Ils grimpaient.
Le vent ne hurlait plus, il rugissait, comme une bête en furie retranchée dans les cimes blanches. Chaque pas était un combat contre la neige qui engloutissait les jambes jusqu’aux genoux, contre la pente traîtresse, contre le froid qui brûlait les os. Et pourtant, aucun ne parlait. Pas même un murmure. Le silence était imposé non par la fatigue, mais par cette sensation étrange que tout voulait les ralentir ou les éloigner de la montagne.
Myra ouvrait la marche, le visage fouetté par les bourrasques. Ses cheveux gelés claquaient comme des cordages dans la tempête. À ses côtés, Sylla transie de froid.
Ser Caldar avançait courbé, Un bras levé pour protéger ses yeux de la neige cruelle.
Le Seigneur-Loup, lui, ne semblait pas souffrir et ses pupilles luisaient d'un feu brûlant de rage.
Les automates de fer, insensibles au froid mordant, poursuivaient leur marche mécanique. Leurs bras d’acier tenaient Garric. Leur corps ne dégageait aucune chaleur, seulement la dureté du métal, mais ils formaient tout de même un rempart contre la tempête. Ainsi, sans vie mais déterminés, ils protégeaient le valeureux combattant, emportant son corps meurtri à travers les hurlements du blizzard.
Et le col semblait ne jamais finir.
La pente s’élevait toujours plus haut, noyée dans un voile de blancheur mouvante. Il n’y avait ni ciel, ni horizon — seulement cette muraille de neige immaculée, comme si la montagne les avalait lentement.
— Cette tempête n’est pas naturelle, grogna Ser Caldar en s’arrêtant une seconde pour cracher un glaçon de sang.
Myra ne répondit pas. Elle aussi le savait. Le vent portait des voix. Des chuchotements presque inaudibles. Des mots dans une langue oubliée. Ils entraient dans la tête, glissaient sous la peau, s’imprimaient au creux du ventre comme une peur d’enfant. Par moments, la neige semblait former des silhouettes, brèves, fugaces —Un peuple oublié, des formes du passé, un language perdu, les Gardiens d'Argarth—
Le Seigneur-Loup leva soudain la tête.
Ils s’arrêtèrent.
Là, entre deux rocs déchiquetés, un espace plus sombre. Une ancienne stèle brisée, rongée par le gel. Des runes effacées. Quelqu'un était venu jusqu'ici. Mais personne n'était allé plus loin ni plus haut.
Ser Caldar déglutit.
— On ne devrait pas s'arrêter.
Sa voix se perdit dans le vent et les arbres.
Le vent s’amplifia. La neige devint cinglante, tranchante comme des éclats de verre.
Et dans les hauteurs, tout en haut du col, une lueur dansait à travers la bourrasque. Improbable.
— Vite, souffla Myra. On continue.
Elle soutenait Sylla, toujours plus faible.
Et ils reprirent l’ascension. Vers le sommet. Vers l’œil même de la tempête.
Vers la Source.
Plus tard, dissimulée derrière un rocher....
L’entrée de la grotte, béante comme une mâchoire de pierre, semblait murmurer une mise en garde à quiconque osait en franchir le seuil sacré. Derrière eux, la neige effaçait leurs traces, avalait le monde qu’ils laissaient. Devant eux, la pierre vivante s’ouvrait sur un monde ancien.
Ils entrèrent.
Le tunnel s’enfonçait dans la montagne, étroit, noir, mais chaud d’une présence étrange. La roche brillait par endroits, nervurée d’un quartz pâle comme des veines anciennes. Les pas résonnaient, lourds, feutrés, tandis que la lumière faible des torches éternelles à la lumière dansante révélait des symboles oubliés.
Puis, sans prévenir, le couloir déboucha sur un abîme.
Une salle, vaste comme un monde, taillée dans le ventre même de la montagne. Le plafond s’élevait si haut qu’il se perdait dans l’obscurité bleutée. En contrebas, un lac d’un vert opalin, limpide et brillant, s’étendait entre les piliers immenses d’un ancien temple en ruines. Des arches brisées, des statues fendues, des colonnes de nacre et de métal blanc, rongées par le temps.
