C’était la fin de soirée. Il n’y avait plus personne autour de la piste de danse, seuls quelques étudiant·es ivres mort·es comataient sur les banquettes. Derrière le bar, deux membres du BDE, un garçon et une fille, mettaient un peu d’ordre. Iels savaient que tout ce qui serait fait maintenant leur permettrait de ne pas galérer le lendemain. Antoine était resté au bar, car il y voyait une occasion, maintenant que l’espace était dégagé, d’entamer enfin une conversation avec le barman. Il réfléchissait à la phrase qu’il pourrait lancer pour éveiller l’intérêt de son crush, quand celui-ci se prit sa compagne dans ses bras et l’embrassa.
Et encore raté ! Tous les beaux gosses sont hétéros ici, c’est pas possible, se dit-il, la mort dans l’âme. Il se résigna à rentrer au bungalow. S’il faisait le bilan de la soirée, il n’avait pas vu le temps passer. Il avait discuté pendant des heures avec Amanda et c’était vraiment une fille sympa. Quel cliché, l'homo et la lesbienne ! Elle était de loin la personne la plus intéressante qu’il ait jamais rencontrée depuis son arrivée à l’école.
En passant devant d’autres bungalows, il vit que les étudiant·es poursuivaient la fête en petits comités. Où étaient ses colocataires du week-end ? Pourvu que Rolph n’ait pas la brillante idée d’avoir ramené Eléonore dans leur chambre pour se la faire… Ce serait atrocement gênant. Il réfléchit à un stratagème pour s’assurer de ne pas tomber sur eux en pleins ébats. Devrait-il coller l’oreille à la porte avant d’ouvrir pour voir s’il entendait des bruits suspects ? Ou bien frapper avant d’entrer ? Et s’iels ne l’entendaient pas, tout à leurs étreintes ? Le problème se résolut de lui même quand il arriva en vue de son lieu d’hébergement : toutes les lumières étaient allumées et on entendait même le son d’une guitare.
Antoine découvrit sous le porche du bungalow une petite assemblée qui écoutait un gars en train de jouer un morceau des Beatles. Amanda était parmi eux. Elle le vit et lui fit signe de venir s’asseoir à côté d’elle. Il obtempéra et lui demanda discrètement de qui il s’agissait.
« C’est Baptiste, le parrain de Greg et de Daphnée. »
Cette dernière était assise de l’autre côté d’Amanda et lui fit un petit signe de la main. Amanda avait une bouteille de vodka posée à ses pieds et Daphnée tenait un verre qui en semblait plein. Antoine regarda les autres. Il y avait une fille qu’il avait déjà remarquée, une arabe très classe, qui couvait du regard le musicien. Ashley, la grande rousse américaine, était affalée sur un pouf et semblait sur le point de s’endormir. A côté d’elle, dans la pénombre, Rolph entourait de ses bras Eléonore, qui était assise en tailleur devant lui. Antoine croisa le regard de son ami et celui-ci avait l’air triste. La chanson était plutôt mélancolique, elle lui rappelait peut-être de mauvais souvenirs. Greg et Etienne étaient assis l’un à côté de l’autre et fumaient en écoutant silencieusement.
L’atmosphère était particulière, comme si le temps était suspendu. Tout le monde était épuisé par la journée d’activités physiques, suivie de la beuverie organisée. Chacun, à l’exception de la groupie du guitariste, était plus ou moins débraillé. Il vit Daphnée frissonner. Amanda retira alors son sweat pour lui poser sur les épaules. Un geste d’une galanterie touchante, qui ne sembla pas à Antoine être purement désintéressé. Daphnée semblait bien trop ivre pour se rendre compte que ce geste était quelque peu inhabituel. Antoine sourit. Il y en aurait peut-être un·e sur les deux qui conclurait ce soir finalement.
La chanson prit fin. Les filles se mirent à applaudir, Etienne leva son verre. Antoine en profita pour demander à Amanda : « Ça fait longtemps que vous êtes là ?
- Un peu ouais… Il a dû nous jouer tout son répertoire là. On a eut les Bee Gees, Indochine, Téléphone… » Antoine sentit que le ton était quelque peu moqueur. Il sourit :
- « Je vois que tu ne perds pas de temps… », désignant Daphnée du menton. Amanda répondit :
- « Mouais… J’adore profiter des demoiselles en détresse alcoolique. » Puis, plus sérieuse : « non mais il ne va rien se passer avec elle, figure toi qu’elle m’a dit cash en début de soirée qu’elle était pas intéressée !
- Ah merde… Bon, tu déconnes pas avec elle quand même ? »
Amanda prit un air outragé :
- « Mais attends, pour qui tu me prends ? Comme si j’ai besoin qu’une fille soit bourrée pour avoir un plan ! Ça sera sûrement ton cas si tu veux te taper un mec de l’école par contre… » ajouta-t-elle, sarcastique. Antoine lui donna un coup de coude dans les côtes. Daphnée attrapa le goulot de la bouteille de vodka. Amanda s’interposa :
- « Non, je crois que t’as eu ton compte meuf. »
Daphnée fit mine de protester. Amanda lui donna une légère poussée :
- « Allez lève toi, je te ramène au bungalow. » Daphnée lui obéit laborieusement. Antoine les regarda descendre les marches du perron et s’engager dans l’allée.
