L'amnésique et l'apprentie voleuse

Par Erioux
Notes de l’auteur : Bonjour, si vous avez lu jusqu'ici, n'hésitez pas à commenter. Bonne lecture!

Il n’osait pas les réveiller. Les deux enfants dormaient comme des chatons, blottis contre la porte. Mystérieusement, il s’était éveillé là, sans aucun souvenir de la soirée. Il déambulait dans le désordre de l’appartement, déplaçant un bol et positionnant une chaise, il se trouvait chez lui, mais il avait l’impression d’être étranger. Qu’avait-il pu se passer dans cette pièce hier soir?

  • Monsieur Fisher? Vous allez bien? s’enquit Anna en étirant ses membres tendus. Vous n’êtes pas blessé? Elle repoussa Gwion qui s’était entremêlé dans ses jambes.
  • Ça va… répondit monsieur Fisher hésitant.
  • Où sommes-nous? demanda Gwion, somnolant, la main sur la tête.
  • Vous êtes chez moi…
  • Et pourquoi je suis chez vous? Le garçon se redressant du fouillis se grattait le front d’incompréhension. Il dévisagea le vieux, puis la fille.
  • J’allais vous demander la même chose. Tu es bien le morveux qui mendie dans la ruelle? Et toi? Qu’est-ce qu’une fillette costumée en garçon fait dans mon logement? Que s’est-il passé ici?

Monsieur Fisher réaménagea la pièce, centra la table qui émit un long crissement et dégagea le coffre du passage. Qui étaient donc ces deux enfants inconnues? « Maudite eau-de-vie ! » pesta-t-il en présumant que son amnésie résultait d’une soirée trop arrosée. Le garçon errait comme un animal pris en cage, la petite fille piaulait autour de lui comme un poussin paniqué. Il ne pouvait pas les garder chez lui plus longtemps. La voisine d’en dessous, elle allait épandre ses on-dit dans tout le village. D’une main tremblante, il ouvrit la porte pour chasser le fauve et la poussinette.

  • Je ne sais pas qui vous êtes, ni par quelle entourloupette vous vous êtes retrouvés là, mais je sais que je n’ai pas de place pour deux lardons, je suis désolé.
  • Mais Monsieur Fisher… Je suis Anna, la petite du phare. Je suis la petite blatte. Et Gwion? Vous lui avez permis de rester avec vous. Vous ne pouvez pas nous mettre dehors, vous devez vous rappeler de nous? supplia-t-elle dévastée. Je peux vous raconter…
  • Sortez ! Je veux simplement être tranquille, j’ai une journée de travail qui m’attend et j’ai un insupportable mal de crâne.

Gwion, libéré, quitta sans obstination, Anna regarda le marin une dernière fois de ses grands yeux mouillés. Elle prit ses affaires et suivit le garçon dans les escaliers. « Merci pour tout, Erwan Fisher », pensa-t-elle.

  • Attends Gwion, où vas-tu? Je veux venir avec toi.
  • Qu’est-ce que je ferais d’une pleurnicheuse? Dégage et retourne chez ta mère.
  • Gwion? Toi aussi? Tu ne te rappelles rien? Le phare, nos chamailleries, le balai et ma chute du toit? Un grand vide envahit Anna. Une pièce pour la cocotte, tu te rappelles?

Gwion stoppa sa descente et se vira vers la suiveuse fatigante.

  • Écoute, je ne comprends pas ce que tu me veux. Si tu as une pièce, tu peux bien me la donner et me suivre un moment.
  • Je n’ai pas de pièce, dit Anna en baissant les yeux. Je suis seule Gwion. Je ne sais plus où aller.

Gwion se concentra sur la fille. Elle lui rappelait quelqu’un, une sœur ou une amie surgit d’un passé flou. Elle était jolie et triste.

  • Ça va, tu peux rester avec moi pour la journée, mais je ne pourrai pas te trainer longtemps. Tu comprends? Tu n’es pas un garçon…
  • Merci ! Elle s’avança pour le serrer dans ses bras. Gwion mal alaise recula d’un pas.

Avant de sortir, Anna cacha ses cheveux dans son béret et reprit son rôle masculin. Elle suivit Gwion en marchant dans son ombre, elle ne s’était jamais sentie aussi vulnérable. Elle remarqua, en biais de l’édifice, un adolescent assis sur un tas de brique, la casquette enfoncée qui glandouillait avec une canne plombée.

