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Joséphine traversait les couloirs du château de sa future famille pour se rendre dans la chapelle où elle était attendue, suivie par Fanny qui portait délicatement la longue traîne royale de la robe. La domestique était fière de rendre ce service à une femme qui la respectait et dont elle admirait la prestance. Malgré son jeune âge, Joséphine n'avait jamais laissé personne indifférent. En plus d'être une jolie fille, elle incarnait la grâce, et la douceur de sa voix était une mélodie pour quiconque voulait l'écouter.
De plus, depuis son arrivée dans la famille royale de Verley, les domestiques du château semblaient plus réactifs. C'était la première fois qu'ils se sentaient vraiment considérés par une personne de cette influente famille. Joséphine n'oubliait jamais de les saluer. Elle jugeait très important de traiter comme ils le méritaient les personnes se dévouant à eux.
Les mains tremblantes et la respiration saccadée, la princesse se demanda tout de même si elle faisait le bon choix. N'était-elle pas en ce moment même prête à sacrifier sa vie pour le trône dont son futur époux héritera? En tant que femme, jamais elle n'aurait pu prétendre prendre la suite de ses parents, le trône de sa région reviendrait donc de droit à son frère aîné, mais Léon et Hélène de Sharpe avaient refusé que leur fille ne perde son précieux titre et finisse par ne devenir personne « en épousant n'importe qui » comme ils aimaient à dire.
Ce même couloir fut traversé au même moment par un des palefreniers, qui eut l'autorisation de faire un tour dans les cuisines pour jouir d'un petit repas bien mérité après avoir passé toute la matinée à préparer les chevaux devant lesquels les invités s'extasieraient durant l'après-midi. S'essuyant le front du dos de sa main, Gabriel était soulagé de pouvoir profiter d'un petit temps de repos.
Des talons claquaient lentement le sol d'un rythme soutenu, ce qui eut don de lui faire relever la tête pour voir qui pouvait le croiser dans son état assez déplorable. Ses pas se firent plus lents lorsqu'il découvrit la future mariée à l'autre bout du couloir. Il était très gêné de se retrouver ainsi face à la princesse, dans ses vêtements de travail, alors qu'il devrait se trouver aux écuries. Quand elle arriva à sa hauteur, Gabriel s'empressa d'incliner la tête pour la saluer.
– Votre Altesse.
Joséphine avait remarqué sa présence depuis son entrée dans le corridor. Elle était heureuse que les palefreniers puissent eux aussi avoir accès au château, après tout, ces garçons travaillaient aussi pour la famille royale. La jeune femme lui offrit un tendre sourire en guise de réponse, et poursuivit son chemin jusqu'à la chapelle où elle devait retrouver son père qui allait l'accompagner jusqu'à l'autel.
C'est la première fois que Gabriel avait une interaction, aussi brève soit-elle, avec la princesse Joséphine, et il en fut assez décontenancé. Elle lui avait souri, et ce fut la seule à ne pas passer à ses côtés en faisant comme s'il n'existait pas, ou qu'il n'était rien. Ça, Gabriel en fut reconnaissant.
C'est le visage fermé et les yeux éteints que Joséphine glissa sa main sur le bras que lui tendait son père. Fanny lui glissa son voile en tulle devant le visage en faisant très attention à la fine couronne posée sur sa tête, tandis que la jeune princesse fixait le vide. Cette dernière allait dans quelques secondes marcher jusqu'à l'homme qui lui avait été choisi et qu'elle n'avait jamais souhaité avoir dans sa vie. Elle pensait à la fierté que ses parents ressentiraient en la sachant toujours princesse et future dirigeante d'un royaume, du moins si l'on croyait encore au fait que des hommes pourraient laisser une femme décider de choses si importantes. Les hommes aimaient bien trop le pouvoir, jamais il ne le confierait entre les mains d'une femme. Joséphine aurait aimé en être un. Elle n'arrivait pas à comprendre que l'on puisse concevoir qu'une femme devait appartenir à son époux, comme un objet. C'était donc là le but de sa vie? Se marier, être sous la direction de son mari, et lui donner des enfants?
