L'Annonce

Par Nor

Le son du clocher résonna, long et sombre.

Le matin de l’Annonce!

Lyna sauta de son lit, rejetant le drap dans lequel elle s’était entortillée. Elle descendit les marches en vitesse. Ses parents étaient dans le salon, réunis pour la prière. Lyna passa devant eux sur la pointe des pieds. Ils étaient à genoux de petits coussins, la fumée de l’encens lâchait des volutes blanches. 

Elle saisit une des housses de tissu dans l’entrée pour remonter aussitôt dans sa mansarde. Elle la jeta sur son matelas et ouvrit la fermeture en poussant un petit cri de ravissement. Sa tenue était magnifique cette année.

Elle dégagea la lourde jupe et le haut tellement recouvert de perles qu’il en était devenu rigide. Elle se déshabilla et enfila soigneusement l’empiècement sur sa poitrine et le resserra à l’aide des deux fils. Le bas était un peu bouffant d’une couleur verte foncée. Des broderies minuscules envahissaient l’ourlet jusqu’à la ceinture. Tout était parfaitement ajusté. Il fallait être aussi parfait que cela pour le jour de l’Annonce. Elle laissa retomber ses longs et épais cheveux jusqu’à ses reins et laça ses sandales jusqu’aux mollets, les mains un peu tremblantes. Elle se regarda dans le miroir et fit cérémonieusement le signe Shad, l’index levé et les autres doigts joints en face de son nez. Elle ferma les yeux.

Elle avait terriblement besoin de chance aujourd’hui. On ne savait jamais ce qu'il pouvait arriver. Et si quelqu’un de sa connaissance avait été arrêté?

-Lyna! hurla son père.

-J’arrive.

Elle souleva sa lourde jupe et dévala l’étage. Mr Bellugra l’acceuillit dans son uniforme noir redoublé d’or, la barbe taillé de près. Il était grand, trait génétique que Lyna n’avait pas hérité. Thomas et Oran étaient ses parfaites copies, les hommes avaient peu de choix quant à l’uniforme traditionnel. Sa mère était belle dans sa robe brodée de parmes. Son cou dégoulinait de lapis lazuli et ses cheveux emplis de fleurs blanches.

-Prenez une pomme et partons, dit-elle le ton pressé. Il est  bien trop tard.

Ils quittèrent la maison d’un pas vif sous l’air déjà brûlant et montèrent dans la calèche. Ils atteignirent Acacia en quelques minutes. Une tension régnait dans les rues, l’attente était terrible. Parmi les condamnés à mort de cette année, qui seraient les privilégiés choisis pour échapper à leur châtiment? Et surtout qui devrait concourir dans le Cube de Verre pour espérer les sauver?

 

Un écran géant de plusieurs mètres avait été installé sur la place d’Acacia par des ouvriers en costume bleu.  Il resterait pour la durée précise de deux mois et demi, le temps de la compétition. Mais pour l’Annonce, il ne servirait qu’au discours du Gouverneur et du Maître Shadah. 

Le Shadah représentait la position la plus prestigieuse de la religion Shad. Personne n’avait une connexion avec l’Univers et les Dieux aussi forte que lui. Il était considéré comme son incarnation vivante et faisait parfois l’objet d’une adoration qui dépassait  l’entendement.

Tous les habitants de la ville étaient présents, de gré ou de force.  Il y régnait un calme respectueux, quasiment hypnotique. Lyna savourait ces instants de silence groupé si rares. Une douce fragrance de frangipaniers et de biscuits au sucre embaumait l’air, saturant l’odeur de terre du sol ocre. Les arbres fleuris couvraient à peine un quart de la foule et le clocher sonnait toujours. Tous avaient passé les ensembles traditionnels d’Almar. Des bijoux colorés en pierres miroitaient sur les peaux et les reflets de l’or aveuglaient les yeux bleus, noirs, marrons, verts…

Les femmes portaient des colliers épais qui ruisselaient de perles fines. Les bracelets tintaient, seuls  dans le silence des Hommes.

