La règle

Le ciel bleu brille à l'horizon. Julie est assise sur un banc, elle regarde sa montre. Elle a rendez-vous. Devant elle, les passants s'affairent, déroulent leurs pas pressés. Sa jambe s'agite, ses doigts se crispent un peu sur ses genoux. Elle déteste être seule dans la rue. Heureusement, il sera bientôt là. Qui ? Hugo bien sûr ! Ses mots résonnent en elle : "Je suis bêtement tombé amoureux...". Une chaleur la transperce. Elle la retrouve. Cette sensation de se sentir vivante. Et aimée. Julie a déjà été amoureuse, mais ce n'a jamais été réciproque. Peut-être qu'elle s'y prenait mal ? Ou alors elle ne méritait pas d'être aimée ? Combien de temps a-t-elle passé à se maudire en se demandant ce qu'elle avait fait pour que personne ne l'aime... Combien de litres de larmes brûlantes avaient creusé les sillons de ses joues ?

Elle avait perdu espoir. Perdu ses couleurs pourtant chéries avant. Et elle en avait eu peur. Toutes les couleurs des gens qui se mêlent et lui rappellent à quel point elle est seule. Tous les reflets de leurs sentiments. L'empathie.

Mais maintenant qu'elle a rencontré Hugo, les choses changent. La preuve, c'est qu'elle est ici. Le long d'un fleuve de foule.

  Violet, vert, vert, bleu, marron, oh du rose ! Et... du jaune. Hugo vient s'asseoir près d'elle avec un grand sourire.

  - Dis, je me demandais : est-ce que des fois ça arrive que les gens n'aient aucune couleur ?

  - Non jamais. Mais elles peuvent changer.

  - C'est quoi la couleur que tu vois le plus souvent ?

  - Ça dépend des jours. Beaucoup de marron. C'est la couleur de la lassitude. Et un mélange de plein de trucs à la fois... Mais c'est sûrement parce qu'on est ville qu'il y en a autant. Enfin je suppose...

  - Oui c'est possible.

  - Et toi alors, qu'est-ce que tu lis en eux ?

  - J'arrive à deviner leurs peurs. Leurs blessures, leurs demandes et leurs ambitions. Intéressant non ?

  - Oui sans doute. Et qu'est-ce que tu as vu en moi la première fois qu'on s'est croisés ?

  - De l'angoisse et un grand manque affectif. Tu as été rejetée n'est-ce pas ?

  - ...Oui. Plusieurs fois. Personne n'en a jamais rien su, j'ai toujours aimé seule.

  - Mais je suis là maintenant. Tu es merveilleuse, tu mérites qu'on t'aime.

  Hugo prend la main de Julie. Pour elle, il est un peu comme un cadeau du ciel. Une lumière inespérée, mais qu'elle ne veut surtout pas perdre. Elle veut apprendre à mieux le connaître. C'est à elle de lui poser des questions maintenant.

  - Et toi alors, tu veux bien me raconter... ?

  - Raconter quoi ?

  - Ton passé, les gens que tu aimes et ceux qui t'ont fait du mal...

  - Je n'ai pas grand chose à dire là dessus. J'ai deux meilleures amies : Misa et Clélia. On se connaît depuis la naissance et ce sont comme mes grandes sœurs. Et moi leur petit frère... Elles sont toujours là. Quoi que je fasse. j'aimerais bien te les présenter un jour. Mais je ne leur ai encore rien dit pour toi, je ne suis pas sûr qu'elles approuvent.

  - Hein ? Pourquoi ?

  - Elles me surprotègent. Et comme on s'est rencontrés par hasard, elles ne te verront peut-être pas d'un bon œil.

  - Alors je leur prouverai qui je suis et leur montrerai que je ne te veux aucun mal.

  - J'aime bien ta détermination.

  - Je peux savoir où tu habites ? Je veux tout savoir de toi. Et tes parents alors ? Tu ne m'as rien dit.

  - Non. Je ne dirai rien là dessus. Il n'y a rien à savoir.

  Jaune se renferme. Rentre dans sa coquille. Et noir ne comprend pas.

  - Pourquoi est-ce que je n'ai pas le droit de savoir ?

  - Parce que. Si tu veux qu'on continue à se voir, ne pose plus de questions sur ma vie en dehors de nous. C'est la règle.

  - Tu as quelque chose à cacher ?

  - Non, mais c'est la règle. Si tu me déçois je serai obligé de ne plus revenir te voir.

  - Mais c'est injuste Hugo ! Toi tu sais où j'habite, et pas moi...

  - Il te faudra l'accepter, je suis désolé.

  Julie est confuse. Quel est le sens de cette règle stupide ?

  Hugo se lève, repart dans la foule. Jaune terni.