  • Qu’est-ce qu’il fait là lui? chuchota Gwion. Ce n’est pas son territoire.
  • Gwion, il s’est levé, je crois qu’il nous file, nous devons déguerpir d’ici ! pressa Anna qui ne le lâchait pas des yeux.
  • Arrête de le regarder, nous allons descendre dans la prochaine ruelle, à mon signal, tu fais comme moi et tu cours… Maintenant !

Gwion et Anna se mirent à courir hors de la vue du poursuivant. Derrière, un claquement de semelles retentissant alerta les enfants qu’il avait pris de la vitesse et qu’il les rattrapait. Gwion tourna brusquement entre deux habitations accolées et s’engouffra dans l’étroit passage d’une vingtaine de centimètres. Anna s’y hasarda. Plus grande que Gwion, elle progressait en se tassant dans le réduit, tirant vers elle son bagage de cuir comprimé.

  • Alors la blatte, on se faufile là où on ne doit pas? L’adolescent la défiait d’un air malicieux, le visage dans l’ouverture, les mains sur l’embrasure.
  • Comment m’as-tu appelé? Rugis Anna. Les hommes en noir? Tu travailles pour eux c’est ça? Qu’avez-vous fait à mes amis?

Les tempes battantes et les tympans grésillant de colère, elle était coincée bras en croix à moins de deux mètres de l’adolescent trop massif pour s’engager entre les bâtiments.

  • Allez, viens par ici petite blatte, sa main tâtait pour attraper la courroie du sac hors de sa portée.

Il essaya de nouveau avec sa canne au pommeau crochu. Le menton appuyé contre le bois, l’épaule distendue, il parvint à accrocher la bretelle de cuir et l’attira vers lui. Le bagage écartelé entre les opposants menaçait de se déchirer.

  • Lâche mon sac espèce de malade mental, cria Anna le bras fatigué. Vous m’avez enlevé ma famille, vous ne prendrez pas mes affaires. Gwiooonnnn !

Gwion freina sa course, foudroyé par le cri. Sa protégée luttait, bloquée entre les parois. Terrorisée, une main tendue vers lui, prise au centre de la passe. « Anna » il rampa en renfort vers son amie.

  • Anna, je suis là, c’est moi…tient bon, je me rappelle. Prends le temps de respirer, tu es gonflée comme un poisson lune. Il lui attrapa le poignet.
  • Gwion ? C’est toi, se réjouit Anna.

Elle ferma les yeux, expira un grand coup et se laissa guider par son ami. Incapable de rivaliser contre cette force dédoublée, le redoutable asseyant perdit prise et lâcha la canne.

  • Argg ! On se retrouve de l’autre côté, menaça le filou en s’extrayant du trou.

Les deux enfants triomphants débouchèrent dans une courette clôturée, Gwion brandissant sa nouvelle arme comme un trophée. Il s’arrêta brusquement et contempla sa complice qui se frottait l’épaule endolorie.

  • Anna ! Le garçon sauta au cou de son amie. Je me souviens ! Tous mes souvenirs sont revenus subitement, comme si je me m’éveillais d’un horrible songe. Pardonne-moi.
  • Tu n’y es pour rien, ce sont ces hommes en noir… Nous devons trouver une cachette avant que le siphonné ressurgisse.

Gwion fit pivoter une planche de la clôture et invita Anna à s’y glisser.

  • Après vous mademoiselle, taquina-t-il 
  • Je suis un garçon tu te souviens? Anna prit les devants en lui donnant un marron au passage.
  • Aïe, je sais bien ! Attends, je connais tous les recoins de ce village.

Ils longèrent un hangar blanchi, passèrent sous une galerie pour éviter un muret de pierre et descendirent une canalisation dissimulée dans les fourrages. Un peu plus bas, ils quittèrent le fossé et rejoignirent un discret sentier d’herbes tapées, traversant un lopin délaissé, sillonnant vers une maisonnette délabrée. 

  • C’est là, la planque à rats, pointa Gwion. On est quelques-uns à s’y réfugier, mais on va y être en sécurité… je crois.
  • Merci pour ton aide, pour les risques que tu cours et pour ton courage…
  • Tu sais, la vie est moins moche avec toi, rougit Gwion.

