L'abris de fortune

L’alarme est si puissante que les deux frères doivent mettre leurs mains sur les oreilles pour empêcher le son d’agresser leurs tympans. Cela leur paraît interminable. Lorsque cette horrible alarme laisse sa place au silence, les jumeaux sont soulagés.

— Putain mais c’était quoi ça encore ? On a atterri où bordel? Se plaint Théo toujours avec un vocabulaire des plus fleuris.

— Ça ressemble à une alarme comme pour un couvre-feu en tant de guerre, analyse Sam.

— Merde mais tu crois qu’il y a la guerre ici, dans ce monde… c’est quoi au juste ici ?

— Franchement, je n’en ai aucune idée, mais ce n’est pas pour me rassurer.

Le ruissellement de la rivière accompagnée de la pluie couvre leur silence. Il fait nuit noire. Il n’y a plus un chat dehors. De leur abris, ils n’aperçoivent pas grand-chose, toutes les lumières se sont éteintes suite à l’alarme comme si à une certaine heure la vie doit s’arrêter.

— C’est étonnant ce silence en comparaison du vacarme qu’il y avait à notre arrivée. J’avais l’impression d’être revenu à New Delhi. Tu t’en rappelles ? Y avait du bruit tout le temps, plein d’odeurs écœurantes et tous ces gens qui nous regardaient comme des bêtes de foire. C’était flippant.

Théo fait la moue en se remémorant ce souvenir.

— Oui je m’en souviens. Mais ici personne ne nous a remarqué, c’est trop bizarre. Et t’as vu les gens sont habillés comme au moyen age alors que la ville semble futuriste. Je comprends pas où on est et qu’est-ce qu’on va y faire.

Théo n’écoute plus son frère, il fouille dans son sac. Il en ressort un paquet de chips et une gourde remplie d’eau.

— Je ne sais pas pour toi mais moi j’ai une de ces dalles. Tu veux des chips ? Demande t-il à son frère en lui tendant le paquet.

— Ne me dis pas que tu n’as pris que ça, moi je n’ai que des snickers !! Grand festin ce soir !!

— C’est déjà ça !! Santé !!

Théo lève sa gourde en l’air pour faire honneur à leur menu repas avant de boire dedans. Les deux frères mangent la tête ailleurs. Ils analysent la situation et réfléchissent à la suite. Ils décident de dormir sous leur abris pour faire passer la nuit plus vite et de voir ce que le lendemain leur réserve.

Dans son sac de couchage Sam s’agite, il n’arrive pas à trouver la bonne position pour dormir à même le sol. Il n’a pas l’habitude du camping et n’aime pas ça. Il préfère largement le confort. Il se relève énervé.

— Je n’arrive pas à dormir Théo !! J’ai mal partout !! Et puis je pense à papa et maman qui doivent être inquiets.

— Mieux ne vaut pas y penser, dors maintenant. Je suis crevé.

Sam s’assoit sur son sac de couchage, allume sa frontale. Il dirige sa lumière vers son frère pour mieux l’éblouir de sa colère.

— Mais pourquoi tu es aussi distant avec tout le monde Théo ? On dirait que plus rien ne te touche ! T’es plus le même !! pourquoi Théo?

Théo ne s’attendait pas à ce déferlement de reproches de la part de Sam. Il met la main devant ses yeux pour se protéger de la lumière qui l’agresse.

— Tu peux éviter de me viser avec ta lampe s’il te plaît. Et oui j’ai changé ! J’ai compris que personne ne m’aimera comme je suis alors autant devenir quelqu’un d’autre.

— Mais moi j’aime l’ancien Théo et il me manque !! Tu fais chier !

— Arrêtes tes conneries, tu t’en fous de qui je suis, tu ne me connais pas et ça ne t’intéresse pas !!

— Qu’est-ce que tu insinues ?

— Jamais tu ne m’as demandé ce qui s’était passé à Marseille avec Sacha et Emy, tout le lycée était au courant. Ne me dis pas que tu ne sais rien. Sois tu te caches la face sois t’es trop con !

— Mais de quoi tu parles ? De ta dispute avec tes meilleurs amis? C’est bien à cause d’elle non ?

Théo est déçu par la réponse de son frère, il avait raison. Sam ne comprend rien, ne le connaît pas. Au fond de lui, la blessure se rouvre. Il en veut à Sam son jumeau qu’il a toujours considéré comme son alter égo. Entre eux pas besoin de se parler pour se comprendre. Théo s’est renfermé sur lui-même le jour où il pris conscience du manque de considération de son frère à son égard. Pour lui, Sam ne se souciait pas de lui.

— Théo parle moi, c’est bien à cause d’Emy que vous vous êtes disputés, c’est parce que tu es amoureux d’elle ?

— Tu te refuses vraiment de croire la vérité, de voir qui je suis réellement.

— Je ne comprends pas, qu’est-ce que…

— Mais merde Sam, c’est de Sacha que je suis amoureux !!!

Sam reçoit cette révélation comme une bonne baffe sur la joue. Pourquoi s’était-il persuadé que Théo était amoureux d’Emy ? La honte le noie dans un trou noir. Au fond de ce canyon, sous la pluie battante, enfermé sous un abri, il ne peut plus se défiler. Il considère Théo sous un autre angle. Sam se rend compte que c’est lui qui a pris de la distance avec son jumeau et non l’inverse. Pourtant une chose le tracasse toujours.

— Mais pourquoi Emy t’en voulait alors ?

— D’avoir gâcher notre amitié. Sacha m’a totalement rejeté quand je lui ai avoué que je l’aimais. Emy a pris son parti. Voilà fin de l’histoire. Maintenant on dort.

Théo enfile son sac de couchage et s'allonge douloureusement sur le sol. Son sac à dos fait office d’oreiller. Sam est toujours troublé.

— Je suis désolé Théo, vraiment désolé de ne pas avoir été là pour toi.

Théo ne dis rien. Sam n’espère pas de réponse de sa part. Il s’allonge et gamberge ce qui empêche le sommeil de faire son travail. Le clapotis de la pluie finit par le bercer. Il finit par s'endormir sur sa culpabilité.