Face au miroir, j’ai eu comme un flashback. L’image de Hakeem le soir où il m’avait fait rencontrer Face s’est superposée à la mienne alors que je boutonnais ma chemise. J’ai secoué la tête sans savoir si la comparaison me plaisait (oh, elle m’aurait tant plu quelques années auparavant). Alors que je tentais de dompter mes cheveux à coup de brosse, deux bras ont surgi sous mes aisselles et ont enserré ma taille.
- T’es sexy, comme ça.
Ça me faisait rire, de voir Lola se comporter comme un vieux mec. J’ai fait volte-face pour lui voler un baiser avant de me concentrer sur mon image, à nouveau.
- Tu crois que ça fait assez sérieux ?
Elle s’est décalée, observant mon reflet avant de déclarer :
- Ouais. T’es classe et tu donnes pas envie de te chercher, en même temps.
- C’est tout moi.
Lola a ri, avant de récupérer le sac à dos qu’elle avait laissé sur ma chaise.
- Tu vas au Flicker, ce soir ?
Elle a hoché la tête. Alors que je glissais un flingue à l’intérieur de la poche de mon blazer, elle a repris :
- Aura me demande souvent des nouvelles de toi.
Je me suis figée.
- Dis-lui que j’irai bien quand on se sera cassées d’ici.
Sourire. À son tour de s’approcher, m’embrasser sur la joue.
- Sois prudente ce soir.
- Tu veux qu’il se passe quoi ? C’est une soirée entre mecs riches, j’ai pas peur de ce genre de types.
- Quand même.
Une fois Hakeem prêt également, on s’est rendus dans le parking de notre immeuble. Un appel de phare et on s’est engouffrés dans un van anonymisé, aux vitre teintées. Au volant, Gold nous a adressés un sourire.
- Prêts pour le grand bal ?
Je me suis engouffrée à l’arrière. Un éclat d’or dans le rétroviseur en réponse au signe que j’ai adressé à Gold. Hakeem a refermé la portière à son tour.
- On aura pas grand chose à faire, tu sais. C’est les filles qu’il faut encourager.
- Déjà fait.
Je me suis agitée en sentant la voiture reculer.
- Elles sont où, d’ailleurs ?
- On va les chercher.
Jezebel, Hope et Mina nous attendaient dans une rue où les filles les plus nouvelles avaient l’habitude de tapiner. En voyant la voiture s’arrêter au niveau de la chaussée, elles ont interrompu leurs conversations et se sont rapprochées lorsque j’ai baissé la vitre pour leur faire signe. Jezebel s’est assise à mes côtés pendant que Mina et Hope se glissaient à l’arrière.
- Vous êtes jolies comme des cœurs, les filles.
Mina l’a remercié avec enthousiasme pendant que Hope s’est contentée d’un sourire félin. Jezebel a fait de même, avant de rajouter :
- Concentre-toi sur la route.
- Ça va être difficile.
Un quartier plus loin, on récupérait Tamiko à la sortie d’un bar. Il était fringué comme un espion, capuche sur la tête et habits sombres. Il a regardé à gauche puis à droite avant de s’engouffrer dans la caisse, à côté de Jezebel. Cette dernière lui a adressé une brève accolade avant de poser la question qui fâchait :
- Ta robe est où ?
Il lui adressé un regard opaque.
- J’étais avec le Nœud, elle est dans mon sac. Je vais l’enfiler maintenant.
- Bon courage.
Tamiko n’a pas répondu et a commencé à se tortiller sur la banquette du milieu pour se débarrasser de ses fringues. Me détournant du spectacle, je me suis tournée vers la vitre, observant les rues animées.
Il y avait tellement de monde à New L.A., tellement de personnes qu’on avait fini par avoir sous notre coupe, d’une manière ou d’une autre. Tellement d’inconnus qui connaissaient le nom de notre groupe, tellement de crainte dirigée vers nous.
Avec amertume, je me suis rendue compte que la perspective ne me grisait plus.
