Au petit matin, les rayons du soleil pénétraient dans la chambre à travers les volets fermés. Rina porta ses mains à son visage et se frotta doucement les yeux, elle n’avait aucune envie de se lever à cause de la fatigue qui avait encore le contrôle sur son corps mais elle n’aimait pas recevoir le soleil à son réveil. Elle entrouvrit tout de même un de ses yeux bleus et regarda l’horloge qui indiquait huit heures du matin. Elle soupira et s’assit dans son lit, elle avait dormi seulement trois heures et elle se demandait comment elle allait tenir toute la journée comme ça.
— Je dois avoir des cernes affreuses.
Elle ouvrit les yeux complètement cette fois-ci et passa une main distraite dans ses cheveux, bien entendu ils étaient pleins de nœuds, puis de sa main gauche elle passa sa main sur le côté du lit pour sonder l’éventuelle présence d’un corps. Tin ? Le baume n’était plus sur le bureau, il l’avait récupéré.
— Où est-il ? Il ne peut pas déjà être levé ! Ragh.
Elle se leva rapidement mais peu motivée. Sa main droite se leva et fit ouvrir à distance les portes de l’armoire pendant qu’elle bâillait, espérant chasser un peu de sommeil. Tout à coup une robe sortie du meuble pour se déposer avec légèreté sur le rebord du lit, elle était violette comme la lavande et elle était légèrement brodée au niveau de la taille pour cintrer la tenue. La robe lui arrivait presque aux bas des chevilles, elle était relativement évasée pour souligner les rondeurs du corps de la jeune demoiselle. Le vêtement avait aussi des manches longues, tout de même nous étions en hiver.
Grâce à sa magie qui avait retrouvée toute sa puissance, elle fit son lit rapidement mais elle alla elle-même ouvrir ses volets pour ne pas abuser. La cour et sa serre étaient blanches de neige et de gros flocons tombaient encore, un sourire traversa son visage, elle n’avait pas froid même s’il faisait aussi frisquet que le soir précédent. Ils avaient l’habitude à présent dans ce royaume où l’hiver régnait durant de très longs mois. Elle ferma sa fenêtre peu après, pour ne pas que trop de froid pénètre dans la chambre et elle partit en direction de la porte quand elle se rappela soudainement qu’elle devait faire quelque chose. Envoyer une lettre à Tessa. Elle songea à aller la faire dès maintenant, mais son ventre criait déjà famine, tant qu’elle décida de le faire plus tard. Quand elle émergea dans le couloir, elle entendit que des gens s’affairaient déjà dans la cuisine. Apparemment Mino aussi était levé, ce qui était étonnant avec le calmant du baume qui agissait de longues heures.
— Et bah il est motivé pour une fois.
De loin, Rina voyait que la porte de son petit frère était entrouverte mais avant de descendre elle alla dans la salle-de-bain pour se doucher car elle n’avait pas eu le courage d’y aller la veille après tout le remue-ménage qui avait régné.
La salle-de-bain était vaste, dans différentes teintes de gris, et elle comportait à la fois une grande baignoire et une grande douche comme celles des Italinos, des confrères d’Italina qui avaient ses douches caractéristiques. Elle enleva sa robe qu’elle posa sur un porte-manteau et alluma l’eau avant de s’y glisser. L’eau chaude contrastait avec les températures hivernales de l’extérieur mais aussi celles du manoir, naturellement certaines parties étaient plus difficiles à chauffer en raison de la grandeur des pièces. Rapidement, elle termina pour attraper une serviette de bain, sa douche avait été rapide car sa curiosité faisait qu’elle voulait savoir ce que fabriquaient ses frères à l’étage inférieur si tôt le matin. Elle se sécha et enfila de nouveau sa robe, attrapa au vol sa brosse à cheveux pour arranger tous les nœuds qu’ils contenaient mais au bout de quelques minutes, quand elle en eu marre de tout cela, elle prononça une incantation qui eut l’excellent effet de les rendre extrêmement soyeux, la magie avait bien des avantages. Satisfaite, elle sortit joyeusement de la salle-de-bain et se dirigea au pas de course au travers du couloir pour descendre les escaliers pour enfin voir ce que mijotait ses deux frères. Quand elle fut à la moitié des marches elle s’arrêta et observa, d’ici, nous pouvions avoir une vue sur la cuisine qui était de l’autre côté du salon. Elle chercha des yeux les personnes concernées et contre toute attente, elle entendit plusieurs voix différentes. Au lieu de deux, il y en avait quatre.
