Pour éclairer le peuple nain
Qui jusque-là marchait dans l’obscurité
Dmor-Khal fabriqua des ses mains
Une torche à l’étonnante faculté.
Elle était immuable et ne se consumait pas,
Nourrie du feu de vie des êtres passés à trépas.
Grâce à cet artefact du dieu des sous-sols et des morts
On pouvait voir comme en plein jour dans tous les corridors.
Extrait du poème « Les sept présents des Sept »
Depuis plusieurs semaines, Gal était perdu dans ses songes. Abath-Khal l’envoyait systématiquement dans les obscures galeries de l’infra-monde. Il ne parvenait à comprendre le but de cette manœuvre. L’oniromancien sentait qu’il restait dans le même instant figé. Malheureusement, il ne parvenait pas à s’extirper du tunnel où il se trouvait. Il butait contre d’innombrables soldats orcs. Dans ce noir absolu, il lui était impossible de savoir s’il s’agissait de son armée ou bien d’adversaires. Pour l’instant, l’objectif du dieu-jaguar demeurait un mystère.
Ce rêve oppressant obsédait le colonel pourpre. Plongé dans le doute, il décida de repartir en quête du marteau de Dmor-Khal pour évacuer ses interrogations. Après tout, Gal n’avait pas encore rempli cette quête. Comme à l’accoutumée, il prépara consciencieusement son voyage et s’enquit de la fidèle Kaa.
Lorsqu’il ausculta boussole de Ziric, celle-ci indiqua le plein Ouest. Un orc rouge accompagné d’une amphiptère ne pouvait pas se déplacer ainsi en territoire elfe, même en pleine trêve séculaire. Les seuls échanges entre l’Orcania et la bannière de Batum-Khal s’effectuaient entre Ladin et la cité de Miul. A part l’obsidienne des mines de sa capitale, Orokko ne possédait rien à commercer.
Gal prit le parti de la discrétion. Il longea la frontière entre les deux royaumes, aux pieds des montagnes. Évitant tout contact avec âme vivante, les jours s’enchaînaient, tous semblables. Chaque matin, il humait le vent et écoutait les bruissements de la forêt. Une fois sa proie détectée, il la traquait et la tuait à mains nues avant de se repaître de sa chair crue et sanguinolente. Il aurait pu simplement s’alimenter avec la corne d’abondance, mais le colonel pourpre se sentait bien ici, loin de toute charge de commandement, en communion avec la nature. Il redevenait un simple animal prédateur sans autre objectif que de vivre au jour le jour. Pourquoi le dieu de la guerre l’avait-il choisi lui ? Ses rêves obsédants de tunnels obscurs ne le rassuraient pas sur la destinée que le Maître lui avait choisie. Lorsqu’un matin, la flèche de la boussole de Ziric obliqua pour la première fois, l’oniromancien hésita à abandonner sa quête pour rester là à chasser jusqu’à la fin des temps. Rapidement, il se reprit. C’était aussi pour éviter ces errements qu’il avait demandé à Kaa de l’accompagner.
« Ssss ! Déssendre dans la plaine ? »
« Rrrrr ! Non Kaa. Encore deux jours de marche et nous rejoindrons l’aqueduc alimentant Panamantra. Rrrr ! Un bon moyen d’évoluer à couvert. »
Deux jours plus tard, les deux compères avançaient au sommet du monumental pont de pierre. Le colonel pourpre songea que la prise de Panamantra serait chose aisée. La cité se trouvait trop dépendante de l’infrastructure. On possédait l’embarras du choix entre la détérioration ou l’empoisonnement de l’eau. La perle blanche du Nord pouvait constituer une prise de prestige à peu de frais. Si Orokko ne l’avait jamais fait, c’est sans doute parce que par la suite, la défense de la place forte risquait d’être très compliquée.
Arrivé aux collines bleues, à deux cents lieues de Panamantra, la boussole demanda de bifurquer encore à l’Ouest. Gal avait donc dépassé le lieu de l’artefact. Il envoya Kaa en reconnaissance.
« Sssss ! Plaines sssur des kilomètres ! Ssss ! Champs labourés ! Pas possssible ssse cacher ! »
L’oniromancien choisit d’attendre la nuit. Même sous la pleine lune, le risque d’être repéré serait moins important qu’en plein jour. Malgré tout, il pressa le pas et avança au petit trot. La luminosité lui permettait à peine de distinguer l’aiguille de la boussole. Pourtant, il repéra immédiatement son mouvement lorsqu’elle commença à s’affoler. C’était impossible ! Il se trouvait au milieu de nul-part et l’artefact de Ziric semblait indiquer qu’il était arrivé !