Et au centre, sur un promontoire d’ivoire, une vasque ciselée, de laquelle coulait une eau claire, irréelle, la Source, pure, douce, vivante. Elle formait un mince filet qui rejoignait le lac, créant des ondulations lumineuses dans la surface immobile.
Un silence sacré s’installa.
Les automates, devenus étrangement lumineux, s’avancèrent lentement. Le plus grand des deux tenait le corps inerte de Garric. Avec une délicatesse qui contrastait avec son aspect de guerre, il le déposa près de l’eau, dans une herbe fine et tiède qui poussait sur les pentes douces entourant le Lac.
Myra s’agenouilla. Son regard se posa sur le visage de Garric — fermé, blême, mais encore habité d’un souffle, peut-être. Elle n’osa le toucher. Pas encore.
Ser Caldar, en retrait, se dressait droit comme un roc. Le vent des batailles passées semblait encore souffler dans ses yeux déterminés. Il portait ses blessures comme des tatouages de guerre. Son allure majestueuse était celui de l’homme qui a tout vu, tout subi, mais qui tient, encore. Il savait. Le calme ici ne durerait pas.
Il serra Rūwa, sa lame, contre son épaule, et se posta face à l’entrée d’où ils étaient venus.
Le Seigneur Loup, haletant, s’approcha du bord du lac. Il but.
Un grondement monta de sa gorge. Sa fourrure s’embrasa d’un feu intérieur, ancien et divin. Les braises dans son poitrail devinrent un brasier. Il leva la tête vers la voûte et hurla un cri qui n’était plus de ce monde : un chant de guerre, de vie, de vengeance.
Alors, Myra et Sylla s’approchèrent de la vasque. Elles n’avaient plus peur. Elles savaient.
Elles se tinrent la main, et burent ensemble à la Source.
Leur peau s’illumina d’une lueur bleue ou dorée, et leurs yeux se remplirent d’étoiles oubliées. Leurs voix résonnèrent comme deux flûtes mêlées, et un vent tiède se leva dans la salle, caressant les visages, réveillant les pierres mortes. Leur simple présence faisait éclore des fleurs sur les gravats. Elles devenaient autre chose. Deux sœurs. Deux lumières. Deux fragments d’une même force.
Puis le sol trembla.
Un hurlement de cauchemar retentit depuis les entrailles du monde. Des gantelets de fer frappèrent les roches comme des marteaux de fin du monde. Des armures sales raclèrent les parois de l’étroit passage menant à la grotte, tel un tisonnier chauffé à blanc que l’on plonge dans une gorge torturée.
L’Écorché entra.
La lumière et l’air de l’immense sale se contractèrent en sa présence. Un murmure couru à la surface de l’eau.
Derrière lui, ses spectres avançaient, tordus, râlant, empestant le passé, la haine, la souffrance. Il avait traversé la montagne. Il avait dévoré les sortilèges anciens. Il n’était plus un simple fléau. Il était la fin.
Le combat commença sans cri, sans peur, sans ordre. Un choc de mondes.
Les automates se jetèrent dans la mêlée avec une grâce brutale, les bras luisants, les lames projetant des éclats de lumière pure. Le Seigneur Loup bondit, ses crocs dans le cou d’un spectre, ses griffes labourant les côtes d’un autre. Sylla, affaiblie mais concentrée, projetait des ondes de vie qui faisaient grincer les os morts en les brisant.
Myra valsait au milieu des cadavres animés, cheffe d’orchestre d’un carnage silencieux, sa lame pour baguette, chaque geste une note mortelle.
Mais l’Écorché avançait.
Il bondit en avant — colosse noir et furieux —, et d’un coup brutal, Draugvyr fendit un automate en deux. La machine s’écrasa contre la paroi dans une gerbe d’étincelles et de fer tordu. Puis, le silence. Pesant. Solennel.
Il s’approcha de la Source.
Ses pas faisaient frémir la pierre.
