Après avoir vécu une vie entière en fonctionnaire à la fonction obscure ne fonctionnant à rien, puis en chômeur multi-milliardaire grâce à son incroyable chance aux loteries, je n’avais pas beaucoup d’estime de moi.
J’étais revenu au point de départ, à environ 6 ans, prêt à démarrer une nouvelle vie, déterminé cette fois-ci à utiliser correctement mon grand pouvoir afin de satisfaire mes grandes responsabilités et mon gros ego. La question étant juste comment.
J’ai d’abord pensé à devenir médecin. Je voulais sauver des gens, beaucoup de gens : je suis donc devenu chirurgien esthétique. Il m’a fallu 45 ans pour admettre que transformer des personnes mal dans leur peau en peinture vivante de Picasso ne rendait pas spécialement service.
Ensuite j’ai pensé devenir super-héros. J’ai alors gaspillé 35 ans à apprendre les arts martiaux et attendre l’apparition d’un super-villain en collant et si possible provenant d’une expérience scientifique ratée. Je suis même allé suggérer à certains centres scientifiques de faire des expériences sur la régénération des lézards ou des cuves de produits chimiques. Ils m’ont ri au nez, même quand je leur ai expliqué qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que je pourrai utiliser mon talent en karaté en cas de danger. Allez comprendre.
Je n’avais plus de choix : je suis devenu policier. Après la débâcle de l’expérience super-héroïque, j’avais bien compris que je pouvais faire une croix sur les course-poursuites en voiture, les fusillades ou une prise d’otage par un groupe de beaux et diaboliques terroristes européens (ma préférence va sur les allemands, mais je laisse mes options ouvertes).
Je n’étais plus naïf. J’étais résolu à devenir inspecteur et passer ma vie à résoudre des crimes impossibles en chambres closes. Je m’étais préparé pour arrêter tous les majordomes traîtres, les faux handicapés en fauteuil roulant, les secrétaires mesquins.
Je devins policier en 2022 et passai les sept années suivantes à patrouiller dans les rues et mettre des amendes.
J’étais horrifié : mon talent et mon expérience étaient dûment gâchés pour des tâches futiles et à l’utilité relative. J’étais capable de prévoir quand et où un meurtre allait se produire : on me consignait de faire des promenades ! Et même pas dans les quartiers dangereux !
J’ai fait part de ces remarques judicieuses à mon sergent. C’est là que je dois vous annoncer qu’il n’y a rien de plus difficile au monde que d’expliquer à un supérieur hiérarchique que vous pouvez manipuler le temps. Il ne vous croira évidemment jamais sans preuves, et lorque vous en amenez, soit il prendra peur soit pensera que vous avez fait quelque chose de grave.
Je glisse un petit conseil : n’utilisez pas comme preuves des données sensibles sur la femme dudit supérieur hiérarchique. Le quiproquo qui s’en suivra sera tout sauf agréable.
D’un autre côté, convaincre votre supérieur hiérarchique que vous êtes le meilleur détective du monde en omettant complètement la faculté à revenir dans le passé n’est pas une gageure. J’avais alors beau lui expliquer que j’étais capable deviner une fois sur trois qui est le meurtier dans les romans d’Agatha Christie, le fait que j’étais je cite « le pire patrouilleur de police de tous les temps » ne jouait pas en ma faveur.
Je n’avais pas le choix : pour devenir un héros, il fallait à tout prix mettre des amendes comme un champion.
Oubliez les pompiers, les journalistes de guerre, les brigadiers anti-gang ou encore les mères célibataires que élèvent seules leurs enfants : être un patrouilleur sérieux est un des métiers les plus difficiles au monde. Car il n’y a que trois issues possibles.
Soit vous ne trouvez personne à punir : les journées se résument alors à de longues ballades sans but, errant dans les rues tel un artiste en spleen ou un pervers sexuel (les deux simultanément étant possible).
Soit vous dénichez des effractions, qui ne sont en général jamais glorieuses : un véhicule mal garé, des déchets jetés, du vandalisme bas de gamme ou des objets volés. Mon moment de gloire a été d’avoir tout cela en même temps : une moto volée qui avait été garée au bord de la Seine et couverte exprès d’eau de mer et de fausses écailles de poissons. L’exploit était tellement grand que je ne savais pas s’il fallait retrouver le coupable pour l’arrêter ou le féliciter.
Enfin, vous vous trouvez nez-à-nez avec les coupables et vous les chargez d’une amende bien grasse. Il n’y a que dans ces moments que l’être humain dévoile qui il est vraiment. C’est lorsqu’il reçoit la lourde amende qu’une personne laisse libre cours à sa haine pour l’humanité et sa prodigieuse imagination pour les insultes. Je n’ai jamais été autant insulté de différentes façons par différentes personnes : c’était à la fois destructeur et instructif.
Pourtant je demeurais toujours à l’heure, toujours prêt à faire le bien, améliorer la vie de mes concitoyens et avoir une promotion. Je me levais à 5h30, m’entraînais, puis rejoignais le poste de police en courant à toute allure. Mon endurance et ma forme physique n’avaient jamais été aussi remarquables tandis que les passants que je bousculais ne m’avaient jamais autant haï.