Intriguée, elle descendit doucement les marches et suivit les voix qui menaient au jardin, qui pouvait être là à cette heure ? Elle priait intérieurement que ce ne soit pas Kizune qui se retrouvait nez à nez avec son frère. Elle prit le temps de prendre son châle de la veille qui était resté sur la chaise du salon et de le mettre. En écartant lentement le rideau de soie, de la grande porte menant du salon au jardin, elle écarquilla les yeux. Elle ouvrit la porte à la volée et se précipita dans les bras d’une mystérieuse femme qui était en train de discuter avec ses frères.
— Maman !
Rina se blottit dans les bras de cette grande dame avec joie, elle qui serrait la jeune fille qui s’était jetée dans ses bras avec force et émotion. De légères larmes coulèrent le long des joues des deux femmes qui semblaient très heureuses d’enfin se retrouver.
— Ma Rina, enfin. Tu n’as pas eu de soucis avec Zluna ?
Elle avait murmuré pour que seule sa fille entende, celle-ci s’était raidie avant de lui répondre avec douceur, légèrement lassé de devoir en parler dès son arrivée.
— Nous en parlerons plus tard si tu le veux bien maman.
Qu’elle attaque ainsi l’avait déstabilisée, surtout qu’elle la soupçonnait de savoir déjà toute la vérité sur ce qui s’était passé.
Pendant quelques secondes encore, Rina serra sa mère dans ses bras puis se décolla pour la regarder avec tendresse, elle s’appelait Jeanne Grintofk. Elle avait d’adorables rondeurs du haut de son mètre quatre-vingts et elle avait des cheveux d’un noir de jais qui lui arrivait à la taille. Son visage avait aussi de magnifiques yeux vert émeraude, c’est elle qui avait donné à Mino ses cheveux noirs et à Tin ses yeux verts. De très légers sillons marquaient son visage ce qui la rendait encore plus radieuse mais c’était une femme imposante qui savait se faire respecter surtout en tant que capitaine dans l’armée impériale. Juste après, elle se hâta de s’envelopper dans ceux de son père. Jonas Grintofk. Un grand homme d’un mètre quatre-vingt-dix qui possédait des cheveux blonds en queue de cheval et des yeux bleus comme l’océan soulignés par les pattes d’oies de son regard.
— Papa… Vous m’avez tant manqué.
— Toi aussi tu nous as manqué ma chérie.
Quelques secondes plus tard, elle se détacha du lieutenant et recula pour se placer à côté de ses frères qui étaient à quelques pas, cependant elle se retourna vivement sur eux avec un regard qui les dévisageait de toute leur hauteur.
— Pourquoi vous ne m’avez pas réveillé vous deux ?!
— On vient à peine de descendre, on est descendus en même temps et ils sont arrivés deux secondes avant que tu arrives.
Mino la regarda et à mieux y voir elle constata qu’effectivement ses yeux étaient encore embrumés de sommeil, il devait commencer à déjeuner quand ils sont arrivés. Elle se retourna de nouveau vers ses parents et croisa ses mains sur le devant de sa robe en leur adressant un regard intrigué.
— Mais, dites-moi, Tin nous a dit que vous deviez arriver cet après-midi, il n’est que huit heures.
Rina vit ses parents se regarder du coin de l’œil comme pour se parler mentalement, s’ils comptaient être discrets c’était peine perdue surtout avec cet air grave sur leurs visages. La maman de la petite fratrie posa sa main droite sur sa hanche et se mit à rire.
— Disons que nous avons contourné un contre-temps !
— Du genre ?
— Rien de bien fabuleux, on a juste détourné des brigands qui souhaitaient nous rencontrer, mais ç'a été simple, pas vrai Jonas ?