Les pendants d’oreilles tiraient sur les lobes de Lyna, lourds comme des cailloux. Sa famille regardait avec des yeux passionnés le Shadah s’installer sur son fauteuil, attendant l’appel céleste pour parler. L’image était en noir et blanc, légèrement brouillée. Néanmoins, la qualité était bien meilleure que l’année précédente.

Oran manifestait discrètement son impatience en gigotant ses pieds. Thomas leur aîné lui fit signe de cesser avec un regard dur. Il était loin, le petit garçon passionné par les abeilles. Lyna ne l’avait jamais connu d’une grande compassion depuis l'arrivée de son petit frère. 

 Elle sursauta quand le Shadah prit la parole en brisant le silence.

Il était petit et barbu, un visage rond et trop expressif. Ses yeux sombres ne lui avaient jamais plu mais plutôt se couper une main que de l’avouer.

-Mes chers enfants, les noms des chanceux de cette année viennent de m’être révélés. Ceux qui ont l’immense chance de se racheter face à notre gouverneur, face à moi, et surtout face à vous. Ils ont commis des erreurs terribles, mais nous avons pour devoir d’écouter nos Dieux. Leur sentence est la plus juste de toutes. Ils ont droit à une seconde chance. La chance d’expier leurs péchés.

Nous vous offrons la possibilité d’aider vos proches. Ceux dont le nom est sur la liste des criminels ayant commis des délis strictement interdit, passibles de peine de mort.  Notre cher gouverneur a la miséricorde d’accorder ce privilège à dix d’entre eux conseillé par mes soins, moi l’intermédiaire terrestre.

Mais dans cette histoire, les véritables héros sont vous et vous seuls. C’est vous qui pouvez sauver ces hommes et femmes de la pendaison. En choisissant le chemin du courage, vous choisissez aussi la gloire et l’honneur. Vous faites une action purifiante pour votre âme et donnez une chance à votre Région, à votre famille de recevoir une compensation financière et matérielle méritée. 

Serez-vous parmi ces âmes d’Honneur? 

Ce n’est pas sans risques mais ce sacrifice ne restera cependant jamais vain. Vous serez pur, votre lignée entière recevra la récompense divine.

À présent, je laisse place à notre Gouverneur pour annoncer les noms.


 

Un grand homme apparut à l'écran, brun aux yeux clairs. Le Gouverneur était beau, on ne pouvait le nier. Un visage sculpté et sans défauts, froid et calculateur. Il avait la quarantaine, seul et sans enfants. Pas de successeur en vue.

-Mes amis, habitants d’Almar. Je n'aurais pû mieux parler que notre maître Shadah. Je passe donc sans plus attendre à la révélation.

Il ouvrit une enveloppe rouge sang.

-Pour la Région numéro 1 spécialisée dans la Pêche et trafics maritimes: Eva Conan, 12 ans. Litige: vols récidivistes.

Lyna eut mal au cœur en entendant l’âge de la petite fille. Des murmures satisfaits émergèrent de la foule. Elle méritait d’être sauvée. Le Gouverneur poursuivait déjà: 

-Ensuite… Emelyn Rousset, agression physique mortelle contre Mr Marton. Pour la Région 2 du Textile, Marco Charion, agression physique d’un agent des forces de l’ordre.  Tara Karin pour vol majeur. Région 3 de L’agriculture…

La place entière se mit à retenir son souffle.

-Marianne de Gasco pour abus envers les autorités. Edward Andriosky pour coups et blessures.

Lyna souffla de soulagement. Elle ne les connaissait pas et n’avait donc aucun intérêt à les sauver. Des cris de désespoir et de rage la refroidir instantanément.

-Vous n’avez pas le droit, mon frère méritait bien plus d’être gracié! Vous…

Les agitateurs cessèrent, interpellés par les soldats qui surveillaient la place.

