Alors que Gabriel fait le lit, son compagnon reste sur le canapé, à se tâter. Dans sa main, chiffonnée, il tient toujours la chanson qu'il n'a pas encore osé lire. Il se décide à la déplier et découvre alors un texte touchant, pas mièvre du tout et très fort. Il se rend compte en y réfléchissant que personne n'a encore jamais parlé de lui si justement. Se voir au travers d'un regard extérieur, surtout par des yeux aimants, il n'a pas l'habitude. Il a du mal à croire ce qu'il lit. Est-il vraiment aussi beau ? Il n'a jamais connu ça.
Bien sûr l'ex qu'il a eu jadis et qui déclarait l'aimer lui trouvait toutes sortes de qualités lui aussi, qu'il énumérait sans cesse, pourtant jamais Uzu ne les avait trouvées appropriées, ni ne s'y était reconnu. L'attachement que Gabriel lui témoigne dans ses lignes est bien en phase avec la réalité.
Aspirer à protéger autrui, se sentir utile pour avoir de la considération, son besoin de reconnaissance et sa sensibilité aux autres, tout y est. Il se retrouve dans ce texte. Gabriel le comprend. Le japonais se découvre aimé. Les mots se croisent et chantent. Au-delà de la simple déclaration d'amour, il y a là un véritable travail de poésie.
"Gabriel a écrit ça pour toi."
Les paroles de Yann lui reviennent en mémoire. Le texte colle bien, certes, mais cela est presque trop beau. Il a besoin d'en être sûr. Rejoignant son petit ami dans la chambre, il le considère quelques secondes. Celui-ci finit de mettre de l'ordre, arrangeant les oreillers, un peu désenchanté, souriant, malgré tout.
Devant lui, Uzu affiche une expression si étrange qu'il s'alerte.
- Ça va ? Tu fais une drôle de tête ? !
Uzu tend la main dans laquelle se trouve encore chiffonné le texte recopié par Yann.
- Tu as écris ça ? Ça parle bien de moi ?
- T'as trouvé ça où ? Dans la salle ? Tiens, c'est l'écriture d'Yann ! Il a dû la r'copier, il d'vait l'avoir sur lui quand il est v'nu. J'me d'mande pourquoi il a fait ça... Bah oui quoi, c'est la chanson qu'j'ai pondu l'aut'soir. On peut considérer qu'ça parle de nous, d'toi. J'l'ai envoyée à tous sans leur dire d'quoi y s'agissait, c'est parc'que j'voulais qu'ils fassent des arrangements musicaux. Enfin, au cas où on pourrait en faire qu'que chose.
Gabriel espère que Uzu ne s'imagine pas n'importe quoi, par exemple que la chanson soit pour quelqu'un d'autre ou bien qu'il s'amuse à déballer des choses intimes à tout le monde. Il est également embêté que ce soit l'écriture de Yann.
- Peut-être que j'aurais pas dû la r'connaitre ?
Uzu, fond sur lui, surpris le goth en perd presque l'équilibre. Il le serre si fort que pendant un instant Gabriel en a du mal à respirer. Progressivement les bras se desserrent sans le lâcher totalement, le japonais parle tout bas, d'une voix un peu éraillée.
- Je n'entrevois pas le futur, ni quelle décision je vais prendre, mais tu dois savoir que jamais, jamais je n'ai ressenti ça pour personne. Lire ce que tu penses de moi, découvrir ce que tu éprouves, tu n'imagines pas comme ça me touche.
Gabriel le repousse doucettement, caresse son visage en souriant.
- J't'aime, hé !
Il aurait tant voulu lui répondre que lui aussi ressent ça, mais les mots restent coincés dans sa gorge, il n'en est pas certain et ne souhaite pas lui mentir.
Quand Gabriel se penche pour l'embrasser Uzu s'abandonne. Cette fois-ci, il ne se raidit pas lorsqu'une main glisse le long de ses fesses. Au contraire, il se plaque mollement contre lui. Le baisé échangé devient brûlant et Gabriel affermit son étreinte, s'attendant à tout instant à ce qu'il le repousse, résiste, ou pousse des gémissements de craintes, mais non, rien de tout cela. Il ne fait pas non plus de geste de possession, il ne s'ingénie pas à le diriger comme il l'a fait jusqu'à maintenant. Pas de peur, pas de fuite, aucune domination, il semble juste s'offrir, profiter.
