   -Oui, répondit Aidan. C’est important.

   -Dans ce cas, vous devriez plutôt vous adressez à de vrais professionnels. A la taverne du Tonneau Percé, par exemple. Ils se trouvent dans le quartier de Coventry Street. C’est la seule taverne de Londres où les jeux d’argent et de hasard sont autorisés. Il y grouille régulièrement des joueurs férus en tout genre et le tenancier pourra vous renseigner.
(Il s’adressa à ses trois compères) Venez, on y va.

   Victor se dirigea au fond de la ruelle. Tandis que l’homme au visage couvert de suie et Murielle le rejoignirent, Lyd quant à elle s’avança vers Sofia, Aidan et Faye, la malveillance toujours logée dans le regard. Instinctivement, Sofia recula d’un pas.

   -Psst, Victor a la mémoire déconfite, murmura Lyd. Le Tonneau Percé, c’est pas à Coventry Street mais de l’autre côté, à Shaftebury Avenue. Veuillez pas croire que je dis ça pour vous rendre service, loin de là. C’est pour être sûr que vous trouviez ce que vous cherchez et qu’on vous ait plus dans les pattes !

   -Lyd ! héla Victor.

   -Ouais, j’arrive ! (Elle se retourna vers Sofia, Aidan et Faye). Allez, maintenant ouste ! Du balai ! Et qu’on vous revoit plus traîner ici !

   Puis Lyd rejoint son clan et disparu avec eux dans la pénombre de la ruelle.

   Aidan se tourna vers Sofia. Une profonde inquiétude, comme rare il avait pu ressentir, s’incrusta dans son regard.

   -So’, est-ce que ça va ? demanda-t-il, d’une voix douce.

   -Oui ça va, répondit Sofia sur un ton où on pouvait percevoir son traumatisme… Plus de peur que de mal…

    Sofia était chamboulée. C’était la première fois qu’elle s’était sentie en réel danger. Aidan, qui était tout aussi secoué d’avoir vu sa cousine dans une situation périlleuse, la prit dans ses bras pour la réconforter tout en lui caressant les cheveux. 

   -J’ai eu si peur pour toi, murmura-t-il…

   Puis il inspecta son cou pour voir si Lyd ne l’avait pas trop brutalisé. La lame de cette dernière avait laissé une marque rouge. Faye décida de changer de sujet afin de détendre un peu l’atmosphère.

   -Bon, et bien, au cours de cet…imprévu, nous avons pu glaner une autre piste à suivre. Nous savons qu’à la taverne du Tonneau Percé, on pourra se renseigner sur la symbolique des cartes. Allons-y.
 

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