— Vu que nous ne voulions pas être ralenti, nous avons fait un petit détour.
Rina regarda du coin de l’œil son grand frère qui fronça les sourcils. Il ne les croyait pas, ça se voyait mais il n’en montrait trop rien car elle vit le regard que lança sa mère à Tin pour qu’il ne dise rien. Rina et Mino se lancèrent un regard entendu mais ne dirent rien non plus de leur côté. Un détour aurait dû les retarder justement.
— Maman, j’ai fait des nouveaux gâteaux !
Rina se mit à sourire et remercia intérieurement Mino de son intervention pour changer le sujet.
— Et heureusement qu’avec Tin nous étions là pour ranger
— Un véritable capharnaüm !
Le rire de Tin résonna dans le jardin ainsi que ceux de ses parents, la mère de famille posa sa main sur l’épaule de son aîné et de son autre main elle ébouriffa les cheveux de son plus jeune enfant avec malice.
— Montre-moi tout ça, jeune cuisinier Grintofk !
Jeanne commença à partir avec Mino et Rina posa un regard sur Tin pour qu’ils les suivent, elle voulait parler à son père sur tout ce qui se passait en ce moment. Il ne chercha pas à répliquer et hocha la tête positivement pour lui dire qu’il allait respecter sa demande et parti à la suite de sa mère et de son petit frère vers la cuisine. À peine avait-il passé la porte que Rina entendait déjà des rires, ce qui eut le mérite de lui réchauffer le cœur. Elle qui était dos à son père se retourna et lui adressa un sourire timide, elle ne savait par où commencer.
— Que se passe-t-il, chérie ?
La gratitude était visible dans ses yeux, elle ne confiait que peu à lui d’habitude mais elle pensait qu’il serait plus apte à gérer cela.
— Je peux te parler de quelque chose ?
Il hocha la tête et elle alla s’installer sur un banc en pierre qui se trouvait non loin d’eux puis son père s’installa près d’elle, elle croisa les genoux et posa ses mains nerveuses dessus. Elle triturait ses doigts, elle s’inquiétait sûrement pour rien mais elle avait besoin d’en parler à quelqu’un.
— Papa... je suppose que vous êtes au courant pour hier ?
— Oui, Tin nous en a parlé vaguement avant que Mino ne se précipite dans les jupes de votre mère. Tu veux m’en parler ?
Pendant qu’il avait dit cela, il avait passé une main dans ses cheveux blonds, signe qu’il manifestait une gêne par rapport à cela et sans doute pour son manque d’informations, pour un militaire c’était dur quand ça concernait sa propre fille.
— Disons que je ne veux pas vraiment parler de cela, c’est terminé et le mal a été fait, je…
— Mais ce n’est pas ta faute chérie !
— Par les Dieux papa, je sais, laisse-moi parler !
Pour toute réponse, il fit un petit moulinet de sa main droite pour l’inviter à continuer.
— J’aimerais te montrer quelque chose qui pourrait nous aider dans la vie de tous les jours mais aussi j’aimerais savoir si vous avez eu des échos par rapport aux vies que j’ai prises ?
— Alors non pour le moment nous n’avons rien eu et ça m’étonnerait que ça se sache, les gens ont trop peur pour ça. De plus, ils ne sont pas assez bêtes pour divulguer ça à l’armée du pays qui est en majorité remplie de Sokl. Que veux-tu me montrer ?
Elle pensait que c’était une bonne chose mais elle souhaitait continuer sur le chemin qu’elle commençait à prendre.
— Tu sais bien que pour le moment ils sont aveuglés papa.
— Aveuglé ou non, il n’empêche qu’ils ne sont pas idiots.
— Ce que je veux te montrer pourra peut-être vous aider pendant vos missions, j’ai montré cela à Tin hier et il m’a en quelque sortes approuvé.
— Qu'est-ce que c'est exactement ?