Gabriel hésite pourtant. Comme il a déjà plusieurs fois mal compris ses désirs, il ne voudrait pas refaire les mêmes erreurs, le brusquer.
- J't'aime, répète-t-il, le silence pour toute réponse.
Alors il décide seul de tenter de calmer le jeu.
- Haaa ! J'vais perdre les pédales, là, si on continue comme ça.
Uzu a parfois ces réactions étranges d'enfant timide, comme le premier baisé ou comme cette étreinte à l'instant et là, cette façon qu'il a de blottir son visage dans le creux de l'épaule de son ami pour répondre timidement, sans que celui-ci ne s'aperçoive qu'il rougit de ses propres aveux.
- Fais-moi oublier ! Je suis prêt, il faut que mes nuits soient pleines de rêves de toi et qu'ils remplacent mes cauchemars, fais ça pour moi, répond Uzu.
C'est joliment dit, pourtant Gabriel hésite quant à l'interprétation. Pas qu'il n'en ait pas le désir, mais il aurait préféré l'entendre formuler le souhait de faire l'amour plutôt que de vouloir " oublier ".
- Est-ce que t'as envie ?
- Je suis prêt, j'ai confiance.
- C'est pas la question que j't'ai posée.
Uzu le regarde sans vraiment saisir. Yann aussi lui a sorti cette remarque. Contourne-t-il vraiment les questions? Il n'a jamais fait attention à ça. Ou l'ancien couple a-t-il déteint l'un sur l'autre et leur manière d'obtenir une réponse est-elle devenue similaire ?
- Je ne comprends pas ? Tu me repousses ? Pourquoi ? s'inquiète-t-il.
- Non, juste : Est c'que c'est bien c'que tu décides ? Avoir besoin d'appartenir à quelqu'un par amour c'est qu'qu' chose. Par contre, j'adhère pas à ta décision, si tu l'fais comme on met d'la zique dans ses oreilles pour plus entendre le bruit du dehors, tu comprends ?
Uzu saisit l'image, bien entendu.
S'asseyant lentement sur le lit et relevant la tête, il juge son amant. Pendant trente secondes qui paraissent durer une éternité, ils se dévorent des yeux sans souffler mot.
- J'imagine qu'il n'y aura peut être pas meilleure personne à qui appartenir que toi, lance-t-il enfin. Je considère n'en avoir encore jamais connu de meilleure. Je crois que comme je viens de m'en rendre compte, c'est le bon moment. Voilà tout, ça te va ?
Pour toute réponse Gabriel l'étreint.
Cette vérité, non il n'en a jamais connu de meilleure. Gabriel se montre tendre et plein de délicatesse malgré l'avidité de ses baisers. Ses gestes sont calculés, il prend sont temps pour le déshabiller. Pourtant quelque chose le saisit et il devient un peu hésitant quand Uzu se trouve nu et démuni face à lui. Le voilà face aux stigmates des violences dont a été victime son amant. Une bouffée de révolte le prend aux trippes.
- Il y a un problème ?
- Ce sont des cicatrices de... ?
Sans doute cela n'est-il pas le meilleur moment pour aborder le sujet mais trop tard, c'est dit. Le japonais ne s'en formalise pourtant pas.
- Oui, répond-t-il simplement.
- P'tain, si j'tenais les ordures qui ont osé t'faire ça, j'te jure qu'ils pass'raient plus qu'un sale quart d'heure.
Il s'étonne de n'avoir rien vu les autres fois. Peut-être est-ce le fait d'en avoir parlé juste avant qui a attiré son attention dessus. Il n'arrive plus à se détourner de la vision de cette peau meurtrie.
- Ça ne fait plus mal, tu sais. Enfin, heu... physiquement, le rassure Uzu.
- J'vais tout faire pour qu't'oublie c'que t'as subi, tout c'que j'peux.
Lorsque ses mains se posent de nouveau sur lui, Uzu comprend que jamais il ne sera aimé et jamais il n'a été aimé de cette façon par personne d'autre. Et l'être ainsi plutôt que juste désiré représente une telle promesse de bonheur qu'il en est presque angoissé. Gabriel le contemple et soigne chacun de ses mouvements, chacune de ses caresses sur chaque parcelle de peau. Uzu fond, plus rien n'a d'importance que les gestes, les attouchements et les attentions qu'il reçoit. Être en contact avec sa peau, se sentir protégé dans ses bras, se voir respecté et savoir qu'il lui offrira une relation qui ne sera en rien à sens unique, lui fait voir tout différemment.