-Région 4 spécialisée en Énergies…

Lyna n’écoutait plus. Elle avait une mauvaise intuition, persistante. Elle s'efforça de chasser ce profond malaise qui la prenait à l’estomac. Elle aperçut Oran qui s’agitait.

-Veux-tu arrêter? C’est presque fini.

-La dame qui a été annoncée.

-Marianne quelque chose?

-Oui. C’est la grand-mère d’un de mes camarades d’école. Elle n’a que lui. Je ne savais pas qu’elle avait été arrêtée. Je l’ai vu hier matin, pourtant.

Lyna ne savait que répondre.

-Je suis désolée pour ton copain, répondit-elle enfin. Il y a peut être une erreur. Mais je t’en prie, ne bouge plus. Cela pourrait être considéré comme de l’irrespect.

-Il n'y a jamais d’erreur avec eux.

Mais il hocha la tête et cessa.

-Région 5, spécialisée en Défense et Armement: Jakovitch Patillon et Inéja Ledoux. Pour désertion.

Des murmures consternés retentirent. Ils avaient abandonné l’Armée. Des cris de colère retentirent mais étouffés rapidement. De nombreux condamnés à mort n’avaient pas la chance d’être désignés.

-À présent, tous nos criminels désignés peuvent obtenir une seconde chance. Ils ont besoin de vous, motivés.  Vous avez vingt-quatre heures pour vous inscrire au poste militaire le plus proche. Pour sauver un de ces hommes, une des ses femmes et prouver votre humanité. Dans le cas où plusieurs se présenteraient pour un seul criminel, il y aura un tirage au sort parmi les noms. Et dans celui où un champion manquerait, il sera désigné par notre Maître et recevra une récompense supplémentaire.  Bonne journée à tous et ne négligez pas votre devoir envers vos proches et votre Nation. Rendez nous fier.

L’écran s’éteignit.


 

Le retour était animé. Les parents Bellugra plaignaient les familles qui allaient se sacrifier pour sauver leurs proches. Mais ils étaient persuadés à la fois que les criminels étaient bien chanceux. 

La culpabilité et le questionnement disparaissent bien vite, car quand on n’est pas en danger et que l’on va profiter d’un beau spectacle, il est bien commode de ne rien remettre en question.

-Le grand maître Shadah et le Gouverneur sont généreux. Et puis les sauveurs seront bien récompensés même s' ils n’y survivent pas, admet Mme Bellugra. Une génération de pureté cela vaut bien une vie en moins. Et puis, il y a bien moins de délinquance. 

Cette histoire n’était décidément pas si malheureuse.

Elle ajouta en s’immobilisant soudain:

-Mes enfants j’ai une course à faire à Acacia. Il faut que j’y retourne. 

Elle fuya leurs regards étonnés et partit dans le sens inverse. Lyna regarda Thomas qui haussa les épaules. Elle allait encore prier.


 

       Depuis quelque temps, Lyna commençait à réfléchir. 

Avant, elle regardait l’émission du Cube avec entrain, attendant l’année suivante impatiemment. Mais quand elle avait eu M.Morisa en cours de Politiques, il leur avait expliqué des choses que personne ne disait. Était-ce normal de détenir le droit de tuer ? Devait-on remettre un avis populaire en cause? Sommes-nous maître de nos vies, de nos choix et surtout de notre pensée? Personne n’avait jamais incité Lyna à réfléchir et à penser par elle-même.

Ce professeur était considéré comme un original, critiqué par les parents, outrés qu’on inflige ce genre de discours grotesque à leurs enfants. Pour le prix que leur coûte l’école…

Un jour posé la question la plus importante.

-Est-ce que le cube de verre est injuste?

Lyna avait trouvé cette question ridicule. Bien sûr que non! C’était pour sauver des vies, au contraire. Puis, elle avait poussé un peu plus sa réflexion. Elle n’avait plus été très sûre tout un coup.