Car j’étais persuadé qu’un jour cela surviendrait. Un crime, un vrai. Celui qui fait à la fois la une et me permettrait de prouver ma vraie valeur. J’étais prêt, et peu importe le nombre de personnes que je bousculais dans la rue ou d’insultes racistes que je devrai endurer.
Cela arriva deux ans plus tard. Alors que j’avais perdu espoir, craignant que la ville soit devenue sûre, une vieille dame fut retrouvée battue au fond d’une ruelle, ses effets personnels et sa dignité subtilisés. De plus, c’est moi qui était en charge de l’enquête !
La victime me décrivit son agresseur, mais comme l’aggresseur n’était pas caucasien, la description s’en retrouvait légèrement biaisée : « Soit noir, soit arabe, soit chinois, sûrement très musulman et certainement pas français ». Alors je pouvais bien évidemment remonter dans le temps et intervenir à l’instant même de l’agression. Cependant je voulais savoir pourquoi une vieille dame sans défense s’était retrouvée seule, tard dans la nuit et au fond d’une allée crasse sans issue.
Entre deux remarques racistes, la vieille dame m’indiqua qu’elle se trouvait dehors suite au fait que sa belle-fille l’avait mise dehors « sans raison apparente ». Elle s’était alors perdue, avait demandé son chemin à ce qu’elle avait pris pour un gentleman, et puis comme le temps était plutôt doux elle avait décidé de faire une ballade…
Rarement on avait entendu déclaration plus soporifique. Et encore je résume énormément et j’accélère le tout. Je me mis à craindre que toutes les victimes étaient comme cela.
La vieille dame finit par aller au poste pour poser sa déclaration tandis que je partis rejoindre sa méchante belle-fille. Ce n’était pas exactement comment un officier en patrouille doit procéder, mais j’étais déterminé à comprendre le fond de l’affaire.
La belle-fille était physiquement à couper le souffle. Ce n’était pas exactement ce qu’un officier en règle doit remarquer en premier, mais chaque détail compte. La belle belle-fille m’expliqua la raison de l’éjection de la vieille. Après un dîner déplorable, la belle belle-fille avait atteint ses limites lorsque sa belle-mère lui fit une remarque déplacée sur son nez. Je ne sais pas si la vieille était consciente des origines juives de sa belle-fille, mais dans tous les cas on peut comprendre la crise de nerfs.
La belle belle-fille ajouta que sa belle-mère était très irritante depuis bientôt un mois, après une discussion houleuse entre la belle-mère et le fils. Flairant alors une autre piste, je pris le numéro de la belle belle-fille (pour l’enquête), et je questionnai le fiancé.
Rien à dire sur lui, si ce n’est qu’il était également physiquement à couper le souffle, à croire qu’ils se reproduisent qu’entre eux. En bref, il m’avoua que la discussion houleuse avait été une âpre dispute. La raison étant que cet Apollon lui avait offert un livre intitulé « Les Affres de Gagner de l’Âge : comment conciler vie de famille et arthrose ». Malgré les convictions problématiques de la belle-mère, je peux comprendre son irritation.
Cette affaire se complexifiait de plus en plus. Je voulais remonter à l’origine du mal, à la racine de la catastrophe. Ricochant tour à tour sur une vieille mamie haineuse, sa belle belle-fille et son beau beau-fils, j’étais persuadé que je touchais au but. Le beau-fils me dit que ce n’est pas le cadeau qu’il avait acheté. Il avait transférer le cadeau à son meilleur ami pour quelque temps puis le recupérer juste avant de l’offrir. Et le beau fils n’avait nullement acheté ce cadeau à la base, mais avait bien utilisé ce papier d’emballage.
J’y étais. Pour une raison obscure, le meilleur ami avait gardé pour lui le vrai cadeau et l’avait malicieusement échangé avec un autre. Quel était son mobile : vengeance ? l’argent ? quelque chose de plus grave encore ?
Bien évidemment je me rendis à l’appartement de ce cher personnage. Je sonnai à la porte. J’entendis des bruits de pas. On m’ouvrit à la porte. Le meilleur ami était sur le palier. Très beau, bien évidemment. Nous nous regardâmes. Et il me donna une claque monumentale.
Tandis que je me remettais de mes esprits, cette charmante personne fut assez bienveillante pour me couvrir d’insultes et m’expliquer la raison de son acte : j’étais apparemment celui qui l’avait bousculé dans la rue il y a un mois, de ce fait lui faisant tomber dans une flaque d’eau croupie le cadeau. Paniqué, le meilleur ami en question avait subtilement acheté un autre livre et l’avait enveloppé du même papier cadeau. Cependant il s’était trompé de livre, initiant l’engrenage infernal qui aboutit à l’agression nocturne d’une pauvre mamie raciste.
Aujourd’hui, je ne me rappelle plus trop comment je me suis senti à l’époque. Si parfois j’en rigole, je me demande comment se sentait un pauvre bougre qui, voulant seulement aider, avait indirectement contribué à l’agression de son prochain. En tout cas c’était plutôt beau dans un sens : le pire ennemi du détective étant le détective lui-même. Pas mal non ?
