Il n’y a pas de vérité. Ou plutôt, il y en a tellement qu’elle perd tout son sens, comme une saveur aussitôt occultée par cent autres qui se bousculent sur notre langue. Comme un murmure à un concert de metal.
Prenons l’exemple archi-typique des manuels scolaires, le fait objectif ultime, la vérité première, indiscutable et reconnue par toutes et tous.
« Le chat mange la souris. »
Le chat, sujet, mange, verbe, la souris, COD. Bon, d’accord.
Mais demandons au chat : lui ne mange pas la souris. Il mange son repas du jour, sa pitance durement acquise, il jouit de son droit octroyé par la règle universelle : bouffer ou être bouffé. Il ne mange donc pas la souris, il mange tout court. Il mange une souris, tout au plus. Personne ne mange le steak, la carotte ou le cabillaud, si ?
Donnons alors la parole à la souris, justement. Elle crie au meurtre, à l’assassin, au crime de guerre, à l’injure contre le droit des proies de se faire zigouiller sans autre forme de procès, au lieu de quoi elle se retrouver projetée en l’air, ballottée comme une pelote de laine, titillée du bout de la griffe, démembrée petit à petit. Le chat — l’infâme bourreau ! — ne mange pas la souris, il la crucifie, il la dévore, il met à mort une âme innocente et effrayée par les horreurs de ce bas-monde.
Même un observateur impartial, l’humain — qui de plus impartial qu’un humain ? —, ne serait pas d’accord. D’abord, c’est son chat, pas le chat, c’est Mimosa, pas n’importe quel chat de gouttière galeux. Ensuite, Mimosa ne mange pas la souris, elle joue avec. Nuance importante ! Et puis, est-on vraiment sûr que c’est une souris ? Ça pourrait bien être un rat. Ou un rongeur des champs, là – un campagnol ? Enfin bref, c’est petit, ça couine, ça furète avec sa queue en ver de terre, c’est sale et ça donne des maladies. Bien fait. Et puis, il faut bien que Mimosa affûte ses instincts de prédatrice !
Alors non, en fin de compte, même la vérité la plus simple est loin de l’être. Que dire alors de « La Terre est ronde » ? Faux. Archi-faux. Au mieux, elle est ellipsoïdale. De près, elle ne ressemble à rien, avec ses creux, ses montagnes, ses vagues, et puis est-ce qu’on compte les océans ? Allez donc demander à une chauve-souris si l’herbe est verte, allez demander à une géante bleue si notre Soleil est chaud, allez demander à un détenu s’il a mérité sa peine, allez demander aux dauphins empêtrés dans des marées de plastique si l’être humain est l’animal le plus intelligent de la planète.
Paradoxalement, il n’y a pas de vérité, mais il y a des mensonges : il nous suffit d’interroger notre conscience. Et si la vérité avait une conscience, elle nous dirait que la vérité est un mensonge.
c'est fin, bien écrit, interessant et très intelligent je trouve
vraiment un genre de texte que j'adore lire, donc j'adore te lire :D
donc bravo et j'espère que tu vas continuer
A+
Merci pour tous ces mots doux et encourageants !!
...enfin, non, pas exactement. Les cours de philosophie, dans mon lycée, c'était plus écrire qu'apprendre des trucs. Au moins, là, j'ai un peu plus l'impression de lire des trucs vraiment intéressants.
Sinon, si c'est par le biais de questions qu'on peut avoir des chapitres, j'en ai une : est-ce que le bonheur et la liberté sont deux concepts qui vont bien ensemble ?
J'ai eu la chance d'avoir une excellente professeure de philosophie qui nous faisait réfléchir par nous-mêmes plutôt que de nous faire étudier des idées vues et revues. Il faut croire qu'une part de moi n'a jamais quitté sa salle de classe...
Ouh, dure question ! Mais c'est à ça qu'on reconnaît qu'elle est intéressante. Allez, c'est validé. Le prochain chapitre arrivera en temps et en heure :)