Ce n'est pas ce à quoi elle aspirait, comme de nombreuses autres comme elle.
C'est encombrée de ces pensées que la jeune femmeremonta la nef, tandis que les larmes lui montaient aux yeux. Il y avait une foule importante et elle s'interdit aussitôt de se laisser aller devant quiconque. Elle était la princesse Joséphine de Sharpe, c'était une femme forte, et elle n'allait pas craquer.
Lucas était aux côtés du prêtre, plus occupé à sourire aux invités de la haute société plutôt qu'à regarder la femme qui allait bientôt partager sa vie. Pourtant, elle était si belle dans sa robe blanche évasée, le haut de celle-ci remontant jusqu'à son cou joliment fait de dentelle, son doux visage recouvert de ce voile qui réussissait à cacher toute son amertume. Depuis peu, les robes de mariages royaux, autrefois principalement rouges, étaient de couleur blanche pour signifier la pureté des jeunes mariées, mais Joséphine sentait peu à peu s'envoler son innocence.
Le prince, lui, préférait attirer toute l'attention sur lui comme il l'avait toujours fait.
Joséphine voulait être partout, sauf ici. Arrivée devant Lucas, elle ne daigna même pas le regarder dans les yeux. Les siens, complètement vides, étaient fixés sur ses lèvres bien qu'elle redoutait le contact avec celles-ci.
Ce fut Maxime qui apporta les alliances. Dans un réflexe désespéré, Joséphine lui envoya un regard suppliant pour qu'il l'emmène autre part. Il était le seul à connaître le fond de ses sentiments et bien qu'il en soit extrêmement peiné, il ne put que la regarder tristement. Il lui adressa un tendre sourire pour lui donner de la force, acte anodin qui ne passa pas inaperçu aux yeux de Lucas, qui fronça les sourcils. Pensant que son frère lui volait la vedette auprès de celle qui serait bientôt sienne, il lui arracha les bijoux des doigts. Le cadet s'éclipsa silencieusement, ne voulant pas créer de scandale devant la foule, mais le geste de son frère lui resta en travers de la gorge. Joséphine, elle, ferma les yeux en soupirant. Qu'avait-elle fait pour que le destin s'acharne ainsi sur elle? L'univers n'avait-il pas d'autres plans concernant son avenir?
Elle n'écouta les paroles du prêtre que d'une oreille. Lucas avait un regard insistant qui ne lui renvoyait que dégoût et pitié, pitié pour elle-même qui n'était même pas en position de se défendre.
Après les mots « Oui, je le veux » du prince, la jeune femme ressentit une forte envie de régurgiter. L'angoisse qu'elle ressentait en son for intérieur fut pire lorsque l'homme d'église lui fit promettre d'« obéir à son époux », expression qui ne manqua pas d'arracher un fin sourire à Lucas. Joséphine aurait aimé bannir ces vœux de mariage.
– Oui...
La voix de la jeune femme s'éteignit et les invités s'étonnèrent des consentements incertains de cette dernière, tandis que le mot mourait sur ses lèvres. Lucas, les sourcils à nouveau froncés, attendait impatiemment la suite. Il aurait juré pouvoir la secouer pour la réveiller s'ils n'avaient pas été en public.
– Je le veux.
Et ce fut à cet instant que l'âme de Joséphine mourut.
Les yeux baissés et les muscles tendus, elle laissa Lucas poser ses lèvres sur les siennes en un pudique baiser. Elle savait que le pire restait à venir. Se laissant entraîner par son époux qui lui prit - trop - fermement la main pour la tirer jusqu'à l'extérieur sous les compliments de leurs invités, elle croisa le regard comblé de ses parents.
« Père, mère, ne me laissez pas partir. » Elle aurait aimé le leur crier.