Et lorsqu’il tendit ses mains gangrenées vers l’eau claire, une tension soudaine saisit l’air.
Ses doigts monstrueux plongèrent dans le lac sacré.
Alors il hurla.
Un cri rauque, inhumain, un râle de douleur et de défi.
L’eau, pure et tranquille, se noircit d’un coup, comme si elle saignait.
La Source trembla.
Pas seulement le lac, mais tout le sanctuaire, tout ce qui était ancien, sacré, vivant.
Quelque chose venait d’être brisé.
Profané.
Et l’écho de ce cri semblait réveiller des ombres plus anciennes encore.
Son corps enfla. Sa peau morte se craquela et laissa passer une lumière noire, malsaine, une magie de rupture. Il puisait la puissance du monde pour mieux le tuer. Les pierres gémissaient. L’air devenait cendre.
Ser Caldar, dans un hurlement titanesque, leva Rūwa à deux mains. Il fonça.
Et la grotte vibra sous l’affrontement de la vie et de la mort.
La Dernière Lumière
Le lac n’était plus qu’une plaie. Son eau, jadis éclatante comme l’aube, s’étendait à présent noire, huileuse, souillée par la main de l’Écorché. Là où coulait la Source, la lumière était morte. Une brume lourde s’élevait du bassin, emplissant l’air d’un goût de cendre et de sang.
Et au centre du chaos : l’Écorché, plus immense que jamais. Son armure saignait une vapeur noire. Sa hache battait l’air à chaque coup comme un tonnerre de fin du monde.
Mais les compagnons n’étaient pas morts. Pas encore.
Myra et Sylla combattaient comme deux incarnations vivantes de la volonté du monde. Le fluide chantait en elles, une rage d’amour ancestral. Leurs gestes étaient synchrones, leurs attaques, fulgurantes. Sylla, prise d'une vie nouvelle et furieuse, dansait parmi les spectres, des vagues de feu et de lumière tranchant la brume. Myra, plus grave, plus concentrée, frappait au cœur, toujours. Leurs corps blessés se relevaient sans cesse. La vie, en elles, refusait de plier.
Non loin, le Seigneur Loup, incandescent, boucher de chair morte, bondissait d’un cadavre à l’autre. Le feu de la Source courait sous son pelage comme un brasier. Il broyait les os, déchirait les tripes, massacrait sans répit, les babines écumantes. Un spectre voulut le surprendre : il lui arracha le crâne d’un coup de croc.
Mais l’Écorché toujours progressait.
Il hurlait en frappant, chaque pas faisait trembler le sol. Il ne s’arrêtait pas. Il appelait à lui la douleur, le souvenir des mille morts du château. Et les murs eux-mêmes saignaient pour lui. Des formes difformes rampaient sur les parois, rejetons de haine, appelées par sa volonté.
Alors qu’il fendait les spectres de sa lame, Ser Caldar aperçut dans une vision fugace, le visage de son ami Aurelius.
—« Souviens-toi de la lumière. Du fluide. De la fiole ! »
Ser Caldar trouva la petite bouteille pendue à son ceinturon.
La fiole tenait dans la main de Caldar comme un fragment de l’univers lui-même. Un éclat de verre, pâle et vivant, vibrant sous ses doigts calleux. Le fluide qu’elle contenait pulsait maintenant comme un cœur, une lumière liquide, palpitante, ancienne.
Il la but.
Il n’était plus Ser Caldar.
Il n’était plus qu’une incarnation primitive, brute, d’une force obscure et implacable : La Guerre.
Sa silhouette s’était épaissie, alourdie par une puissance ancienne et rugueuse.
Chaque pas qu’il posait semblait fracturer la terre, faire craquer la pierre et hurler la douleur des mondes oubliés.
Le sol se fendit sous son talon, ouvrant une faille menaçante, signe muet de la tempête qui allait s’abattre.
Face à lui se dressait l’Écorché — ombre décharnée, cadavre ambulant animé par une haine aussi noire que les abysses.
Pas de gestes de courtoisie.
Pas d’échanges.
