« Quelle réponse veux-tu ? Celle du savant ou celle du poète ? »
Celle du scientifique ou celle du philosophe, donc ? Non, pas la peine de répondre. Je vais le faire à ta place : ce sera les deux.
Le scientifique dirait que c’est une question de vitesse, d’accélération et de relativité. Quand on est dans une voiture — pardon, sur un schgloubf volant, et qu’on vole à côté d’un autre schgloubf qui va à la même vitesse, il nous paraît être immobile. Pourtant, vu d’en bas, les deux schgloubfs se déplacent, et vite. Et bien, si je détache un bout de la corne antérieure de mon schgloubf et que je le lance à la verticale, il va me retomber dans la main. Parce que la vitesse de mon schgloubf, qu’il me transmet parce que je suis assis sur son dos (avec son consentement bien sûr), se transmet également au bout de sa corne au moment où je le lance. D’ailleurs, il se passe exactement la même chose quand on lance un objet depuis le sol, si l’on se rappelle que la Terre est en mouvement… Mais vu de la Terre, justement, le bout de corne jeté du dos du schgloubf traversera les airs comme si on l’avait lancé droit devant ! Et c’est là que ça devient intéressant : toute cette expérience part du principe que le schgloubf vole à la même vitesse. Mais si jamais il se met à accélérer ou décélérer pendant que le bout de corne est en l’air, ce dernier ne retombera pas dans la main du schgloubfier, puisque la vitesse transmise par le schgloubf au bout de corne au moment du lancer n’est plus la même que celle du schgloubf au moment où le bout de corne retombe. Si le schgloubf accélère, le bout de corne retombera derrière — et inversement s’il décélère.
Bon, fini de raconter des âneries, laissons plutôt la place — ou la plume — au philosophe, qui s’improvisera poète pour l’occasion. Une sorte de monstre hybride, comme le croisement d’un schgloubf et d’un razktrapkz : un philoète (ou un schglapkz, c’est selon).
Déjà, la science n’excuse pas tout. Monter un schgloubf, consentant ou non, c’est dégradant. Avilissant. C’est de l’exploitation pure et simple, oui, je l’ai dit. Il n’a rien demandé, ce pauvre schgloubf. Et certainement pas à faire partie d’une expérience pseudo-scientifique à la noix. Comment croyez-vous qu’il puisse être consentant s’il ne sait même pas qu’il a d’autres manières de vivre sa vie de schgloubf ? Un esclave qui n’a jamais goûté la liberté ne cherchera jamais à s’enfuir. Mais vous ne vous arrêtez pas là ! Non content d’exploiter et d’épuiser ce pauvre schgloubf, voilà donc que vous le mutilez ! Tortionnaire ! Assassin ! Boucher !
Je divague, je divague, mais la question reste à flot. Reprenons. Pourquoi vouloir lancer un objet en premier lieu ? Pour s’en séparer. Dès l’instant où l’objet quitte tes doigts, vous cessez d’être une entité unique et unie, vous vous séparez en deux corps distincts, éloignés d’un univers tout entier. Rupture. Mais l’objet, lui, n’a qu’une volonté. Qu’un seul désir. Qu’un seul but : retrouver cette unité, retrouver la paume de ta main. Tous les objets partagent ce principe, quoiqu’à des échelles temporelles différentes ; la feuille morte d’un arbre tombera, sèchera sur le sol, se fera culbuter au rythme des brises, des marcheurs et des souffleurs qui passeront. Mais inévitablement elle reviendra au sol, à la terre nourricière, sous une forme ou une autre, pour s’y décomposer lentement, se scinder en composants élémentaires, en nutriments, pour enrichir le sol et nourrir le prochain arbre dont les racines passeront par là. En remontant jusqu’aux bourgeons de cet arbre, la feuille morte aura accompli son cycle. De même qu’un stylo n’accepte d’être rangé dans sa trousse qu’avec l’assurance qu’il en sortira le lendemain. Que deux mains ne se lâchent que pour se dire au revoir — une promesse qui sera tenue.
Que tu sois donc dans une voiture, un train, un avion ou sur un schgloubf, si tu lances un objet, il retombera dans ta main. Car c’est l’élan irrésistible des objets qui le meut.