La soirée avait lieu au 53ème étage d’un gratte-ciel dans les beaux quartiers, au-dessus d’un restaurant qui avait tout l’air d’être un repère de bourges. Dans le hall tout en bois vernis, 4 mecs en chemise nous attendaient, assis sur des gros fauteuils sombres. En apercevant les filles, ils se sont levés et sont venus les saluer. Comme souvent lorsque j’accompagnais une meuf ou l’autre chez un client, je les voyais changer, se faire tout sourire et minauderies, du genre à ronronner si elles avaient pu. Hope, en particulier, agissait comme si son type était le meilleur amant du monde.
Au bout d’un certain temps, le mec à l’origine de l’idée s’est tourné vers nous et nous a tendu une main affable.
- Adam Gregers, enchanté. Vous êtes les... gardes du corps ?
Un mélange curieux d’amabilité et de mépris suintait de sa voix. Hakeem s’est approché et a serré sa main.
- Je suis Steel et voici Rain.
Poignée de main, Gregers a acquiescé avant de s’éloigner. Avec Hope à son bras, il s’est retourné et s’est adressé à ses potes.
- Allons-y !
La petite troupe s’est mise en marche sans nous jeter un regard. Leur indifférence me convenait : il y avait dans les gestes de ces types, dans leurs grosses montres et leur façon de parler fort, quelque chose qui me dégoûtait profondément. Me rapprochant de Hakeem, j’ai murmuré :
- N’importe laquelle de nos filles vaut trente de ces gars.
Il s’est marré en silence, avant de hocher la tête.
- T’as raison, mais parle pas trop fort. On aura tout le temps de leur cracher dessus pendant la nuit.
Cette réflexion m’a arraché un sourire. D’un seul coup, la perspective de passer la soirée avec Hakeem ne m’inquiétait plus autant qu’avant.
Notre petit groupe s’est engagé dans un grand ascenseur de verre, qui donnait vue sur la ville. L’un des mecs s’est penché vers Mina et lui a fait un sous-entendu sur ce qu’ils pourraient y faire, s’il y étaient seuls. Elle a répondu en riant.
(Lui ignorait bien sûr le genre de regards qu’on s’échangeait quand ils étaient retournés, ni les mimiques que Mina faisait, mimant deux doigts au fond de sa gorge. C’était drôle, d’ailleurs : les filles redoublaient d’efforts pour plaire à ces clients importants, mais agissaient avec un enthousiasme presque enfantin lorsqu’ils ne les regardaient pas. Peut-être le fait d’être avec nous deux, ou un autre truc que je ne savais pas identifier.)
Une petite sonnerie, puis les portes ont coulissé pour révéler une salle de taille moyenne, décorée avec une opulence qui luisait de partout, avec de gros rideaux et des fenêtres qui prenaient tout le mur. Aussitôt, j’ai balayé les lieux du regard, m’attardant sur chaque personne. Il y avait des hommes en costume ou en chemise et quelques rares femmes avec des bijoux qui valaient sans doute plus que l’appart de nos parents. Une grande vingtaine de personnes au total, sans compter notre groupe et un mec avec un chapeau sur la tête, en train de jouer des notes de ce qui ressemblait à du jazz sur un piano à queue, à l’autre bout de la salle.
Immédiatement, les gens se sont tournés vers Gregers et ses potes, les accueillant comme s’ils étaient les rois du bal. J’ignorais qui étaient ces gens, ce qu’ils faisaient. Ils étaient sans doute importants, certainement pétés de tunes, à la tête de grosses boîtes puisqu’ils pouvaient se permettre de voyager et louer des chambres de grands hôtels de New L.A.
C’était du beau monde, comme on disait. Un rassemblement de mecs bien fiers, bien blancs.
Et nous, qui avions rien à foutre là.
Une pression sur mon poignet, puis Hakeem qui m’entraîne de côté.
- Tu fous quoi ?
Il ne m’a pas tout de suite répondu, se plantant à la place devant une table haute où trônaient plusieurs verres.
- Du vin, madâme ?
Je me suis marrée devant l’accent ridicule qu’il avait pris, avant de récupérer une coupe. Un peu plus loin, les salutations s’éternisaient, tout le monde se faisait la bise et félicitait le choix audacieux de ramener les filles à une soirée pareille. Un des mecs qui accompagnait Gregers a fait une blague sur faire la charité et je me suis retenue de lui tirer une balle dans le crâne. Apparemment mon frère a vu la tronche que je tirais.
