Dame Dampierre se raidit au son soudain d'un vélin que l'on gratte. Elle scruta la salle en quête d'un scribouillard insignifiant qu'elle aurait omis de congédier. Absurde. Au regard inquiet qu'arborait Ysaelle, elle était seule à l'entendre. Comme Orbec avant elle, elle sentit le sillon de ma plume marquer son âme, cette fois sans aucune résistance j'entrais pleinement en elle pour écrire son histoire.
La sorcière joue avec toi, pensa-t-elle, elle veut le livre ! Elle va t'attaquer et fuir avec ce qui te revient de droit. La jalousie d'Ysaelle provoqua en Dampierre des spasmes rageurs. Comment pouvait-elle seulement oser ?
-Petite garce !
Levant les mains pour préparer sa défense, la Tellurimancienne n'eut pas l'occasion de terminer. Elle va lancer un sort ! Elle va t'envouter ! Tu dois l'arrêter !
-Non !
Les yeux injectés de sang, elle se jeta sur Grisoeil la plaquant au sol. Dominée par la force d'une femme rompue au combat, cette dernière tenta de se débattre, en vain. Je fis pleuvoir les coups sur le visage bouffi de cette sotte qui m'avait fait trop perdre de temps avant que les gardes n'interrompent mon plaisir. Ysaelle avait perdu conscience et gisait inerte sous sa suzeraine. Des hommes interpellés par les hurlements étaient intervenus, s'interposant entre elle et moi tout en ayant le zèle de la tenir à la pointe de leur épée. Du mur avaient commencé à suinter quelques gouttes d'un sang sombre et épais que l'on attribua à Ysaelle.
-Tout va bien Dame Dampierre ? demanda l'un d'eux.
-Vous voulez savoir si... Cette folle a essayé de me flouer et m'a attaqué ! Jetez-la dans un cachot, elle en sortira si j'ai besoin d'elle.
- Oui Madame.
Retrouvant sa contenance, Dampierre me récupéra et quitta la pièce sans plus un mot.
On donna une grande fête le soir même au château pour célébrer la nouvelle ère qui s'annonçait, le faste des festivités déborda sur les soldats et servants qui burent plus que de raison. Orbec lui-même profita de quelques gorgées de bière, célébrant son entrée en tant que cadet dans la garde. Au dire de ses supérieurs, il avait beaucoup à apprendre, mais était appliqué à la tâche. Tous rirent de la défense qu'il avait adoptée quand lui avait été offert un bouclier, consistant en l'affaissement de tout son corps sous le poids de la targe en métal. Il s'intégrait à la brutalité ambiante à grand renfort de bravades et de tapes dans le dos.
Ma porteuse, elle, n'avait guère prêté attention à ces bruits de couloirs, trop occupée à tancer son jeune frère sur les découvertes qu'elle irait faire dans le grand monde quand lui resterait à administrer les moustiques et la vase. Demain, la Dame irait quérir ses plus fidèles alliés, et commencerait à ourdir une guerre qui changerait à jamais le royaume d'Ambre et le destin de ses habitants.
Alors que la lune avait largement entamé sa course nocturne, le palais s'assoupit d'ivresse et de fatigue laissant place aux discours murmurés de sa charpente. Tandis que Dampierre dormait profondément, une silhouette s'activa non loin de là. Quelqu'un avançait à pas feutrés. Les bruits d'une échauffourée pataude envahirent le couloir sans alerter ceux que l'alcool avait assommés. Deux corps heurtèrent le sol, et l'ombre entra dans la pièce. Impossible de lire ses intentions. Orbec ? Encore ? Il tremblait, terrorisé de ce qu'il venait d'accomplir.
Que voulait-il ? Réveiller une conscience endormie s'avéra plus difficile que je ne l'aurais voulu pour mes pouvoirs engourdis. J'instillais dans l'esprit de Dampierre ses pires cauchemars pour la faire fuir le domaine onirique, mais le broc collant qui servait d'arme à Orbec percuta trop vite la tête de sa patronne. Neutralisée, comme les gardes censés la protéger s'ils n'avaient pas manqué à leur devoir en buvant bien trop, elle était hors de mon atteinte.
