La lumière les éblouit quand il émergèrent du souterrain pour atterrir dans un jardin maîtrisé de la tige à l'oignon. Devant eux, autour d'un formidable miroir d'eau reflétant toute la noblesse des lieux s'amoncelaient des chèvrefeuilles arbustifs taillés dans des ovales riches et variés. Comme autant de moutons venus s'abreuver de la richesse de leur bergère, ils se laissaient dépasser par de spectaculaires aulx. Perchées loin au-dessus de la masse verte et rampante, les fleurs parfaitement sphériques éclataient de leur camaïeu de pourpres sur un ciel laiteux. L'odeur d'un jasmin suspendu par le temps dans son ascension du château venait arracher aux gardes postés à l'entrée un occasionnel soupir de délice.
Enivré par la profusion de couleurs qui l'entourait, Orbec se laissa aller à caresser les plantes, sentant la tendresse de leur épiderme frémir et fléchir sous le sien. Les rosiers tordus, taillés et palissés autant que l'on puisse, répondirent plus rudement à la main du jeune homme. Surpris, il la ramena à sa poche pour se pencher dans une courbette des plus dignes et saluer le parfum inouï que son nez découvrait maintenant.
Loin au-dessus d'eux, par delà les escaliers de pierre taillée qui les mènerait à elle, les attendait une femme à l'implacable volonté de conquête. De là, je pouvais déjà percevoir son impatience bouillante, et m'enivrais à mon tour d'une fragrance unique. Le pouvoir, cette servitude que les hommes s'étaient inculquée entre eux par le fouet, l'érudition, et le travail. Cette femme embaumait l'envie et le désir de plus encore, elle était de celles qui se languissent d'un coup supplémentaire quand la justice requiert la mesure. Enfin ! Ma porte de sortie semblait se dessiner, elle s'ornait de rubis et d'une chevelure blonde taillée au carré pour ceindre un regard d'ébène, profond comme la cupidité qui s'y lovait.
-Oh, Dame Dampierre nous attend déjà ! Dannard a dû vociférer à tous que j'abritais un criminel et la Dame en aura eu vent. C'est elle qui m'a demandé de trouver le livre, un vieux parchemin que son archiviste a exhumé du caveau familial mentionnait son existence et son pouvoir.
Arraché au faste des jardins par l'ombre massive du château qui leur faisait face, Orbec observait maintenant Dame Dampierre. Les bras croisés, elle faisait mine d'attendre que tous deux pressent le pas. À leur approche, deux gardes firent machinalement barrage aux visiteurs. Laissant tout loisir à ses invités de contempler la férocité de ses hommes, Dampierre héla un serviteur, lui intimant l'urgence dans laquelle il devait maintenant agir pour aller préparer le salon particulier où elle souhaitait siéger.
Aussitôt le petit homme parti, elle écarta ses gardes d'un pas calme et mesuré.
-Ysaelle, je crois comprendre que tu as fâché notre bon Dannard?
Les gardes pouffèrent à l'évocation du nom du capitaine sans que Dampierre y prête autre chose qu'un sourire.
-J'espère que ce tas de haillons et les éternels dérangements que tu m'amènes auront au moins l'excuse de ta compétence à remplir ta fonction ?
-Ma dame, je m'excuse pour Dannard de son tempérament, il faut dire que je ne lui ai guère laissé le choix, mais vous le connaissez ! J'ai là ce que vous m'aviez demandé, le livre, et c'est grâce à ce jeune homme qu'il est arrivé à bon port.
-Je n'ai que faire des messagers, tu le sais, alors pourquoi m'amener ça ici?
-Ma Dame, j'ai jugé bon qu'il vous raconte son périple, ce qui lui est arrivé pourrait vous éclairer sur les pouvoirs du livre. Je vous sais plus futée que moi et j'ai considéré mon seul jugement insuffisant!
-Bien, bien... Jared, rends-le présentable, les jasmins vont faner s’il reste une seconde de plus sous mon porche.
Un second grouillot se précipita sur Orbec, l'arrachant presque du sol pour l'emmener dans un tumulte de protestations vaines et de questions sans réponses.
-Suivez-moi Ysaelle. Le salon nous attend.
Elles entreprirent de monter un escalier aux rambardes en bois de saule fraichement lustré. Devant elles deux hommes qui briquaient machinalement les marches se relevèrent pour se courber à nouveau au passage de leur Maîtresse, qui leur adressa un signe de tête en guise d'approbation.
-Je ne peux pas en dire tant de mes sujets, mais je suis fière de mes hommes. Vois Ysaelle, ils ont appris à remplir leur rôle sans geindre ni se mettre sur mon chemin. Tu devrais t'en inspirer.