Lentement, Gabriel resserre son étreinte et ses caresses se font plus précises. Si Uzu a réussi à l'étonner lors de leur première "expérience indécente " cette fois, c'est lui qui se trouve émerveillé. Gabriel n'est pas seulement doux et attentionné, il est également réceptif au moindre changement de comportements, à l'écoute de son partenaire.
Touché par le fait qu'enfin Uzu accepte de se donner à lui, il en prend soin, surveillant ses moindres réactions. Un peu trop peut-être. Ainsi, lorsque qu'ils se retrouvent nus tout les deux, allongés l'un contre l'autre et que Uzu s'offre, il le pénètre d'abord très lentement, accompagnant l'action de nombreuses caresses.
- Son visage, son doux visage, sa bouche entrouverte, ses gémissements, sa peau, ses longues mèches brunes balayant l'bas d'son dos jusqu'aux hanches, non ! J'perdrais pas la tête ! s'ordonne-t-il.
Il ne se permet aucun écart, aucun geste de trop. Uzu commence à se focaliser sur sa délicatesse excessive, ses mots se font alors sans équivoque.
- Je suis à toi. Ne me torture pas autant, je n'en peux plus d'attendre, viens en moi, viens !
Gabriel prend alors une longue inspiration et s'ancre à lui. Il n'a pas droit à l'erreur, il veut que tout ne soit que plaisir. Il y va le plus doucement possible en serrant les dents, soucieux de ne pas lui infliger la moindre douleur. Cependant bien vite le plaisir l'emporte.
- C'est trop bon ! souffle-t-il. T'es chaud ! J'deviens dingue, j't'en prie arrête moi si j'y vais trop fort...
- Continue, tout va bien, Gabriel, tout va bien !
Ses prières, son odeur, son visage en sueur, ses mouvements de hanches, sa façon de se mordre la lèvre, ses gémissements, tout cela achève d'affoler Gabriel. À mesure qu'il accélère la cadence, il se fait d'avantage peur.
- J'arrive pas à m'contrôler, mon dieu, r'pousse moi, tu m'rends dingue !
- Plus fort, vas-y plus fort, j'aime ça.
- Haaa, tais-toi !
Ce qui a commencé si calmement et tendrement est en train de devenir de plus en plus violent. À la vue de ses cuisses crispées et de sa tête enfoncée dans l'oreiller, il ralentit tout à coup le rythme, cassant ainsi l'osmose sans le vouloir.
- J'dois pas t'faire d'mal.
Il se prend à lui caresser de nouveau les fesses, à disperser de doux baisers sur sa nuque, le nez se glissant dans le parfum floral de sa chevelure.
- J't'aime putain !
L'autre se retourne alors pour lui prendre la bouche, ainsi que la direction de l'action. Posément, il le repousse. Gabriel, dépossédé, comme perdu de se retrouver loin de ce corps aimé, recule. Sans un mot, avec nombres de baisers, Uzu se rapproche et le presse de s'allonger sur le dos.
- Tu es à moi alors ! lui souffle-t-il à l'oreille.
Fort de sa nouvelle assurance, c'est sans crainte de mal s'y prendre qu'il mène le jeu. Il s'introduit en lui sans ménagement, presque agressif, le contraint à un rythme brutal d'emblée, lui maintenant le visage pour l'obliger à le regarder atteindre le plaisir en le maltraitant.
Les gémissements et plaintes de Gabriel l'excitent encore d'avantage. Un sentiment de puissance inédit lui monte à la tête. Il prend un malin plaisir à agacer le sexe de celui-ci sans pour autant l'amener à la jouissance. Et alors qu'il le maintient fermement sous l'emprise de ses mains à le tourmenter, il se sent jouir, trop tard pour ralentir. Puis, il le laisse là, étourdi, un peu choqué et très frustré.
- Et moi ?
- Ce que tu veux, tu n'as qu'à venir le prendre ! Je ne suis pas en sucre ! Cesse d'avoir peur ! Ou alors faut vraiment que je te fasse du mal ?
- Ha, ok, j'vois. Alors écoute-moi bien, j'suis pas un d'tes anciens mecs, ni un violeur, j'fais l'amour, j'baise pas moi !
- Je dis pas ça pour ça.
