Iels récupérèrent leurs burritos et s’installèrent sur une des grandes tables dressées près des cuisines. Antoine s’assis en face de Mathieu, Eléonore n'eut donc pas d’autre choix que de s'assoir en face de Béatrice. Iels furent quasi instantanément rejoints par Rolph qui donna une grande tape dans le dos d’Antoine. Celui-ci faillit s’étouffer avec une gorgée de coca et réussit par miracle à ne pas en recracher sur son voisin d’en face, ce qui aurait sans doute eu pour effet de saboter sa tentative de séduction.
« Comment ça va mon pote ? » lâcha Rolph.
Evidemment, il n’allait pas manquer l’occasion de s’incruster avec le président du BDE. Et merde, pensa Antoine. Avec Rolph, impossible de continuer tranquillement à discuter avec Mathieu. Il allait monopoliser la conversation, en faire des caisses… Il jeta un œil à l’assiette de Rolph qui débordait : il avait prit une montagne de frites. Quand il s’assit sur le banc, celui-ci ploya sous son poids. Daphnée arriva à son tour et s’assit à côté d’Eléonore. Antoine se tourna vers elle : « Ça va mieux aujourd’hui ? » Le ton n’était pas moqueur, mais plutôt empreint d’une certaine sollicitude. Daphnée lui répondit rapidement, gênée : « Oui, bien mieux, merci. »
Les autres se regardèrent. Visiblement, iels avaient loupé un épisode. Iels attendirent une explication, qui ne vint pas. Ashley, qui s’était assise face à Daphnée et à côté de Béatrice, se tourna vers cette dernière et lui demanda, avec une spontanéité toute américaine : « Alors, ça fait quoi d’être la fille la plus populaire de l’école ? »
Béatrice la regarda, essayant de deviner si elle se moquait d’elle ou non. Elle avait perçu l’accent de sa voisine et décida qu’il ne s’agissait sûrement que de curiosité. « Et bien, ça donne un certain sens des responsabilités. Je dois être exemplaire. »
Eléonore lâcha un petit ricanement qui intrigua les autres autour de la table. Béatrice la regarda avec mépris. Il allait falloir qu’elle remette cette fille à sa place avant qu’elle ne lui prenne la tête. Elle ne comprenait pas pourquoi elle l’avait insulté dans le vestiaire de la piscine. Après tout, elle n’avait fait que dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. A-t-on déjà vu une danseuse obèse ? Il y a certains standards à respecter et une femme doit faire attention à sa ligne, ça tombe sous le sens. Il suffit d’ouvrir un magazine pour s’en rendre compte.
Son regard tomba sur son assiette. Elle allait devoir se dépenser un maximum cet après-midi pour éliminer ça. Depuis l’an dernier, elle avait déjà prit deux kilos, malgré tous ses efforts. C’était de la faute de tous ces burgers et toutes ces pizzas… Et de l’alcool aussi. Elle venait de lire dans un magazine emprunté à sa mère que l’alcool faisait terriblement grossir. Pourtant, impossible d’arrêter de boire, en tant que chef des pompons, elle devait être de toutes les soirées. Elle ne se voyait pas annoncer tout à coup qu’elle ne buvait plus. Il allait falloir arrêter la nourriture trop riche si elle voulait ressembler à quelque chose quand elle monterait sur l’estrade à la remise des diplômes de l’an prochain.
Tandis que Béatrice était plongée dans ses réflexions, Ashley et Daphnée racontaient leur matinée à Eléonore avec entrain : « Ashley a battu un mec au bras de fer, le gars était furieux, tu aurais dû voir ça ! Tout le monde se marrait sauf lui… » Pendant ce temps, Rolph racontait aux garçons qu’il avait éclaté tout le monde à l’épreuve du lancer de poids.
« A mon avis, personne ne pourra te battre mec », lui dit Mathieu d’un ton admiratif. « Tu fais de la muscu ? Justement Antoine me demandait s’il pouvait venir avec moi à la salle. »
Rolph sourit et se tourna vers Antoine : « Vraiment ? Je ne savais pas qu’Antoine s’intéressait à la muscu ? »
Antoine se sentit rougir et espéra qu’ils ne le remarqueraient pas. Il répliqua : « Oui, je me suis dis, à force de trainer avec toi, que je devrais peut-être me muscler un peu, tu vois ? »
Rolph continuait de le regarder en souriant. Antoine essayait de lui faire passer un message par le regard, quelque chose comme : arrête ça connard. En vérité, il n’avait jamais explicitement dit à Rolph qu’il était que Mathieu lui plaisait ? Rolph parlait très souvent de meufs et lui faisait remarquer dans la rue les jolies filles qu’ils pouvaient croiser, Antoine se contentant d’acquiescer.
