Mon absence fut brève, Orbec battait le sentier d'un pas fiévreux conscient qu'au moment ou la relève trouverait les gardes assommés l'on précipiterait des cavaliers à sa recherche. À voir le soleil étirer ses premiers rayons à l'horizon, je n'avais dormi qu'une poignée d'heures, et les recherches avaient probablement déjà commencé. Par chance, Orbec avait pris la direction des plaines et évoluait maintenant dans un milieu si ouvert qu'il serait aisé de le trouver. Avec pour seule route à suivre un sentier de terre traçant sur des kilomètres, nous progressions au milieu d'un enchevêtrement d'herbes folles, pâtures et occasionnelles chaumières encore assoupies.
Comme toujours, je pouvais effleurer les pensées d'Orbec les plus communes, mais il restait fermé. Après les deux échecs cuisants qu'il m'avait infligés, je devais m'adapter. Comprendre d'abord. Ce qui me heurtait quand je tentais de le manipuler, jamais n'avais-je connu telle douleur auparavant, c'était comme si quelque part, quelqu'un me repoussait. Une telle magie n'existait pas, elle aurait consumé son porteur avant même qu'il ne l'utilise. Non, c'était autre chose, un élément nouveau, inconnu. Un sceau ? Aucun signe de marque rituelle sur lui, ni tatouages ni scarifications. Je me concentrais. De la tête aux pieds, Orbec était tout ce qu'il y avait de commun et même moins. Seul un signal résiduel et faible émanait de son amulette, une paille de magie qu'émettait naturellement le bois dans lequel l'horrible ornement avait été taillé, à peine suffisant pour dévier le vol d'une mouche. Je ne trouverais pas de réponse, pas dans mon état, mon pouvoir peinait à croître faute de sang versé et d'âmes possédées, et ce fruit n'allait pas me laisser briser sa coque. En attendant, il faudrait jouer plus finement.
Mon porteur se mit à parler à haute voix, tentant en vain de tromper la peur qui l'avait enveloppé d'une gangue froide et mordante.
-J'ai merdé, j'ai merdé c'est pas possible. Ils vont m'attraper et me couper la tête ! D'abord on m'enlève, ensuite on m'emprisonne, me tabasse, on me force à fuir la garde et maintenant j'attaque des soldats et une grande dame ! Mais qu'est-ce que je fais ? En même temps, c'était ça ou tuer des gens, ça, moi, je veux pas. C'est mal de tuer des gens. Pis il y a ces visions ! Je suis pas Mancien moi et voilà que je vois des choses bizarres !
Il ravala sa salive et se tut à l'évocation de ce qu'il avait vu dans la forêt et la chambre de Dampierre. Les quelques heures de marche forcée lui avaient visiblement trop laissé le loisir de s'appesantir sur le chemin parcouru jusqu'ici. Le souvenir de la forêt qu'il avait occulté était venu rejoindre celui, trop frais, de la chambre prenant vie pour l'étrangler. Il porta sa main droite à son cou pour frotter ses cervicales douloureuses. Puis sans raison apparente, dévia du chemin pour s'enfoncer dans un pré laissé en jachère laissant derrière lui un sillage d'herbes couchées. Imbécile, tu crois que les gardes ne verront pas cela ? D'abord d'un pas pressé puis courant comme un dératé quitte à en perdre l'équilibre, Orbec poursuivit sa course folle et insensée pendant plusieurs mètres encore pour s'arrêter aussi soudainement qu'il avait quitté le sentier.
-Ici ce sera bien.
Oh... Visiblement, un trop plein d'émotions s'exprimait de façon bruyante chez Orbec. Une fois son affaire maladroitement conclue, il se releva et scruta l'horizon autour de lui. Pas de cache potentielle en vue, les habitations seraient bien sûr visitées et les champs trahiraient son passage. La probabilité que des chiens soient dépêchés en plus des cavaliers rendait plus difficile encore la tâche du jeune homme et m'apaisait. Son regard se fixa pourtant en direction d'une colline proche, sur laquelle nichait une maison. Exhalant les premières volutes de son éveil, elle porta au nez d'Orbec l'odeur familière du feu de bois. Il commença alors à progresser plus précautionneusement à travers champs, mesurant ses pas et jouant de son corps pour ne pas laisser de traces. Je le sentais reprendre confiance : il avait un plan.
Alors qu'il arrivait à proximité de la chaumière, il se déshabilla, m'enroulant dans ses habits rendus humides par la rosée que le soleil n'avait pas encore arrachée aux plantes. S'approchant à pas de loup, il me déposa sous un tas de buches avant de se présenter à la porte des fermiers locaux, cachant ses attributs et couinant à qui voudrait l'entendre qu'il avait besoin d'aide. Cette fois il était dans son élément, le monde rural était le sien, et l'homme qui lui ouvrit la porte le sut immédiatement au regard qu'il rencontra.
-Mon bon M'sieur merci ! Merci ! C'est la troisième porte à laquelle je frappe et c'est vous le seul qu'avez répondu ! Je viens de la Saumâtre ! Mes parents allaient pour livrer une cargaison d'orge quand des bandits nous ont dépouillés !
Orbec parlait à un homme au bord de la retraite, se déplaçant fébrilement, il en émanait une odeur d'alcool et cette force fragile qui caractérise les vieux fermiers. Sa barbe broussailleuse encore maculée du gruau matinal s'agita.
-Un gamin nu comme un ver à la porte ma vieille ! Il dit qu'on l'a dépouillé ! Ça, c'est pas banal !