« Sssss ! Ssssous terre ! Gal creusr ! Ssss ! »
« Rrrr ! Tu penses vraiment que des sept présents des Sept se trouve dans un champ labouré ? Rrrr ! A mon avis, il faudra creuser un moment ! »
Mais bien sûr ! L’objet magique se trouvait dans l’infra-monde ! Heureusement, l’une des entrées dans les sous-sols du bouclier-monde se situait entre la cité gnome de Slalve et le port dryade d’Aquira. Gal resta à couvert la majeure partie du trajet en remontant l’aqueduc, puis en franchissant les montagnes de l’Orcania. A l’orée de la forêt, à une heure de marche du grand monolithe indiquent la frontière du territoire nain, il s’arrêta. L’oniromancien envoya Kaa en reconnaissance pendant que de son côté, il accumulait des brindilles et de la mousse sèche. Il savait que se déplacer dans l’infra-monde nécessiterait de pouvoir s’éclairer de temps à autre, hors la végétation et les combustibles ne se trouvaient pas facilement sous terre.
En remplissant méthodiquement sa besace, le colonel pourpre s’interrogeait sur la problématique concernant la couleur de peau. Il était trop rouge pour passer inaperçu, même dans ce grand portail où des masses cosmopolites transitaient pour commercer. Un géniteur royal ne se déplaçait pas seul. Les meilleurs guerriers orcs accompagnaient systématiquement leurs chefs de guerre en déplacement.
« Ssss ! Sssuis-moi ! Ssss ! Sssolussion ! »
L’amphiptère emmena Gal jusqu’à une mare à moitié asséchée. A quelle idée saugrenue la reptile volante pouvait-elle bien songer ?
« Ssss ! Plonge ! Ssss ! Cacher couleur ! »
Finalement, Kaa n’était pas si stupide que cela. Elle n’atteindrait jamais le niveau intellectuel de Borg, mais elle se révélait chaque jour plus réfléchie et perspicace. Dans le plus simple appareil, Gal plongea dans la boue pour recouvrir la moindre parcelle de sa peau rouge. En cinq minutes il s’était transformé en un orc fuyard loqueteux. On lui avait conté des histoires sur ces couards qui désertaient l’Orcania par peur des combats rituels et de l’émasculation qui s’ensuivait. Ils rejoignaient les autres bannières et vendaient leurs talents de mercenaires pour survivre. Le colonel pourpre espérait que cette petite couverture s’avérerait suffisante pour passer la porte des nains. De toute manière, il ne connaissait aucun autre passage dans la région. Il devait tenter sa chance.
Le terrible guerrier orc n’avait pas peur à proprement parler. La peur restait l’apanage des faibles. S’il avait eu peur, il aurait renoncé et rebroussé chemin. Gal était simplement anxieux et craignait de se faire découvrir. Finalement, la lâcheté n’était-ce pas le refus de surmonter sa peur ? Décidément, chaque voyage se révélait initiatique pour l’oniromancien, qu’il soit réel ou dans ses rêves. Il avança d’un pas calculer pour paraître à la fois faussement nonchalant et masquant une crainte d’être débusqué par d’hypothétiques poursuivants. Arrivé au portail, il déblatéra son mensonge en ajoutant qu’il voulait proposer ses services aux Marteaux d’Airain. Étrangement, personne ne fit réellement attention à lui. Ainsi donc, les déserteurs orcs existaient vraiment !
Gal prit le parti d’éviter les artères principales pour se déplacer. Ainsi, il se retrouva rapidement dans des corridors totalement obscurs. Pour regagner le point identifié par la boussole de Ziric, le chef d’Udgog tenta de se remémorer les cartes naines que lui avait fournies Borg, son ingénieur militaire. La tâche était à la fois ardue et hasardeuse. Comment se repérer ainsi dans le noir dans un secteur qu’il n’avait jamais fréquenté ? Le colonel pourpre connaissait par cœur le « territoire qui n’existe pas » des Marteaux d’Airain. Par contre, il avait peu évoluer dans l’infra-monde au-delà de Kur-Dhural. Régulièrement, à chauqe heure présumée du repas, il allumait un bref feu avec sa mousse séchée pour consulter sa boussole et conserver le bon itinéraire jusqu’au prochain présent de Sept. Il en profitait alors pour se nourrir des mets que lui procurait la corne d’abondance. Kaa avait bien de la chance de posséder un métabolisme de reptile lui permettant de jeûner des semaines entières.
