Vendredi 4 avril, 16h59. Elizabeth entend des crissements de pneus dehors et aperçoit un éclair rouge devant la fenêtre.
LE DIABLE
J’ai réussi ! Je suis à l’heure ! À la seconde près ! C’est que je suis venu en Ferrari cette fois. Je me suis garé en zone interdite devant la porte. Vous pensez que c’est bon ?
Comment ça, ça dépend ? Je n’ai aucune envie d'avoir une contravention par votre faute, ça fait déjà plusieurs fois que je m’en prends une à cause de vous. Oui, je sais que c’est ma voiture et ma responsabilité et gnagnagnagnagnagna, mais il faut savoir ce que vous voulez : que je sois à l’heure ou bien garé ?
Comment ça, d’autres parviennent à faire les deux à la fois ? C’est très vilain de me comparer à vos autres fayots de frustrés de patients qui n’ont rien de mieux à faire que de venir ici. Je vous signale que mon agenda est plein comme un… Oui, vous avez raison, il faut avancer. Bon, continuons.
Non, attendez un moment, je jette juste un petit coup d’œil par la fenêtre. C’est tout bon. C’est juste que j’avais cru voir passer la fourrière. Ça devait être une illusion d’optique. Je suis à peu près sûr qu’il ne va rien se passer, en plus il pluviote et c’est bien connu que les policiers préfèrent rester au chaud quand il fait froid.
Il faut dire que votre cabinet est très mal situé, en plein devant la zone de stationnement interdite.
Où ça, plein de places libres d’habitude ? Oui, mais elles sont payantes je vous signale ! Je n’ai pas de menue monnaie, seulement des billets de 500 euros. Et puis le parcmètre est très mal placé ; j’aurais eu au moins dix minutes de retard si je l’avais cherché.
Déjà que j’ai failli écraser un cycliste à cause de vous. C’est que j’ai fait du 150 pour être à l’heure. Quoi encore ? Oui, 150 en ville. Vous avez bien entendu. Qu’ils sont risibles, ces cyclistes, avec leur casque et leur moule-boules ! Ils surgissent à tous les coins de rue tels des champignons fluos et vénéneux dans une forêt de bitume. Ma parole, c’est bien dit ça, je pourrais être poète, qu’est-ce que vous en pensez ?
Oui, hein ? La forêt de bitume comme métaphore pour la ville et les champignons fluos pour les cyclistes. Ou je pourrais être cuisinier et les écraser avec ma Ferrari pour en faire une omelette aux champignons. Je suis trop civil, ma foi. À propos attendez, je jette un coup d’œil par la fenêtre… Pas de policiers à l’horizon, c’est tout bon !
D’ailleurs, je ne suis pas le seul à être stationné là – tiens, elle est pas mal cette petite minette qui sort de sa voiture garée juste derrière moi –, la preuve que c’est ridicule ces zones de stationnements vides. Je laisse la fenêtre ouverte pour mieux la surveiller ‒ la minette, pas la voiture – euh pardon, la voiture pas la minette…
Bref, je suis sûr qu’ils le font exprès pour remplir les caisses de l’État. C’est comme les radars qu’ils placent à côté des feux et dand les descentes. C’est d’une sournoiserie… Ils ont vraiment zéro tolérance, on ne peut plus rien faire de nos jours. L’État de police a remplacé l’État libre, si j’étais président… Attendez, c’est quoi ce bruit ?
Hé ?! Hééé ! Oh ! Mais c’est ma voiture ! NON nonononon ! Attendez, j’arrive tout de suite !
Pendant que le Diable déboule l’escalier, Elizabeth se poste à la fenêtre pour observer la suite des évènements.