Goguenard et trop heureux de voir son quotidien bousculé, il invita l'improbable à rentrer dans sa demeure retrouvant un sérieux de souverain pour lui intimer de ne rien toucher et de garder ses mains ou elles étaient. C'était là ma chance, je ne pouvais toucher Orbec, mais eux, je le pouvais ! Enchanté Lotte, c'est un peu poussiéreux, mais ça fera l'affaire.
-C'est qui ce minot ? dit la femme du fermier avachie sur un siège en tige tressée.
Orbec enfilait les frusques que lui avait données l'homme, le rendant à sa condition de paysan.
-Je te l'ai dit bibiche, un gamin qui s'est fait dépouiller ! Où sont tes parents au fait ?
-Partis prévenir la garde à Vertance M'sieur !
-Eh, s’il dit vrai je vais donner mon cul au grand choucas tiens ! T'as jamais été moins con qu'une buche toi, il t'embobine le minot !
J'allais te briser le crâne Orbec, avec un barreau de chaise si il le fallait. L'homme se retourna vers sa femme, agacé.
-Quoi encore ? On peut pas le laisser comme ça ! À courir à poil dans la campagne y va attraper la mort!
-Ah ça ouais, aussi sur qu'on à pas vu un bandit ici depuis belle lurette! Y'a pas un maudit bosquet pour qu'y s'y planquent les gaillards ! Y préfèrent bien l'Bois gris à ici! À son visage s'illuminant d'un regard entendu, son mari accueillit mes mots comme une révélation.
-Mais c'est vrai ça mon gars ! Tu nous prendrais pas pour les rois des pécores par hasard ?
-Non je vous jure que... ils étaient douze avec des dagues et tout ça !
-Ouais, pis tes parents voyagent la nuit peut être ? De la Saumâtre ça fait une trotte jusqu'ici ! Surtout pour livrer de l'orge !
-Enfin quand même, s'promener nu pour voler des fringues ? C'est pas possible ! Bibiche, t'es sure que ?
"Bibiche" était sûre, mais l'information semblait mal comprise. Orbec sentant le vent tourner avait pris un couteau sur la table et le tendait devant lui, tremblant de tous ses membres.
-Me... Me faites pas de mal ! Je... Je voulais juste trouver des habits ! Je m'en vais maintenant !
Oh non, tu ne partirais pas. Lotte était trop molle, j'attrapais au vol celui qui s'appelait Roderic, et le précipitait sur sa table. Pas une chaise, mais l'allonge m'aiderait. Je lui fis arracher le pied qu'il tenait maintenant de ses deux mains et l'abattait avec une force colossale sur ma cible. Orbec plongea, réussissant l'exploit d'à la fois sortir sa tête de la trajectoire de ma masse improvisée et s'entailler l'épaule avec le couteau qu'il tenait encore fermement quand il entama sa roulade maladroite. Mon coup avait tout de même porté, et je le vis ramper, sa jambe droite irradiant de douleur. Je fis de mon mieux pour couvrir la distance me séparant d'Orbec. Roderic était trop usé et malgré toute la force que je lui insufflais, je sentais son cœur faillir, un dernier coup fusa tandis que le vieil homme basculait dans un sommeil sans fin.
Je viens de lire trois chapitres d'affilée et je trouve que ton récit sans rien perdre de sa richesse/ densité gagne beaucoup en fluidité. Les images que tu emploies sont souvent très belles, l'usage du vocabulaire parfaitement maîtrisé ( soutenu dans les descriptions ou lorsque le livre pense/ familier pour les dialogues du couple ou quand Orbec s'exprime), enfin l'atmosphère de magie toujours aussi envoûtante.
Je suis de l'avis de Claire May concernant les passages en italique : ce n'est pas toujours très clair. Pareil pour le comportement d'Orbec qui apparait parfois comme un benêt et à d'autres moments beaucoup plus futé (je pense notamment au chapitre où il ment face à dame Dompierre).
À bientôt !
En ce qui concerne Orbec, c'est un choix volontaire, mais peut être exécuté avec maladresse je vais voir si je peux réécrire ça de façon plus subtile. Il est futé, mais dépourvu de toute éducation, ce qui le fait passer pour un imbécile dans ses rapports aux autres tant il est inculte.
PS : Hâte de découvrir ce que tu nous concoctes pour ton douzième chapitre !
Petites remarques pour ce chapitre :
-tentant en vain de tromper la peur qui l'avait enveloppé d'une gangue froide et mordante. => joli !
- cette force fragile qui caractérise les vieux fermiers => belle image !
- J'allais te briser le crâne Orbec, avec un barreau de chaise si il le fallait. => s'il plutôt que si il
Les phrases en italiques, c'est encore un peu flou, j'ai dû mal à identifier à qui elles s'adressent et pourquoi...
C'est chouette, comment ce livre se déploie ! Toujours un plaisir,
A bientôt !
Oh ! Merci beaucoup ! C'est exactement l'effet que je souhaitais produire, le voir mentionné me fait très plaisir !
J'ai effectivement manqué cette élision, j'avais pourtant relu attentivement, heureusement que tu es là :D
Pour ce qui est de l'italique, je doute encore, ces phrases sont sensées marquer des constats, intentions immédiates et fortes du livre, néanmoins j'hésite à les retirer complètement. Tu en penses quoi ?
Mille mercis ! Et à très bientôt sur Bell et le loup ;)
Pour l’instant les phrases en italiques je les comprends pas trop, pas convaincue non plus. Tu peux peut être marquer l’intention autrement, faut essayer des choses.
Oups.
Je vais me cacher.
Je peux la garder précieusement comme trophée celle ci :O ?
Je pense que tu as raison concernant les italiques. Je vais chercher une alternative, ou simplement les retirer.