Il avait regardé tous les élèves en silence et à la fin du cours, il s’était positionné vers la porte, les saluant par leur prénom, un à un. Lyna s’était sentie considérée comme un être à part pour la première fois. 

Le lendemain, M. Morisa n’était plus à l’école. Et elle ne le revit jamais.

Depuis, Lyna ne regardait plus le Cube de Verre. Elle avait tout doucement commencé à remettre des petites évidences en question. Et cette fameuse interrogation  lui trottait toujours dans la tête. 

Était-ce juste? 



 

Le lendemain arriva trop vite et trop lentement à la fois. Tout dépendait de quel côté on était. 

Sur la place, la même que la veille, les habitants s'étaient rassemblés, habillés de noir pour honorer les départs. Les candidats seraient appelés puis partiraient dans la soirée pour le Cube de Verre. Malgré le divertissement qu’allait être cette nouvelle émission, il était important pour certains, ou seulement de bon goût pour d’autres de respecter les départs. Ils pouvaient ne pas revenir. Les visages étaient impatients mais également graves. Dans les regards se disputaient la solennité et l’impatience. Mais aussi l’angoisse.

Ils ne savaient que penser. La peur et l’habitude peuvent empêcher les plus belles idées d'émerger. 

Et malheureusement, on peut presque s’habituer à tout.

 

Lyna repéra à droite la chevelure longue et rousse comme l’automne d’Arda. À côté, Kami qui regardait d’un air morne les habitants, ses tatouages miroitant dans la lumière. Elles étaient deux saisons, différentes et sûrement complémentaires.

Elle se hâta de les rejoindre, ravie d’échapper à l’ambiance lourde de sa famille et à la culpabilité qu’elle ressentait pour les familles dévastées. Arda l'accueillit avec chaleur. Kami lui fit un sourire sobre. Elle savait qu’elle n’approuvait pas cette émission. Elles ne s'étaient jamais rapprochées en raison de leur  opinion commune pour autant. Lyna se faisait discrète, elle savait ce qui pouvait arriver par derrière sans qu’on s’y attende. Dans ce pays, il était important de garder ses secrets au fond de son cœur. 

L’écran s’alluma enfin et l’hymne national virevolta dans l’assemblée silencieuse. 

La voix amplifiée du Shadah lui succéda. Il s’adressait au pays tout entier, des centaines d'images en direct en face de lui retransmises.

-Vous voir tous ici avec moi me comble. J’ai l’honneur d’annoncer les noms des braves, des combattants. Des personnes hors du commun prêtes à tout risquer pour leurs pairs.

Il fit une pause et inspira longuement comme s'il essayait de contenir son émotion.

Un petit enfant près de Lyna enfoui sa tête dans les jupons et  chuchota à sa mère:

-Moi aussi je veux être aimé par tout le monde. Plus tard, je veux aller dans le Cube maman!

Sa mère lui adressa un sourire, les yeux horrifiés.

Lyna ferma un instant les yeux et croisa le regard, tellement dur, de Kami.

-Pour donner une seconde chance à ces hommes, à ces femmes qui ont tout perdu. Nos dieux  nous ont fait la grâce de nous accorder le pardon quand il est juste. Tel doit être notre comportement. 

Il s’arrêta et prit une petite feuille.

-Région 1: Will Conan pour sauver Eva Conan. Jenna Rousset pour Emelyn Rousset. 

Région 2: Ariane Malov pour Marco Charion. Et Arno Karin pour Tara Karin. Région 3: Clémentine Bochardy pour Marianne de Gasco. 

Et pour l’instant aucun pour Edward Andriosky. 

Le Shadah s’arrêta:

-Je suis amèrement déçu par votre manque de foi. Je vous laisse jusqu’à la fin de l’annonce pour réfléchir à votre choix. C'est un devoir, un honneur que l’on vous accorde. Vous avez la main sur la justice. Votre Région entière dépend de votre engagement dans la société. Pour ceux qui ne sont pas proches des candidats, n'oubliez pas qu'il est possible de vous inscrire dans l’Urne des Bienfaiteurs. 

