Le café

Excitant n'est ce pas ? Séduisant même. Qui l'aurait cru pourtant lors de sa première gorgée ?

Moi je n'en garde pas un bon souvenir. Trop fort, trop âpre, trop sombre. Cependant, j'y suis retourné, comme bien d'autres. C'est addictif cette chose là.

Le café. Une petite graine noire que l'on broie pour en extraire le nectar. Celui-ci réveille et nous refait une santé, si l'on en abuse pas, bien sûr.

Mais voulez vous vraiment connaître son origine ? C'est à la fois glorieux et vulgaire, honteux et amusant. Le savoir ne vous fait pas peur ? Très bien.

Il s'agit de petites crottes d'un oiseau mystique : le Rokh, et si je devrais le décrire, je n'utiliserais qu'un mot : gigantesque.

Lorsque vous levez les yeux vers le ciel et que vous voyez un nuage qui a la forme d'un oiseau, alors il peut s'agir de son déjeuner. Il boit à même la mer des quantités d'eau à peine concevables, et les malheureux poissons, tortues, requins et baleines qui se trouvent à proximité ne servent qu'à aromatiser sa boisson.

Il faut savoir que cette créature n'a pas que sa taille comme atout : tout son corps est empoisonné : une plume qui tombe c'est une forêt en moins, son urine crée des rivières d'acide, et ses petites crottes se révèlent être des porcelaines noires qui plongent dans l'océan.

Qu'est ce qu'une porcelaine ? Il s'agit d'un coquillage ovale dont la coquille est polie, avec une fissure dans le sens de la longueur pour que le mollusque puisse se mouvoir.

Mais faites attention. Quand je dis « mollusque », ne vous mettez pas en tête qu'il s'agit d'un animal lent. Au contraire, il s'agit d'une des créatures les plus rapides de la planète. Grosse comme un poing, plus rapide que le plus rapide des guépards, plus dur que la roche, elle file sous la mer à une vitesse inouïe.

Ces porcelaines n'ont besoin que de deux choses : de l'eau et du Soleil. Alors elles restent sous la mer, et lorsque l'oiseau Rokh passent au dessus d'elles, bloquant alors les rayons du Soleil, elles foncent sur lui tels des boulets de canon : alors il encaisse comme il peut avant de rejoindre son nid.

En effet, il y couve un œuf, son unique œuf, qui ne veut pas éclore. Qui ne peut pas éclore plutôt, sa progéniture est trop faible, elle peine à briser la coquille, celle-ci est trop dure. Et son paternel, lui, a encaissé trop de coups durant sa longue vie, il est trop vieux, son bec est parcouru de fissures douloureuses, il est devenu fragile.

Alors ils attendent, en espérant.

Jusqu'à ce que l'oiseau Rokh ait eu une idée : il décida de déplacer son œuf au sommet d'une montagne, dans les neiges éternelles. Le froid n'était évidemment pas le moyen, mais être sur le sommet du monde l'était.

Je vous ai dit que cet oiseau était gigantesque, il en allait de même pour son œuf. Celui ci bloqua le Soleil, et la Terre fut plongée dans les ténèbres.

Cela ne plut pas aux porcelaines.

Celles ci se jetèrent à la poursuite de l'œuf, mais le voyage était long et dangereux, après être sorties de l'océan, il leur fallait traverser la forêt des épines de diamant, le désert des âmes, la grotte des tourments invisibles, la toundra des supplices et les neiges infinies.

Les porcelaines étaient peut être rapides et solides, mais elles avaient besoin d'eau. Un grand nombre se desséchèrent sur le chemin dans l'espoir de trouver un lac, un ruisseau, ne serait ce qu'une flaque pour celles qui suivraient.

Qu'importe les sacrifices, il fallait casser cet œuf, et retrouver le Soleil.

Finalement, l'une d'entre elles, plus tenace que les autres, arriva au pied de l'œuf, au terme de son voyage. Un voyage qui n'était qu'un aller simple. Lors de sa dernière pointe de vitesse, elle croisa le regard de l'oiseau Rokh, et à son sourire, elle sut qu'elle jouait dans son jeu.

Mais la quête de sa vie prenait fin, elle ne prit pas le temps de faire machine arrière.

Elle pulvérisa la coquille, libérant l'oisillon de sa prison dans laquelle il était coincé depuis des décennies. Il poussa un cri de bonheur et déploya ses ailes, laissant les rayons du Soleil passer à travers ses plumes et réchauffer le monde.

L'oisillon prit alors la porcelaine qui l'avait libérée et vola en direction de la mer, en pleurant de joie. Et ses larmes prirent la forme d'un torrent purificateur, redonnant la vie à toutes les porcelaines qui l'avait perdue sur le chemin.

Celles-ci se réincarnèrent sous la forme de plantes, poussant lentement certes, mais dont les graines possèdent une énergie sans commune mesure. 

En ce qui concerne l'oiseau Rokh et son fils, ils visitent encore de nos jours les endroits les plus merveilleux de la Terre.

Il y a tant à voir, que l'on soit grand ou petit.

Cela importe peu.

La Mousse