— Ce sont des baumes. Quand je me suis rendu compte que je me blessais, je me suis dit qu’il fallait que je trouve un moyen de me guérir par moi-même étant donné que je ne pouvais pas aller chez le médecin, que Mino ne serait pas toujours là et que ma magie serait trop dangereuse sur moi-même. Attends, laisse-moi terminer. Grâce à lui, j’ai créé des sortes de pommades pour toutes sortes de maux, en passant de la petite brûlure à la grosse fracture.
— Même sur un os cassé, ça pourrait faire quelque chose ?
— Oui, disons que ç'accélère la consolidation pour favoriser la guérison.
Bien qu’elle ait parlé assez rapidement pour empêcher son paternel de répondre, celui-ci passa sa main sur ses cheveux blonds et regarda sa fille d’un air empli de fierté.
— Tu as réussi à dompter Zluna on dirait ? Enfin partiellement si elle te laisse vivre ainsi.
— Disons que si je me soigne, je la soigne aussi et donc si elle ne veut pas périr je dois prendre soin de « nous ».
Rina fit des guillemets quand elle prononça le « nous » car oui, elles étaient liées dans le même corps mais elles étaient en tous points différentes. La jeune fille adressa un sourire radieux à son père tout en se replaçant correctement sur le banc gelé, ses mains commençaient à devenir rouges à cause du froid et ses lèvres légèrement bleutées.
— C’est Tin qui m’a fait comprendre ça et je l’en remercie fortement. Grâce à lui, je n'ai pas fait de monstrueuses folies.
— Je vois ça, je n’ai pas de réelles questions de m’inquiéter si je comprends bien ?
— Je ne pense pas, mais dis-moi... vu que j’arrive à la contrôler, du moins partiellement, est-ce que vous pouvez revenir à la maison comme avant ?
Son père se frotta la nuque, signe de réflexion, et Rina n’aimait pas vraiment ça. C’était tout ce qu’elle voulait, que tout redevienne comme avant.
— Disons que je ne peux rien te promettre, en ce moment le gouvernement est strict avec tout ce qu’il se passe et honnêtement avec ta mère on se demande si on pourra revenir plus souvent.
— Des révoltes se sont développées ?
— Très partiellement, c’est dans des régions minoritaires et ça traîne depuis un moment, l’Impératrice souhaite régler tout cela en priorité avant de pouvoir nous rendre nos vies familiales.
— Mais ça n’a rien à voir avec Zluna ?
— Tu sais quoi ? Demande à ta mère, elle est plus gradée que moi, elle saura mieux te répondre je pense.
Rina hocha la tête et se leva, elle était frigorifiée par cette météo qui devenait capricieuse.
— Tu viens, on rentre ? Je suis sûre qu’ils sont en train de dresser la table.
Monsieur Grintofk s’était donc levé et avait épousseté son pantalon pour enlever les éclats de givre qui le maculaient. En passant à côté de sa fille, qui était déjà à l’entrée du manoir, il toucha d’une main son épaule gauche avec douceur et ses sourcils se froncèrent légèrement.
— Rappelle-moi de te remettre ta température interne en état.
Tout en acquiesçant, la jeune fille poussa la porte du salon pour pénétrer dans l’immense manoir, qui peu à peu, grâce à ses anciens habitants, reprenait vie.
Jonas et Rina suivirent les éclats de rire pour trouver le reste de la petite famille, qui se trouvait au petit salon. Elle se mit à sourire en voyant sa mère et son frère assis sur un des divans pendant que son cadet faisait des allers et retours pour lui montrer tous les dessins et les textes qu’il avait faits durant leur absence.
— Et du coup ici ça représente…
— Mino ?
— Oui ?
— Je sais que tu tiens à tout cela, mais peux-tu montrer la chose importante avant ?
— Je…
Rina s’était un peu avancée à ses côtés tout en le regardant avec insistance pour lui faire comprendre de quoi elle parlait. Elle voulait que ses parents voient à quel point leur petit garçon avait mûri depuis qu’ils étaient partis.
— Vas-y, dans ma chambre, dans l’armoire.
— D’accord, ne bougez pas !
Il avait agité la main devant ses parents et avait détalé en courant vers le grand escalier, dans tout le rez-de-chaussée on l’entendait courir d’un bout à l’autre de l’étage. Sa sœur avait parfois du mal à se dire qu’il avait seize ans, il paraissait tellement enfantin quand ses parents étaient là.
