Nous étions le matin du Bal du Roi. Cet évènement annuel n’aurait pas lieu au Château Royal, il se déroulerait dans la seconde résidence du Clan de l’Abeille. Clan qui s’était chargé de tout organiser et régalait tout à ses frais - détail que Cazelain s’était plu à me chuchoter au creux de l’oreille.
Ils marquent ici bien des points. J’adorerais organiser une telle mondanité…
Ce qui était bien sûr impossible, le Clan du Loup n’étant pas aussi nanti que les autres Clans.
Dame Isaure était revenue aux aurores. Elle avait réclamé que nous petit-déjeunions ensemble et avait difficilement toléré que la Grande Salle soit inaccessible au jour de son retour. Midine avait fait déplacer une table nappée dans un petit salon inondé d’un soleil d’Est que je trouvai très agréable - les éclaircies étaient si rares au Domaine.
J’étais à peu près certaine que la Mère du Clan n’appréciait que moyennement la bonne entente qui se devinait entre moi et son cadet. J’évitais autant que possible de lui adresser la parole. Mais elle avait un grain plus intéressant à moudre : la conversation tournait exclusivement autour de la nouvelle Reine et des fondations de son règne. Eryn ne faisait pas l’unanimité, et cela mettait Dame Isaure et son fils en joie.
— Une aubaine, répétait-elle en tournant sa petite cuillère dans sa tasse de café noir, dépourvu de lait, de crème et de sucre…
Mais à quoi lui sert-elle ?
— Cela doit-il vraiment nous étonner ? se gaussa Cazelain.
D’après Dame Isaure et ses sources résidant au Château Royal, quelques-uns la jugeaient merveilleuse, maligne et même courageuse ; il ne devait pas être évident de se ménager une place dans une cour remplie de personnalités si riches et en place depuis si longtemps. Plusieurs autres la suspectaient d’être sotte, un emballage bien joli mais qui une fois déballé n’avait rien d’exceptionnel à offrir. Cependant, une majorité réservait son avis ; après tout, elle n’était pas en place depuis longtemps.
— La deuxième Épreuve sera donc révélatrice, trancha Cazelain avant d’attaquer une tranche de lard grillé.
Je frissonnai. D’une main tremblotante, je reposai ma cuillère remplie de haricots en sauce. Mes compagnons de table n’ayant pas remarqué mon trouble, j’attrapai ma tasse de thé et condamnai en pensée leur manque de compassion pour cette terrible et mystérieuse Épreuve où moi, Eryn et les autres risquerions une nouvelle fois notre vie.
— Ce n’est pas tout, mon fils, ajouta Dame Isaure d’une voix suave.
Cazelain était aussi excité qu’un enfant devant son désert préféré.
— Il se murmure, très bas je dois dire, qu’une plume de corbeau ornerait le bas de son dos…
L’expression du jeune Sieur montrait que l’information valait son pesant.
— C’est tôt, mais il est vrai qu’elle a directement répondu aux conditions.
Notant cette fois mon air dubitatif, il exposa que la plume noire était la marque distinctive du Clan du Corbeau ; si elle était apparue sur la peau de la Reine, c’était que celle-ci avait passé l’Épreuve de son Clan. Elle était allée à la rencontre de leurs Gardiens.
— Parfaitement, mon fils. Et s’ils laissent courir d’aussi pauvres bruissements sans chercher à les taire ou les attiser, c’est qu’aucun ne sera venu à elle, s’amusa Dame Isaure. La petite a échoué son entrée au cœur de la famille. Maguiar a promis une Reine exceptionnelle à son Peuple, une Reine de prophétie. Une telle Reine ne peut se contenter de n’être qu’un membre ordinaire du Clan Royal.
La mère et le fils échangèrent un regard de connivence.
— Il semblerait que Maguiar nous offre une carte à jouer, conclut Cazelain en croquant dans une pomme verte qui éclaboussa la table de son jus frais et collant.
****
Assise sur les larges dalles froides du sol, j’attendais dans un coin que Clô et deux autres employés du Château finissent de charger les calèches - il y avait plusieurs malles à ranger, coincer et ficeler ; la route étant longue, nous resterions dormir une nuit sur place et repartirions le lendemain, juste après le déjeuner.
