L'ami

Par Capella

— Il y a ici tout ce dont tu peux rêver ! Jouets, livres, vêtements, et tout un tas de petits coins aménagés où tu pourras faire semblant de prendre le thé, danser ou chanter ! 

Après que Confetti lui eut annoncé cela, tout sourire, Lysithea regarda autour d’elle, inquiète. Elle était bien trop large pour poser les yeux sur tout ce qu’il se trouvait. Bordant les murs – ces murs loin de nombreux mètres –, des étagères allaient jusqu’à vingt mètres de haut pour toucher le plafond. Des déguisements, des dessins enfantins, des livres, des jouets et d’autres pantins débordaient de ces meubles immenses.

À leur pied, il y avait un long fatras de tables, elles-mêmes parsemées d’autres fatras divers, ainsi que des horloges, des pyjamas sur le sol, de nouveaux déguisements, des membres en bois et des objets extravagants ; comme des ciseaux géants, des machines à écrire minuscules ou des avions à hélice attachées à des grues censées les faire voler. Un gramophone aux multiples trous était éteint, mais la musique qu’il pouvait diffuser promettait d’être grandiose. Puis, au loin, une porte de la taille de la petite fille. 

Peut-être était-ce juste parce que la pièce était grande, mais elle ne voyait pour le moment aucun endroit surpiqué d’un morceau de nourriture ou deux. Rien qu’un verre d’eau aurait fait l’affaire, tant sa gorge était sèche d’angoisse. 

— Tu es dans le lieu le plus en sécurité de la boutique, poursuivit le pantin en se penchant sur elle. Tous les autres voudront te voler ton corps, pour obtenir une véritable vie, car notre existence de bois est bien en deçà.

Confetti s’approcha plus encore, son sourire s’étirant, ses yeux se plissant davantage.

— Fort heureusement, ce n’est pas mon cas…

Il resta immobile quelques secondes, juste de quoi terrifier Lysithea, avant de reculer avec impétuosité. 

— Je vais nous préparer un jeu. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu m’appelles, et je viens régler ça. 

Il tourna la tête vers un coin de la pièce dans lequel un fatras d’outils de coutures étaient installés. En suivant son regard, Lysithea avisant alors une immense structure. Composée de bras d’enfants, cousus les uns dans les autres, elle formait une somptueuse spirale. Confetti était parti du centre et agrandissait l’œuvre en lui rajoutant des cercles extérieurs. Le plancher à son pied était imbibé de sang séché. 

Quand Confetti redirigea son regard vers elle, Lysithea sursauta.

— Il est ici juste une règle importante, cela dit… On ne s’enfuit pas.

Sur ces mots, il se traîna sur le sol pour rejoindre son petit coin de travail en chantonnant gaiement. Lysithea resta assise, à le fixer, incapable de se mouvoir. Elle avait mal, et peur. Cela ne changeait plus depuis un long moment, cela étant. 

En promenant son regard autour de Confetti, qui s’était déjà mis au travail, elle avisa un nouveau fait étonnant. Il y avait dans ce coin de la pièce tellement d’objets, de meubles, de tables et de papiers par terre, qu’il lui fallait rassembler une formidable concentration pour déceler d’autres choses plus intrigantes. La pléthore de poupées russes à taille enfant qui longeait une armoire y figurait en bonne place. C’était une collection incongrue. 

Lysithea finit par tourner de nouveau la tête vers Confetti. 

— Quel sera le jeu d’aujourd’hui ? 

Il se retourna vivement, posant une paire de fausses oreilles de chat sur tête.

— Le chat et la souris…, dit-il, sans se dépeindre de son immense sourire.

Lysithea eut un frisson dans le dos. Qu’il soit bon ou non, se faire poursuivre par Confetti au milieu de cette salle ne serait pas la moins terrifiante des expériences qu’elle pourrait vivre. 

Dois-je m’en aller maintenant…? 

La question ne se posait pas, car la réponse était : “oui, absolument”. Lysithea n’avait pas le cœur à rester plus d’une minute de plus dans ce lieu, aussi somptueux fut-il. Ayant de toute manière été attiré ici par la beauté de la boutique, elle était motivée à retenir la leçon, cette fois-ci. Dans une ville aussi sordide, tout ce qui était proche de la beauté était proche de l’être d’un piège. 

Elle prit une profonde inspiration, alors que dans ses yeux nagea une peur fulgurante ; une nouvelle, s’entendait.

— J’aime ce jeu, mais pour commencer, j’aimerais quelque chose d’un peu reposant, après tout ce qu’il m’est arrivé. Cache-cache, ça vous irait ? 

Confetti fit tourner sa tête souriante et resta de longues secondes parfaitement silencieux, ses yeux brillants d’une lueur inquiétante. Il finit par répondre en murmurant presque :

— Cela va de soi. Je dois simplement… terminer ce que je fais… Attends simplement quelques secondes, s’il te plait. 