— Qu’est-ce que c’est encore ?
— Tu verras maman, il arrive.
Jeanne avait parlé assez sèchement, elle venait de retrouver ses enfants et craignait qu’une de leurs folies mettent en péril leurs retrouvailles.
— Tin sait de quoi je parle, mais je te promets que tu seras fière de lui.
— D’eux, tu seras fière d’eux.
Tin se mit à sourire franchement mais très sérieusement en regardant ses parents, il se leva du divan pour se placer non loin de sa sœur puis indiqua le siège à son père qui s’assit à son tour. Le voyage semblait les avoir épuisés.
— Non, je…
— Si Rina vous l’avez fait ensemble donc si. Vous verrez, ces deux petites têtes ont du génie dans leurs crânes même si ça ne se voit pas toujours.
Les deux complices se mirent à rire face aux visages pleins d’incompréhensions et Rina frappa doucement la main de son frère face à sa raillerie. Les parents quant à eux se regardaient comme si l’autre en savaient davantage, mais ce n'était apparemment pas le cas, alors que si, Jonas en savait beaucoup plus qu’il ne le pensait.
Tout à coup les pas revinrent avec vitesse, Rina se retourna vivement pour stopper la tornade qui arrivait plus rapidement que jamais, elle avait peur qu’il brise les flacons.
— Merci, donne-moi ce que tu as dans les mains avant de tout casser.
— Tienssss.
Mino mit tout dans les mains de sa sœur qui prenait garde de ne rien casser, il y avait trois flacons. Le sien, le violet, un rouge et un blanc. Elle se retourna ensuite vers ses parents et montra les récipients fièrement à ses parents. Enfin, elle leur montrait, le fruit de beaucoup de labeur.
— Ah mais c’est de ça que tu me parlais chérie ?
Son père s’était levé et s’était approché, admiratif, pendant que sa mère la regardait de sa place avec un regard méfiant.
— Qu’est-ce donc ?
— Des baumes médicaux maman.
La voix de Mino était joyeuse et pleine de fierté pour leurs créations, il se sentait important et il ne manquerait pas de le faire remarquer même si la mère de la maison ne semblait pas particulièrement emballée, contrairement au père de famille qui agitait le baume rouge dans plusieurs sens comme si l’explication viendrait en le secouant. Jeanne déposa sa joue sur son poing qui avait son coude sur l’accoudoir de son siège pour les regarder, ennuyée.
— Hm et à quoi cela pourrait-il servir ?
— Seigneurs maman, ne fait pas ta rabat-joie ! Montre au moins un minimum d’intérêt.
Tin paraissait exaspéré de voir sa mère à ce point désintéressé sans attendre la moindre explication, elle paraissait avoir déjà tiré un trait définitif sur la chose.
— Cela pourrait te sauver donc attend que Rina t’explique.
— Merci Tin.
Rina s’avança plus près du divan où était sa mère et lui montra le flacon violet.
— Celui qui sauve la vie de ton plus jeune fils sans arrêt.
— Pardon ?
— Maman !
Bien qu’elle pestait dans son coin, elle croisa les bras sous sa poitrine et affichait une moue résignée en attendant les explications qui peinaient à arriver.
— Comme tu le sais, Mino est somnambule et il tire des sorts à tout va et quand c’est le cas, certains se retrouvent avec des visages déformés.
On entendit le rire étouffé de Mino dans le fond du salon, la situation semblait l'amuser.
— Merci oui je sais, et ?
— Et j’ai trouvé un remède avec mes fleurs, le mélange fait que si j’applique le soin sur sa poitrine il se calme assez rapidement.
— Mais c’est impossible, son cas est presque unique, comment tu aurais pu réussir seule sans le soutien de médecins et scientifiques reconnus ?
— Pas seule, avec Mino maman.
— Au diable ! Ce n'est qu’une coïncidence ! Je n’en crois pas un mot.
Tin qui faisait les cent pas s’arrêta instantanément, quasiment fou de rage devant tant de mauvaise foi.
