Le chenapan

  C'était un bel après midi de printemps. Les arbres bourgeonnaient et les lilas fleurissaient.

  Bien installée dans mon fauteuil à bascule, je regardais par delà la fenêtre les marmots dans la cour de récréation. Chacune de ces innocentes petites têtes était occupée à courir, jouer, faire de la corde à sauter, ou encore pleurnicher - Ce qui était le cas de Morve, un petit qui, chaque fois que je le vois par ma fenêtre, est en train de renifler et de s'essuyer dans sa manche - ... Ils étaient sans doute trop occupés pour voir ce petit garçon à l'air coquin qui fait des confidences à son meilleur ami dans un coin de cour.

  Sa salopette trop grande traîne des pattes par terre et si j'avais été sa mère, je lui aurais sûrement déjà cousu les ourlets aux genoux pour que son habit ne fasse plus office de serpillière.

  Bref, passons, je ne suis pas sa mère, dieu du ciel, et heureusement, car je ne sais pas coudre !

  De son air guilleret, il racontait je ne sais quoi à son camarade tout en jetant de rapides coups d’œil à la cour de récréation. Puisque je ne savais pas non plus lire sur les lèvres, je m'amusais à imaginer leur conversation.

  Je m'imaginais qu'il lui disait "J'ai mis de la pâte à gomme sur la chaise de la maîtresse !" Mais évidemment qu'il ne disait pas cela, un marmot de six ans à peine - et encore ! - ne ferait pas un coup pareil à son institutrice... Du moins je l’espère ! Sinon, je peux vous dire qu'ayant été sa mère, je l'aurais déjà pendu au balcon par les pieds ! Ce vilain garnement !

  Bien sur qu'il ne lui disait pas ça. J'aime simplement l'imaginer, que serait la vie sans une pointe de folie ?

  Je me concentrai donc sur la réaction de son compagnon, qui ne cacha pas sa joie quand il sut la nouvelle. L'enfant à la salopette devint tout rouge. 

  "Ouh, eh bien celui ci il peut être bien fait une bêtise finalement" pensais-je à voix haute...

  Son camarade s'en vint en courant et alla voir une fille qui faisait de la corde à sauter avec ses amies. Il s'approcha, sûr de lui et dit quelque chose qui fit sourire la petite fille. Elle acquiesça et s'éloigna en sautillant vers le cerisier qui trônait au milieu de la cour, là ou le petit coquin à la salopette l'attendait.

  Je me balançais dans mon fauteuil, les yeux rivés à ma fenêtre, attendant la suite comme si j'étais devant une émission palpitante.

  Ces petits bambins me fascinaient, j'ai toujours adoré les observer.

  Le petit garçon est devenu tout rouge pour la seconde fois.

  La fille s'est approchée et s'est postée devant lui, attendant qu'il lui dise ce qu'il avait à dire.

  Moi j'avais changé d'hypothèse. Il n'a pas fait de bêtise. Je voyais déjà la suite venir, mais je fis taire mon esprit avant qu'il ne me divulgâche la suite des évènements.

  Le petit garçon a prononcé quelques mots, puis a baissé la tête, regardant le bout de ses chaussures.

  La petite fille elle, a fait un grand sourire en nouant ses mains devant elle.

  Elle s'est approchée et a déposé un rapide baiser sur la joue du garçonnet, puis s'est éloignée en sautillant pour retourner auprès de ses amies.

  Mon sourire a creusé les rides de mon visage tandis que je comprenais ce que ce petit garçon avait tant de timidité à avouer.

  Jamais je n'aurais cru voir un instant comme celui ci.
  Cet instant que ma nature curieuse a dérobé à ce petit chenapan romantique...

  Il n'était rien de plus touchant que des âmes jeunes et innocentes amoureuses...