Lysithea hocha la tête, mais le pantin était déjà affairé à son travail, l’empêchant de la voir. La petite fille resta simplement assise le temps qu’il fallait, le corps oscillant d’avant à arrière, comme s’il escomptait s’évanouir. Lysithea n’était plus fatiguée, pour peu que ce fut possible. La peur devait y être pour quelque chose. Néanmoins, ses muscles, eux, étaient au bout de leur espérance de vie. Ils avaient besoin d’un long repos ; ne plus bouger de longues heures durant pour apaiser un peu toute la douleur qui les traversait. Malheureusement, elle n’envisageait pas d’apaiser ses membres avant d’être sortie d’ici… 

— C’est bon…

Lysithea se réveilla de sa demi-conscience quand elle entendit Confetti s’exprimer. Il lui souriait. Toujours.

— Je t’ai trouvé, déclara-t-il.

— Hein ? lâcha bêtement Lysithea, pas bien certaine de comprendre.

Confetti mis une main devant la bouche, alors qu’il riait. 

— Cinquante secondes, déclara-t-il. J’ai compté, et tu étais toujours là. 

Lysithea avait écarquillé les yeux, balbutiant une excuse, mais sans jamais parvenir à enchaîner plus de suites de sons cohérents tant elle était abasourdie. 

— Je recompte, dit toutefois le pantin. J’ai fait exprès de compter sans te prévenir, pour savoir si tu allais le remarquer. Ça aurait été amusant… Maintenant que tu es bien réveillée, va te cacher. Je recompte… Mais pour de vrai, cette fois…

Lysithea acquiesça vivement, nerveuse. Confetti tourna sa tête vers son bureau et prononça un compte audible. Lysithea se leva, l’estomac lourd, la tête bourdonnante. Elle n’avait plus du tout envie de faire ce qu’elle voulait tenter d’essayer, mais maintenant qu’elle avait lancé l’horlogerie de sa fuite, elle était forcée de la suivre. 

Le regard rivé vers Confetti, elle marcha à pas feutrés en direction de la porte. Il n’en était qu’à quinze secondes. Lysithea avait l’impression qu’il ne lui en restait plus qu’une avant d’ouvrir les yeux. Elle accéléra le pas, lourde. 

Elle respira lentement, essayant de contrôler son souffle. Elle s’était essayée à courir tout en restant la plus discrète possible. La porte n’était plus très loin, et son partenaire de jeu n’avait toujours pas levé la tête de ses bras. 

Concentrée à observer le pantin, elle renversa un jouet, se figeant sur place. Elle entendit alors Confetti rire, heureux de l’indice que venait de lui offrir la petite fille. Cette dernière resta paralysée quelques secondes, le temps de laisser le soin à son cœur de repartir tranquillement après qu’il se fut arrêté de peur.

Quand elle entendit Confetti dire “quarante-cinq”, son palpitant cessa de battre aussitôt après être reparti. Elle entama une course, décidant d’atteindre la porte avant qu’il terminât son compte. 

Elle tomba alors quand son pied rencontra un fil translucide posé devant la porte. À cet instant, des clochettes accrochées à la fine corde sonnèrent. Lysithea ne se laissa pas le temps de pleurer de sa bêtise. Elle se leva d’un seul coup pour poursuivre et tendre son bras vers la porte. À la place, sa tête fut plaquée contre elle avec violence après qu’elle eut entendu la course folle de la marionnette qui, pourtant, n’avait couru qu’à l’aide de ses deux bras. 

Elle fut rapidement maitrisée, le dos percutant le sol de la pièce, Confetti se tenant sur elle, un grand sourire sur le visage. 

— Plutôt malin comme plan, tu n’es pas la première à t’y essayer, j’aurais dû retenir la leçon… Je suis incorrigible…  

Il mit ses deux mains sur le bras droit de Lysithea, laquelle commença à pleurer d’effroi avant de le supplier de ne pas faire ce qu’il s’apprêtait à faire en sentant où il mettait la prise de ses mains.

— Peut-être que ça te dissuadera d’essayer d’ouvrir des portes… 

Il tira d’un coup sec, le bras s’arrachant de l’épaule de Lysithea, volant en arc de cercle quand le pantin le jeta en l’air. L’enfant eut le souffle coupé une petite seconde. La suivante, le crissement qui lui servit de cri retentit dans toute la boutique, alors qu’elle posait sa main gauche sur la plaie béante. Le sang lui monta à la tête, jusqu’aux yeux. Elle sortit la paire de ciseau qu’elle avait conservée pour la planter dans l’œil de Confetti, lequel poussa un cri de stupeur. D’un coup de pied, elle le fit tomber au sol et ouvrit la porte de sa main restante. 

Elle courut dans la salle suivante, la douleur étant telle… qu’elle n’était plus. Cela dit, la conscience de Lysithea commençait à faire des hauts et des bas, alors qu’elle chancelait. Son esprit était complètement épuisé par trop de choses en même temps. 

Pour cette raison, elle ne vit pas la corde qui était placée juste devant la porte. Lysithea passa sa tête au travers, par mégarde, et la corde se serra autour de son cou avant de la hisser dans les airs, pour la faire prendre en altitude alors qu’elle tirait contre sa gorge. 

La respiration bloquée, Lysithea usa de sa main gauche pour desserrer la corde alors qu’à ses pieds, Confetti fulminait. Pendue, le paysage gagnant toujours un peu plus de hauteur à mesure que les secondes passaient et que ses yeux s’écarquillaient, ses pensées cessèrent après que ses poumons eurent trop longtemps été coupés d’air. 

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