Seulement ce silence lourd, ce souffle sourd chargé d’une rancune millénaire, la pure hostilité de deux monstres prêts à s’entre-déchirer.
Colosse rongé par ses blessures, spectre inhumain, incarnation de la douleur et de la rage consumée.
Son regard absent, vide, creusé par le néant, semblait pourtant transpercer Ser Caldar, scruter son âme déchirée.
Il savait.
Il reconnaissait l’ennemi à sa hauteur.
Deux titans figés dans un duel suspendu, un duel écrit dans le sang des anciens, scellé par des serments de mort.
Ser Caldar leva Rūwa, son épée colossale, forgée dans les flammes des légendes oubliées du clan des Valnuit.
L’acier chanta dans l’air glacé, un chant lugubre, un requiem solennel qui résonnait jusqu’aux confins de la terre.
C’était l’hymne des morts, la promesse d’une fin inexorable.
L’Écorché émit un grognement rauque, un son lourd, terrible, qui semblait venir d’une fosse oubliée au cœur du monde.
Il brandit sa hache maudite, dentelle d’ombre et de fer corrompu, prête à fendre l’air et à trancher la vie.
Le temps suspendit son souffle.
Les cieux eux-mêmes semblaient retenir leur supplique.
La guerre allait s’écrire dans le sang, dans la rage et dans les larmes.
Ils chargèrent.
Le choc fut comme un séisme. Le sol hurla, la montagne elle-même sembla vaciller. Des éclairs jaillirent à l’impact des lames. Rūwa mordit l’épaule de l’Écorché, un sang noir en jaillit en vapeur. Mais la bête riposta — un coup latéral fendit l’espace et projeta Ser Caldar contre un mur de roche qui explosa sous son poids. Il rebondit. Revint. Plus rapide. Plus fort.
Ils tourbillonnaient. Frappaient. Chaque coup était un cataclysme.
Autour d’eux, la grotte tremblait. Les spectres reculaient. Même la corruption semblait hésiter. Myra et Sylla, plus loin, regardaient ce duel titanesque comme on regarde le passage d’un astre destructeur dans le ciel noir.
Caldar frappait. Encore. Encore. Chaque coup de Rūwa portait le poids de tous les serments brisés, de tous les frères tombés. Il ne pensait plus. Il était l’arme. Le fluide de vie dans ses veines grondait comme un torrent sacré.
L’Écorché vacilla. Pour la première fois, il vacilla.
Mais il n’était pas vaincu. Il n’était jamais vaincu.
Alors Caldar recula d’un pas, planta ses pieds dans la pierre, leva Rūwa au ciel et hurla. Un cri ancien, humain et surhumain, un cri de fin et de commencement.
Et le combat reprit, plus féroce encore.
Rūwa à deux mains, son corps strié de blessures, mais son regard plus clair que jamais.
— Tu veux tout ? Tu n’auras rien, démon.
L’Écorché chargea, chaque pas résonnant comme le glas d’un monde en ruines. Sa double hache, lourde et maudite, était une extension de sa rage déchaînée, un instrument de destruction forgé dans les ombres du Néant. Il balaya l’air avec une force colossale, fendant l’espace en arcs dévastateurs, chaque coup vibrant de haine et de douleur millénaire.
Le métal rugit en frappant, éclats d’étincelles et craquements sinistres accompagnaient ses assauts impitoyables. L’Écorché ne connaissait ni fatigue ni doute, sa volonté était un mur d’acier, une tempête impossible à arrêter. Ses yeux vides semblaient absorber la lumière, une absence glaciale où se lisait une détermination absolue.
Ser Caldar esquivait, ripostait, mais l’Écorché le harcelait sans relâche, déchaînant une pluie de coups d’une violence inouïe. Chaque frappe menaçait de briser l’armure, d’écraser l’âme, d’éteindre la dernière étincelle d’espoir.
Dans ce duel d’ombres et de feu, l’Écorché était l’incarnation même du combattant implacable, la fureur qui ne faiblit jamais, la colère gravée dans chaque muscle meurtri.