Ce départ eut pour effet de rompre l’instant de grâce, d’autant que Baptiste avait reposé sa guitare contre la rambarde.
« Ça fait longtemps que tu joues ? lui demanda Greg.
- Depuis que j’ai 10 ans, environ, répondit ce dernier.
- Tu fais partie du groupe de musique de l’école ?
- Oui. On joue lors des événements, comme les portes ouvertes, le concert de Noël, le gala…
- Je jouais de la batterie avant. Mais j’ai arrêté avec la prépa. J’aimerais bien m’y remettre.
- Tu sais quoi, ça serait carrément cool, parce que notre batteur est en dernière année et il va partir en stage en février, donc si tu pouvais prendre sa place, ça serait impec’ !
- Je sais pas, faudrait que je teste, que je vois si j’ai pas trop perdu…
- Tu passes t’entraîner quand tu veux. On fait les répét’ au local le mardi et le jeudi soir.
- Deux soirs par semaine ??
- Non mais on y est pas tous au même moment, flippe pas… On joue pas tous ensemble, ça dépend des morceaux, des envies, des affinités. Tu pourrais commencer par un truc simple pour la reprise. » Greg réfléchit quelques secondes puis donna son approbation.
- « Tu viens d’où ? lui demanda Djamila.
- Je viens de Mulhouse.
- Et toi ? demanda-t-elle à Etienne.
- de Calais.
- Vous avez l’air super potes, vous vous connaissez de la prépa ?
- Non, pas du tout, répondit Etienne.
- On s’est rendu compte le jour de la rentrée qu’on habitait dans le même immeuble, donc à force de faire les trajets et de trainer ensemble, on est devenus potes, » compléta Greg.
La conversation fut interrompue pendant un bref instant, lorsque deux étudiants nus passèrent devant leur bungalow en hurlant. Baptiste expliqua : « Sûrement un défi, du genre faire le tour du camping à poil… Et vous deux ? demanda-t-il à Eléonore et Rolph.
- Je viens d’Aix, dit-elle.
- Je viens d’un peu partout », dit-il. Il précisa : « mon père a toujours eu la bougeotte, alors on a pas mal déménagé. Dernièrement, il est domicilié à Ajaccio.
- Et toi ? » Antoine leva la tête de son téléphone.
- « Je viens d’un trou paumé, vous connaissez pas. Disons que la ville la plus proche c’est Rouen. Et vous deux ? Vous vous connaissez d’où ? »
- « On a fait la même prépa à Chartres. » Djamila avait le ton assuré, la voix claire. Antoine se fit la réflexion qu’elle n’avait sûrement pas bu une seule goutte d’alcool de la soirée. Cette fille doit détester perdre le contrôle, se dit-il.
- « Et vous êtes ensemble tous les deux ? demanda Etienne.
- Euh non, pas du tout ! » répondit Djamila, un peu trop précipitamment.
Etienne, ayant perçu la gêne de son interlocutrice, se leva : « Bon je vais me coucher, j’suis dead. Salut tout le monde. » Il rentra dans le bungalow. Antoine annonça à son tour son repli, sonnant le glas définitif de la soirée. Tout le monde se souhaita une bonne nuit. Greg le suivit, Baptiste et Djamila partirent. Rolph demanda à Eléonore : « Tu veux que je te raccompagne ? » Eléonore acquiesça. Elle ajouta, en riant :
- « J’ai pas trop envie de tomber sur des mecs à poils déchaînés, c’est clair… »
Iels se mirent à marcher l’un à côté de l’autre dans l’allée. Rolph ne savait pas quoi dire. Cette fille était superbe, iels avaient passé toute la soirée ensemble, il devait donc lui plaire. En même temps, rien d’étonnant à ça, il n’avait jamais eu de problèmes pour séduire toutes les filles qui lui faisaient envie. Qu’est-ce qui le gênait alors ? Il y avait quelque chose qui faisait qu’il n’avait pas envie de tenter sa chance mais il ne parvenait pas à savoir quoi.
Eléonore, quant à elle, se demandait s’il allait tenter de l’embrasser avant de la laisser. Elle était curieuse de savoir comment il embrassait. Bon, ce n’était pas lui qui lui plaisait, c’était Antoine, mais elle avait bien vu que l’autre ne l’avait pas calculé de la soirée. En même temps, s’il se disait que son pote la kiffait, il n’allait pas tenter sa chance. Un autre argument penchait en défaveur d’Antoine : Rolph lui avait dit que son pote était fauché, alors que lui avait l’air plein aux as. Et puis, après tout, il était plutôt BG, ce mec…
Elle s’arrêta devant son bungalow : « C’est celui-là.
- Bon… Passe une bonne nuit alors. A demain. »
Rolph repartit, sans rien tenter, les mains dans les poches. Eléonore ressentit un petit pincement au cœur de déception. Elle rentra dans le bungalow, passa à la salle de bains pour se brosser les dents, puis ouvrit tout doucement la porte de leur chambre afin de ne pas réveiller Daphnée.
Elle écarquilla les yeux quand elle comprit le tableau qui s'offrait à elle, le temps que ses pupilles s’adaptent à la pénombre : Daphnée et Amanda étaient en train de s’embrasser sur son lit.