Sur la rampe étaient gravés les écussons de la famille Dampierre, un sanglier percé de part en part par la lame d'un chevalier évoquait l'amour de la chasse qui avait fondé la grandeur de cette famille. Les murs répondaient fièrement à cette scène, agrémentés des nombreux trophées accumulés au fil de l'épée et à la pointe de l'arc. Le plus impressionnant d'entre eux trônait au-dessus de l'arche qui allait les mener aux salons privés de la Dame. Une tête de vouivre noire aux yeux figés semblait intimer à quiconque la regardait de tourner les talons. Large d'un mètre, sa gueule bardée de crocs effilés plongeait vers le sol comme pour croquer une dernière victime. Comme à son habitude, Ysaelle contourna précautionneusement l'ombre de l'ornement, rasant les murs de l'arche aux côtés d'une Dampierre amusée.
-L'ancien maître des lieux t'intimide toujours ? Il en était autrement de mon arrière-grand-mère. C'est elle qui a conquis Vertance en saignant la bête. Dire que l'on à choisi un sanglier comme écusson me désole encore... Nous y voilà.
Une porte à l'étonnante simplicité s'ouvrit sur un salon aux proportions ramassées; y trônaient quatre sièges de cuir et une table grossière. Les murs nus sinon de quelques torches pour éclairer les lieux indiquaient que l'on était ici dans l'antichambre du règne de Dame Dampierre. Point de visites protocolaires dans ce salon, plutôt un lieu approprié pour le séant des grouillots et marauds qu'il est nécessaire de faire s'asseoir pour comprendre l'importance du silence et de l'efficacité. Personne n'avait pensé à acheter un service à infusions dédié pour la salle, ce qui faisait pester sa propriétaire. Du bout des lèvres, les tasses et une théière en saline cristallisée seraient ainsi tout ce qu'Ysaelle toucherait de la noblesse locale. Tandis que je commençais moi aussi à m'installer confortablement chez Dame Dampierre, la Tellurimancienne lui raconta ce qu'elle savait des raisons de ma présence ici avant de me poser sur la table dans un claquement de triomphe.
-Ainsi le voilà ! Le livre que vous m'avez demandé ! Je n'ai pas encore eu le temps de l'étudier, mais je compte...
-L'étudier ? Toi ? Non Ysaelle, tu ne comprends pas. Ce livre n'a déjà que trop été souillé de vos mains grasses et pataudes. Ce livre est au service de la grandeur, que vous y aspiriez est une chose, mais lui n'a que faire de la médiocrité qui vous caractérise.
Par ma reliure, cette femme avait du panache ! Nous allions nous entendre à merveille. Je restais spectateur un instant, me délectant de la beauté des lieux.
- Ma Dame, en tout égard pour votre grandeur, il faut des rudiments de magie pour...
-Tu es sotte Ysaelle. Canaliser les énergies telluriques pour ouvrir des portes et faire fructifier des récoltes te sied parfaitement. Tu sais mieux que moi que nous parlons ici d'une magie pure, raffinée, pas du lien entre la pierre, la bouse, et l'homme, ainsi que des tours de passe-passe que tu peux en tirer.
Ysaelle était vexée, outrée de la méconnaissance crasse que Dampierre avait de sa discipline et de tout en général. Pourtant, trop consciente de son statut, elle préférait ménager sa principale source de revenus en gardant le calme et la déférence de rigueur.
- Cet ouvrage n'a en aucun cas pour usage d'être étudié et de dormir dans des rayonnages que je sais poussiéreux. Il n'est rien d'autre qu'un catalyseur capable de révéler la grandeur du destin de son porteur. Penses-tu un jour quitter Vertance et marcher invaincue sur le Royaume d'Ambre ? elle éclata de rire. Il est voué à me servir, c'est ce que disait le message qu'a déchiffré mon archiviste. Tu veux le lire ? Ce qu'il consigne n'est que conte insipide comparé aux merveilles qu'il écrira !
Éprise de son reflet, naturellement. Encore un peu et j'allais m'amuser, jouer un peu avec l'ennui qu'elle masquait si bien. En vérité, rien ne différencierait singulièrement Ysaelle de Dampierre si elles avaient eu le même parcours, à part peut-être de menus traits de personnalités. Des broutilles de gentillesse ou de cruauté. Toutes deux en seraient réduites à tenter éternellement de tromper l'ennui avec leurs jouets. Ce qui me touchait chez dame Dampierre, c'est que nous avions les mêmes. J'en sentais d'ailleurs deux approcher à grands pas. La porte s'ouvrit. Un servant s'éclipsa sans prendre la peine de présenter le pantin qui n'avait eu la dignité d'être rendu méconnaissable par les soins de la noblesse. Propre et habillé sobrement, Orbec restait Orbec, son visage fin et ses pommettes saillantes enserrant un nez maintenant aplati par les coups répétés du capitaine. Seuls ses yeux de brebis égarée sauvaient la face, parlant à eux seuls pour l'esprit qui me résistait. Sans cérémonie il entra et s'installa dans le siège le plus proche de son hôtesse, elle, en conçut un dégout certain et se leva.