- Et tu m'as fait mal ! Pourquoi ? Tu voulais que j'te l'rende ou quoi ? Si c'est ça, j'te préviens, ça marchera pas avec moi !
- Non. Non ! Je... Je suis désolé ! Je ne pensais pas que... Tu étais très excité, du coup ça m'a rendu triste que tu te retiennes. Comprends que mon désir, est lié au tien. Pas besoin de te retenir, aime-moi !
- Et, est-ce que c'était ta façon d'aimer c'que tu viens d'me faire ? C'est pas la mienne en tout cas. Je m'suis senti esclave et j'déteste ça. Est-ce que toi tu voudrais qu'j'agisse comme ça ? Ch'uis sûr que oui. Et c'est hors de question ! J'prendrais soin de toi, contre ton avis si ch'uis obligé. Et si ça d'mande qu'je doive me r'tenir j'le f'rais. Et c'est pas parce que t'es en sucre, mais parce que j'te respecte.
- Vraiment désolé, fait Uzu, confus. C'est juste que je me sentais tellement bien avant que tu ne ralentisses, j'ai aimé sentir que tu ne te contrôlais plus totalement, que je te faisais de l'effet. J'ai confiance en toi. Si je te demandais d'arrêter, tu le ferais, j'en suis persuadé. Ai confiance en toi aussi, et en moi. Je te promets de ne pas recommencer.
Gabriel qui lui a déjà pardonné, l'accueille dans ses bras. Sentir sa peau si douce et le voir de nouveau offert l'enfièvre de plus belle. Il lui sourit amoureusement et prend sa bouche en même temps que son corps, si vite que celui-ci en est saisi et en lâche un cri étouffé. Gabriel a bien compris la leçon et il ne ralentit pas ce coup-ci. Au contraire, il s'enfonce en lui plus loin encore. Uzu se cambre, ouvrant tout à coup de grands yeux étonnés poussant de suite des cris accusant son plaisir autant que sa panique.
- Peut-être l'ai-je poussé trop loin dans ses retranchements ? Vais-je finalement regretter de lui avoir offert de ne pas se retenir ?"
Les baisers brulants de Gabriel suffisent à le rassurer et, bientôt, la jouissance prend le pas sur la crainte.
"Ses gestes sont calculés, il prend sont temps pour le déshabiller." => il prend son temps
"Ainsi, lorsque qu'ils se retrouvent nus tout les deux, allongés l'un contre l'autre..." => tous les deux
Bon, bah écoute, moi, je trouve ce chapitre très instructif. Je te fais confiance sur la manière dont se prennent deux homos pour faire l'amour et en ce qui concerne leur relation, je trouve ça tout à fait approprié. C'était presque gênant de se trouver là à écouter ce qu'ils se disaient. C'était si intime, si... juste entre eux que j'ai eu l'impression d'être une voyeuse. C'est pas bien d'être une voyeuse. Bouuuh !
Ce qui me rassure, c'est que dans leurs hésitations, ils parviennent à résoudre le problème tout de suite et ne pas finir complètement frustrés, en conflit définitif. Donc, je dis ouf ! Tant mieux. Je suis très contente pour eux. Oui, Uzu a eu des réminiscences désagréables de son passé, oui, Gabriel ne voulait pas reproduire les erreurs d'avant et tenait à ne rien brusquer. Accorder leur désir en même temps que leurs histoires passées difficiles, quoi de plus délicat ? Moi, je trouve qu'ils s'en sortent bien. Cela dit, c'est pas gagné non plus. Tout ça reste fragile. Il suffit qu'un traumatisme domine à un instant et tout est fichu par terre. Le couple est fragile, très fragile. Mais j'ai de l'espoir pour eux. Je leur souhaite de réussir.
Pour ça, je n'ai plus qu'à lire la suite. A++
Et je suis fâché avec "tout"
"ils parviennent à résoudre le problème tout de suite et ne pas finir complètement frustrés, en conflit définitif."
--> C'est en grande partie grâce à Gabriel, il faut dire qu'il est resté en conflit avec Yann pour tout et n'importe quoi tellement longtemps qu'aujourd'hui il aime que les choses soient claires. Il est honnête, il ne dit et ne fait rien pour faire plaisir si ça lui déplait personnellement, certain jugent ça égoïste (ça l'est aussi peut-être un peu) mais ça a le mérite d'être clair.