LA PROMESSE DE NOËL

Vendredi 20 décembre, 17h10. Elizabeth entend un bruit de clochettes et lève la tête pour regarder par la fenêtre. Le Diable en costume de Père Noël vient d’atterrir sur son balcon enneigé. Il descend de son traîneau, attache le harnais à la balustrade pour laisser ses rennes brouter les plants de tomates congelés. Elizabeth lui tend une tasse de thé chaud et un seau d’eau fraîche pour les bêtes.

 

LE DIABLE

Jingle bells. Jingle bells. (Il tire sur sa barbe en coton pour mieux s’exclamer.) Joyeux Noël Elizabeth ! Pas de souci, je ne vous ai pas apporté de cadeaux. (Il sort un gros paquet de sa hotte.) Je sais bien que je n’en ai pas le droit. C’est beaucoup mieux. Vous allez être trop contente. Je vous le promets. Ho ho ho. Je tiens toujours mes promesses, comme vous le savez, et il se trouve qu’il y a quelques mois de cela, je vous ai promis quelque chose. 

VOILÀ. (Il lui tend joyeusement le paquet.) Une promesse tenue. Pas un cadeau même si ça ressemble un peu à un cadeau parce que si je ne l’avais pas emballé, l’effet de surprise aurait manqué. Allez, ouvrez-le. Nous pouvons discuter plus tard. Non ? Vous préférez discuter d’abord ? Pas l’ouvrir en premier ?

Discuter. Discuter. Vous me forcez toujours à discuter avec vous. Quel manque d’originalité et de spontanéité. Mais bon. Si vous y tenez absolument. Soit. Discutons. Que faites-vous pour Noël ? (Il croise les bras sur sa poitrine.) QUOI ? En vacances jusqu’au premier janvier ? Ça paye bien de ne rien faire, je vois. Et pour aller où ?

Je n’y crois pas. Comme c’est ennuyeux. Un peu comme cette conversation, tiens. Vous ne préférez pas ouvrir le paquet ? Si. Comme ça nous aurions grâce au contenu une meilleure matière à discussion. Pourquoi pas ?

Ce que je fais pour Noël, MOI ? Vous vous intéressez à ce que je fais, tout d’un coup ? Hum. Vous voyez bien. Je travaille. Puisque vous êtes si curieuse vous n’avez qu’à ouvrir le paquet ! Oh. Je viens de me rappeler. Je dois partir plus tôt aujourd’hui à cause des embouteillages prénataux. Je pense que ce serait mieux si nous ouvrions le ca… Pardon, la promesse, tout de suite. Achtung, ouvrons. M’en fiche. (Il lui tend le paquet.) Pourquoi tant de délicatesse ? Je sais. Vous voulez garder le papier cadeau pour faire des économies. Je vous aide à défaire le nœud. (Il tire sur le nœud.) Et aussi le papier. (Il déchire le papier.) TADA ! Qu’est-ce que vous en pensez ?

J’en reste coi. Quel merveilleux manteau. Les larmes m’en viennent aux yeux. Ça ne se fait pas de dire le prix, mais je peux vous assurer que je ne me suis pas moqué de vous. 207 043 mygales à genoux rouges - Brachypelma smithi pour être exact - ont été nécessaires à sa confection. Vous pouvez vérifier dans la nomenclature binomiale si vous ne me croyez pas. Presque la totalité de la population mygalomorphe mexicaine, les indigènes vous en remercieront. Ces motifs rouges sont très festifs et élégants, vous ne trouvez pas ?

Là. Touchez-moi cette soyeuse fourrure. Ce sont des poils urticants. C’est une espèce d’araignée très nerveuse. Elle projette ses poils à gratter dans la direction de la moindre perturbation. Ils piquent et brûlent grave, ce qui a fait de la capture une très dangereuse entreprise. Mais « chose promise, chose due ». À n’importe quel prix et même au péril de ma vie. 

Bon. Maintenant, il faut l’essayer. (Il lui tend le manteau.) Pas de souci. L’intérieur est fourré d’une doublure en soie et j’ai fait traiter les poils par un procédé biologique neutralisant sauf sur le dessus des poches où il faut faire un peu attention. C’est pour l’autodéfense, vous pouvez activer le système de tir avec les poings si un patient vous importune trop ou essaye de vous ôter votre beau manteau. 

Alors ? Qu’attendez-vous pour vous glisser dans la fourrure ? Trop chaude ? Malheur, vous avez raison. C’est vrai. Il fait beaucoup trop chaud pour un manteau. (Il transpire à grosses gouttes sous son costume rouge et blanc.) Beaucoup trop chaud même pour des vêtements, tout compte fait. Ne vous gênez pas pour moi. Nous pouvons aussi continuer plutôt à poil qu’en fourur… (DING DONG) Non ! Attention. Ne vous déshabillez pas. L'autre crétin arrive. Je dois y aller. Vite. Ce serait bête qu’il me voie. (Il fait remonter sa barbe sur son nez.)

La plupart des adultes ne croient plus au Père Noël. Je ne voudrais pas qu’il souffre d’un choc et que vous ne puissiez pas terminer votre journée de travail et entamer vos vacances à temps. J’y vais. J’ai encore plein de cadeaux à distribuer. Joyeux Noël et à l’année prochaine ! 

 

Les enfants dans la rue, les yeux écarquillés, le regardent s’envoler et disparaître dans un tourbillon de clochettes et de flocons.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez