(L'indécision )

Notes de l’auteur : Des questions, toujours des questions...
Gabriel et Uzu ne réfléchissent-ils pas un peu trop ?
 

 

 

 

Il en est là de ses réflexions, assis par terre sur le trottoir mouillé, contre le mur du bâtiment qui a été parfois sa maison, lorsqu'une ombre vient lui cacher la lumière du réverbère.

- Yann ? 

Il lève le nez, le visage fermé.

C'est le japonais. Il est là, sous son parapluie, à le considérer de son air franc. Yann se relève, piteux, tentant de se cacher sous la visière de sa casquette gavroche.

- Je... 

- Que faites-vous là ? Il ne faut pas rester ainsi dehors. Voulez vous que j'aille chercher Gabriel ? Souhaitez-vous lui parler ?  - Non.

- Je peux faire quelque chose ? 

L'espace d'une seconde, Yann a envie de répliquer : - Oui, tire-toi et laisse-moi Gabriel !

Mais, il se retient. Ce serait ridicule et idiot. En plus, il ne le pense même pas...  Il se contente de le dévisager. Après ce qu'il s'est passé, le nouveau copain de Gabriel pourrait le virer, l'insulter, se moquer de lui ou tout simplement l'ignorer, mais non.

- Se sent-il si fort et si sûr de lui, cet être tombé de nulle part ? 

La franchise et la réelle inquiétude que montre ce type le touchent déjà. Ce garçon est vraiment hypnotisant. Il comprend les mots de Math, quand celui-ci affirme qu'il serait une chance pour eux. Il admet également que Yo' a raison, lorsque qu'il parle de crédibilité. Surtout rien n'est plus vrai et ne serait plus efficace pour faire découvrir leur musique à un publique, qu'une présence pareille, un physique comme ça. Il illuminerait tout ! Plus Yann songe à tout cela, plus il dévore des yeux le nouveau petit ami de son ex. Celui-ci commence à s'en sentir gêné et  fait deux pas en arrière. Yann s'alerte de ce mouvement de recule, dans un sursaut, il se met à balbutier des excuses.

- Je suis désolé. En fait, je... je suis venu m'excuser. 

- Ha. Merci, je peux comprendre ta réaction. Tu montes parler à Gabriel ? Arranger un peu les choses ?

- Non, ça n'est pas une bonne idée, pas comme ça et pas maintenant, merci. C'est à toi que je dois demander pardon.

- ...

- Tu as fais six ans de choral hein ? Tu devrais entrer dans notre band', je vais arranger les choses, à ma manière. Gabriel tu sais, il me connait bien, je suis une grande sanguinne hihi ! Si tu souhaites chanter, sache que je suis pour. J'ai été stupide. Je le suis souvent...

- Gabriel ne souhaite pas que je participe et je respecterais son choix. 

- Il est stupide ! Cependant on n'peut guère lui reprocher vois-tu, je suis responsable de son manque de confiance sur le sujet. Alors tu veux chanter ?

- Je viens de te répondre, je ne tiens pas à aller à l'encontre de ce que Gab... 

- C'était pas la question. 

Uzu observe à présent son sourire de biais. Sans s'en rendre compte, ils réalisent qu'ils se tutoient.

- Allons chéri mardi, il y a toujours répète, non ? 

-Je suis désolé pour toi, mais de ce que j'en ai entendu, mardi ils auditionnent le nouveau bassiste.

Yann sourit nerveusement. Il prend sur lui.

- Ok, j'y serais et sois-y aussi, tu seras surpris. 

Et sans lui laisser le loisir de répondre il sort deux feuilles chiffonnées de sa poche.

- Cette chanson est de Gabriel, c'est à cause d'elle que j'ai su pour vous deux. Elle parle de toi. Je suis presque certain qu'il ne te l'a pas montré, il est comme ça ! Cette chanson, c'est tout son amour, apprends là pour la répèt'. 

Uzu  se méfie. Il n'ose pas déplier les feuilles atterries dans ses mains, pas plus qu'il n'arrive à comprendre ce qui lui est proposé. Il le détaille, perplexe. Il y a quelques heures, des éclaires sortaient de ses yeux pour le tuer, à présent il serait de son côté ? C'est quoi ? De la mauvaise manipulation ou de la bipolarité ?

- Tu ne risques rien à le faire, insiste-t-il. Je viendrais passer l'audition et on leur fera la surprise. Si on s'entend et si j'arrête de jouer à la connasse, Gabriel sera sans doute ok et sinon, ce sera juste une idée de moi.

- Ou bien il sera très en colère et il nous virera tout les deux... Tu cherches à faire quoi ? Revenir dans le groupe grâce à ça ? Tu veux te servir de moi, ou bien me faire passer pour ce que je ne suis pas ? Les deux peut-être ?

Yann ne sourit plus.  Pour une fois qu'il n'a rien manigancé de tordu ! Mais bon, il fallait s'y attendre, c'est logique après tout. Il paye pour toutes les combines bidons qu'il a pu faire dans le passé, et sans doute son ex aura-il mis son nouvel « amour » au parfum à propos de ses tendance à manœuvrer son monde.

- Je comprends ta réticence mon chou, mais lis cette chanson. Sérieusement, il en faudrait plus pour semer le trouble entre Gabriel et toi, qu'un coup monté pour une interprétation inattendue avec son ex, non ? Je serais là mardi, j'espère que tu chantes bien. Salut ! 

*

Gabriel est las. La journée a été chargée en émotions et divers rebondissements. La soirée très déstabilisante, l'après midi plus qu'éprouvant.

Le père d'Uzu n'a fait qu'enfoncer le clou sur la réalité de sa position précaire dans la vie personnelle de son fils. Rien n'est sûr, au contraire. S'attacher à lui est hasardeux. Que faire ? Il couche Hugo, qui déjà s'endort dans ses bras, et se demande quand Uzu va rentrer. Il les a laissé en tête-à-tête et lui est revenu ici seul avec le nouveau né. Ce n'était pas prévu, mais ça ne lui a pas paru anormal. D'un autre côté, il n'a pas bien compris pour quelle raison il fallait qu'il se retire.

Le père de Uzu, au départ plutôt aimable, s'est vite révélé être une personne très étroite d'esprit. Uzu l'avait prévenu. Gabriel ne s'y fera jamais, toujours étonné, voir choqué par les propos de certaines personnes. Il se remémore la conversation. Il a pris soin de ne pas réagir aux sous-entendus et allusions homophobes au sujet de leur façon de vivre et sur leur sexualité soi-disant déviante. Et ça n'a pas été facile de continuer à répondre gentiment aux questions quand l'homme a exprimé sans complexe son étonnement de voir que l'administration française avait confié un bébé à un jeune homme à la sexualité anormale. « Déviant », « Anormal » « êtes-vous au moins surveillé ?! »

C'est uniquement parce que Uzu moins patient que lui, semblait déjà prêt à laisser en plant monsieur Obata et ses idées préconçues qu'il s'est retenu. Il aurait été inutile d'en rajouter...  La moindre réflexion déplacée de son père mettant Uzu déjà systématiquement hors de lui. Il faut voir d'ailleurs comment il lui répond ! Il ne lui laisse rien passer ! Plusieurs fois, le ton montait tellement qu'il a bien cru qu'ils allaient devoir quitter le restaurant.

Cependant malgré la grande incompréhension entre eux, Gabriel a tout de même noté durant cette soirée, combien le père de Uzu faisait de véritables efforts pour se rapprocher de son fils et comprendre quelque chose d'inconcevable dans son petit monde étriqué.

Une chose toucha Gabriel, la main que son amant lui prit sous la table au moment où son père insistait si lourdement pour qu'il accepte l'offre, osant même jouer la carte du chantage effectif avec Gabriel. "Si tu l'aimes vraiment, tu dois le convaincre d'accepter. C'est ce qu'il y a de meilleur pour lui, pour son avenir, et blabla et blabla... »  Vraiment minable... 

Cette main, il lui donna donc une grande valeur, il ne peut être sûr de rien, évidement, cependant cela signifie certainement «  tu es important, je suis encore là. » En tout cas, ce geste tendre de son amoureux lui a fait du bien, ça l'a rassuré un peu au milieu de toutes ces vagues d'incertitudes.

Assis sur le canapé, il passe ainsi une heure à réfléchir à toutes les options envisageables ou pas. Il n'y en a pas tant que ça, au fond, et malheureusement aucune n'est satisfaisante. En vérité, quoi qu'il décide que pourrait-il revendiquer ? Même si tout ce qu'il veut, lui, c'est le rendre heureux, est-ce suffisant ? Si par exemple Uzu choisit de rester, jamais Gabriel ne lui conseillera de partir, il ne se voit pas non plus lui dire « Vas-y, mon ange. Suis ta voie. Pars sans moi à l'autre bout de la terre. » alors qu'il est dingue de lui.

Cela voudrait-il dire qu'il se préoccupe plus de son bonheur personnel que de celui de son compagnon ? N'est-ce pas en effet du pur égoïsme ? Son amour pour lui en est-il alors amoindri ? Et si Uzu reste en France, il le fera par amour pour Gabriel et peut-être le regrettera-t-il, lui en voudra-t-il un jour ? Bien que ce ne soit pas pareil que de l'obliger à renoncer à un rêve, Gabriel se sent comme celui qui lui ferait sacrifier une opportunité unique pour son bonheur personnel.

Et si Uzu choisit de partir  que se passera t-il ? Rien que d'y penser le goth en frémit d'effroi. Le supportera-t-il ? S'il choisit de retourner au Japon, le suivra-t-il ? Cette option, étrangement, n'a été abordée par personne. Ni le fils, ni son père, seul Gabriel se révèle y avoir pensé. Mais, et Hugo ? Son ami le laisserait-il venir avec lui ? La DDISS l'autoriserait-elle à changer de pays avec le bébé ? Et comment pourra-t-il travailler là ? Il ne connait même pas la langue.

Pourquoi j'imagine faire une folie pareille ?  Ch'uis ridicule, j'le connais à peine. 

Dans l'état, il se trouve incapable de trouver une réponse.  Mais sans doute toutes ces questions sont-elles prématurées.

*

Devant la porte de l'appartement, Uzu reste figé. Il a été bombardé de trop d'informations en trop peu de temps ! Trop d'événements, trop de choix, trop de tout. Il se sent fatigué, comme écrasé, incapable de savoir ce qu'il souhaite vraiment. Il se prend à regretter sa vie d'avant, terne, sans futur, sans changement et sans intérêt. Il a toujours méconnu ses désirs, jamais aimé vraiment, jamais réussi à s'entendre avec son père, jamais pris en considérations les ressentis d'autrui, ou les siens propres du reste. Et surtout, il n'a jamais eu à prendre une décision aussi grave pour sa vie, une décision qui engagera tout son avenir... Que faire ?

Là, il a l'impression que sa tête va exploser.

Chanter ? Ne pas chanter ? Parler de Yann à Gabriel ou se taire ? Aller vivre au Japon, rester en France ? Larguer son copain ? Rester avec lui et prendre les responsabilités qui vont avec ? Envoyé se faire voir sa mère ? Son père ? Gabriel ? Yann ? Et tout le monde ? Rester seul ? Ou bien tenter de faire bonne figure et jouer la diplomatie, s'oublier comme avant ?

Il rentre avec un air sombre, passe derrière son amant sans un mot puis vient s'assoir à côté de lui.

- Mon père va se remarier.

- Quoi ? 

- Mon père, s'il est si bizarre en ce moment et si gentil, c'est par ce qu'il a " rencontré l'amour ", paraît-il, la bonne blague ! Il tente sûrement de me faire passer la pilule, parce qu'il se sent coupable de nous avoir abandonnés ma mère et moi. Comme si j'en avais quelque chose à foutre ! C'est pour ça qu'il a fallu que tu rentres avec un nouveau né, seul, à pied et dans le froid. Tu comprends, jamais il n'aurait pu me l'annoncer en ta présence, quel con !

- Heu, tu vas bien ? 

- Non, je suis fatigué, avoue le japonais.

- Alors allons-nous coucher. 

- J'aimerais te demander pardon.

- Pourquoi ? 

- Pour cette soirée, pour mon père, et aussi pour ce qui s'est passé avec Yann ce matin.

- J'vois pas c'que mon ex a, à faire là d'dans. Quant à ton père, je l'ai trouvé plutôt sympa quand il tentait pas d'imposer son avis. 

- Tu n'as pas passé une bonne journée et j'en suis en grande partie responsable, j'ai l'impression de foutre la merde dans ta vie, tu t'es excusé ce matin, je trouve que c'est plutôt à moi de le faire. 