La conversation du matin entre Dame Isaure et Cazelain m’avait dérangée. Elle m’était obscure ; elle soulevait bien des questions et je n’en comprenais pas les aboutissements. Le Clan du Loup avait-il un passif avec celui du Corbeau ? Lequel ? Que visait Dame Isaure au juste ? Quant à l’évocation d’une Épreuve de Clan, cela avait éveillé un lien, un passage que j’avais lu sans vraiment le comprendre dans le recueil de Lionel Jos. Souvenirs et atermoiements posé en équilibre sur mes genoux, je tournai les pages en sens inverse jusqu’à le retrouver.
Qu’il est plaisant de s’entendre appeler Sieur. Sieur Lionel du Clan du Loup.
J’ai réussi !
Ce Clan sera désormais mon nouveau chez-moi. Une terre, un domaine, un foyer.
Toutefois, lorsque je vois Erard et son ombre noire, j’éprouve quelquefois un léger pincement au cœur… Aurais-je aimé entendre chanter une plainte ? Aurais-je aimé être approché ? Je m’en suis ouvert hier soir à ce bon ami maintenant devenu mon Protecteur ; le vin des Prairies m’avait fortement délié la langue - légèreté éphémère, mais poison du lendemain ! Mon corps arrivera-t-il un jour à s’habituer aux vins et spiritueux de ce Monde ?
Soit. Je n’ai en tout cas pas oublié ce que m’a rapporté Erard : il m’a confié que l’on peut retenter l’expérience une fois par an, lors d’une nuit de Lune Pleine, quelle qu’elle soit.
…
Oserais-je ?
Il m’a révélé que cela peut se faire sans grand public, ne sont requises que la présence des deux témoins et celle d’une troisième personne.
Plusieurs quatrains me séparent de l’année future, mais cela me turlupine déjà l’esprit. Que penserait-on d’un fou Étranger, pas encore vieux mais déjà plus si jeune, qui s’entêterait de la sorte ? Sachant qu’en plus, cela n’est pas sans mal, ou plutôt, pas sans un inconfort certain… Bien sûr, je ne peux m’épancher sur le sujet, même en ce recueil privé, comme pour les Épreuves d’entrée en ce monde, subies et surmontées. Si je le faisais, ma feuille se consumerait d’elle-même ; telle est la magie du Pacte et de ce Monde. Et ce recueil en devenir, à la différence des précédents, je ne sais trop pourquoi, il me tient à cœur de le conserver, de le laisser derrière moi... Je me contenterai donc de dire que cette Épreuve de Clan, si non mortelle, n’est pas non plus une promenade de santé.
Peut-être essaierai-je une fois encore. Une, seulement. Mais certainement pas trois.
Après tout, je ne serai pas le seul à n’en ressortir qu’avec la marque du Clan ; bon nombre de Sieurs et de Dames n’ont guère plus. En vérité, Erard et les autres élus font office de rareté. Une amie m’avait confié que cela avait toujours été ainsi et, qu’à sa connaissance, il en était de même dans les autres Clans. Je ne ressens donc aucune honte. Néanmoins… cela aurait été grisant, d’y parvenir et d’en ressortir tel un élu. La vie est faite de deuils et de frustrations.
Je refermai le livre. Je n’avais pas encore lu de passage mentionnant un deuxième essai. Si je remettais les bons bouts ensemble, alors, Eryn n’avait pas vraiment échoué ; elle était devenue une Dame du Clan du Corbeau. En quoi consistait ce plus ? Cette ombre noire pour le personnage d’Erard ? C’est cela qu’Eryn n’avait obtenu. Mais elle pourrait retenter sa chance - dans une année. Que souhaitais-je ? Qu’elle y arrive ou qu’elle échoue à nouveau ?
En vrai, je souhaiterais surtout ne plus me poser cette ridicule question. En quoi sa vie devrait-elle impacter la mienne ?
Je me demandais en quoi consistait cette Épreuve… Que fallait-il pour y avoir accès ? Étonnant de découvrir que toute trace écrite à ce sujet partait en fumée. Cela se passerait-il ainsi si je mettais en mots ma propre première Épreuve et ma confrontation avec les Bêtes ?
— Luce ! m’apostropha Dana. Tout est enfin prêt, nous pouvons nous mettre en route. Je suis heureuse, applaudit-elle comme une enfant, nous restons dans les temps !
