La rencontre

Par Unam

L’homme au grand corps sec se penche vers l’eau, en s’agrippant tant bien que mal au cordage de sécurité. Entre deux rebonds sur les flots il rend ses souvlakis-frites du midi. Tout le monde détourne la tête, outré. Quand il hisse de nouveau son grand corps sec par-dessus le flanc du zodiac, Lulu remarque qu’il a le teint aussi transparent qu’une méduse échouée sur la plage. Elle lui redonne un cachet pour le mal de mer en espérant que celui-ci arrivera à destination avant la prochaine vague. Yaris, le capitaine du bateau, le regarde de travers. Tout cet acide rejeté à la mer, ça peut pas être bon pour le poisson. Personne n’a envie de pêcher la daurade nourrie au vomis. Yaris Lapolis n’aime pas les touristes, mais la pêche, c’est plus ce que c’était alors il faut bien faire des compromis. Heureusement qu’il y a Lulu pour faire tampon, entre lui et tous ces enfants gâtés. Aller en vacances, non mais pourquoi ? C’est pas suffisant de se reposer la nuit ? Et puis pourquoi voudrait-il partager son lit avec tous ceux d’avant et d’après et manger à la gamelle des autres. Pas étonnant qu’on finisse par vomir par-dessus bord. Yaris Lapolis se le jure, il n’irait jamais en vacances même s’il pouvait se le permettre. 

Michel Corsek est gêné et remercie profusément Lulu Laffryte pour son assistance. Tout cela est nouveau pour lui et il a peut-être mis la barre un peu haut avec une escapade en zodiac le premier jour des vacances. Le reste de l’excursion se passe mieux. Le cachet a enfin fait son effet, et la baie de Navagio est aussi belle qu’en carte postale. Tout le monde prend des selfies et Michel les observe, assis dans un coin d’ombre de la plage, pendant qu’il se remet de ses émotions. « Allez dans l’eau » lui dit une voix en plein soleil « ça coupe le mal de mer ». C’est Lulu qui passe en revue tous les inscrits. Elle aurait dû faire ça au départ, se dit Michel ; là ça ne sert pas à grand-chose. Il lui sourit et se lève pour aller prendre la température. Quelques minutes plus tard, se laissant flotter en croix à la surface d’une eau transparente il se dit qu’elle avait raison, son estomac s’est arrêté de faire des saltos et il peut enfin se détendre. Ce n’est pas simple de se faire à la nouveauté. Mais Michel Corsek est discipliné : détendu il sera, dans cette nouvelle vie, ou pas ; il le doit à son dos, à son cœur et à son estomac, entre autres. 

Lulu, elle adore ça, la vie en groupe, être entourée, tout le temps, mais elle voit bien que ce n’est pas le cas de tout le monde et elle est toute attendrie par ce grand monsieur tout sec qui, tout à l’heure, était recroquevillé sur lui-même, pâle et s’agrippant au cordage du pneumatique, peinant à peine à dissimuler les larmes qui roulaient dans ses yeux. A l’écart des autres qui comparent leur technique de brasse, même sa planche est toute raide sur l’eau turquoise, comme un corps à qui on a interdit de vivre au rythme de ce qui l’entoure, ou peut-être même à son propre rythme. Elle le regarde rectifier sa position toutes les deux secondes pour ne pas couler et elle sourit. 

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booksdamadeus
Posté le 01/05/2020
Coucou :)

Merci pour ce début d'histoire, je viens de lire les trois premiers chapitres en souriant. J'ai bien envie de connaître un peu plus ce Michel Corsek et cette Lulu !

J'aime beaucoup ta plume. Je ne sais pas comment la décrire, un peu ironique peut-être. Elle rend des choses banales pas si banales finalement. Elle donne aussi à tes personnages un côté parfois ridicule, parfois tendre, parfois plus triste. Ça les rend si attachants ! Je les aime déjà :)

Au plaisir de lire la suite !
Unam
Posté le 05/05/2020
Salut booksdamadeus,

Merci beaucoup pour tes commentaires. Ça me fait encore plus plaisir que d'avoir trouvé comment on faisait un C cédille majuscule sur mon clavier anglais!!!:) (comprendre: ça me redonne l'espoir! Et ça, ça fait toute la différence!:)

MERÇÇ̧ÇÇÇÇÇÇIIIIIIIIIII!!!!!!!:)

P.S. Je ne sais pas pourquoi ils apparaissent en gras 😹
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