Lyna se retint de lever les yeux au ciel. L’Urne des bienfaiteurs était rarement utilisée. Il fallait être très motivé pour s'inscrire sans proche à sauver de la mort. Et si l’Urne était également vide, alors le condamné était exécuté.

-Vous avez jusqu’à la fin de l’Annonce.

Arda mit les mains devant sa bouche, les yeux coupables.

Kami la regarda excédée. Le Shadah soupira puis finit par reprendre.

-Excusez-moi. J’en attends trop de vous, dit-il avec un sourire. Cela n’a pas tant d’importance après tout. Je reprends. 

Région 4: Mary wilar pour Larry Wilar. Et aucun pour Matteo Verne. Bien, je vois que cette année il y a un certain relâchement, commenta le Shadah d’un ton se voulant léger. 

Mais Lyna pouvait aisément percevoir sa colère. 

-Qu’est ce qu’ils ont fait les derniers sans volontaires? demanda-t-elle  à ses amies. Je n’écoutais pas à ce moment.

Kami fronça les sourcils.

-Andriosky, Violence sur des enfants. Trois fois.  Apparemment, il aurait un sérieux problème pour contrôler sa colère quand on le provoque. 

-Quoi?

-C’est impossible que les dieux  proposent d’alléger la peine d’une telle enflure, chuchota Arda. Je suis sûre que c’est une simple erreur, ajouta-t-elle l’air serein.

Lyna n’en était pas sûre mais comprenait soudain le manque de candidats pour sauver la peau d’Andriosky. Visiblement aucune personne de son entourage n’avait grande envie de soulager son jugement.

-Et l’autre? 

-Pas grand chose, mais il n’a pas de famille.

-Pour la Région 5, Elizabeth Jim pour J. Patillon et Elisa Croix pour Inéja Ledoux .

Nous voici à la fin de l’Annonce. Ces personnes m’ont comblé! Quelles âmes exemplaires. Je ne sais comment vous montrer l’immense respect que je vous porte. Maintenant, nous allons être malheureusement obligés de piocher pour nos deux condamnés à l’abandon dans l’Urne des bienfaiteurs. Il stoppa sa phrase quand quelqu’un lui tendit deux papiers.

-Ah excellent. Leonard Bucker pour Matteo Verne de la région 4 et Lyna Bellugra pour Andriosky de la région 3. 

Lyna sentit le monde se rétrécir et fut plus que jamais consciente des regards vissés sur elle. 

Comment était-il possible que son nom soit inscrit?

Horrifiée, elle recula de quelques pas avec le désir ardent de fuir mais la foule compacte lui bloqua le passage. Son cerveau était bloqué, elle ne comprenait pas. Il était tout à fait impossible qu’elle soit inscrite dans l’Urne des Bienfaiteurs. Elle n’avait jamais entamé la moindre démarche, ni même déposé un dossier.

La seule explication possible était que quelqu'un l’avait fait à sa place. Mais qui aurait fait une chose pareille? Son oncle Harry? Il la détestait cordialement depuis qu’elle avait battu son fils aîné à la chasse. Il avait fait pire et était parfaitement capable de déposer une candidature pour elle. En plus, il était dans les bonnes grâces du maire. Sa mère? Son frère? Ce qui expliquerait son étrange attitude?

Elle renonça à trouver le coupable. Elle allait défendre un agresseur et risquer sa vie pour le sortir de prison? Comment était-il seulement possible de l’envisager? Elle étouffait, elle manquait d’air. L’absurdité lui tombait dessus avec une brutalité assommante.