Ser Caldar mit un genou à terre. Il se releva. Encore. Refrappa. Le dernier automate, immense et doré d'une lumière retrouvée, vint à son secours. Les deux géants tinrent tête à l’abomination. Et petit à petit, ils le ralentirent. L’Ecorché vacilla. Ses spectres, vaincus par Myra, Sylla et le Seigneur Loup, hurlaient de plus en plus fort, de plus en plus aigu… comme un chant de mort.
Alors Myra comprit.
La Source. L’eau souillée. Le mal. Tout était là. Et tout pouvait encore être purifié.
Elle saisit la main de Sylla. Ensemble, elles s’agenouillèrent au bord du lac noir. Leurs doigts plongèrent dans la souillure. Le fluide en elles s’éveilla une dernière fois. Une explosion de chaleur. Un chant. Un cri. L’eau frémit.
Elles se relevèrent, leurs corps baignés de lumière blanche, une lumière si pure qu’elle aveuglait même le Seigneur Loup.
Elles marchèrent, main dans la main, vers l’Écorché.
— Tu n’as pas ta place ici, murmura Sylla dans le crane du monstre.
— Tu n’auras jamais la vie, dit Myra.
Et alors, minuscules fasse au géant qui s'était arrêté de frapper, elles plongèrent leurs mains en avant et touchèrent le métal mort de la cuirasse de l’Ecorché. Une plaie béante de son torse s’ouvrit soudain. Le fluide jaillit des deux sœurs. Il hurla. Un hurlement ancien, qui fit s’écrouler les plafonds. Ses spectres se désintégrèrent. Ses forces le quittèrent. Et le lac se mit à brûler.
L’Écorché, dans une dernière contraction de haine, leva son bras pour tuer Myra…
Mais Ser Caldar, en un éclair, bondit. Rūwa s’abattit sur la nuque du monstre. Dans un bruit d’acier brisé et de chair pulvérisée, la tête de l’Écorché roula dans l’eau noire.
Du corps maudit s’échappa soudain une lumière noire, froide comme l’abîme, éclatant en un souffle funeste qui fit trembler les murs de la caverne alentour.
Il s’effondra, immobile. Pour la dernière fois.
Le silence.
Le lac bouillonna. Puis devint clair. Limpide. Pur.
Le mal était mort.
– Le Silence des Sources
Une brise légère passait doucement dans la caverne. Il n’y avait plus de cris, plus de fureur. Le lac s’était apaisé, sa surface retrouvait peu à peu une clarté translucide, bien que ternie par les ombres du combat. Le corps de Garric reposait près de l’eau, immobile, son fouet enroulé à ses pieds comme une relique d’un autre temps.
Ser Caldar, debout, silencieux, le regard posé sur son compagnon tombé, ne disait rien. Le Seigneur Loup était à ses côtés, son flanc encore marqué des brûlures du combat, mais debout lui aussi, digne.
Alors, un frisson parcourut l’air.
Quelque chose — quelqu’un — s’approchait. Une lumière douce, ni chaude ni froide, vibrante d’une harmonie oubliée, s’étira lentement dans les hauteurs de la grotte. Elle ne venait pas d’une torche, ni du ciel. Elle venait d’entre les pierres, du souffle de l’eau, de la mémoire même de la terre.
Et ils la reconnurent tous.
Lucinda.
Non pas sous une forme visible, mais dans un frémissement de feuilles absentes, dans la douceur soudaine de l’air, dans le calme imposé à la douleur. Tous la ressentirent. Son esprit immense et tendre emplissait la grotte. Une force vive. Indomptable. Éternelle.
Sa voix s’éleva sans qu’aucune bouche ne bouge.
— Je suis venue pour Garric.
Ser Caldar fronça les sourcils, une main sur la garde de Rūwa. Myra fit un pas en avant. Sylla n'avait pas besoin d'explication, elle savait.
— Il est mort... mais pas brisé, continua la voix. Son souffle est encore lié à la chair. Je peux le reprendre. L’emporter. Lui offrir un autre chemin.