****
Je ne comprenais pas pourquoi Dana avait accepté que je fasse route seule avec Cazelain. Elle-même nous suivait dans une seconde calèche avec Tom - le Compagnon de Château du jeune Sieur - et le reste de nos bagages. Avant de partir, ma Compagne m’avait avertie que le trajet durerait près de quatre heures. Ce serait long, mais nous étions chanceux car, en réalité, il prenait bien deux semaines par beau temps et pouvait doubler voir tripler si l’on avait peu de chance avec la météo. Pour le Bal du Roi, le Clan de l’Abeille avait négocié un passage avec la Rivière : certains de ses ponts permettaient de rallier plus vite un point vers un autre. Mais ces passages avaient un coût et étaient soumis à des règles strictes. Lesquelles ? Elle-même l’ignorait. Il est difficile de parler de ce qu’on ne pratique presque jamais. De ma vie, ce ne sera que mon troisième passage. Le premier, je l’ai effectué avec Sieur Cazelain le soir où nous sommes partis à la rencontre de quelqu’un à inviter. Le deuxième, je l’ai passé avec toi, endormie.
C’était donc mon deuxième passage. De fait, je ne gardais aucun souvenir du premier.
J’avais partagé les deux premières heures de calèche avec Dana ; elle m’avait laissé observer le paysage par la fenêtre dans un apaisant silence tandis qu’elle-même en profitait pour broder - ses points de croix donnaient vie à une nature épurée qui venait floquer une adorable grenouillère.
— Vous aimez les enfants ?
Elle plissa le nez.
— Non. J’ai d’ailleurs décidé de ne jamais en avoir. Ce serait un fardeau autant pour moi que pour l’enfant.
On n’aurait pu faire plus catégorique.
— Alors pourquoi ce choix de couture ?
— Je ne fais que le décorer. J’aime les jolies choses. C’est un cadeau.
— Pour un enfant en particulier ?
— Celui de mon frère. Si l’Univers le souhaite, il naitra au printemps. Les petits ont plus de chance de survivre lorsqu’il naisse après l’hiver. C’est prometteur. D’où mon ouvrage.
Après cette terrible et pragmatique révélation, j’avais sorti mon livre à la reliure rose et m’étais plongée dans sa lecture. Quels qu’étaient les époques et les Mondes, l’amour semblait toujours avoir les mêmes codes. Je n’avais relevé le nez que lorsque nous nous étions arrêté dans une petite auberge, le temps de nous dégourdir les jambes et autres menues choses que l’on a l’habitude de faire lors de tels arrêts. Au moment de repartir, Cazelain avait pris la place de ma Compagne qui n’avait pas protesté et s’était contentée de s’installer avec Tom dans l’autre calèche. Je n’avais pas osé ressortir le livre. Cazelain m’avait proposé d’échanger quelques parties de cartes. Les règles étaient simples et reposaient autant sur la chance que sur la stratégie. Le Sieur Loup avait remporté presque toutes les manches. S’il savourait ses victoires, il ne fanfaronnait pas et prenait parfois la peine d’expliquer comment il en était venu à gagner - pour améliorer ton jeu, Damoiselle Luce.
— Lève ton nez vers la fenêtre, dit-il en pleine partie, la vue devrait te plaire.
De fait, au loin, sur fond de prairies et bosquets verdoyants, se devinaient les contours d’un luxueux bâtiment éclairé de mille lumières.
À quoi peut bien ressembler leur principale résidence si celle-ci n’est que leur seconde ? m’étonnai-je en silence.
Je mesurais alors à quel point le Clan du Loup pouvait paraitre rustre et reculé aux yeux des autres Clans - si toutefois ils étaient tous à l’image des Abeilles.
Peut-être que le Clan de l’Abeille fait figure d’exception dans l’autre extrême ?
J’ignorais tant de choses encore sur ce Monde dans lequel on m’avait jetée…
Suivant le tracé sinueux de la route, la calèche tourna et je dus me tordre la nuque pour continuer à apercevoir dans son ensemble ce bâtiment si artistiquement illuminé. Le corps principal était arrondi et envahi par des vrilles végétales. Des annexes, sur les côtés, donnait une forme incurvée à l’ensemble. J’étais médusée par ces volumes et cette végétation abondante qui, plutôt que de l’étouffer, magnifiait le bâtiment. De loin, on devinait des silhouettes en pointillés qui grouillaient dans tous les sens.