- Du calme.
- Ils se foutent vraiment de nous.
- Ils paient pour.
- Pas assez.
- T’es sûre ?
Se penchant, Hakeem a murmuré la somme à mon oreille et je n’y ai pas cru au départ, le forçant à répéter. Une fois la somme confirmée, je suis restée silencieuse, avant de siffler le contenu de mon verre d’un coup. Ça pétillait, c’était pas mauvais mais ça n’arrachait pas autant que les trucs qu’on faisait au QG.
D’un coup, la planque et son canapé miteux m’ont manqué.
Plus loin, des groupes s’étaient formés autour des tables. Il y en avait assez pour tout le monde, ce qui faisait qu’on est restés seuls. Mon regard est passé d’un groupe à l’autre, identifiant les filles et les mains sur leurs épaules, leurs hanches.
Pour ne pas trop y pensé, j’ai parlé.
- J’ai toujours pensé que nos parents étaient... à l’aise. Avant.
- Où tu veux en venir ?
- C’est rien, en comparaison de ces types.
Une drôle de mimique a déformé l’expression de Hakeem.
- ... ouais. Vraiment.
Un temps. J’ai à nouveau lancé la conversation :
- Ils font quoi, d’ailleurs, ces mecs ? Tu le sais ?
Mon frère a haussé les épaules.
- Ils dirigent des grosses boîtes, je crois. Des marques, des trucs du genre.
J’ai secoué la tête. Une femme en tenue de serveuse est passée près de moi et, en me voyant, a proposé de remplir mon verre. J’ai accepté. Plus loin, Gregers a grimpé sur une petite estrade pour faire un genre de discours. Je n’avais pas envie de l’entendre alors j’ai continué d’échanger des messes basses avec mon frère, créer une bulle à l’écart de ces gens dont l’existence était cruellement éloignée de la nôtre.
Au bout d’un moment, j’ai balancé :
- Si t’avais leur fric, tu ferais quoi ?
Hakeem a mis un sacré moment avant de répondre. J’ai observé son visage, ai vu son regard se perdre au-delà des limites de l’horizon.
- Je voyagerais, je pense.
J’ai ricané.
- C’est un truc de bourge.
Mon frère m’a donné un coup de poing dans l’épaule avant de reprendre :
- Pas pour faire du tourisme, oh. Mais... je sais pas.
En sentant que je le perdais, j’ai ravalé ma fierté.
- Pardon. Je t’écoute, dis-moi.
Il a hésité, avant de reprendre :
- Je veux découvrir des endroits, comme ceux qu’on voit dans les films. Des villages paumés dans les montagnes, avec des chèvres ou des trucs du genre. Je veux aller dans des pays où il fait froid, je veux voir des capitales, des châteaux, des villages de pêcheurs ou des jungles, je sais pas. Juste... trouver un endroit où me poser.
Il y a eu un temps. Quand je me suis rendue compte des implications de ce qu’il disait, mon cœur s’est mis à battre plus vite. Tentant de rester calme, j’ai lancé :
- T’es pas bien, ici ?
Il a haussé les épaules, souriant dans le vide d’un sourire que je lui connaissais pas, ou plutôt que je n’avais pas vu depuis longtemps. Une expression presque douce, qui lui allait mal.
- Ça va. Mais cette vie... elle m’a donné ce que je voulais, au final. Je pense pas que je puisse avoir plus.
Un peu vite, il a rajouté :
- Pas que je compte me casser, hein ! Mais... si j’avais assez de fric, j’arrêterais. Et je te refilerais la moitié de mon argent, aussi.
J’ai ri.
- Mens doucement.
- C’est vrai !
Un temps. La serveuse s’est approchée et a voulu remplir mon verre, mais j’ai secoué la tête : j’avais envie de me soûler, mais j’étais en mission. Fallait pas que je l’oublie.
Hakeem a repris :
- Et toi ? Tu ferais quoi, avec la moitié du fric que je te passerais ?
