Un nouveau départ (16.06.19)

Par Lutetia
Notes de l’auteur : Quand j'écrivais cette histoire je me la plaçais au début du siècle dernier. Une femme seule n'aurait sans doute pas été vue d'un très bon œil mais enfin, c'est de la fiction (et mon côté un peu bisounours ~) !

Le voyage ne s’était pas trop mal passé pourtant elle était fatiguée. Le trajet n’avait pas été plus long que prévu et elle avait pu profiter d’un magnifique paysage mais l’inconnu l’effrayait et l’éreintait. La raison de ses doutes : ne pas être à sa place là où elle allait. Penser ainsi alors qu’on n’a pas même mis le pied à destination est un peu stupide mais peut-on réellement s’en empêcher ?

Pendant que les kilomètres passaient, que les villages défilaient, elle avait pu observer. Cette région, elle ne la connaissait que très peu. Elle en était tombée amoureuse lorsqu’elle avait eu un guide touristique entre les mains. Elle avait eu envie de changer d’air depuis un moment, quitter la ville étouffante et, un jour qu’elle parcourait les étales d’ouvrages de toutes sortes à un marché aux livres, elle était tombée sur ce guide qui présentait de ravissantes photographies en couleur. N’ayant connu que sa ville et ses environs depuis sa plus tendre jeunesse, elle avait tout de suite apprécié cette différence qu’elle n’avait encore jamais ressentie. Une sensation de calme et de tranquillité émanait de ces images. Elle eut même l’impression de prendre une bouffée d’air en plein visage alors qu’elle tournait les pages. Depuis toute petite, ces sortes d’émotions naissaient en elle sans qu’elle comprenne pourquoi. Chaque objet lui inspirait soit de la crainte, soit de la joie ou bien un tout autre sentiment qu’elle n’arrivait pas toujours à déterminer. Jamais elle n’avait été particulièrement touchée par les photographies, ces fenêtres sur le monde. C’était sans doute parce qu’elle trouvait les clichés bien trop irréels. Pourtant ces images – en couleur qui plus est –, elle ne se l’expliquait pas, mais elle était attirée par elles. Ni une, ni deux, elle acheta le guide pour une lecture plus approfondie. Elle souriait en songeant qu’elle avait peut-être trouvé une perle rare. Elle souriait aussi par le projet qui naissait dans son esprit. Pourquoi ne pas tout quitter et tenter l’aventure ?

Mais on ne prend pas une telle décision en un claquement de doigts. Après avoir étudié la question à tête reposée et avec plus de réalisme, elle avait finalement pris son courage à deux mains avec la ferme volonté de changer son destin. Rien ici ne la retenait vraiment et après tout, elle pourrait bien revenir – il faudrait simplement qu’elle en ait l’envie.

Tout ensuite était allé très vite. Elle se réjouissait à l’avance de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Quiconque lui aurait dit que ce projet était complètement fou, qu’elle avait une vie tout à fait correcte, des revenus suffisants, un entourage aimable et que ce n’était que folie de tout quitter – Comment pouvaient-ils le savoir alors qu’ils n’avaient jamais franchit le pas ? Mais il lui fallait autre chose, elle tendait vers autre chose. Si ce qu’elle avait lui convenait, au fond de son cœur, une petite voix lui soufflait qu’elle ne pourrait pas se convaincre éternellement que cette vie était faite pour elle. Quel intérêt avait-elle à se voiler la face ? Quand vous avez des habitudes bien ancrées, l’aventure effraie toujours mais une fois que vous avez passé ce cap, c’est l’excitation qui guide vos décisions, non ? Ou du moins c’est la conclusion qu’elle avait trouvé. Elle tenterait de faire ce pas en avant quitte à prendre des risques, au moins elle suivrait ce que lui dictait son cœur.

Elle repensait à la fougue inconsciente qui dormait en elle et qu’elle avait réveillée. Personne autour d’elle – son entourage la qualifiait souvent de personne silencieuse, obéissante et travailleuse – n’avait soupçonné un tel caractère. Il faut dire qu’elle avait fait en sorte de se donner un bon coup de fouet. Tâter un objet qui donne du courage, voilà quel était son petit secret – il s’agissait de la médaille militaire d’un de ses aïeux : il y avait sans doute déversé tout ce qu’il avait pu ressentir pendant les heures les plus sombres puis toute sa fierté. Le sentiment emprunté s’était déversé en elle avant qu’elle aille transmettre sa décision. Ça n’avait pas duré bien longtemps mais suffisamment pour qu’elle ne perde pas la face et qu’elle ne montre pas de signes de renoncement. Si proche du but, cela aurait été bien dommage. Dans le train qui la guidait vers sa nouvelle destination, elle ressentait de l’espoir, des doutes, une certaine curiosité, une routine aussi et puis de l’excitation. Certains de ses sentiments n’étaient pas les siens mais elle avait encore du mal à savoir lesquels lui appartenaient en propre. Lorsqu’elle arriverait, elle espérait de tout cœur que le calme lui permettrait d’apprivoiser ces sensations, qu’elle puisse enfin savoir si elle en ressentait finalement. Elle en était plus ou moins certaine mais le doute planait toujours un peu. Peut-être que cette quête était pour elle un moyen d’atteindre la vérité, sa vérité.

 

La gare à laquelle elle descendit n’était en réalité qu’une petite maisonnette construite de travers, entourée seulement de champs à perte de vue. Ce n’était pas ce à quoi elle s’attendait, elle en fut surprise mais pas déçue. Au contraire. Elle avait de la chance, il faisait encore assez clair pour qu’elle s’y retrouve sur la route. Elle n’avait pu étudier que des cartes pour espérer se diriger dans ce nouveau pays. Heureusement, elle pouvait compter sur les habitants la contrée. Leur bonne humeur, communicatrice, la mit en confiance rapidement. L’un d’eux accepta même de la prendre avec lui sur sa charrette pour faire un bout du chemin jusqu’au village. Elle avait avec elle une mince valisette, ayant envoyé plus tôt le reste de ses affaires à destination en véhicule motorisé. Tout devait être arrivé depuis une semaine déjà. Il lui tardait d’arriver. L’achat d’une maison n’avait pas été chose facile. Elle n’avait pas pu se déplacer ni faire le trajet plus tôt et cela lui en avait coûté mais elle aurait difficilement pu faire autrement. Toutefois, elle n’était pas peu fière de l’acquisition qu’elle avait faite.

Quand elle parvint à destination, elle senti son cœur se gonfler dans sa poitrine. La maison était encore plus belle que sur les photographies qu’elle avait pu voir. Bien entendu – et elle le savait – elle n’était pas dans un bel état. C’était à se demander comment certains murs tenaient parfois mais cela ne la découragea pas parce qu’elle avait eu un véritable coup de cœur. Elle avait de toute manière toujours apprécié les ruines, les maisons à l’abandon. Il s’agissait d’une ancienne maison de poste, sur un rond-point au centre du petit village. Lorsqu’elle y arriva avec sa valise, plusieurs regards se tournèrent, intrigués, vers cette nouvelle venue. Elle aussi observa avec curiosité tous ces nouveaux visages, leur sourit. Elle n’avait rien pour la soutenir cette fois, pas de médaille – elle se trouvait dans une des nombreuses malles qu’elle apercevait déjà dans le séjour –, seulement sa volonté et son assurance, qu’elle malmenait depuis sa prise de décision.

