La rentrée des classes

Le réveil sonne, les jumeaux se lèvent à l'aube ce matin. Ils vont faire leur première rentrée dans leur nouveau lycée. Chacun a choisi une spécialité différente, Sam s'oriente vers la géopolitique tandis que Théo préfère les matières scientifiques. Ils savent qu'ils ne seront pas dans la même classe. C'est un soulagement pour Sam, il n'a pas envie d'avoir son frère sur le dos. Depuis plusieurs mois Théo a changé, il se renferme, il prend de la distance. Sam ne comprend pas les excès de colère de son frère qui est normalement d'un naturel calme. Les jumeaux ont toujours été proches mais ont toujours voulu garder leur indépendance et avoir leur propre amis. Ils n’aiment pas l'idée d'être considérés comme deux êtres indissociables ; ils cherchent à cultiver leur différence à tout prix quitte à s'éloigner. Cela commence par leur tenue vestimentaire. Sam cultive le style sportwear : jean basket. Il est fétichiste des bonnets dockers, il les collectionne. Il le porte à l'arrière du crane pour laisser dépasser ses cheveux de devant. Il ne sort jamais sans son bonnet et l'associe toujours à sa tenue. Aujourd'hui, il a opté par un bonnet sobre, noir et gris qui est assorti à ses baskets grises et son pull noir ; même s'il n'aime pas qu'on lui dise, il est assez coquet pour son age. Théo préfère les styles plus dépouillés . Jusqu'à l'année dernière, il aimait le style skateur bien qu'il n'ai jamais pratiqué ce sport. Il a gardé les cheveu mi long mais depuis quelques temps, la couleur noir est devenue sa passion. Il a retiré la casquette VANS qu'il portait à l'arrière et qu'il ne retirait jamais et ses baskets pour les remplacer par des Doc Martens montantes noires. Anna attend ses fils dans la cuisine où elle a préparé leur petits déjeuners :
 

— Bonjour mes chéris comment allez vous ce matin ?

— Au top maman, j'ai trop hâte de découvrir le lycée, s'exclame Sam

— Et toi Théo, questionne sa mère

— Non ça va pas, j'ai pas envie d'aller au bahut, pas envie de voir de nouvelles personnes.

— Théo, le reprend Anna excédée par sa réponse, tu ne vas pas te comporter comme l'année dernière. A ton âge, on a besoin de se faire des amis. D'ailleurs tu parles plus de Sacha et Emy, tu les as appelé depuis notre arrivée ici?

Le yeux de Théo lancent des couteaux à sa mère, le fait qu'Anna ramène ce sujet dès le petit déjeuner lui donne envie de sortir de ses gonds. Il prend sur lui pour ne pas exploser mais lui crache un « putain ». Mot qu'il a bien adopté dans son vocabulaire.

— Les autres c'est l'enfer ! Je veux qu'on me foute la paix, c'est trop compliqué à comprendre !!

— Surveille ton langage jeune homme, lance Anna dans un cri de colère traduisant son impuissance face à l'attitude de Théo.

Théo se tait, il fait comme si de rien n'était. Il continue de manger ses céréales sans même un regard vers sa mère. Il fuit la confrontation, s'isole dans son mutisme. Il agit toujours de même, il dépose des bombes puis laisse aux autres le soin de les déminer eux-mêmes. Anna fulmine mais se contient, un cocotte minute pense Sam ; il fait signe à sa mère de ne pas insister, de ne rien dire. Anna obéit, elle baisse les armes, une fois de plus. La fin du petit déjeuner se termine au milieu du bruit des bols débarrassés dans l'évier, des chaises qui traînent sur le sol, des pas qui montent dans l'escalier. Anna reste planté sur sa chaise, elle ne bouge pas. Des larmes coulent le long de ses joues.

Les deux nouveaux figés devant l'entrée du lycée observent le portail grand ouvert, béant, qui engloutit une multitude d'élèves dans ses entrailles. Ils se font bousculer par des jeunes heureux de se retrouver après la pause estivale. Ils se font dévisager par les autres, comme des bêtes de foire puis retournent à leurs affaires. Les jumeaux hésitent à entrer dans l'enceinte du lycée et à se laisser absorber par le brouhaha de la foule. Sam respire un grand coup et entraîne Théo avec lui pour l'aider à faire ce grand plongeon vers l'inconnu. Théo résiste, traîne la patte, il a envie de faire la connaissance de ses nouveaux camarades et faire semblant comme de se pendre. Sam le devance et se dirige vers le tableau d'affichage. Il se fraie un chemin au milieu des élèves qui font le siège devant la baie vitrée où est affiché la constitution de chaque classe. Sam fait glisser ses yeux sur les listes et voit son nom. Comme il s'y attendait il n'est pas dans la même classe que Théo. Son frère est en terminale 3 alors que lui est en terminale 1. Il arrive à s'extraire d'un groupe de jeunes qui se sont entassés derrière lui pour rejoindre Théo resté planté à l'arrière.

— Bon bah sans surprise on n'est pas dans la même classe, ça va le faire pour toi ? Demande Sam

— Bah oui t'inquiète, je m'en sors très bien sans toi.
 

Théo se montre désinvolte devant son frère pour ne pas trahir son appréhension. Même s'il n'a pas envie d’être là, devoir parler à des inconnus l'angoisse un peu.

Sam bien qu'attristé par la réponse de son frère, lui fait un signe de la main en prenant la direction de la flèche rouge sensée l'emmener à la salle 2000 où il doit retrouver les autres élèves de sa classe. Théo lui fait un signe furtif et s'approche du tableau d'affichage déserté maintenant que la plupart des jeunes sont partis rejoindre leur groupe. Salle 2005. "Y a combien de salles dans ce lycée", se demande Théo. "Allez c'est partir je suis un mouton je suis la flèche verte" se dit-il ironiquement pour se donner un semblant de motivation.

Sam s’assoit à côté d'une jeune fille trop occupée à sortir ses affaires de son sac pour s'apercevoir de sa présence. Alors qu'elle finit de s'installer elle dirige enfin son regard vers l'être humain assis à ses côtés et surprise lui demande :

— Bah t'es qui toi ? Je ne te connais pas ?

Sam sourit devant tant de spontanéité. Elle est directe. Il aime bien ça. Il lui répond :

— Je suis nouveau, j'arrive direct de Marseille.

— Quelle horreur cette ville, j'aime pas du tout ! Je préfère la campagne. Et toi tu te plais ici ?

― Je pense que je vais me plaire ici, dit-il en lui faisant un sourire complice.

Il n'a aucun doute, cette fille a l'air cool, elle lui plaît. Il ne peut pas l'expliquer surtout qu'elle a un physique quelconque, pense t-il. Elle est brune, les yeux marrons, un nez en trompette qui lui donne un air mutin et enfantin. Mais ses yeux expressifs, étincelants d'espièglerie lui font un effet de dingue.

— Je ne sais pas si tu aimes les maths mais cette prof elle est à chier. J'ai hâte que ce cours se termine. Et dire que c'est notre prof principale.

— J'aime pas trop les maths, je préfère les mots aux chiffres ; je pense qu'on va donc s'ennuyer à deux.

— T'aime bien écrire toi ? Lui demande t-elle avec intérêt.

— Enormément, c'est une passion ; je faisais même parti du journal de mon lycée l'année dernière.

Les yeux pétillants et la bouche semi ouverte, elle le regarde en se redressant sur sa chaise pour considérer sa réponse, savoir s'il la taquine ou non.

— Tu déconnes là ?

— Bah non, je te dis la vérité, pourquoi ?

— C'est dingue que tu te sois assis ici, je suis la rédactrice en chef du journal du lycée. C'est trop bien, tu veux rejoindre notre équipe ?

— Je serais ravi de travailler sous tes ordres, heu, comment tu t'app…

Sam n'a pas le temps de finir sa phrase, la prof de maths, une femme d'une cinquantaine d'année fait son entrée en demandant aux élèves de se taire. Son autorité fait mouche dans la salle, d'un coup on entend même plus aucune mouche péter. Sam sourit intérieurement quand il découvre la prof, sa coupe de cheveux lui rappelle celle de Marge Simpson. Par contre, sa voix n’est pas celle d’une clopeuse. La sienne, de crécelle et autoritaire, lui perce les oreilles. Il comprend ce que sa voisine vient de lui dire, il ne va pas s'amuser en cours de maths cette année.

— Je m'appelle Léana dit-elle en chuchotant comme pour terminer leur conversion.

— Sam, enchanté de te connaître.

Elle lui fait passer un petit mot en douce sur lequel il peut lire : « je te montrerai le journal à la pause de 10h ». Il lui sourit et acquiesce avec sa tête. Il est heureux. Sa première journée commence bien.

De son côté, Théo est rentré parmi les derniers de sa classe. Il s'enfonce au fond de la pièce sous le regard intrigué de ses nouveaux camarades. Il s’assoit à une table inoccupée, il croise les doigts, il espère être seul et donc être tranquille. Il est soulagé quand le prof arrive et ferme la porte derrière lui, il a échappé pour cette fois-ci à l’éventualité d'une conversation forcée avec quelqu'un. Pour l'instant il passe incognito, le plus longtemps possible espère t-il.


 


 


 


 


 


 


 


 


 

 


 


 


 


 


 

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