Je me suis mordu la lèvre. J’aurais pu lui mentir, mais à quoi ça aurait servi ? J’avais pas d’imagination et j’avais plus envie de jouer à des jeux d’esprit. Peu importait s’il méritait la vérité ou non, c’était mon frère. Quelque part, je le lui devais.
- Je me casserais d’ici, j’emporterais Lola et on irait vivre une belle vie ailleurs. Dans une petite ville, pas un truc aussi gros que New L.A. mais avec plein de musées quand même. On aurait un chien aussi, elle en veut un. Et un jardin avec plein de fleurs qui sentent bon, des arbres et un hamac. Je ferai des siestes là-bas, pendant l’été.
Un temps. Alors que Tamiko me faisait un petit geste depuis l’autre côté de la pièce, j’ai rajouté :
- Je paierais des billets d’avion pour les filles, aussi. Qu’elles refassent leur vie ailleurs, si elles veulent.
Et j’engagerais un tueur en série pour- je l’ai pas dit, je l’ai pensé fort. Hakeem est resté songeur.
- Tu m’inviterais ? Dans votre maison.
J’ai souri. Il a poursuivi :
- J’aimerais voir le chien.
Cette fois, j’ai carrément ri mais mon rire s’est étranglé, j’ai dû le faire passer avec ce qui restait dans son verre à lui. La culpabilité de laisser Hakeem derrière moi m’avait saisie et ne me lâchait plus.
- Ça va ?
Au moment où je réfléchissais à la vitesse de la lumière pour trouver quoi lui dire, Jezebel s’est approchée de nous.
- Hello, strangers. Vous vous amusez ?
J’ai repris contenance du mieux que je pouvais.
- Et toi ?
Elle a haussé ses épaules.
- Mon client m’a délaissée, il est en train de raconter des blagues à ses collègues. Quand j’ai vu que ma présence ne changeait plus rien, je suis venue vers vous.
Échange de sourires. Jezebel a désigné deux longues tables nappées de blanc, un peu plus loin.
- Vous avez faim ?
Échanges de haussements d’épaules. Hakeem a fini par trancher :
- Allons voler la bouffe du beau monde.
Notre trio impromptu s’est glissé derrière le buffet. Les discours se sont succédés, nous laissant le loisir de manger une série de trucs salés. Il y avait des petits croissants, des tartes qui tenaient sur deux doigts et d’autres trucs ridicules du même genre. Rien qui ne valait un bon kebab après une nuit à bosser, mais j’allais pas m’en plaindre. Jezebel a été rappelée par son client, avant d’être remplacée par Mina et Tamiko. Fatiguée de leur demander comment ça allait par pur principe, j’ai préféré leur faire un signe de tête.
Des apéritifs plein la bouche, Tamiko a articulé tant bien que mal :
- C’est sympa, comme trucs. On devrait faire ce genre de soirées, au QG.
Je suis restée interdite. L’image d’une série de membres de la Meute dans de beaux costumes, en train de bouffer des petits croissants au son d’un piano jazz, me rendait extrêmement perplexe. Mina a commencé à pouffer, alors que Hakeem prenait la parole :
- Tu crois vraiment que c’est notre genre ?
Tamiko a haussé les épaules :
- Pas comme ça, non. Mais on devrait faire des fêtes plus classes que juste s’enfiler des millions de shots et finir les uns sur les autres.
Comme une seule personne, mon frère et moi avons haussé les épaules. Mina a rétorqué :
- Je suis d’accord. Après toutes ces années, faut pas qu’on se prenne pour acquis. Ce serait bien, qu’on se traite mieux. On a vécu beaucoup ensemble, après tout.
J’ai ricané.
- T’as lu ça dans quel magasine ?
Elle m’a adressé un regard mouvant, mais n’a pas répondu. Le piano en fond s’est arrêté pour laisser place à une musique élégante et chiante comme la pluie, provenant de hauts-parleurs. Les deux clients de Tamiko et Mina se sont approchés, leur offrant leurs bras. Le temps que je comprenne ce qui se passait, ils s’étaient éloignés et certains couples s’étaient formés, prêts à danser. Une grande dame s’est approchée de la table, adressant un sourire que je connaissais bien à Hakeem.
- M’accorderez-vous cette danse ?