Sylla s’approcha de sa sœur et lui prit la main. Elles se regardèrent longuement. Puis, ce fut Myra qui parla.
— Et nous ? Quelle sera notre place ici, maintenant ?
Lucinda ne répondit pas tout de suite. L’eau frémit. Des particules de lumière flottèrent autour des deux jeunes femmes.
Lucinda sourit doucement, ses yeux baignés d’une lumière calme, presque tendre.
—Le Mal a fui, laissant derrière lui un ciel enfin dégagé.
Elle fit un geste large, comme pour embrasser l’air et le monde tout entier.
—Le monde se tient à l’aube d’une promesse, et vous, Myra, Sylla, êtes les semeuses de ce renouveau.
Sa voix, douce comme un chant au vent, caressa l’air alentour.
—Myra, ta flamme intérieure sera le feu qui éclaire les chemins encore sombres.
—Sylla, ta sagesse est la source claire qui apaisera les terres blessées.
Lucinda maintenant materialisée, posa une main légère sur chacune d’elles, comme pour transmettre un souffle de force.
—Vous n’êtes pas seules. Le monde entier respire avec vous, et ensemble, vous tisserez les fils d’un avenir lumineux.
Un éclat d’espoir dansa dans ses prunelles.
—Le Mal est parti, mais la beauté, la vie, le courage, eux, ne font que commencer. Vous êtes les gardiennes de cette lumière nouvelle, les cœurs ouverts d’un monde qui renaît.
Lucinda regarda Myra, puis Sylla, avec une paix tranquille dans les yeux.
—Toutes les deux, vous viendrez avec moi, dit-elle doucement.
—Ce monde a encore besoin de veilleuses silencieuses, de cœurs qui n’attendent rien, mais qui restent. »
Elle marqua une pause, comme si le silence lui-même devait être entendu.
—Ensemble, sans bruit, nous veillerons sur ce qui vit. Rien de plus. Rien de moins.
Myra baissa les yeux. Sylla serra sa main. Elles comprirent.
Dans la fraîcheur tranquille de la caverne, le murmure discret de la Source de Vie emplissait l’air.
Myra et Sylla se tenaient près de Ser Caldar, leurs regards doux et silencieux.
Myra, timidement, brisa le silence :
—Merci, Ser Caldar… pour tout ce que tu as fait pour nous. Pour nous avoir protégées.
Sylla hocha doucement la tête, la voix légère :
—Oui, merci. Sans toi, on ne serait pas ici, maintenant.
Un souffle passa, porté par le doux bruit de l’eau qui coulait.
Myra regarda Ser Caldar, un petit sourire fragile aux lèvres :
—On n’oubliera jamais.
Sylla ajouta, presque à voix basse :
—Promis.
Ser Caldar les regarda, le visage apaisé, comme touché par leur simplicité.
Alors que le silence de la caverne semblait figé autour d’eux. La Source de Vie murmurant encore, paisible, indifférente aux larmes humaines,Ser Caldar s’avança lentement vers Myra et Sylla. Son armure portait les marques du combat, son visage, celles du temps. Il s’arrêta devant elles, droit malgré la fatigue, le regard chargé d’une tendresse grave.
—Mes filles, dit-il simplement. Sa voix était rauque, un peu brisée, mais ferme.
Je ne suis pas votre père. Mais dans ce monde abîmé, vous avez été ce qu’il me restait de plus pur. Tout ce que j’avais.
Il les contempla longuement, comme pour graver leurs visages dans sa mémoire.
—Le moment est venu. Vous êtes prêtes. Vous êtes fortes. Bien plus que je ne l’ai jamais été.
Myra voulut répondre, mais il leva doucement la main.
—Ne soyez pas tristes. Ce n’est pas une fin. C’est une porte. Et vous avez tout un monde à traverser, à embellir.
Il s’inclina légèrement devant elles — un geste d'amour. Un dernier salut.
—Je suis fier de vous. Et je vous aime.
Puis, sans un mot de plus, il se détourna et s’éloigna lentement, marchant vers l’ombre.