Ils trouvèrent la bicoque inoccupée. Au rez-de-chaussée quelques couvertures miteuses trainaient parmi les meubles tordus et l’amoncellement de débris. Une cuvette rouillée, servant de braséro, fumait encore au centre de la pièce. Les squatteurs de la nuit passée avaient dû quitter depuis peu de temps. Gwion souffla sur les charbons qui se réanimèrent, puis il nourrit le feu avec quelques brindilles.

  • Nous devons faire quelque chose pour monsieur Fisher, fulminait Gwion. Il était tellement bon… ils l’ont transformé en pastiche désagréable. Tu sais… je l’ai entrevue…
  • Qui? Fisher? demanda Anna.
  • Non, la créature. Elle… elle était noire et rapide… avec une gueule à dents de serpes… et cette chose… elle m’a foré la cervelle. Comment est-ce possible?
  • Je ne sais pas. Ils peuvent nous envahir l’esprit et effacer le contenu de notre crâne… pauvre monsieur Fisher… mais je crois qu’Erwan sera plus en sécurité sans souvenir de moi, son amnésie le protège en quelque sorte. Ces choses, elles veulent la pierre et elles vont me traquer tant qu’elle sera en ma possession. Demain je vais quitter le village. Vous pourrez reprendre votre vie normale, Fisher et toi…
  • Attends, tu rigoles? Après tout ça? Je viens avec toi. Aucun homme en noir… ou aucune créature ne s’approchera de toi sans avoir affaire à Gwion et sa nouvelle canne. Nous allons où?

Anna fouilla dans ses bagages. Derrière une chemise, elle sentit la froideur de la pierre au bout de ses doigts. Rassuré elle prolongea l’exploration du sac et en sortie une feuille de papier chiffonnée.

  • J’ai fait ce frottis une semaine avant ma fugue. Je pense qu’il s’agit des armoiries de ma famille et je suis certaine qu’elles ont un lien avec ces rencontres démentes.
  • Ce sont les armoiries de ton lit? Celles de la trappe restée chez Fisher? Nous pourrions nous rendre à la ville. Là-bas, nous trouverons plus de réponses que dans ce trou perdu. Avec de la chance, on pourrait même dénicher quelqu’un qui n’a pas le cerveau lavé pour identifier le blason.
  • Nous quitterons avant le lever du jour pour voiler notre départ. En attendant, j’ai faim. Tu fais comment lorsque tu veux manger? demanda Anna.
  • Ah ah, souvent je mendie, quelques fois je vole, si non, je jeûne. Madame désirerait?  Pain à l’aumône ou fromage dérobé? Madame préfèrerait une part de rien? se moqua le garçon en adoptant un air distingué.
  • Alors ça sera pour moi… châtaigne et marron !

Anna chargea Gwion et l’affligea amicalement de coup, heureuse d’avoir retrouvé son compagnon qui simulait la douleur en roulant sur le plancher.

*

Au port, les premiers hommes étaient de retour, leurs bateaux chargés des prises de la journée. Agenouillé à même le pavé, un groupuscule de femmes s’affairait devant un tas de sel et de sardines que des pêcheurs approvisionnaient de leurs paniers lourds de poissons. Manches roulées, les ouvrières plongeaient les bras dans le monticule salin pour en remplir un coffret posé contre leurs genoux. Gwion et Anna cachée derrière un entrepôt manigançaient.

  • Tu vois ces femmes là-bas? Et ces hommes avec les paniers remplis d’appétissantes sardines? Première leçon : Subtilisation de poissons. Tu vas t’approcher et donner l’impression à tout ce beau monde que tu fais partie des travailleurs et là tu…
  • Pourquoi moi? Je ne suis pas une voleuse, je n’ai jamais fait ça avant.
  • Écoute Anna, ici tout le monde me connait, en me voyant ils vont se dire « ah voilà Gwion le chapardeur de sardines » Non, c’est toi qui dois le faire en prenant ta petite face angélique. Tu vas saisir un des paniers et tout simplement te tromper de chemin en remontant vers l’entrepôt.

Anna espionna la routine des travailleurs. À partir d’une barque, les pêcheurs passaient les nasses à des ouvriers qui les réceptionnaient en file. Les gaillards en empoignaient deux et se dirigeaient vers les femmes pour les transvider. Il suffisait de rejoindre la queue. Nerveuse, elle traversa les quais et se plaça sagement derrière la colonne d’hommes. Elle serrait les narines et se mordait les joues de stress en doutant que les pêcheurs prennent à l’hameçon. Arrivée à son tour, une soudaine envie de pipi transforma la voleuse en ver tortillant devant le marin qui lui tendait un panier.