Rolph interpella Béatrice : « Eh dis-moi, ma belle, vous recrutez des mecs je crois ? Pour les portés dans les pompons ? » Béatrice lui sourit : « Tout à fait, on en manque d’ailleurs. T’es intéressé ? Rolph lui sourit également : « Mais oui, je pourrais être la base de la pyramide ! » Il banda les muscles de son avant bras dans une attitude de colosse de foire. Tout le monde se mit à rire. Il posa brutalement sa main sur l’épaule d’Antoine et ajouta : « Antoine aussi est volontaire ! » Celui-ci le regardait, interloqué. Rolph continua : « Mais si, mec ! Tu t'es inscrit à aucun des sports proposé par le BDS ! C'est pas comme ça que tu vas prendre des muscles. C’est pour ton bien que je dis ça. »
Antoine se sentit rougir à nouveau. Tous les yeux étaient braqués sur lui. Il se sentit obligé de donner son approbation. Après tout, pourquoi pas.
Eléonore intervint : « Excellent ! » Elle ajouta, adressant son plus beau sourire à Béatrice : « Un renouvellement d’équipe ferait du bien. Je pense que je vais également me porter volontaire. » Daphnée lui jeta un regard oblique. Eléonore s’était encore moquée des pompons la veille dans le bus. Elle mijote quelque chose, se dit-elle. Le regard assassin que jeta Béatrice à son amie la conforta dans son hypothèse.
Entre temps, Etienne et Greg s’étaient joints à la troupe. Mathieu s’étonna de l’assiette de frites de Greg : « Il n’y avait pas de burritos pour tout le monde ?
- Non, c’est pas ça, je suis végétarien.
- Ah merde ! Je l’avais dit qu’il fallait prévoir cette option quand on a fait les menus mais les autres n’étaient pas d’accord… Ils disaient que c’était déjà relou de devoir acheter de la viande hallal et qu’ils en avaient marre de se prendre la tête. Je suis désolé. Il avait l’air sincèrement dépité.
- C’est pas grave, j’ai l’habitude. Des frites, c’est très bien.
- Ce soir c’est paëlla, tu pourras manger tranquille ! le rassura Mathieu.
- Non mais je ne mange pas de poisson non plus.
- Ah mais t’es végétalien alors ? demanda Rolph.
- Non, les végétariens ne mangent pas d’animaux, qu’ils soient terrestres ou maritimes », compléta Greg, avec la patiente du pédagogue qui à l’habitude des questions.
- « Non mais vous sortez d’où les gars ? » s’exclama Ashley. « Un poisson c’est pas un animal peut-être ? » Elle secoua la tête.
- « Mais tu manges des œufs ? s’enquit Mathieu.
- Oui, ce sont les végétaliens qui ne mangent ni œufs, ni lait, ni fromages, enfin tous les produits laitiers. répondit patiemment Etienne.
- Mais pourquoi tu t’infliges ça mec ? » demanda un étudiant assis non loin d’eux, qui écoutait la conversation.
- « Parce que si tout le monde prenait conscience de la façon dont l’humanité traite les animaux, au lieu de se voiler la face, personne ne mangerait plus de viande », répliqua Greg.
- « Ah ouais, encore un écolo-gaucho qui se croit supérieur »… répliqua l’autre. « Mais tu crois que les agriculteurs vivraient comment si on mangeait plus de viande ? Moi mon père est éleveur, je peux te dire qu’il les aime ses animaux », ajouta-t-il avec mépris.
- « Chacun est libre de ses choix. Personnellement je crois qu’envoyer à l’abattoir des animaux n’est pas une preuve d’amour », répondit Greg sans se démonter. Il continuait à manger ses frites, aussi calme que l’autre s’énervait.
- « Il faut bien manger ! Tout le monde sait que l’homme est au sommet de la pyramide alimentaire ! » s’indigna le fils de l’agriculteur.
- « Quand on t’écoute parler, permets moi de douter que l’homme soit au sommet de quoi que ce soit…» lâcha Amanda, qui avait rejoint le groupe.
L’étudiant chercha des alliés autour de lui : « Et vous, vous êtes d’accord avec ça ? Vous mangez bien vos burritos non ? »
Les autres se regardèrent, l'air embarrassé.
- « Moi j’ai vu passer une vidéo d’un abattoir et c’est vrai que les images me hantent encore… ça fait réfléchir, dit Etienne.
- Bon, on ne va pas se prendre la tête pour ça, intervint Mathieu. On a une super après-midi qui nous attend, on ne va pas s’ennuyer ! »
Le trouble-fête se leva et quitta la table, l'air mauvais. L’atmosphère se détendit instantanément. Béatrice regarda son burrito à moitié fini. Et si c’était ça la solution pour continuer à rentrer dans sa petite jupe plissée de pompons ? Devenir végétarienne ! Quelle brillante idée… En plus elle adorait les animaux.