— On dirait une ruche, chuchotai-je.
— C’est effectivement une demeure à leur image… Le Clan de la réunion. Le groupe passant avant l’individu. La communion, l’harmonie de l’ensemble… et tutti.
Je lui trouvai un ton aigri sans en comprendre la raison. Son expression était hautaine, je retrouvais Dame Isaure dans son arcade dressée. La veuve du Clan nous suivait dans une troisième calèche. Elle avait décrété qu’elle ne rentrerait pas au Château Lune après cette mondanité.
Elle manquera ainsi son ainé qu’elle n’a pourtant plus revu depuis quatre semaines. Un quatrain…
Nous venions d’entrer dans une longue allée cernée d’arbres élancés, tous plantés à égale distance.
D’immuables serviteurs forestiers.
De minuscules maisonnettes reposaient sur une dalle en briques tous les deux ou trois troncs épais, de petites formes ovoïdales tournaient autour, entraient, sortaient ou paraissaient en monter la garde.
— Ce sont de vraies ruches ? m’étonnai-je.
— L’abeille est le totem de ce Clan. En ces lieux, elles sont reines ; tu trouveras des ruches partout. Grâce à leurs nombreuses prairies fleuries et à ces arbres, les meiliers, ne poussant presque exclusivement que sur ces terres, le miel local est l’un des meilleurs en ce Monde. C’est un excellent fond de commerce pour eux.
— Et ces arbres sont vraiment magnifiques, ne pus-je m’empêcher de m’extasier.
Puis je repensais à ceux, malades, envahis de parasites, que nous avions laissés derrière nous seulement pour une nuit. Que ressentait Cazelain à comparer ce lieu avec celui qui était sien ?
— Tu vas regretter d’être venue à nous, lança-t-il d’une voix taquine.
— Je suis très bien chez vous, répliquai-je, piquée au vif.
— Mis à part les températures…
— Non, je… Oui. Mis à part les températures.
Je déposai mon jeu face visible sur la tablette qui faisait office de table entre nos deux banquettes rapiécées d’un patchwork d’écussons en cuir.
— Cazelain…
Il dressa un sourcil étonné, ses lèvres oscillant entre sourire et pincement.
— Voilà une façon fort intime de m’interpeller pour quelqu’un qui persiste à me vouvoyer depuis des semaines.
J’avais omis l’étiquette.
— Pardonnez-moi.
— Gare, le sérieux revient à la charge, s’amusa-t-il. Mais je t’écoute, cela semblait important.
— C’est au sujet des températures.
— Je n’ai pas d’emprise sur elles, soupira-t-il.
— Évidemment, m’agaçai-je, je veux en venir à autre chose. Hier, j’ai compris que certains villageois en souffraient, comme pour moi, avec ce Froid’os. La Soigneuse m’a conseillé des choses évidentes comme remède : bain brûlant, feu…
— J’ignorais que Mara t’avait diagnostiqué cela, s’inquiéta-t-il.
Je balayai son intervention d’une main.
— Elle a assuré que si je veillais à me réchauffer à chaque coup de froid, je ne risquais rien de grave.
Il hocha le menton, l’air perplexe, et m’invita à poursuivre.
— J’ai rencontré un homme blessé à la main, il a chanté vos louanges à vous et votre frère, Sieur Wolf Storm, car vous mettez les Guérisseurs à la disposition de tous avec régularité. Mais il y avait cette vieille dame qui préférait passer en dernier car elle savait qu’elle retrouverait le froid chez elle… Si c’est de ce mal qu’elle souffre, comment peut-elle correctement se réchauffer dans sa propre maison s’il y fait plus frais que dans la Grande Salle du Château ?
— Ce n’est pas le froid, le problème… coupa-t-il brusquement. Chaque foyer possède en théorie ses chaud-galets. Le vrai problème, c’est cette saleté de temps humide, ces nuages presque permanent dans le ciel.
Je remuais une corde sensible.
— Mais, que peut-on faire pour les aider ? insistai-je sottement, consciente qu’il aurait mieux valu rebrousser chemin, mais malgré tout embourbée dans mon idée fixe.
— À part ce que l’on fait déjà ? grinça-t-il.
