La pièce tourne, il se sent à bout de force, une brûlure de plus. Quand ce calvaire va-t-il cesser ? Qui donc le moleste encore? Il n'y voit plus à présent.
- Matte ! Ce PD est même pas capable de tenir à quatre pattes ! Ecarte les jambes, salope !
Un coup l'atteint encore, il n'a plus la force de pleurer, il s'écroule à terre.
- Pitié!
Gabriel s'éveille en sursaut, Uzu en sueur dans ses bras, très agité, marmonne tout d'abords des syllabes incompréhensibles avant de supplier.
- Pitié, J'ai trop mal, gémit-il.
Gabriel comprend très vite ce qu'il revit.
- Uzu ! Mon amour, ch'uis là ! Réveille-toi, j't'en prie !
Il ouvre des yeux hagards et se met à trembler. Le cauchemar se confond encore avec la réalité et se voir ainsi, nu dans les bras de Gabriel, le panique.
- Pitié, murmure t-il une nouvelle fois, en repoussant son amant.
- Uzu, c'est moi, mon amour ! Calme-toi, ch'uis là. Personne ne t'f'ra plus d'mal !
Il reprend lentement ses esprits, inspecte le décor autour de lui, le cœur encore battant. S'asseyant, il pose une main sur sa bouche et sent monter le dégoût de toute sa personne.
- Ça va mieux ?
- J'ai voulu m'enfuir, tu sais ?
- Quoi ?
-J'ai voulu mourir... dans l'état où j'étais, je ne suis parvenu à rien. Ils ont même réussi à me faire jouir... Je me dégoûte, je les hais ! Je n'arrive plus à oublier, putain ! Je n'y arrive vraiment plus ! avoue-t-il cachant son visage dans ses mains.
Bouleversé par les mots de Uzu, sa tristesse et sa douleur, Gabriel ne sait quoi dire.
- Chaque jour je bloque sur mon corps, et je n'y vois que des cicatrices, les traces de ce qu'ils m'ont fait subir, ça ne disparait pas ! Ça me donne l'impression d'être si sale.
Repliant ses jambes sous lui, il tremble de plus belle, se tord les mains, crispé.
- Ils m'ont souillé pour toujours, ajoute-t-il faiblement.
Gabriel ne trouve rien d'autre à faire que de l'enlacer affectueusement. Il essaie de trouver des paroles réconfortantes à lui murmurer à l'oreille.
- Ton corps est magnifique. Jamais ils n'auraient dû y toucher. C'sont des monstres. Tu n'as rien fait d'mal. J't'aime, ch'uis là.
Gabriel se contracte lorsqu'Hugo se met à pleurer.
- Toujours au bon moment !
Il est levé depuis trente minutes, Uzu l'entend aller et venir dans l'appartement. Il doit être cinq heures du matin.
Il tente un moment, de trouver le sommeil, n'y parvenant pas il finit par se lever et l'observe changer les couches de son neveu. N'osant pas pénétrer dans la chambre du bébé. Il reste là, se sentant terriblement étranger, tout à coup.
Leurs regards se croisent et le large sourire éclairant le visage de Gabriel qui répond à sa présence vient réchauffer le cœur las de Uzu.
- J'ai presque fini. Putain c'qu'il est beau ce con !
- Tu es si doux avec ce bébé. Tu n'utilises pas forcément les bons gestes et tu es un peu maladroit, mais tu restes si tendre. J'apprécie ça chez toi. Avec moi aussi tu es comme ça.
Il se rapproche de lui, la démarche presque féline.
- C'est normal non ? Quand on aime ?
- Je n'sais pas.
La réponse blesse Gabriel mais il n'en montre rien. Après tout, il ne lui a encore jamais déclaré qu'il l'aimait.
- Attend, laisse-moi faire !l’interrompt Uzu. Tu lui prends ses petits pieds comme ça, tu le soulèves plus vite de cette manière. Ensuite, si tu fais ainsi avec chaque face de ton gant de toilette, savon puis rinçage ! Voilà, tu peux le laver en un coup, et tu rinceras ton gant quand il sera rhabillé ça évite qu'il ne râle parce qu'il a froid.
Uzu sourit, content de se rendre un peu utile et d'être là, présent dans la scène. Au loin les cauchemars, la vrai vie est devant ses yeux pense-t-il.
- Oui, m'enfin là y dort, donc il s'en fiche un peu, hi, hi ! Ch'ais pas si c'est normal, au début ça m'a fait vachement peur, j'croyais qu'il avait un problème.
-Qu'il dorme ? Pourquoi ?
- Bah, tu vois, il est en super forme, il gueule pour avoir son biberon puis ensuite, il s'endort quand il a fini ! Vraiment ! Après, aucune chance de l'réveiller ! Un truc de dingue, r'garde ! Tu r'mues ses gambettes, tu l'bouges dans tout les sens, tu lui parles et tout, bah nan, rien, il dort. On dirait un vrai coma ! C'est fou non ?!
Gabriel soulève le petit bras d'Hugo puis le laisse retomber mollement sur le matelas à langer.
- Il a l'air bien r'marque, juste ça m'a fait flipper au début, personne pionce comme ça ! Et on t'prévient pas à la maternité !
- Ha, ha, ha ! Il est meugnoooon !
- Arrête de t'moquer d'moi.
- Il dort voilà tout ! Les nouveau-nés ont un sommeil profond. Tu dois juste savoir ça, mieux vaut ne pas trop perturber son sommeil, couche-le, ou ça ne sera pas réparateur.
- Il est resté éveillé que quarante minutes c'est pourtant pas des masses, j'pense pas qu'il ait quoi qu'ce soit à réparer.
Il se contente de sourire, se disant que décidément Gabriel est bien candide. Quelle bouffée d'air frais au milieu de son effrayante nuit !
*
Lorsqu'à dix heures du matin le téléphone sonne, ils sont tout les deux étonnés que Hugo les ait laissés dormir jusque là.
Gabriel se lève, passe, repasse.
- Hugo n'est toujours pas réveillé ?
- Si, il est dans son lit, les yeux ouverts, il a gesticulé quand j'me suis penché pour l’regarder mais il pleure pas, j'vais préparer son biberon, depuis cinq heures ça fait loin quoi !
- C'était qui au tel ?
- Mon patron, il réclame à c'que j'bosse ce soir mais ch'uis pas sûr.
- Je suis là, n'oublie pas !
- Humm, en plus il va bien falloir que j'reprenne le boulot à temps plein, ça m'ennuie de t'demander toujours à toi.
- Hi hi, je suis ta petite femme au foyer et tu es l'homme qui rapporte les sous !
Gabriel ne partage pas son humour.
- C’qui y'a c'est qu'il faut pas que j'm'habitue à toi, si jamais tu dois partir… Après j'saurais plus comment faire !
Le sourire de Uzu s'efface, de quelle manière le rassurer ? Comment prétendre et lui promettre qu'il n'y a rien à craindre ? C'est impossible. Sans un mot de plus Gabriel quitte la chambre pour aller préparer le biberon de son neveu laissant Uzu seul, perdu dans ses pensées.
Depuis dix minutes son portable indique un nouveau message, son père, bien sûr. Quel avenir y a-t-il pour lui ici ? Pas grand-chose, il doit bien se l'avouer. Un appartement et un bon travail l'attendent à l'autre bout du monde, de grandes chances d'évolution.
Et puis les fantômes de son passé douloureux et pas si lointain continuent de le hanter presque toutes les nuits, s'il part, peut être laissera-t-il toute cette histoire derrière lui. Fuir est-ce le meilleur moyen ? Le meilleur peut-être pas, mais un moyen tout de même. Son père lui serait reconnaissant, une chance pour lui, de prouver qu'il est capable !
Et Gabriel ? L'amour ? Qu'en fait-il ?
- L'amour ne dure pas non ? Après tout j'ai pu vivre sans. Mais, si jamais je n'éprouvais plus jamais ça ? Est-ce que ça vaut le cout de tout risquer ? C'est quoi le plus important ?
Sa gorge se sert quant il repense à cette nuit. Est-il près à sacrifier le bonheur neuf qui s'annonce avec Gabriel pour sa réussite sociale ? Doit-il tourner le dos au confort pour une histoire d'amour qui peut-être ne durera pas ? Que doit-il faire ? Toujours ce même dilemme infernal.
*
En définitive Gabriel est allé travailler avant le déjeuner.
"Pour le moment je suis là, donc profite! » lui a lancé Uzu en souriant, prenant soin de lui cacher ses doutes et ses angoisses.
L'air sombre, muet, Gabriel l'a longuement câliné au moment de partir. Trente minutes à peine après son départ, on frappe à la porte. Uzu va ouvrir et en reste un moment interdit. C'est Yann, qui se tient devant lui, doté un maquillage outrageant, d'un sourire espiègle aux lèvres et il a l'air sûr de lui. Il lui semble nettement plus petit que dans son souvenir, ce qui donne à ce garçon sans âge un air encore plus enfantin. Aujourd'hui, il arbore encore un style gavroche complet, plutôt mignon. Mais le fait qu'il ne s'attende pas à le voir débarquer ainsi, laisse Uzu pantois.
- Salut cocotte ! Répète à seize heures ! Tiens, j'ai amené la zique qu'avec Steph on a enregistrée ce matin, sur mon mp3, je te branche le micro et on voit ça avant de partir.
Yann a une odeur qui lui colle parfaitement, ce parfum il le connait bien, la plupart des mecs rencontrés dans les bars le portent ces derniers temps. Le parfum "égoïste" de Chanel. Pourtant il doit bien avouer que cette fragrance a l'air d'avoir été inventée pour ce type.
- Tout le monde est OK ! Et la cousine de Steph surveillera Hugo quand on sera au studio. Gabriel a dit quand il rentre ?
Uzu est abasourdi, comment sait-il que Gabriel est sorti ? Stupéfait de son sans-gêne, il le laisse installer ses affaires dans le salon, brancher le micro, lui dicter les choses à faire sans réagir.
- On ne rentrera pas tard, il ne se rendra compte de rien. Si ça colle, on se verra mercredi soir tous ensemble pour " l'audition " et là, il sera sur le cul, hé, hé !
- Hé ! Attends ! Où tu te crois, là ? Déjà, je n'ai jamais accepté ! Et pas question que je trimballe Hugo dehors sans prévenir Gabriel ou que je le laisse à je ne sais pas qui !
- Qu'est ce que tu racontes ? Lou n'est pas une étrangère voyons, allez t'inquiète !
- J'ai dit non, c'est non, tu débarques ici, tu décides de tout comme ça, ça va pas, non ? s'énerve-t-il en l'attrapant par le bras pour le stopper. Yann relève un sourcil, surpris par le geste, il a failli lui en retourner une. Il n'a guère l'habitude qu'on lui résiste et il est un garçon plutôt têtu.
- Hé ! Chéri t'as eu toute la nuit pour réfléchir ! Je me suis arrangé pour tout, ainsi que pour que Gabriel bosse aujourd'hui.
- Quoi ? Mais tu es diabolique ma parole ! Sors d'ici !
Au lieu de lui obéir, Yann le fixe calmement, bras croisés, dos au mur.
- Je crois que je devine à quoi tu penses et oui je le fais pour moi, c'est vrai ! C'est aussi, et surtout, pour Gabriel et pour notre band', naturellement. Je juge que c'est une chance pour lui. Je ne t'ai pas encore entendu chanter, mais déjà, notamment au niveau de la présence, il n'y a pas à dire, tu as quelque chose ! Tu en jettes !
Sérieux tout à coup, il est étrange cet air d'enfant qui apparait parfois sur son visage ! Pourtant son regard aiguisé est bien celui d'un adulte qui a déjà bien vécu. Uzu se demande quel âge il peut bien avoir en réalité. En ne se fiant qu'à son allure on lui donnerait dix huit ans, peut-être moins, et à sa façon d'agir parfois quinze ans, parfois plus de trente. D'autres fois, son expression est celle d'un vieux, ou d'une personne abimée. Ce côté-là, Uzu y reconnait une certaine similitude avec celle que lui renvoie parfois son propre miroir. Par contre, Yann ne possède pas ce côté innocent que Gabriel affiche presque constamment. Il sent l'âme retorse.
- Pour les textes, tu peux être une aubaine également ! affirme encore Yann. Tu parles japonais couramment. Et puis, il va falloir que tu en conviennes mon chou, tu vas le découvrir, je suis un bon, une vraie bête de scène haha ! À nous deux on va cartonner à cette audition !
Il rit avec un petit air voyou. Au final, Uzu le trouve presque agréable comme garçon. Il se dit qu'avec un charme pareil, même si son allure est étrange, on ne doit pas souvent réussir à lui refuser quelque chose.
- C'est pas de la prétention, musicalement on à aussi besoin de moi ! ajoute-t-il. Quant au bébé, les gars et Gabriel se sont déjà mis d'accord pour que Lou le garde de temps en temps quand il sera en studio, donc c'est pas une idée saugrenue de moi sortie de nulle part. Ils se connaissent bien, c'est la cousine de Steph.
- Je vois bien que tu as l'air décidé sauf que...
- Voilà ce que je propose, on va juste écouter la musique, tu amorces un chant, ou alors juste dans ta tête, c'est toi qui choisis. Je peux aussi partir et revenir plus tard si tu ne souhaites pas chanter devant moi de suite. Si vraiment tu ne le sens pas, ok ! J'abandonne ! Je te rappelle que c'est toi qui l'as proposé à Gabriel au départ. Je suppose que si tu n'en étais pas capable, ça ne te serait même pas venu à l'idée.
Son assurance arrogante agace finalement Uzu.
- Qu'est-ce que tu en sais ? On est des étrangers l'un pour l'autre ! fait-il d'un ton acerbe qui étonne Yann.
- C'est sûr que je ne te connais pas, c'est juste une impression, tu es du genre honnête.
- J'ai l'air d'un pauvre gars qu'on peut manipuler c'est ça ? Je ne suis pas le gentil que tu imagines, réplique amèrement Uzu avec un rictus dédaigneux.
- Si tu l'dis...
- Pour ton information, je ne reste peut-être pas en France, je rentre sûrement au Japon. Il y a de fortes chances pour que je sois parti avant la fin du mois. Alors votre groupe hein ! J'ai suggéré ça sans réfléchir, juste histoire d'être poli, sur le coup et de te foutre une crampe.
À ces mots, Yann se ferme comme une huître, il voit rouge et a beaucoup de mal a se contenir. C'est ce mec là qui lui prend Gabriel ? Ce gars qui ne reste pas ? Encore un égoïste qui le fera souffrir. Et lui, il doit s'effacer pour ça ? Dire qu'il a fait des efforts pour être sympathique ! Il ramasse ses affaires, récupère son lecteur mp3 et s'apprête à sortir sans un mot. Quand l'autre ajoute la phrase de trop :
- Avec un peu de chance tu pourras récupérer ton ex ! ironise Uzu en le raccompagnant à la porte, bien content de le voir détaler.
En entendant ces paroles, Yann se tétanise sur place. Il ne s'attendait pas à cela de la part de ce type. Ce mec avait l'air si doux ! Comme quoi.
Il repense à la chanson de Gabriel, certainement son ex ne soupçonne rien, impossible autrement ! À cette réflexion, Yann sent une colère explosive lui monter à la tête. Il fait alors volte-face avec un air si furibond que Uzu recul d'un pas, cependant pas assez rapidement pour éviter son poing. Le coup reçu est très fort et le surprend. Pourtant Gabriel lui avait parlé de sa violence. Son visage lui semble se déformer sous l'impacte du poing. Le coup est si fort que Uzu en a le souffle coupé et les larmes aux yeux.
"- Avec un peut de chance tu pourras récupérer ton ex !" => un peu de chance
fiou, quelle violence ! Bon, dans la psychologie de Uzu, c'est tout à fait compréhensible. Je trouve que tu as bien géré. Un garçon avec une telle épreuve dans sa vie n'a aucune idée de ce qu'est l'amour. Il n'en a aucune notion, ou alors il la devine très mal et s'en fait une idée souvent fausse. C'est ce qui lui arrive. Alors les mots mal calculés et brutaux qu'il dit à Yann, forcément, il devait s'en recevoir une bien costaud. Et puis Yann, on ne la lui raconte pas alors, il n'y est pas allé de main morte. Là aussi, c'est tout à fait logique. Tout ça était prévisible connaissant les personnages.
C'est dommage, parce que ça commençait à bien se passer entre Gabriel et Uzu, mais c'est encore trop fragile. Et puis cette proposition d'avenir au japon rend les choses encore plus instables. Ça n'arrange rien, au contraire. C'est bien vu dans le scénario car ça amène du grain à moudre. Le cliché n'est pas loin dans ton histoire, c'est vrai, mais tu arrives à tirer une histoire pas si banale que ça et c'est très bien.
voyons comment ils s'en sortent pour la suite...
Quand à ces mots, on le comprend au fur et à mesure, Uzu a changé, avant il n'était pas le mec sympa qu'il nous montre aujourd'hui, ne rien ressentir nous éloigne de la douleur mais aussi de l'humanité, et ça n'est pas ce qu'il a vécu lors de l'agression qui en est la cause mais la vie que ses parents lui ont faite vivre depuis toujours. Parfois la colère fait qu'il dévoile un peu son côté sombre.
Quand à Yann, Gabriel a déjà dit qu'il pouvait être violent alors si en plus ça concerne son cher ex...
La relation est fragile et en même temps... Très peu de temps c'est déroulé depuis qu'ils se sont rencontré quand même, ils n'avancent pas si doucement que ça et il y a déjà pas mal de liens entre eux qui se sont tissés.