-Ils veulent que je tue des gens ici, pour aider la dame qu'ils disent, je peux pas faire ça ! chuchota pour lui-même un Orbec pris de panique.
Je prends le livre, je m'en vais loin et je le vends pour une bonne somme. Comme ça je m'achèterais une échoppe et je deviendrais tailleur pour dames. Ça, c'est facile.
Je ne pouvais pas me laisser faire, pas finir à nouveau dans les mains de cet abruti. Il pensait me soustraire sans peine ?
La porte se referma et se verrouilla soudain devant un Orbec médusé. Cette fois, le sang coulait à flots d'entre les pierres. Les tentures autrefois noblement brodées se voyaient griffées, lacérées, révélant sous leur fibre une toile de chair pulsatile. La pièce entière s'anima, les ors fondant pour laisser place à des protubérances immondes. Les parures ornant le lit de la Dame prirent vie, se muant en des serpents de soie qui vinrent s'enrouler autour des chevilles du voleur amateur. Tu vas mourir lentement, sale petite fouine. Orbec entendit ces mots. Il se débattait, tentant d'arracher les draps qui avaient atteint sa gorge pour se resserrer dans une étreinte mortelle. Tu n'as aucune idée de ce que je suis misérable larve ! Orbec griffait son cou, son visage, ouvrait la bouche en quête d'air. Une douleur intense me brula soudainement. À l'instant où je m'apprêtais à frapper, d'obscures lois semblaient m'interdire d'exercer ce pour quoi j'existais. Cela n'avait aucun sens. Je tenais bon, usant de tout mon pouvoir pour pénétrer la barrière. À chaque coup de semonce, le contrecoup se faisait plus violent. Mes pages se mitaient, mon encre bavait. Pas encore ! Cet homme n'a aucune magie ! Il ne peut être ! La brulure devint trop grande, insoutenable, elle m'entraina dans les tréfonds du sommeil qui m'avait trop longtemps retenu prisonnier...
Je termine mon petit bout de chapitre. L'histoire se déploie en profondeur et c'est très agréable !
Un petit doute, au début, si c'est Ysaelle qui attaque Dampierre ou Dampierre Ysaelle, vu que dans ma tête elles sont toutes deux sorcières, à moins que j'aie mal compris, mais le doute se lève assez rapidement.
Petites remarques :
- m'a attaqué ! => attaquée
- Comme ça je m'achèterais une échoppe et je deviendrais tailleur pour dames. Ça, c'est facile. => je me demande s'il faut pas mettre les verbes au futur... J'aime bien le rêve d'Orbec ^^ ça pose un personnage un peu idéaliste et pas très courageux, qui cherche surtout une bonne planque pour pas trop travailler (et qu'est-ce qu'il fait de la confection de robes pour dames ?) ^^
- révélant sous leur fibre une toile de chair pulsatile => joli !
A la fin, le paragraphe est très beau, mais je me suis demandé si c'était le livre qui attaquait pour qu'Orbec le lâche, ou Dampierre, ou la maison d'elle-même, mais dans ce cas-là pourquoi, et si c'est le livre, pourquoi semble-t-il lui-même souffrir d'un sortilège.
En tout cas c'est un plaisir,
A bientôt
La réponse à tes questions devrait, je l'espère, être donnée dans le chapitre qui vient, si ce n'est pas le cas, je vais retravailler tout ça afin que les choses soit plus claires.
Quant à Orbec, effectivement, il est un peu benêt, mais c'est aussi pour ça que j'aime l'écrire, il contraste avec ce monde où chacun joue de ses intérêts en utilisant les autres pour atteindre son objectif. Bon, il ferait probablement un mauvais tailleur ^^"
Un grand merci pour ta lecture assidue !