Les festivités durèrent tout le reste de l'après-midi jusqu'au soir, la cérémonie ayant occupée une bonne partie de la journée. La princesse de Sharpe, devenue désormais la princesse de Verley, espérait ne jamais s'en souvenir.
Lucas, bien trop imbu de sa personne, s'était arrangé pour être remarqué et avait complètement laissé de côté sa femme, qui se retrouvait encore seule, en tête-à-tête avec son esprit qui la torturait.
En la voyant ainsi, Maxime qui discutait avec ses parents s'excusa auprès d'eux pour rejoindre sa nouvelle belle-sœur.
– Tout va bien Joséphine?
Il avait posé sa question avec une profonde inquiétude dans la voix. Joséphine lui adressa un sourire pour cette raison. Il était la seule personne compatissante dans cette famille. Elle vint poser sa main sur l'épaule du jeune homme de façon à le rassurer.
– Tout va bien, maintenant c'est fait.
Maxime perçut tout de même de la tristesse dans sa voix, ce qui eut don de lui briser le cœur. Quand son jour viendra, il n'oubliera pas de s'estimer chanceux de pouvoir se marier à la femme qu'il aura choisie.
– Je serai là tant que possible pour toi. N'hésites pas si tu en as besoin.
Le sourire de Maxime eut pour effet de réchauffer le cœur de la jeune femme. Cette dernière aimait à savoir qu'elle avait un ami sur qui compter.
La journée fut extrêmement longue, et quelque part, Joséphine appréciait qu'elle soit enfin terminée. Les invités s'en étaient pour la plupart retournés dans leurs appartements dans l'aile Est du château.
Pourtant, l'angoisse ressentie dans la chapelle ne l'avait point quittée. Le pire allait venir, car cette nuit était la première que les deux jeunes gens allaient partager.
La reine Marlène fut la dernière à les saluer, réitérant ses propos concernant la fierté et la joie qu'elle éprouvait pour eux.
– Passez une très bonne nuit mes chers, n'oubliez pas qu'elle est la plus importante de votre vie maritale. Joséphine, vous ne serez plus une enfant demain. Votre innocence, je l’espère, appartiendra à mon fils. Vous savez combien je porte de l'importance sur ce point.
Ces mots firent l'effet d'une balle dans le cœur de Joséphine, mais elle n'osa répondre à sa belle-mère. Lucas, lui, avait ressenti une pointe de colère. Pourquoi donc sa mère insinuait-elle que Joséphine aurait pu perdre son innocence avec un autre homme que lui? Savait-elle quelque chose qu'il ignorait? Après tout, il ne pouvait prétendre connaître quoi que ce soit de sa compagne.
Dans son élan, Lucas attira Joséphine avec lui dans les couloirs sombres du château en direction de leur chambre quand la reine fut partie, où il n'attendait que de consommer leur « amour ». Lucas était un jeune homme plein de fougue qui n'attendait que de prendre du plaisir.
Joséphine le suivit, horrifiée. Elle ne savait comment sortir de ce cauchemar, mais guidée par un accès rébellion, elle s'arrêta, tirant sur le bras de Lucas pour qu'il fasse de même. Ce dernier fit volte-face en interrogeant la jeune femme du regard.
– Que veux-tu? Pourquoi me regardes-tu comme ça?
Sa voix était menaçante et il n'avait pas l'air d'apprécier un quelconque changement dans ses plans. Elle nota également que toute forme de respect avait disparu entre eux au moment où il s'employa à la tutoyer.
– Ne pourrions-nous pas reporter cette nuit à plus tard? Je désire rester seule dans ma chambre pour ce soir... Je suis complètement épuisée par cette journée et...
– Je me fiche bien de ce que tu penses, la coupa Lucas, visiblement agacé. Nous devons passer cette nuit ensemble, tu sais comment un mariage fonctionne, non? J'ai des besoins. Je n'ai pas accepté de t'épouser uniquement parce que tu es titrée.