Après avoir posé sa valise sur le sol, elle alla faire le tour de la maison, profitant des derniers rayons du soleil. Le jardin n’était pas entretenu, des herbes folles, caressées par le vent, lui chatouillait les genoux. Les odeurs lui ravirent les sens. Les arbres lui cachaient un peu la rue, le lierre avait recouvert les grilles forgées qui entouraient la propriété. Mais elle voyait le potentiel qu’avait ce petit parc, rien qu’à elle. D’ailleurs elle voyait déjà le potentiel qui s’offrait à elle, cette maison, cette vie. Cette liberté surtout. Elle prit une grande inspiration et continua sa visite. Derrière la maison, accolée au mur, elle trouva une sorte d’atelier ou une petite serre avec des murs et un toit de verre. Elle s’imagina déjà installée à l’intérieur, sur une chaise, observant la nature et pourquoi pas, un carnet sur les genoux et un crayon à la main ?

Puis ce fut l’intérieur qu’elle visita. Les pièces étaient dans un état assez variable. Quelque part, elle les connaissait déjà grâce à la réclame mais les voir de ses propres yeux conforta encore son choix. Il lui faudrait prendre du temps pour rénover la bâtisse mais elle voulait le faire, construire de ses mains. Ensuite, elle utiliserait le rez-de-chaussé à profit pour ouvrir un petit commerce – les possibilités foisonnaient dans son esprit et elle s’était promis de ne prendre la décision qu’une fois sur place. C’est aussi pour cela qu’elle avait choisi cette maison et pas une autre, outre son coup de cœur. Comme une poste y avait déjà été installée jadis, elle n’aurait pas de mal à aménager l’espace à sa convenance. De plus, le positionnement de la maison et son ouverture sur la rue l’aiderait.

Fatiguée d’avoir voyagé une journée durant, repue par la joie d’être arrivée et le bouillonnement intérieur qu’elle ressentait depuis son arrivée, elle s’installa sur un lit de fortune à l’étage et s’endormit. Elle rêva, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Le lendemain, elle eut un petit coup de frayeur mais se rappela bien vite où elle était et pourquoi. Son premier réflexe fut de partir en reconnaissance pour acheter de quoi se restaurer. Son appétit passait avant les travaux et puis il lui fallait bien rencontrer son voisinage. Elle avait pensé que se retrouver dans un village complètement inconnu la paralyserait mais au contraire, des ailes lui poussèrent et elle osa. Souriante, elle se présenta, parla longuement avec les commerçants, apprenant tout ce qu’elle voulait savoir sans même avoir à formuler les questions. Les gens étaient ravis que leur petit patelin ait attiré une jeune femme. Il ne faudrait sans doute pas attendre bien longtemps avant que tout le village ait vent de son arrivée.

On lui proposa bien vite de l’aide, on lui amena même quelques meubles inutilisés pour l’aider à s’installer. Cette entraide et la bienveillance des habitants la toucha. Ce sentiment lui appartenait et il était bien doux. Enfin, elle se sentait respirer, penser tranquillement. Elle souriait sans se forcer et s’attacha à ce nouvel environnement plus vite qu’elle ne l’aurait imaginé. Elle pu enfin prendre son temps, vivre à un rythme qui lui convenait. Elle se sentit vieillir moins vite et vivre plus sainement. Elle se félicita pendant longtemps d’avoir écouté ce qu’elle avait considéré au tout départ comme une sorte de caprice, ne sachant même pas à l’époque s’il s’agissait de sa volonté propre ou non.

Le guide touristique ne lui avait pas tout appris, loin de là, et ce fut encore plus agréable de découvrir par ses propres moyens la région qui s’offrait à elle. Parfois, elle partait à pied le matin pour revenir le soir tard, à l’heure du souper. Ses promenades en solitaire lui plaisait, elle adorait s’installer et prendre de quoi capturer les merveilleux paysages qui l’entouraient. Elle réalisa que même si elle pensait connaître son environnement, elle aurait toujours des choses à découvrir et c’est ce qui la charma jour après jour.

 

Elle était devenue maîtresse de sa destinée et ne le regretterait jamais.

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