  •  Ça va microbe? Tu l’attrapes ce panier? lâcha l’impatient.

Anna avait interrompu la chaine. Derrière, les hommes se bousculaient surpris par la pause. Elle agrippa l’anse à deux mains. Il pesait beaucoup plus lourd qu’elle l’avait imaginé, le poids la déstabilisa vers l’avant et elle cambra le dos pour en supporter la charge.

  • Tu veux que je te transporte? plaisanta son voisin de file, déclenchant les rires des matelots environnants.
  • Hum, non ça va, répondit Anna intimidée.
  • Attends, je ne t’ai jamais vue sur les quais, tu es nouveau? questionna le marin, méfiant.
  • C’est… Gwenn dents noires qui m’envoie, mentit spontanément Anna. Vous mettrez ça sur sa note.

La réponse convaincue le pêcheur qui poursuivit son travail. Elle quitta les rangs en titubant sous la charge, dépassa les femmes et leurs sardines et franchis la cinquantaine de mètres qui la séparait de Gwion, rouge de honte.

  • Tu as réussi, tu es une cambrioleuse incroyable ! Gwion sautait sur place d’excitation, en admiration devant les poissons. Anna restait muette. Pourquoi es-tu si gênée? Tu as été géniale.
  • J’ai fait pipi dans ma culotte…

•••

Côte à côte, Anna et Gwion portaient leur trésor sardinier sur le sentier de la cabane. Ils se bidonnaient en créant tout un cirque de leurs exploits, oubliant un moment leurs ennuis et la bruine qui rendait leurs habits humides.

  • J’ai cru un instant qu’ils n’allaient pas marcher, un freluquet parmi les marins baraqués : « Approchez, approchez, venez admirer le matelot le moins fort du monde ! »
  • Et toi en équilibre sur la clôture pour me récupérer des vêtements secs, tu es un artiste, « Attention, attention, voici Gwion, le lardon chipeur de pantalon ! », hi hi, et ça, juste au-dessus de la propriétaire qui n’avait qu’à lever le nez en l’air pour assister à la pire grimace de l’humanité…
  • Alors Gwion, on a un nouvel ami?

Un batailleur de treize ans était sorti de la baraque pour barrer le passage aux deux comparses, escorté d’une petite armée d’enfants.

  • Ce n’est pas la canne de Trevor que je vois là? fit-il remarquer.
  • Laisse-moi passer Vio, je l’ai gagné ce bâton, si tu ne veux pas y goutter écarte-toi de notre chemin.
  • Oh, tu prends de l’assurance. Désolé, il n’y a plus de place pour vous cette nuit, et comme tout le groupe a très faim, on va vous débarrasser de vos poissons, menaça Vio en s’approchant dangereusement.
  • Tu n’auras certainement pas notre prise, face de triton, riposta Anna en serrant le poing gauche.
  • Qu’as-tu dit le mignon? Vous avez vu? Il a de beaux sabots de fille. Retourne chez ta maman, pleurote.

Gwion, furieux, allongea un grand coup de canne vers l’adolescent qui l’esquiva sans peine, le pommeau massif s’enfonça dans le sol. Vio pressa le pied sur la matraque et poussa son asseyant sur le postérieur, renversant du même coup le panier de sardine. Les enfants planqués derrière leur ainé spéculaient sur l’issu du combat.

  • Gwion ! cria Anna, inquiète pour son ami.
  • Alors, on ne tient plus debout? On a besoin d’une canne? Tient, qu’est-ce que je vois là, c’est une natte qui dépasse de ton béret? questionna-t-il en s’intéressant à Anna. Tu n’es pas un fluet, tu es une fluette ! railla Vio en se déhanchant vulgairement.
  • Clac ! La main d’Anna alla percuter la joue de l’adolescent qui souriait bêtement.
  • La fifille elle n’est pas contente? insista Vio.

Vlam ! Un coup violent ensanglanta le nez du rigolo qui s’écroula au sol en pleurnichant devant la guerrière au poing levé.

  • La fifille va dormir ici ce soir. Et elle offre le repas à tout le monde ! annonça Anna aux garçons galvanisés par l’exploit de l’héroïne.

Anna aida Gwion à se remettre debout, ils ramassèrent les sardines et suivirent le défilé de mômes vers l’abri. Vio, humilié, abandonna les hostilités en rejoignant le groupe.