Un silence, avant qu’il ne lui adresse un sourire froid.
- Je travaille.
La dame a laissé échapper un petit rire avant de tendre sa main.
- Vous verrez tout aussi bien la salle depuis la piste. Ne souhaitez-vous pas offrir à une noble dame le frisson de l’interdit ?
Sourire étrange, pas forcément rassurant, avant qu’elle ne conclue :
- Je suis sûre que vous serez récompensé.
Hakeem a laissé échapper un très léger soupir, que je suis sûre d’avoir été seule à entendre. Ses yeux ont cherché les miens, comme s’il demandait mon avis. J’ai haussé les épaules, sans doute un peu trop violemment : si on devait traîner avec des riches, autant leur soutirer le plus de fric possible.
L’attitude de mon frère s’est modifiée alors qu’il contournait la table pour se pencher vers l’autre bourgeoise, lui embrasser la main. Dans son attitude, je voyais le charme qu’il utilisait auprès des filles couplé à quelque chose de différent, plus adulte. Un bout de croc sous les lèvres, des gestes justa ssez brusque. C’était une nouvelle nuance que je ne lui connaissais pas et que j’observais avec un mélange de consternation et d’admiration. Alors qu’elle l’entraînait vers la piste, il s’est retourné vers moi. Oubliant mon professionnalisme, j’ai sifflé :
- J’espère que tu vas pas finir la nuit dans sa chambre.
Sourire qui tranchait.
- Je suis pas facile comme ça.
Et d’un coup, il était parti, rameuté par la vieille pie.
Laissée seule avec moi-même, j’ai soupiré.
Hakeem avait toujours été le plus charmant de nous deux, et les années n’avaient absolument pas changé ce fait.
Les minutes ont passé, me laissant en retrait pendant que tout ce beau monde dansait. Mon regard passait d’une fille à l’autre, admirant le professionnalisme avec lequel elles se comportaient, leurs gestes et leurs sourires. Si un jour on se reconvertissait tous, qu’est-ce qu’elles tireraient de tout ça ? Elles sauraient sans doute mentir, charmer, résister à des conditions de travail compliquées.
Et moi, qu’est-ce que je saurais faire ?
Mes pensées ont été interrompues par une sensation, souffle chaud près de ma nuque associée à une odeur de cigare. Je me suis retournée pour faire face à un type que j’ai reconnu comme étant le pianiste qui avait joué en début de soirée. Il était plus grand que moi, avec une barbe qui recouvrait une partie de son visage et un regard d’une vivacité rare.
Dangereuse.
Lorsqu’il s’est mis à aborder un sourire d’une chaleur qui contrastait violemment avec son regard j’ai tout de suite compris que quelque chose n’allait pas. Mais ce n’est que quand sa voix a résonné que j’ai reconnu ses inflexions.
Sans téléphone pour nous séparer, ses mots ont tranché l’air comme un scalpel.
- Mademoiselle Rain, membre de la Meute.
Je n’ai rien dit, mais tous mes muscles se sont tendus. Lui rendre la politesse - ou lui foutre un coup de couteau dans le bide - il fallait que je fasse un truc, peu importe lequel. Mais agir aurait été accepter la réalité de la situation, le fait que cette voix appartienne à un corps réel et qui se tenait là, devant moi.
Alors que son regard me sondait, écartelant les pans de ma peau pour fouiller à l’intérieur, j’ai articulé :
- ... Dolcett.
D’un coup, j’ai détesté la sonorité de son nom dans ma bouche.
Son sourire s’est agrandi, alors qu’il me tendait le bras.
- M’accorderais-tu une danse ?
Mon regard l’a scruté en retour, m’arrêtant sur ses poches. Il n’avait pas l’air armé, mais est-ce que je pouvais en être totalement sûre ? Très rapidement, mon regard s’est arrêté sur chacun des membres de la Meute au centre de la salle, et une constatation qui aurait dû me terrifier s’est imposée à moi : j’étais garde du corps ce soir, et je ne le voulais pas avec quelqu’un d’autre que moi.
Il leur fallait un bouclier, ce serait moi.
Ma voix est sortie, frêle et sèche :
- Ok.