Je rougis. Il avait raison, ce n’était pas comme si rien n’était fait.
Cazelain soupira longuement en ébouriffant les cheveux.
— Merci pour ta sollicitude à leur égard, Luce. Nous avons cet esprit, dans ma famille. Un Clan n’est rien sans le soutien de ses gens. En contrepartie, il est de notre devoir de nous mettre à leur service pour soulager au mieux leur quotidien. Tu l’ignores, mais mon frère a élaboré un projet visant à construire des thermes publics dans chaque hameau ; cela rejoint ton idée d’en faire plus contre ce mal, ne crois-tu pas ? J’aimerais moi-même pouvoir redistribuer des chaud-galets à chaque foyer, je sais que nombre d’entre eux ont été contraint ces dernières années d’en revendre une partie pour entretenir leurs maisons et pallier au manque de ressources de nos terres. Mais ces projets sont constamment remis à plus tard par d’autres frais. Mander les Soigneurs, soutenir les éleveurs afin qu’ils puissent correctement panser les cheptels, fournir du matériel adéquat aux agriculteurs, financer la formation de la nouvelle génération au sein de ces deux guildes maitresses sur nos terres. Et pour financer tout cela, nous sommes dépendant des récoltes. Mais, tu l’as compris, depuis plusieurs années, celles-ci sont limitées… Nos cultures dépérissent, comme notre Château Lune qui se ternit d’année en année. Tout ou presque y est défraichi. Propre, mais défraichi. J’aimerais tant pouvoir lui rendre sa splendeur d’autrefois…
J’étais coite.
— Je ne me rendais pas compte, chuchotai-je, pardon.
Dire que je me sentais mal était un euphémisme.
— Et c’est fort bien ainsi, se reprit le jeune Sieur, retrouvant son entrain de vitrine. D’ailleurs, je te somme de garder tout cela pour toi. Je préfère maintenir le reste du monde dans l’illusion que nous menons toujours grand train.
J’acquiesçai puis détournai en faveur du corps principal de l’immense maison-ruche de plus en plus proche. Cazelain l’observait, lui aussi. Se faisant, il ajusta machinalement le foulard bleu ciel noué autour de sa gorge. Nous étions de plus en plus secoués par le chemin à présent pavé.
— Détends-toi, je ne t’en veux pas. Ou bien, un peu seulement. Mais tout s’effacerait, j’en suis certain, si tu t’engageais une bonne fois à cesser de me vouvoyer.
Je déglutis avant acquiescer.
— Pourrais-tu également me promettre de te défaire de ton châle à notre arrivée ? dit-il avec plus de légèreté. Il fait plus chaud par ici, tu n’auras pas froid. Et ce serait dommage de cacher une si belle toilette.
Vraiment, il exagérait… Je portais une robe bleu nuit qui, je devais l’admettre, seyait parfaitement avec mon teint et mettait même mes yeux en valeur. Mais elle dénudait complètement ma gorge, mes clavicules et mes épaules dans un large arrondi. Il avait refusé d’en déroger depuis cette fois où il m’avait vue enroulée dans une serviette de bain.
— Je t’offre un tableau satisfaisant ? raillai-je.
— Ô que oui.
Ses lèvres s’ourlèrent dans une moue qui aurait pu convaincre une vingtaine de chats de plonger dans une baignoire d’eau froide.
Démon.
Je savais qu’au-delà du compliment, il devait y voir un intérêt. Au cours de ces semaines à le côtoyer un peu chaque jour, j’avais observé que s’il se targuait souvent de parler sans réfléchir, il faisait bien trop souvent mouche pour que ce ne soit que du hasard. Selon moi, Cazelain réfléchissait en permanence - ce que j’appréciais, moulinant moi-même en continu. Mais j’avais l’intuition que chez lui, chaque pensée était analysée et triée pour en tirer le meilleur parti… Dans quel but ? Je l’ignorais. Et nous ne nous connaissions pas assez pour nourrir de crédibles hypothèses. Mais je doutais que ce soit dans le but d’atteindre un objectif futile.
En quoi est-il important que je sois plus ou moins plaisante à regarder ?
Au fond, peut-être n’avais-je pas envie de le savoir…
— Au fait, dit-il soudain avec nonchalance alors que le cocher menait les chevaux au pas, d’ordinaire, quand je fais route avec mon frère, juste avant que nous ne sortions de la calèche, je lui demande un chiffre. Je m’applique ensuite à obtenir autant de conquêtes au cours de la soirée.
Il soupira en se désolant de cette absence.
— Voudrais-tu prendre sa place ?
Je le fusillai du regard. Cela m’arrivait de plus en plus souvent. Et comme il me laissait faire…, je ne m’en privais pas. J’étais certaine qu’il n’aurait jamais abordé ce sujet en la présence de Dana.
— Je n’entrerai pas dans un jeu si irrespectueux pour les autres.
— Soit. Sais-tu qu’en tant qu’invitée Étrangère, si l’on t’invite à danser ce soir, tu seras contrainte de t’y plier ? Au dire de ta Compagne, tu es aussi bonne danseuse que cavalière… Je doute donc que tu sois friande de tels échanges. Et pourtant, il y en aura. Après tout, c’est un bal… Cependant, en tant que représentant du Protecteur de ton Clan d’asile, je peux intervenir et décliner en ton nom toute invitation non-désirée. Mais peut-être ne devrais-je pas entrer dans un jeu si irrespectueux pour les autres…
Merdouillerie.
— Un, dis-je rougissante en évitant son regard que je devinai moqueur.
— Luce…
— C’est un nombre que je sache.
— Ajoute un zéro et tu auras approximativement le nombre de danses que tu devras céder si je ne viens à ta rescousse.
— D’accord. Deux. Heureux ?
— Extrêmement.
Il replia la tablette d’un geste sec, ce qui permit au cocher d’ouvrir la porte.
— Et sache que je relève ton défi ! dit-il en sortant, les yeux rivalisant de brillance avec son sourire.
Je roulai les miens vers le plafond de la calèche.
****
Oooooh le clan des abeilles, ils ont l'air bien riches effectivement ceux-là. C'est plaisant de découvrir un nouveau lieu : )
J'avoue avoir eu un peu de mal à bien comprendre cette histoire d'épreuve de clan qui permettrais de gagner des choses même quand on échoue, je ne suis pas bien sûre de comprendre cette histoire de tatouage et tout... ça n'a pas été hyper clair pour moi, malgré les explications données : /
Pour le reste, c'est toujours un plaisir de voir Cazelain cabotiner, huhu. Comme Luce, je me demande où va vraiment ce personnage...
J'ai hâte de découvrir ce qu'il se passera lors de cette soirée de bal : )
Je me suis bien amusée avec cette résidence des Abeilles. On verra si le pari d'évoquer de grandioses images sera réussi ou pas un peu plus loin ^^'.
Par rapport à ce que tu n'as pas compris... À vrai dire, c'est complètement voulu que ça ne soit pas clair. Je présente d'ailleurs une Luce tout aussi perdue. J'espère attiser la curiosité et non embrouiller et éloigner de la trame. :/ C'est un gros point que celui-là. Tout sera éclairci au fur et à mesure. Je sais pas, je me suis dit que Luce était déjà bien occupée dans sa tête avec ce Bal où elle n'a pas envie d'aller et la deuxième épreuve toute proche. Balancer un énorme point théorique sur ce monde me semblait trop tôt. C'est un des points d'évolution dans l'intrigue où je me demande si je dose bien ou pas. ^^'
Cabotiner ^^ J'adore le son de ce mot, je ne connaissais pas du tout :D Comme ça lui va bien ^^
Merci pour tes retours <3 ^^
Je suis trop contente que tu aies publié un autre chapitre ! Celui là fait vraiment plaisir (j’adore les relations qui se créent, mais aussi, on va pas se mentir, la dame du château qui gossip, ÇA FAIT PLAISIR!)
Ils ont un problème avec le consentement n’empêche!
À bientôt!
:D Contente que le plaisir reste au rendez-vous.
Je suis trop fière, je pense comprendre le mot gossip (commérage ? C'est bien ça ? :p Je nourris mon anglais, trop bien). Contente que ça rende bien l'échange entre Isaure et Cazelain. ^^ Je suis quand même contente qu'elle n'apparaisse pas de trop (en tout cas pour le moment), car je ne suis pas à l'aise avec ce perso (= Isaure), elle me fait peur xD. J'espère savoir traduire ça ^^'
Merci merci ^^