Je remontai bien évidemment dans le temps et évitai de renverser ce pauvre quidam. Plus de crime, plus de traces, plus de responsabilités. Tant pis pour les rêves d’héroïsme, qu’ils se démerdent tous seuls !
Ralala, ça fait trop longtemps que la suite de ton texte est dans ma PàL et y reste enfoui, tout au fond. Donc me voilà. Et... bah c’est un très bon chapitre, agréable à lire, drôle... Dès qu’on lit le titre de ce chapitre, on sourit, c’est pour dire...
Bref, je part immédiatement lire la suite de ton texte.
H. M.
J’ai encore bien ris et l’aspect absurde, idéaliste mais aussi biaisé des réflexions de Lucas me passionne.
J’avoue avoir un peu moins aimé ce chapitre, que j’ai trouvé moins fluide et un peu plus laborieux, peut être plus artificiel dans son enchaînement mais ce n’est que mon avis...!
L’humour, le titre et la morale finale marchent toujours aussi bien !
J’ai beaucoup aimé que l’on découvre encore une nouvelle facette de la personnalité de Lucas en même temps que de son histoire et son évolution... Hâte d’en découvrir plus !
Merci de continuer à lire !
A chaque chapitre tu explores la question d'un super-pouvoir sous un angle différents. On se laisse porter par ces réflexions. (Je me demande si tes chapitres suivent entre eux une règle : chronologie pour Lucas, où sur un chemin de réflexions particulier, ou autre ....)
Et bravo pour tes noms de chapitres, à eux seuls ils font bien rire.
Sinon, il n'y a pas vraiment de règle dans la succession, si ce n'est que j'essaye de toujours varier les thèmes, les lieux où les personnages mis en jeux. Par exemple, je ne vais pas aborder deux fois de suite une aventure romantique, ou alors une aventure à l'école...
Aussi je cherche toujours à trouver un nouveau type d'obstacle pour Lucas, en particulier une limitation à son pouvoir qui parait au premier abord quasi-divin. Plus on avance dans l'histoire, plus je veux qu'on considère son pouvoir comme une malédiction pure et simple, et non comme un don.
Et j'avais prévu au début de "suivre" Lucas au fur à mesure qu'il "grandissait" (d'abord une histoire quand il est jeune, puis ado, puis adulte...) mais c'était trop restreint, ça ne me laissait pas assez de possibilités à la fois narratives et surtout comiques.
Content que ça t'a plu !
J'ai préféré ce chapitre aux deux autres précédents, on retrouve plus l'humour du début :)
J'ai pas contre été un peu perturbée avec les jeux de mots de "belle belle-fille" et "beau beau-fils", j'ai eu une impression de lourdeur et de répétition. Pourtant j'ai vu le jeu de mot, mais l'utiliser trois fois non. On a compris, pas besoin de remettre une couche ... (en tout cas pour moi).
Et il y a cette phrase aussi que j'ai du relire : "Il avait transférer le cadeau à son meilleur ami pour quelque temps puis le recupérer juste avant de l’offrir." Je trouve la tournure étrange. (De plus, y'a quelques petites fautes d'orthographe à corriger mais bon je m'arrête pas à ça, vu que j'en fais pleiiiin aussi).
Bon encore une fois j'suis pas d'une très grande aide, vu que tu es bien plus talentueux que moi pour l'écriture, mais j'espère apporter une pierre à l'édifice ^^
J'espère que tu publieras encore des chapitres, j'aime beaucoup suivre les aventures de Lucas :)
Mais toujours un plaisir que tu lis mes histoires ! En espérant que la suite te plaira tout autant !
Mais toujours un plaisir que tu lis mes histoires ! En espérant que la suite te plaira tout autant !
Chouette, une suite ! :D
Mais toujours un plaisir que la chute fonctionne !
Ce Lucas à beau remonter le temps autant qu'il le veut, je crois qu'il n'est pas encore prêt à tirer les bonnes conclusions de ses péripéties ou de prendre les bonnes décisions, mais c'est bien ce qui nous fait rire, alors en avant pour la suite !
Enfin... qui sait ?
"Le quiproquo qui s’en suivra sera tout sauf agréable."
"à croire qu’ils se reproduisent qu’entre eux"
"Très beau, bien évidemment. Nous nous regardâmes. Et il me donna une claque monumentale"
J'adore, pour plein de raisons différentes, mais j'ai surtout retrouvé la spontanéité des blagues du chapitre sur le caleçon.
Les mini-morales toutes pourries de la fin restent aussi un grand plaisir dans l'absurde. Un point clef qui ne seront pas faciles (ou nécessaires) de placer si le ton sera plus lourd, parce qu'une bonne comédie a le droit à une bonne tragédie.
Toujours un plaisir. J'attends déjà la suite.
Restons français
Très content que la morale "marche". Et le côté tragique reviendra peut-être... un jour...
Toujours un plaisir d'avoir un lecteur aussi assidu !
No problem !
J'espère que je serai toujours aussi assidu lorsque je retournerai bosser. Je ferait en sorte.