— Une coïncidence ? Hier Rina m’a tout montré ! Tous ses baumes, il y en a des centaines, leurs effets sont bluffants, surtout celui-ci ! Il s’est directement calmé et ça prouve bien qu’ils ont trouvé ce que vous n’avez pas pu dénicher. Je sais que toutes vos recherches s’avèrent inutiles mais grâce à ça il dort beaucoup mieux. Alors soit comme papa, maman ! Soit fière de ce qu’ils ont fait, c’est du véritable génie. Grâce à eux nous pouvons nous soigner beaucoup plus facilement sans risquer de nous blesser avec notre magie, elle en a pour tous et dans toute la maison. Elle a un grand plan pour démontrer où tout est caché. Regarde, je n’ai aucune cicatrices grâce à cela, tout ça grâce à ses soins, si ce système existait depuis davantage de temps, certaines âmes seraient restées sur Terre et tu le sais autant que moi.
Tout en reprenant sa respiration, il laissa un silence. Son doux regard s’était éteint une toute petite seconde avant de se raviver.
— Donc pour une fois, étudions ça et tu verras toi-même que ceci est peut-être une solution au moins temporaire pour Mino !
Il paraissait hors de lui mais il se tut quand il vit sa mère se lever brusquement pour prendre le baume violet des mains de Rina avant de s’éloigner de quelques pas du petit groupe.
— Les autres servent à quoi ?
— Le blanc pour les maux de têtes et le rouge pour les fractures.
— Rina ?
— Oui ?
Son regard essayait de trouver les yeux de sa mère mais il n’en fut rien, elle ne voyait que les lourds cheveux ombragés qui descendaient en cascade sur ses épaules. Jonas, quant à lui, regardait l’assemblée sans intervenir, laissant faire les choses. Même son fort caractère restait en retrait, tout comme Mino qui restait dissimulé légèrement derrière lui, il n’interviendrait seulement s’il le jugeait nécessaire. Lentement Jeanne se retourna et fit signe à sa fille de sortir de la pièce d’un coup du menton, la jeune fille hocha la tête et sortit du salon en direction du jardin. Jeanne jeta un regard au reste de sa famille et sortit sans un mot.
— Elle va dire quoi à Rina, papa ?
Jonas baissa son regard vers son plus jeune fils et lui adressa un tendre sourire.
— Rien mon fils, elle veut sans doute voir comment vous faites tout cela pour comprendre, rien de plus.
Tin vit que la réponse de son père n’avait pas satisfait le jeune homme, il eut donc une idée pour le refaire sourire, il sortit une jolie montre à gousset de sa poche de pantalon. Elle était d’une magnifique couleur argent en elle-même avec sa chaînette assortie et quand le couvercle de la montre était ouvert, le contraste était saisissant. Le cadran était un mélange d’un bleu sombre pour son contour avec une touche noir en son centre, il y avait un argent accrocheur pour les fines aiguilles et les chiffres antiques qui représentaient le temps. Elle venait d’une grande maison d’horlogerie du Royaume et il la conservait précieusement d’un héritage familial.
— Dis-moi Min’ ?
— Quoi ?
— Regarde l’heure bonhomme.
Tin tendit sa montre vers le regard de son petit frère qui le regarda avec questionnement.
— Oui, il est presque dix heures et ?
Tin montra d’un regard la cuisine et le regarda en arborant un nouveau sourire.
— Le temps que Maman et Rina discute on va se préparer pour manger, tu ferais bien de reprendre ton travail non ? Tu n’avais pas un truc à cuire qui prend beaucoup de temps ?
— Oh merde !
Mino parti rapidement en ayant déposé son sourire maussade pour un grand sourire un peu affolé, l’aîné le regarda s’envoler avant de se tourner de nouveau vers son père qui, quant à lui, avait un regard tout à fait sérieux. Il s’en inquiéta et le regarda avec un regard plus dur qui demandait des explications.
— Que se passe-t-il ?
— Viens dans le bureau, il faut qu’on parle de quelque chose.
Le jeune homme claqua ses deux talons par réflexe, comme quand il s’adressait à un supérieur et suivit son père de près.