Soies et cuirs

Par Elore

Quand les filles m’ont entraînée, de jour, dans une boutique huppée (du genre où je n’aurais jamais mis les pieds volontairement) j’ai hésité à leur demander s’il s’agissait d’une blague. À mes côtés, Hakeem s’est laissé traîner également, l’air vaguement emmerdé.

Attablée derrière un comptoir vernis et aussi blanc que le reste de la boutique, une vendeuse nous a adressé un regard que je reconnaissais bien, le genre d’œillade qui nous faisait clairement comprendre qu’on était pas à notre place, ici. J’ai fait deux pas dans sa direction, bien décidée à lui faire peur, mais Hope m’a devancée, s’arrêtant devant le comptoir avant de faire miroiter de l’argent qu’elle avait extorqué à Dog, après discussion sur le budget de la mission gala.

En voyant les liasses de billets associée au symbole de la Meute gravée sur la bague que Hope portait, la meuf derrière le comptoir a changé radicalement d’attitude. Son expression méprisante s’est modifiée, affichant une forme de peur avant de se charger de miel et d’une amabilité gerbante.

Tour à tour, la vendeuse a installé les filles dans des cabines spacieuses décorées de gros rideaux, à travers lesquels elle leur a tendu une série de robes. Jezebel, en premier, s’est prêté à l’exercice sans rien dire, réapparaissant systématiquement dans des robes qui, pour la majorité, la rendaient sublime. L’air de s’en foutre, elle a fini par arrêter son choix sur une robe dorée. Dans la cabine d’à côté, Mina enfilait et renvoyait une série de robes noires.

Lorsqu’elle a fini par ressortir dans une robe qui la vieillissait tout en mettant en avant sa maigreur, ça a été au tour de Tamiko. Si son premier critère a d’abord été de porter une robe aux couleurs vives, ses exigences ont changé au fur et à mesure des essayages : il fallait que la tenue ne soit pas trop moulante, pas trop féminine. Après une remarque exaspérée de la vendeuse, Hope a pris les devants, choisissant elle-même les robes de Tamiko tout en se glissant dans la cabine avec lui. Essayant d’ignorer les murmures qui s’échangeaient derrière le rideau, j’ai préféré me concentrer sur la conversation qui animait Mina et Jezebel.

- T’as pas hâte, toi ?

Jezebel lui a adressé un demi-sourire.

- J’ai hâte de parader avec vous et manger des petits fours. Par contre, la nuit avec Neil...

Mina a ri.

- C’est vrai qu’il a des préférences bizarres mais bon, c’est une soirée. Ça nous fera du fric et je suis sûre qu’on pourra négocier des congés avec Face en échange de tout ça.

Au tour de Jezebel de sourire.

- J’espère qu’on va se retrouver dans la même chambre de nouveau.

L’expression de Mina s’est chargée d’une forme de taquinerie.

- Je te plais ?

Jezebel l’a poussée, soupirant avec un amusement que je ne l’avais pas souvent vue manifester.

- Tu connais mes préférences, abuse pas. Je veux juste qu’on les épuise comme ça on pourra vider le minibar pendant qu’ils dorment. On y arrivera mieux à deux.

J’ai haussé les sourcils, un peu impressionnée par les plans des deux filles. Au moment où j’hésitais à faire un commentaire à Hakeem, Tamiko est sorti de la cabine dans une robe extravagante aux reflets métalliques et arc-en-ciel. J’ai eu, quelque part, envie de lui demander si c’était vraiment la tenue la plus appropriée pour ce genre de sortie mais en réalité, je n’en savais rien. J’ai donc fermé ma gueule pendant que Hope essayait une série de robes. Au moment où elle sortait de la cabine dans une tenue qui ne lui convenait pas (alors que je la trouvais sublime), la vendeuse s’est approchée. Hope l’a coupée avant qu’elle n’ouvre la bouche :

- Je sais ce que vous voulez me dire et je ne veux pas l’entendre. Vous avez d’autres robes à ma taille, non ?

Ravalant ce qui avait l’air d’être une remarque acerbe, la meuf est repartie. Je me suis rapprochée de Hope.

- Ça va ?

Elle m’a adressé un regard fatigué, avant de murmurer :

- Si tu savais l’effort qu’il me faut pour trouver de quoi être aussi bien fringuée qu’elle.

Je me suis sentie con, dépassée par cette lassitude qui ne lui ressentait pas. Avec l’impression d’être aussi maladroite qu’une gosse, j’ai balbutiée :

- T’es belle, pourtant.