C'est sur cette dernière phrase prononcée d'une voix plus sensuelle que Lucas attira lentement contre lui la jeune femme dont il observa longuement la silhouette. Joséphine posa sa main sur son torse pour garder une certaine distance entre eux et essaya de le repousser, mais ce dernier résistait. C'était d'ailleurs la première fois qu'elle touchait une partie de son corps, qui plus est son torse, et elle sentit du bout de ses doigts que Lucas était musclé. Il avait certainement beaucoup plus de force qu'elle, et n'hésiterait sûrement pas à s'en servir.
– Détends-toi, tout va bien se passer, je te le promets.
L'une de ses mains se glissa dans le bas du dos de Joséphine pour la maintenir contre lui. Il ne supportait pas qu'elle essaye de le fuir de la sorte. Sans aucune gêne il s'approcha de sa bouche pour l'embrasser, mais la princesse tourna la tête pour l'éviter de justesse, la poitrine comprimée par l’angoisse. Lucas n'abandonna pas et trouva rapidement un autre terrain à explorer: le cou de la jeune femme. Sa peau était terriblement douce et il en voulait plus, beaucoup plus. Tout son corps se tendait face à des pensées plus lubriques les unes que les autres.
– Arrêtez s'il vous plaît...
La respiration de Joséphine s'accélérait tandis qu'elle continuait de pousser Lucas loin d'elle, en vain. Les mains baladeuses du jeune homme la touchant de part et d'autre, elle sentait les larmes lui monter aux yeux, ne sachant comment se sortir de ce piège. Il n’y avait aucune porte de sortie.
C'est en sentant l'une d'elle sur sa poitrine qu'elle fut envahie par une force surhumaine qui lui permit de le pousser à quelques mètres d'elle. Reculant d'un pas, elle lui jeta un regard empli de dégoût, ce qui eut pour effet de rendre Lucas fou de rage.
– Comment oses-tu me dire non? Tu crois pouvoir venir ici, dans notre château, profitez de nos terres et de ton statut que tu as gardé uniquement parce que j'ai bien voulu t'épouser?
Il criait et tous les muscles de Joséphine se tendirent. Sensible au bruit, elle détestait le conflit, et encore plus lorsque quelqu'un levait la voix.
Elle glissa ses mains dans son dos sans quitter Lucas des yeux, tâchant tant bien que mal de ne pas lui montrer sa peur, mais l'angoisse la rattrapa quand elle se retrouva contre le mur à force de reculer pour échapper à la situation, Lucas avançant jusqu'à elle d'un pas déterminé.
– Ne crois pas que je t'ai prise pour femme pour discuter avec toi, ou bien apprendre à te connaitre. Fais ton devoir de femme, et ne me contredit pas.
Jamais Joséphine n'avait vu un homme avec un regard si menaçant. Ses paroles eurent l'effet d'un couteau traversant sa cage thoracique et elle comprit bien vite qu'elle ne serait plus jamais libre, mais bien la propriété de ce pourceau.
Lucas lui attrapa le bras avec une force démesurée qui laisserait sûrement sa trace sur sa peau avant d'écraser ses lèvres sur les siennes sans lui donner le moindre choix. La jeune femme avait mal, elle était écrasée contre le mur sous le poids de Lucas, et il lui torturait le bras. Elle aurait voulu le gifler comme jamais il ne l'avait été, mais elle redoutait bien trop les conséquences que pourrait avoir son geste. Essayant dans un dernier espoir de se débattre comme si sa vie en dépendait, elle se résigna en vain après plusieurs minutes à se laisser faire, des larmes silencieuses dévalant ses joues, priant pour que cet insupportable moment passe rapidement. Tandis qu'elle ne cherchait plus à se retenir de pleurer, elle sentit Lucas s'éloigner soudainement d'elle et tomber à ses pieds en un gémissement de douleur.
Bon courage pour la suite
merci beaucoup!!