Au fur et à mesure de son voyage, Gal éprouvait plus de difficulté. Il évoluait dans une obscurité impénétrable permanente et dans son sommeil, ses songes le maintenaient dans cet environnement dépourvu de lumière. Sa progression n’en était que plus lente et laborieuse. Un jour, il entendit un ricanement distinctif qui résonna dans sa galerie. Des goules ! Ils n’étaient donc pas seuls. Le colonel pourpre chuchota à Kaa « Rrrr ! Glisse à cinq mètres derrières moi. Rrrr ! Tu restes discrète et tu me couvres. Rrrr ! Jusqu’au contact avec l’ennemi, silence ! » Du bout de sa langue fourchue, l’amphipthère répondit « Ssssilensse ! » pour signifier qu’elle avait compris.
Avec des trésors de précautions pour ne pas signaler sa présence, Gal progressa à tâtons dans la galerie. Au bout d’une centaine de mètres, le guerrier orc distingua la danse chancelante d’ombres renvoyées par une flamme. L’oniromancien huma l’air. Celui-ci empestait la charogne. Son ouïe ne détectait rien trop de bruits en plus du le crépitement du feu pour évaluer le nombre de personnes présentes. Il était impossible de savoir combien d’adversaires se trouvaient tapis et silencieux prêts à bondir.
Gal tenta un regard plus avant. Quatre goules tournaient en cercle autour d’un monceau d’os, à la limite de l’éclairaige du feu qu’elles craignaient tant. Elles semblaient garder un curieux personnage juché sur le tas de squelettes. Le prisonnier lui tournait le dos. Quelle était donc cette créature sans âge qui boulottait le membre avarié d’un cadavre ? Elle ressemblait vaguement à un nain, mais croisé avec autre chose. La bannière de Dmor-Khal pratiquait-elle l’hybridation, comme Borg avec les derniers nés de Nunn ? Ces yeux rouges, ces griffes, ce poil rat, ce museau, ces dents et cette queue ! Ces caractéristiques correspondaient au rat ! L’oniromancien se trouvait devant un skaven ! Pourtant, cette race maudite de nécromanciens était censé avoir disparu depuis cent guerres au moins ! Ainsi, les nains faisaient garder ces nains demi-rats pratiquant la nécromancie par des nains demi-hyènes mangeuses d’âmes ! Ou bien le mage noir parvenait à survivre en repoussant les terribles prédateurs en maintenant un feu.
Même s’il exécrait cette pratique, Gal utilisa sa sarbacane pour abattre les quatre goules avec ses dernières fléchettes empoisonnées au curare. Selon l’art de la guerre orc, combattre ainsi relevait de l’aveu de faiblesse, mais comment aurait-il pu vaincre ces quatre monstres seul ? Le chef d’Udgog balaya ses doutes d’un revers de main. Pour vaincre, tous les moyens sont bons ! Seul le résultat comptait. Le poison ne tarda pas à faire effet et les terribles cerbères s’effondrèrent. Qu’il était dommage de ne pas posséder suffisamment de fléchettes.
Le colonel pourpre se présenta à découvert en toute simplicité sans plus faire attention au bruit qu’il faisait. La créature maudite se retourna en poussant un cri. Elle proféra une menace dans un langage étrange que l’oniromancien polyglotte ne connaissait pas. Lentement, Gal avança vers le skaven les bras écartés et les paumes ouvertes en signe d’apaisement. Face à cette attitude étrange de la part d’un guerrier orc, le nain-rat se figea. Kaa profita de la diversion pour passer derrière l’étrange créature pour la mordre à la gorge. L’amphitère injecta son venin qui foudroya instantanément sa victime. Le potentiel témoin de leur quête était éliminé.
Profitant de la lumière du feu, Gal consulta à nouveau sa boussole. L’aiguille pointait le flambeau autour de laquelle le skaven s’affairait encore quelques instants avant. Il venait de s’emparer de la torche immuable ! Le retour à Udgog par l’inframonde ne fut qu’une formalité avec cet artefact capable d’éclairer à volonté. La première nuit suivant la découverte du présent de Dmor-Khal, l’oniromancien rêva de tunnels éclairés par l’objet magique. Il pouvait continuer à interpréter les messages du maître.