Snakeheart, Betty et Joe,
Quelque part sur une route entre Chicago et L.A.
2023
* * * 31 * * *
La musique est une révélation
plus haute que toute sagesse
et toute philosophie.
Beethoven
* * *
Cela faisait quelques jours que Joe et Betty roulaient sur la route qui devait les mener en Californie. Ils ne se pressaient pas et ils n’avaient aucune nouvelle de la situation à Chicago. Joe pensait l’affaire terminée, derrière lui, mais une petite étincelle de méfiance le gardait en éveil. Il se dit qu’au prochain arrêt il devrait appeler Nouns pour s’assurer que tout allait bien. Le voyage en Fastback était rude. La voiture, faite pour briller sur les circuits ne convenait pas vraiment à un voyage au long cours. Mais Joe et Betty s’en moquaient. Ils étaient libres et profitaient de ce voyage pour s’aimer, pour baiser, dans les motels, voire dans la voiture quand l’envie était trop forte. Leurs arrêts alternaient ébats et repas dans des fast-foods et des restaurants pour routier. C’était la vie qu’ils cherchaient et la partie de poker, même si Joe n’avait pas pu s’en tirer avec tout le magot, leur permettait un nouveau départ. Joe et Betty avaient prévu de partir à Los-Angeles et une fois sur place de recommencer une nouvelle vie, loin des magouilles et des petites arnaques de Chicago. Joe était guitariste, reconnu dans le milieu, mais il n'avait jamais réussi à percer. Talentueux, mais peut-être pas assez sérieux, peut-être trop attiré par l’argent facile, il s’était laissé entrainer dans des coups malsains et la musique passait souvent au second plan. Betty était chanteuse. Elle avait la voix du blues et quand elle chantait, le temps s’arrêtait, pour elle et pour son public. Elle portait en elle la douleur et les peines des générations de chanteuses noires qui l’avaient précédée. Ensemble, ils comptaient former un duo et reprendre leur vie en main, sur les scènes de Los-Angeles. Là-bas, la chance tournerait !
Lors d’une pause dans un routier quasiment vide, Joe laissa quelques minutes Betty au bar en train de boire une bière pour aller aux nouvelles. Il n’avait plus son téléphone portable, relique d’une vie qu’il voulait oublier. Il en achèterai un nouveau à L.A. Il allait donc téléphoner à la cabine du restaurant.
– Allo ! Nouns ?
– Salut Joe, comment ça va ? Où est ce que vous êtes ?
– T’inquiète mec. Nous sommes sur la route, avec Betty. Tout va bien.
– Non, tout ne va pas bien Joe.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Les gars que tu as plumés t’en veulent à mort. Ils sont convaincus que tu as triché.
– Tu sais bien que c’est faux ! Un gamin de dix ans jouerait mieux au poker que ces deux abrutis.
– Peut-être, mais le mal est fait Joe.
– Et maintenant qu’est ce qui se passe ?
Nouns s’énerva :
– Ce qui se passe ? Je vais te le dire ce qui se passe. Les gars ont appelé leur boss, le Français, et il se dit que le Français a appelé Snakeheart ! Tu sais ce que ça veut dire Joe ? Snakeheart ! Tu sais ce que ça veut dire ?
Joe, surpris, resta silencieux un moment.
– Joe, tu es toujours là ?
– Oui je suis là. Et toi comment ça va ? Tu n’as pas eu de problème ?
– Non, ces lourdauds n’ont jamais compris qu’on avait joué ensemble. Tu as raison, des gamins de dix ans joueraient mieux qu’eux ! Ils m’ont laissé partir sans une question.
Autre moment de silence.
– Bon, Joe. Il va falloir que tu fasses gaffe à toi. Snakeheart c’est pas rien. Ce gars a une sacrée réputation. A mon avis, il va falloir que tu ailles plus loin que Los-Angeles.
Joe ne savait pas vraiment quoi répondre.
– Merci pour les infos, Nouns. Prend soin de toi !
Et il raccrocha.
De retour au comptoir, Joe arriva par surprise pour surprendre sa belle qui finissait sa bière. Il la prit dans ses bras et la fit tourner pour l’aider à descendre du tabouret. Puis il finit par l’embrasser passionnément, ne laissant rien paraitre du nuage qui naissait sur leur horizon.
– Alors Joe, quelles sont les news de Chicago ?
– Tout va bien ma belle. Les soucis sont derrière nous. Encore quelques jours de voyage et à nous la belle vie ! A nous L.A. et à nous la gloire !
Joe paya la note et ils partirent enlacés en direction de la Fastback. Ils grimpèrent dans la voiture. Betty prit le volant, mit la voiture et route, attendit quelques secondes que le régime moteur s’installe. Elle démarra en trombe, les graviers du parking volèrent dans toutes les directions. Quelques routiers en train de manger, alertés par les crissements de pneus levèrent la tête et virent la Fastback quitter le parking et foncer sur la route avec des dérapages joliment contrôlés.
A quelques distances de ce restaurant, au volant de sa Ranchero GT de 1971, Snakeheart cherchait le jeune couple que la mafia de Boston lui avait demandé de descendre. Il n’avait aucun ressentiment. Il ne comptait plus ses victimes et un contrat était un contrat. Il ignorait la cause de cette mission, et ça ne l’intéressait pas. Il ne posait jamais de question. Le Français l’avait prévenu que la cible, une Fastback noire et ses deux occupants, se dirigeaient de Chicago vers la Californie. Il y avait de multiples routes pour ce voyage. Mais Snakeheart avait un don, celui de la chasse. Déjà dans l’armée, il avait été éclaireur, guerrier solitaire. Son travail était de traquer les cibles et parfois de les éliminer. Il comprenait leurs mentalités, leurs motivations et surtout leurs émotions. Il pouvait se mettre à leur place et anticiper leurs mouvements. Ses traques se terminaient la plupart du temps par un une balle dans le cœur.
Pour la traque en cours, Snakeheart avait choisi une portion de route. Il était convaincu que le jeune couple passerait par cette route secondaire pour rejoindre la Californie. Il y avait peu de passage, principalement des routiers qui y roulaient tranquilles. Pour les attendre il avait choisi un petit hameau, Stackolee City. On y trouvait un motel, une station-service, quelques commerces et un pub. Ce bled était isolé sur cette route et sa station-service était la seule sur une portion de deux cents kilomètres.
Snakeheart savait qu’ils s’arrêteraient ici, près de Tulsa.