-Jeune Homme, votre éducation indique tout de votre condition. Par quel miracle avez-vous trouvé ce livre?
-J'ai tué pour le prendre Ma Dame, entendant les hommes qui l'avaient volé dire qu'ils allaient s'enfuir, je les ai combattus pour vous l'amener !
Mensonges ! À quoi jouait-il ? Voilà que cet imbécile se donnait le beau rôle ! En face, Ysaelle perdait pied, le jeune homme qui clamait son innocence quelques heures auparavant changeait sa version pour confesser un meurtre? Elle commençait à regretter sincèrement d'avoir laissé Dannard derrière elle.
-Vraiment ? On m'a dit que tu clamais ton innocence quand le capitaine t'a forgé ce vilain nez.
-J'avais peur qu'il vole la boite Ma Dame, je suis peut être bête, mais je sais que les hommes aiment l'or plus que la reconnaissance ! Je voulais vous l'apporter moi-même.
Il mentait, omettait le sort que lui avait réservé la forêt. Je fonçais vers lui de toutes mes forces. Fermé, à nouveau. Il se faisait passer pour le héros, pourquoi ?
-Tuer pour moi. C'est flatteur. Ysaelle, pourquoi te lèves-tu?
-Je... Je... Non. Il a été retrouvé évanoui dans la forêt au milieu d'une demi-douzaine de cadavres ! Un simple garçon n'aurait pas pu faire cela ! Il ment ! Ce que je vous ai relaté est les paroles qu'il a prononcées aujourd'hui même !
Dampierre se retourna et ancra son regard dans celui d'Orbec. Celui-ci le soutint et sans ciller attendit la question. J'allais suggérer sa traîtrise à Dampierre.
-Alors ? Parle.
-Je ne souhaite que vous servir Ma Dame, j'en ai marre des champs, je suis prêt à tout si c'est pour une vie meilleure. Laissez-moi vous servir, je vous en supplie, je ferais ce que vous voulez !
Oh, ça... Prendre sa vie en main. Il jouait son va tout. Confessait plusieurs meurtres qu'il n'aurait jamais pensé commettre dans l'espoir d'en obtenir des louanges ? C'était évident ! Tout pour une place au chaud. Dampierre devait perdre patience. Je lui rappelais les batailles qui l'attendaient, portait à son nez le souvenir de la puanteur du marais et les merveilles de la capitale où les rires de la cour résonnaient encore de son amour pour la chasse. J'avais soif d'accomplir mon devoir et n'avais que faire du désir de quiétude d'un futur grouillot.
-Ma Dame, je vous assure qu'il ment !
-Assez ! Qu'il mente ou non, ce ne sont pas tes associés ineptes qui auraient douté une seconde quant à l'idée de me voler ! J'admets que ton audace pourrait servir jeune homme . Elle me déplait, mais nous pourrions en faire bon usage avec un dressage adéquat. Va voir les gardes et dis-leur de t'évaluer.
-Et je dois aller...
-Dehors !
Probablement trop enthousiasmé par ce qui l'attendait, il quitta la pièce sans cérémonie pour enfin sortir de mon sillage. Restait à me débarrasser d'Ysaelle, rabrouée par Dampierre, trompée par Orbec, elle s'était mis Dannard à dos et savait ce qu'elle risquait sans tirer son épingle du jeu. Ne restait plus qu'à prendre les rênes.
Eh bah y a pas de coquillette à me mettre sous la dent (t'abuses), et la langue est fluide.
Bravo !
C'est essentiellement de ton fait, je pense que cela vaut le coup d'être mentionné, j'essaie au maximum d'être attentif à ce que tu soulèves depuis le début dans mes corrections, et ça commence à payer.
Tu peux néanmoins être sûre d'en trouver d'autres dans les textes à venir :P
Comme toujours, merci de me lire c'est grâce à ces commentaires que je progresse !
Bon, si je fais fuir les coquillettes, c’est pas mal comme pouvoir magique ^^’
Non pas du tout ! C'est la première fois depuis très longtemps que quelqu'un prend le temps de corriger mon français. Pour être honnête, je n'avais pas idée de faire autant de fautes, surtout vu le temps que je prends à corriger mes textes. Bon, sauf pour les accents, ça, c'est ma faiblesse ^^"
Quoi qu'il en soit, je ne dis pas que ces commentaires sont précieux pour rien, ces fautes nuiraient à mon récit si tu ne les voyais pas ! Donc encore Merci !