- Haha ! N'prends pas à ton compte les erreurs des autres, ton père n'est pas toi et Yann agit d'son propre chef, ils sont responsables. Et puis Yann c'est moi qui l'ai fait venir avec les autres hein, c'est un peu d'ma faute.

Ils restent assis l'un à côté de l'autre un bon moment dans le silence. Puis Gabriel n'en pouvant plus fini par lâcher :

- Ch'uis épuisé par cette journée, ch'uis triste et j'ai peur.

Uzu se tourne et l'observe, Gabriel baisse la tête, les mains fermées, posées sur ses genoux, sa tignasse folle devant les yeux, l'air abattu.

- Je n'ai de réponse à aucune question, je ne réalise pas encore, je peux juste t'assurer que je suis encore là.

- ...

- Je suis là pour le moment.

Uzu lui prend la main et la serre, Gabriel se rappelle alors d'un geste semblable. Il sourit et en est à présent persuadé, plus de doute lorsque Uzu fait ça c'est bel et bien pour l'apaiser.

 

 

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vefree
Posté le 23/12/2012
Pour le coup, Yann, on ne sait pas si c'est du lard ou du cochon. A la place de Uzu, je serais aussi méfiante. Comme il a déjà fait des coups pendables à Gabriel auparavant, y'a de quoi le supposer fortement. Mais bon, on verra bien ce que ça va donner le fameux mardi de répet'.
Le passage avec le père de Uzu, finalement j'ai trouvé bien, mais je me suis demandée pourquoi tu ne l'avais pas fait tout en dialogue. Et puis, en fait, c'est pas plus mal ainsi. Certes, c'est moins dynamique, moins surprenant, mais ça aurait étiré l'histoire un peu de trop. Mais en fait, on ne sait toujours pas vraiment quel genre de job il lui propose, à part de dire que c'est dans la boîte où papa travaille, c'est tout. Et on ne sais pas non plus dans quelle branche c'est. Bon bah, mystère. Par contre, le coup du prochain mariage, j'ai trouvé très bien amené, juste dans la conversation entre les deux amants. Vu que le paternel tortille du c** pour ch*** droit... ahem ! pardon.
Ensuite, c'est le grand dilème entre Gabriel et Uzu. Certes, on le serait à moins. Comment décider avec tous les paramètres à prendre en compte ? Alors bon, que le chapitre se termine sur un geste qui rassure, mais qui n'engage à rien, je ne suis pas très étonnée.
A++ Vef' 
dominosama
Posté le 23/12/2012
Ha Yann on ne sait jamais sur quel pied danser :p
On verra effectivement ce mardi… ou pas :p hahaha!
Pour la scène dans le restaurant, en fait comme j'ai déjà dû le dire à quelqu'un d'autre dans mes commentaires ici ou sur mon blog, je ne la sentais pas du tout cette scène, peut-être en me forçant un peu j'arriverais à l'écrire, mais elle ne m'est pas venue naturellement et quand il faut forcer les choses, ça ne donne pas toujours quelque chose de bon. Si ça ne t'as pas plus dérangé que ça, alors tant mieux ^^ ça me rassure un peu. Je pourrais peut-être éviter de la faire.
Pour le job de Uzu, il va falloir attendre le chapitre 17, où je crois que l'intéressé lâche le morceau lors d'une dispute, avec Yann d'ailleurs. Il n'en dit pas grand-chose mais ce sera suffisant pour voir un peu de quoi il en retourne ^^
 
" tortille du c** pour ch*** droit... ahem ! pardon." --> haha j'adore l'expression :p Disons qu'effectivement pour le mariage le père a dû penser que cela faisait partie des informations privées, et bien qu'il consent à rencontrer Gabriel, il ne le considère pas du tout comme un membre de la famille (jamais de la vie !!!). Sa vie est comme pour beaucoup  de japonais de son âge encore assez codifiée :)
Uzu vit en France et ce genre de "codes" l'exaspère et il ne cherche pas à comprendre. Uzu et son père sont finalement deux inconnus qui ne cherchent pas vraiment à saisir la vie de l'autre et le pourquoi du comment de telle ou telle action. Même si son père tente de faire des efforts.
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