Quelques heures plus tôt sa vie suivait son cours habituel puis soudain l’univers lui tombait dessus. Elle ignorait comment se sortir de cette terrible situation. Elle ne pouvait plaider l'erreur, cela avait déjà été fait et refait, tout le monde croirait qu’elle se dégonflait. Mais elle ne pouvait pas sauver Andriosky. Ce qu’il avait fait était inimaginable. Ce n’était pas juste. 

Elle inspira, passa une main tremblante sur son visage puis releva brutalement la tête.

       -Je refuse.

Un silence de mort s'abattit sur la place. Les regards convergent vers elle, ahuris. Elle plaqua ses mains sur sa bouche. Les mots venaient presque de s'échapper de sa bouche par eux-mêmes. 

Sa gorge s’obstrua de panique. Elle était déchirée. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle n’avait pas le droit de refuser de servir sa région, de décevoir le Shadah. Et pourtant…est-ce que le Cube de Verre n’était pas qu'une vaste mascarade? Le son et l’image  retransmis devaient être arrivés jusqu’au Shadah car il regarda Lyna au milieu de la foule.

-Pourquoi, ma petite? Ce n’est pas compliqué. Il est normal d’être nerveuse après s’être présentée. Mais très bien, Lyna Bellugra. Cependant, sachez que dans ce cas là, vous allez rejoindre celui que vous ne voulez pas sauver en prison puis à la potence.  Les dieux ne sont miséricordieux qu’avec les gens d'honneur. Vous êtes sûre d’être une personne d’honneur? Si vous  participez, je suis sûr qu’ils vous pardonneront ce moment d’hésitation. Vous avez le droit à l’erreur. Vos parents seront tellement fiers. Imaginez votre région vous acclamer, l’eau à portée de main, une célébrité qui vous ouvrira de nombreuses portes...

Lyna eut le sentiment de redevenir enfant. La sensation d’être une horrible personne l'envahit. Elle ne savait plus quoi dire. Était-elle mauvaise? Cruelle? La colère et la peur broyaient son ventre, l’humiliation et le jugement qu’elle ressentait émaner la clouaient sur place. Tous la regardaient comme une fille perdue. Ses parents la fixaient d’un œil alarmé et indigné. Elle s'éclaircit la gorge, ne sachant plus vraiment dans quoi elle se lançait:

-Je n’irai pas. Je ne me suis pas inscrite, quelqu'un l’a fait à ma place. Je ne sauverai pas un homme violent avec des enfants. Il ne le mérite pas. C’est l'un des actes les plus barbares et lâche qu’il m’a été donné de voir. Je ne vois pas pourquoi les Dieux privilégieraient lui plutôt qu’un autre. Et je ne suis pas sûr que ce soit à moi non plus de faire justice.

Un murmure émergea de la place. Lyna attendit que d’autres se joignent à elle. Le sort d’Andriosky ne faisait pas l’unanimité et de nombreuses personnes semblaient réticentes à l’idée de lui épargner la peine de mort. 

Le shadah perdit son sourire bienveillant. 

Le sang de Lyna se glaça. Pourquoi personne n'intervenait?  Ils ne pouvaient pas laisser Andriosky être sauvé quand d’autres le méritaient davantage?

Le Shadah lança:

-Tu ne sais visiblement rien et ternit notre foi. Inscrite contre ton gré? Cela s’appelle la couardise avant le combat. Tu fais honte à ta nation et à tes proches. Tu te crois supérieure à tous mais moi seul sait ce qui est bien ou mal. Prépare tes affaires et tes adieux. On viendra te chercher à ton domicile ce soir. Ne pense même pas à t’enfuir.

-Mais cet homme est ignoble! Vous ne pensez quand même pas qu’il faut le sauver ? hurla-t-elle à l’assemblée.

Le silence fut sa seule réponse.

-Regardez bien cette vile femme! Elle se laisse dominer par sa lâcheté, ne laisse pas parler son humanité!

La foule s’écarta enfin pour la laisser passer, quelques visages désolés marquaient son passage. 

Mais ça ne suffisait plus.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez