Elle fondit et il n’y eut plus rien.
Ils se sont rencontrés il y a de cela bien longtemps maintenant. Leur rencontre est tout à fait anodine et ne mérite pas qu’on s’y attarde de trop. Pour elle ce fut un moment assez curieux, pour lui, comme un coup de foudre. Elle était entrée au moment où son regard se perdait dans le vide. La nuit avait été courte et comme toujours dans ces cas-là, il délirait un peu tout en tentant de rester éveillé, un véritable combat de chaque instant. Et ce fut là qu’il la vit. Elle était somme toute assez ordinaire mais il y avait une chose, une toute petite chose qu’il l’intrigua. Bien que ce fut l’été et que tout le monde pestait contre la chaleur, elle dégageait une fraîcheur qu’il ne prit pas, contrairement à certains pour de la froideur. Peut-être était-ce parce qu’il n’était pas dans son état normal. Il avait chaud, sommeil et qu’une envie, retourner sous sa couette, le ventilateur allumé, pour terminer sa nuit sauvagement interrompue.
Sans qu’il ne s’en aperçoive, il était déjà debout, allant droit vers elle, son livre sous le bras. Attiré comme un aimant, il lui sourit sincèrement. Elle, qui ne l’avait par ailleurs par remarqué, fut étonnée par son approche et sa première réaction fut de faire un pas en arrière. C’était une personne solitaire et préférant, puisqu’elle ne connaissait que cela ou presque, la solitude. Alors elle ne put s’empêcher de se demander qui était cet inconnu et ce qu’il lui voulait avec son drôle de sourire ? Avait-elle quelque chose sur le visage ? Une poche de son sac était-elle ouverte ? Ou venait-il l’importuner comme c’était assez souvent le cas avec les hommes ?
Rien de tout cela en vérité et malgré sa réticence à parler à une personne qu’elle ne connaissait ni d’Ève, ni d’Adam, ils commencèrent une conversation. Elle était timide, lui moins, la fatigue aidant, il ne se rendait pas réellement compte de ce qu’il racontait. Mais peu importe, il avait l’impression que leur conversation ne lui déplaisait pas alors il renchérissait.
Cette scène se répéta pendant plusieurs semaines. Ils se retrouvaient au même endroit, le même jour, à la même heure que la fois précédente. Même quand l’été laissa place à l’automne, ils continuèrent. Il avait pris pour habitude de lui apporter des douceurs, s’étant aperçu, au fil du temps, qu’une petite flamme s’allumait dans ses yeux lorsqu’ils passaient devant les étalages de sucreries et les belles vitrines du chocolatier. Cela tombait bien parce qu’ils se rendirent vite compte qu’ils aimaient tous les deux autant le chocolat. Lui avait un faible pour le chocolat au lait, elle pour le chocolat noir à la limite de l’amer. Elle lui disait qu’elle préférait cela à la sensation d’un goût trop doux dans la bouche. Rien n’était doux dans la vie, tout était éphémère. Lorsqu’elle disait cela, inquiet mais ne le montrant pas, il l’embrassait pour lui montrer que lui, au moins était là pour elle, quoi qu’il arrive.
Ils étaient heureux ou du moins semblaient l’être. Malgré tout son amour pour elle, il voyait bien que quelque chose n’allait pas. Était-ce lui ? Ou alors avait-elle des soucis dont elle ne lui parlait pas ? Il se gardait bien de lui demander mais savait que le moment venu, il faudrait s’expliquer.
Un jour d’hiver, leur chocolatier leur proposa des petites nouveautés à tester : des chocolats blancs, noirs, pralinés de toutes formes qui semblaient valoir la peine de goûter. Ils ne se firent pas prier et il piocha pour elle, au hasard, l’un d’entre eux. Elle écarquilla les yeux lorsqu’il lui présenta un cercle en chocolat noir rehaussé de petites décorations.
Elle sourit légèrement. « On dirait un anneau ». Il en avait la forme et elle songea même qu’il aurait été parfait pour l’un de ses doigts.
« Tiens c’est vrai … on pourrait même dire qu’il s’agit d’une alliance. » Une idée lui vint et, souriant encore plus, il s’agenouilla. « Veux-tu m’épouser ? »
Aussi surprise qu’elle fut, elle ne le montra pas. « Arrête de faire l’idiot, on nous regarde. »
« Je suis très sérieux ».
Il la regardait avec des yeux emplis d’amour. Elle n’en avait jamais douté, même le premier jour, il la chérissait. Mais en cet instant, son sentiment s’exacerba. Il avait soudain envie de franchir un cap. Pour ne pas mentir, il y avait même songé depuis un moment déjà et s’était dit avant de fléchit le genoux : « pourquoi pas ? » Il avait l’espoir que cette proposition la ferait sourire. Bien sûr, il n’était pas certain qu’elle accepterait. Mais il voulait tenter sa chance.
Cette fois, son visage ne resta pas de marbre, par bonheur ou par embarras, elle ne le sut pas elle-même. Mais elle se reprit vite. « D’accord, je te mets au défi. Si tu parviens à la maintenir en l’état, nous continuons. Dans le cas contraire, j’aurai gagné. » Elle n’ajouta rien mais il comprit qu’elle lui prouverait en cela que tout pouvait être éphémère. Il ne pouvait pourtant pas se résoudre à la perdre. Il serra le point, acceptant d’un signe de tête ce challenge. Il parviendrait bien, en empêchant cette alliance de fondre, à lui prouver que tout feu n’est pas voué à s’éteindre. Peut-être jouait-elle juste à un jeu mais qu’au final le résultat serait le même : ils pourraient continuer ensemble. Il voulait y croire, le souhaitait de tout cœur mais dans son regard, il avait perçu qu’elle était sérieuse et toujours aussi désabusée.
Mais il était résolu. Ils resteront ensemble malgré tout, et surtout malgré cette alliance. C’était son idée au départ alors il trouverait une solution.
La journée passa sans qu’il ne s’inquiète de trop. Un jour ensuite puis plusieurs, les semaines défilèrent sans prendre garde. Plus le temps passait, plus il se disait qu’effectivement, rien de tout cela n’était éternel, surtout pas cette petite alliance. Il réfléchissait à en perdre le sommeil. Mais c’était bien peu par rapport à ce qu’il pouvait perdre.
Un matin, enfin, après une de ces nuits courtes et horribles où l’on s’éveille sans arrêt, il avait une solution. Enfin, ce n’était peut-être pas la solution mais il lui fallait essayer. Pour eux et surtout pour elle.
Il se leva discrètement, commença à préparer le petit déjeuner comme à son habitude. Mais ce jour-là, il allait jouer le tout pour le tout. Il prit un plateau et disposa sa tasse préférée, beurra les tartines avec amour et porta le tout dans leur chambre. Elle était justement en train d’ouvrir un œil. Sa joue gauche était marquée par une balafre, stigmate laissé par l’oreiller. Ses cheveux emmêlés cascadaient autour de ses épaules nues. Elle s’étira et ouvrant enfin les yeux, fut surprise de le voir debout, un plateau à la main.
« Le petit-déjeuner est servi. » Ce n’était pas la première fois qu’il se montrait ainsi aux petits soins mais elle s’étonna. Ils commencèrent et, après avoir terminé sa tasse de thé, il ne tint plus.
« Par rapport à ce que tu m’as dit la dernière fois, tu sais, à propos de cette alliance .. » Il l’avait justement prise avec lui. Elle commençait à être un peu malmenée par le temps et c’était bien pour cela qu’il ne voulait plus attendre. « Malgré toute l’attention que je pourrai lui porter, il arrivera un jour où elle fondra. » Il l’approcha de sa tasse encore chaude et, effectivement, le décor doré se mêla au reste du chocolat, coulant sur ses doigts. « Et c’est pour cela que je pense qu’il vaudrait mieux arrêter ici. Je ne dors plus à cause de cette histoire et .. » Ses traits à elle se durcirent. Elle pensait bien que ce genre de conversation arriverait tôt ou tard. Elle se savait différente et pas facile à vivre mais se trouvait encore plus détestable d’être la cause de cette rupture. Elle s’apprêtait à répondre lorsqu’il l’interrompit d’un geste de la main.
« N’ajoute rien. » L’alliance toujours entre ses doigts fondait à vue d’œil. D’un geste rapide il la mis dans sa bouche et l’avala d’un trait. « Tu ne pouvais pas la mettre de toute façon, elle aurait fondu bien trop vite. Là où elle est, tu ne sauras jamais si elle fond. Aucune preuve ne se mettra entre nous. » Il lui prit les mains. « Je t’aime et ce n’est pas cette alliance ou ce défi qui fera fondre mon amour, il est bien trop brûlant. Nous continuerons en douceur, comme avant, je te montrerai qu’au moins une chose est éternelle ». Il s’approcha et murmura pour l’embrasser : « Mon amour ».
Elle fondit en larmes et il n’y eut plus rien, plus aucun étau ne lui compressait la poitrine. Ce fut comme une délivrance. L’amertume s’évanouit soudain et un sentiment de bien être et de reconnaissance l’envahie. Elle releva la tête, le regarda avec un regard plein d’espoir. Oui, il avait gagné et elle fut enfin prête à aller de l’avant. Avec lui.
Pour le lieu où se passe l'action .. eh bien je ne devais pas l'avoir bien en tête non plus. Je ne suis pas très douée pour les descriptions sauf si je m'appuie sur un lieu réel (et alors ça peut devenir vite compliqué je pense haha).
En tout cas merci pour ces lectures assidues !