*

Une appétissante odeur de sardines grillées flottait dans le repère des marmots. Les cinq plus petits s’étaient rassemblés autour d’Anna, curieux de découvrir une fille habillée comme eux, tandis que Vio, en retrait, tentait d’interrompre le torrent de sang qui lui sortait des narines.

  • Ayor ch’est là qu’elle est reuveunue afec leu paner de chardines, racontait Gwion la bouche pleine de grillades, devant son public infantile.
  • Tu as vraiment piqué le panier toute seule? Questionna un garçonnet noir de suie.
  • Ah non, c’est Gwion qui avait élaboré le plan, mais j’avoue être fière de moi. Tu veux des sardines Vio? Je ne t’ai pas brisé le nez j’espère? Elle s’inquiétait de l’énorme patate qui lui avait poussé au milieu du visage.
  • Non…J’crois pas, tu as cogné fort. J’aurais dû me méfier d’une gonzesse habillée en garçon.
  • Chest pour cha que che chui jafec elle, mâchonna Gwion. Le glouton engouffrait les sardines une après l’autre.
  • Arrête de parler la bouche pleine ! On ne comprend rien, rigola Anna. Vous vivez tous ici? Sans famille? Sans maison? questionna-t-elle touchée par les petits minois attentifs à ses histoires.
  • On survie comme on peut mam’selle. Le plus petit, c’est Jili, il est arrivé il y a un an avec son frère… il est avec nous maintenant. Celui-là, le crasseux couvert de suie, c’est Tituan. C’est le fils des chemineaux, il se réfugie ici quand son paternel tabasse sa mère...  Lui c’est Olier, ses parents sont crevés, il est le môme de toutes les bonnes femmes de la commune, mais parfois elles sont trop occupées pour l’accueillir. Lui c’est Éliaz et lui Briend… moi c’est Vio et le goinfre aux sardines c’est Gwion… mais lui tu le connais déjà.
  • Enchanté messieurs, moi c’est Anna la Blatte. 

À l’extérieur, le crachin avait évolué en averse bruyante, la froideur s’était installée en même temps que la nuit, pressant les huit occupants à se serrer autour du braséro. Le grondement régulier du tonnerre effarouchait Jili, blotti contre l’unique présence féminine de la maisonnée. Les enfants grelottaient dans leurs vêtements fumants d’humidité en essayant de trouver le sommeil sur la seule parcelle sèche du plancher détrempé par la pluie qui s’infiltrait le long des cloisons. Braoum

  • N’aie pas peur Jili, ce n’est que l’orage… il est encore loin. Si tu veux connaitre sa distance, tu n’as qu’à compter les secondes entre chacun des éclairs, écoutes… Braoum
  • 1…2…3…4…5…6…7…8…9… Braoum
  • Tu entends il est à trois kilomètres d’ici, rassura Anna… tu aimerais que je te raconte une histoire? Jili s’incrusta contre elle davantage. Tu connais celle d’Ismaël, du capitaine Achab et de Moby-dick?

Braoum, les sept paires d’oreilles écoutaient attentivement la voix berçante d’Anna, les éloignant de leurs misères, les rapprochant de leurs mères, transportées au-delà de cette nuit de tonnerre.

« …c’est à ce moment qu’Ismaël rencontra le terrible capitaine Achab, le visage traversé d’une grande cicatrice, la jambe artificielle taillée dans l'ivoire de cachalot…»

Braoum! Anna reprenait le conte ponctué par les éclairs qui découpaient son visage intense. Le public aux yeux ronds était hypnotisé par le récit.

« …droit devant ! Le dos blanc de leur ennemi, hérissé des harpons des chasseurs ayant perdu le combat contre la bête sanguinaire... » Braoum!

« …le capitaine harponna la bête une nouvelle fois, mais la corde trop longue s’enroula autour de son cou et…»  Pang!

Anna se leva brusquement, Jili dans ses bras. Le dernier Pang ne ressemblait pas un coup de tonnerre. Les enfants l’avaient tous entendu : un coup de feu tiré des environs. Gwion et Vio coururent à la porte. Braoum! Le voile d’eau masquait le champ qui cernait la maison.

  • Ça semblait venir de la falaise, remarqua Vio.
  • Sous la pluie, de nuit, ce n’est certainement pas d’un chasseur, ajouta Gwion

Ils refermèrent et se nichèrent aux près des autres terrorisés, impatients de voir le jour se lever.  

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