Comme un homme qui avait accompli ce pour quoi il était venu.
Derrière lui, Myra posa une main sur sa poitrine, submergée par l'émotion, les mots étouffés dans sa gorge sérrée Et dans le silence, Sylla murmura presque pour elle seule :
—Merci, papa.
Le murmure de la Source semblait les envelopper d’une paix silencieuse.
Sylla s’approcha du Seigneur Loup. Elle posa une main sur sa tête baissée.
— Toi aussi, tu nous as protégées. Tu es libre à présent. Vis, comme tu sais le faire. Dans l’ombre et la lumière.
Le Seigneur Loup ne répondit pas. Mais ses yeux luisaient d’une clarté étrange.
Lucinda parla avec une douceur et une résolution presque divine aux deux combattants.
— Le monde a encore besoin de gardiens. D’équilibre. D’hommes pour protéger la Vie contre ce qui vient. Vous resterez, Ser Caldar et toi Maitre Loup. L’histoire n’est pas finie.
Ser Caldar acquiesça. Une dernière fois, puis en se rapprochant il se pencha vers Garric Krholm. Ils n'avaient pas été frères bien longtemps, mais la puissance de leur amitié et la valeur de Garric valaient toutes les années d'une vie. il posa sa main sur son épaule, puis se redressa.
— Emmène-le, Lucinda. Qu’il vive. D’une autre façon.
Alors, Lucinda s’enroula autour du corps du guerrier. Il n’y eut ni éclat, ni bruit. Juste un souffle. Et Garric disparut.
Les deux sœurs se tenaient la main, et s’avancèrent vers la lumière diffuse où l’esprit de Lucinda les attendait. Elles ne se retournèrent pas. Elles n’avaient plus à fuir. Elles allaient vers un autre monde.
Un monde de paix.
Caldar resta là, debout, seul. Le Seigneur Loup à ses côtés. Deux silhouettes noires sur fond d’eau claire.
Il soupira.
— Tu crois qu’on pourra se reposer, un jour ?
Le Loup grogna, doucement.
— Non, Sûrement pas tout de suite !
Il sourit, presque.
— Alors on partira. Il y aura d’autres routes. D’autres horreurs. Peut-être une taverne. Un bon feu. Un ennemi à tuer.
Il regarda la Source, et les derniers éclats de lumière s’éteindre.
— Mais pour l’instant… on veille.
Et ensemble, ils quittèrent la grotte, vers le dehors. Vers ce qu’il restait du monde. La tempête de neige avait cessé. Le soleil transperçait les nuages.
Caldar se retourna vers Le Seigneur Loup.
—Et si maintenant je retournais chercher mon Frison ? Qu’est-ce que tu en penses ?
Et ils en rirent longtemps.
Voilà la fin de ce récit. Garric va pouvoir reposer en paix. Myra et Sylla protéger le monde comme le feront le seigneur loup et Ser Caldar.
Le combat était intense et vraiment bien fait. Avec une petite musique de film d'action ça passe super bien ahaa
Le moment entre Ser Caldar et les deux jeunes filles est vraiment touchant. Pourtant dans les chapitres précédents on voit très peu de moments comme cela :)
A suivre pour les aventures de Ser Caldar et peut-être du Seigneur Loup :)
Les petits retours de forme :
"Le plus grand d’eux tenait le corps inerte de Garric" -- "des deux"
"Mais l’Écorché toujours progressait" -- "progressait toujours"
"Vous resterez, Ser Caldar et le toi Maitre Loup" -- "et toi Maitre Loup"
Ser Caldar revient bientôt dans une prochaine aventure "Chroniques d'eau et de sang" que j'écris actuellement.
Un petit poème est sur ma page d'accueil, si ça t'interesse ?
Merci pour ta lecture et tous tes bons conseils.
Je continue ton roman, évidemment.
Ciao !!
ne t'inquiète pas, ça se voit que tu as tout fait pour que l'histoire te plaise déjà et ça se ressent pour nous !
J'ai mis ton poème dans ma PAL pour voir ça.
A très vite dans mon histoire et les tiennes :)