Le regard de Hope s’est adouci.

- Je sais. C’est juste que... c’est juste pas un monde pour les femmes qui font ma taille.

D’un coup, les autres filles étaient autour de nous, à lui murmurer des encouragements, des mots tellement plus réconfortants que ce que je pouvais faire au mieux. J’ai fait deux pas en arrière, les laissant entre elles, à se rassurer et se protéger comme la nuit où on était sorties et où Mina avait pleuré à cause de son dos. Elles étaient toujours comme ça, à se serrer les coudes pour tout et pour rien.

J’aurais crevé plutôt que d’avouer que je les enviais.

La vendeuse est arrivée avec plusieurs robes dans les bras. Quelques essayages plus tard, Hope est réapparue dans une tenue en velours bleu éclatant. Comme une seule personnes, les filles l’ont complimentées avant de se tourner vers moi. Quand j’ai enfin compris ce que leur regard voulait dire, j’ai secoué la tête avec vigueur.

- Si vous essayez de me passer une robe, je vous trucide.

Tamiko s’est assise à côté de moi.

- Si moi j’en porte, toi tu peux bien.

J’ai soupiré.

- Ça va avec ton taf. Le mien, c’est de porter des trucs pratiques au cas où je dois courir ou me battre.

Elles ont échangé une série de regard, avant de capituler. Mon argument avait fait mouche.

La voix de Hakeem a résonné, derrière moi.

- Face a un tailleur, j’y suis allé de temps en temps. Si tu veux, on y passera pour te faire un costard.

L’idée m’a fait sourire. J’ai hoché la tête doucement alors que Hope récupérait les robes pour aller payer au comptoir.

- J’aurais le droit à un costume, moi aussi ?

Tamiko avait un sourire roublard. Je me suis arrêtée sur lui, avant que mon regard ne passe vers Jezebel et Mina. Des images se sont superposées dans mon esprit.

- Ça vous irait bien.

Regards complices, chaleur étrange. En sortant, je me suis fait la réflexion que peut-être cette soirée n’avait pas été aussi inutile que ce que j’aurais pensé.

 

Plus tard, on s’est retrouvé chez ledit tailleur, dans une arrière-boutique perdue et qui donnait l’impression d’être coincée dans le temps. Un petit vendeur bien plus aimable que la meuf du magasin huppé nous a salués comme des clients importants, avant de faire asseoir Hakeem et Gold (qui était venu pour des retouches, d’après ce que j’avais compris) sur des chaises éculées. Pendant que les garçons buvaient une tasse de thé, le type a sorti un long mètre ruban et a commencé à prendre mes mesures. Je me suis laissée faire même si je n’appréciais pas spécialement l’expérience.

- Depuis combien de temps on s’est pas retrouvés tous les trois, hm ?

J’ai tourné la tête vers Gold et ai voulu hausser les épaules, mais le tailleur m’a grondée. Hakeem a souri.

- Je sais pas, je ne compte plus les années.

Un temps. Gold nous a adressé l’un des sourires d’ours repu dont il avait le secret, avant de lancer, l’air de rien, une bombe dans les airs :

- Vous avez l’air de mieux vous entendre.

Il y a eu un silence, durant lequel j’ai échangé un regard avec mon frère. Pendant que le tailleur notait des mesures sur un petit bloc-note, mon frère a répondu :

- Ouais, j’imagine.

Gold a hoché la tête comme si, au lieu de deux mots, Steel lui avait sorti tout un monologue. J’ai voulu rajouter quelque chose mais le type m’a mis un costume rouge sombre entre les bras.

- Essayez ça, vous m’en direz des nouvelles.

Je me suis exécutée, me cassant dans une cabine ornée comme un vieux cadre. Dans le miroir, mon reflet s’est heurté à une paire d’yeux fatigués que j’ai peiné à reconnaître comme étant les miens. Me détournant de cette sensation insidieuse, je me suis concentrée sur la sensation du tissu sur ma peau recousue de partout.

Quand je suis sortie, Gold a lâché un sifflement impressionné. Dans la glace, je voyais une meuf impressionnante, un peu le même genre de sensation que quand Hope m’avait mis du noir sur les lèvres. Le visage d’Hakeem, en m’observant, s’est illuminé à son tour.

- Ça te va super bien.

- Je sais.

Ils se sont marrés, comme si j’avais dit quelque chose de particulièrement spirituel.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez