Le Culte de Korag : Chapitre II

Par Rânoh

Une ombre fila dans les ténèbres, une seconde la suivait de près, l’éclat d’une lanterne portée à bout de bras, comme par peur de s’embraser. L’air vibra de la pureté d’une voix angélique, elle s’imprégna dans la matière, le bois humide rongé par la moisissure, la pierre moussue polie par le passage des Hommes. On l’oyait des profondeurs de la terre, elle émanait des tréfonds pour remonter, somptueuse, jusqu’aux cieux, jusqu’à la voûte de cet empire souterrain. Puis, à ce chant si doux, se joignit un hurlement d’abord, disgracieux, portant en lui les affres de la mort prochaine, et, d’une imperceptible manière, un cantique funeste. Le chœur gagna en importance jusqu’à supplanter l’hymne originel, alors ce fut l’ode à la démence. L’ange venait d’être détrôné, les agents du mal s’étaient emparés de sa place, ils beuglaient comme des porcs que l’on égorgeait. Cela dura trop longtemps pour être supportable, l’onde propagée par ce bruissement fit vibrer le métal, presque le tordait tant il fut puissant.

Agrippée aux barreaux de sa geôle, Maeva résistait à la pression qu’exerçaient ces sons sur son corps. Ses membres s’alourdissaient à mesure, au gré des variations et du changement de rythme, toujours plus agressif. Tant qu’elle le pouvait encore, elle concentra son attention sur son environnement direct, dans la pièce où on la retenait contre sa volonté. L’unique lumière provenait de l’ouverture où jadis se tenait une porte, lointaine source de chaleur, elle offrait juste assez de clarté pour voir l’essentiel. Les parois en pierre s’effritaient à la moindre caresse, la prison n’en demeurait pas en meilleur état, la jeune femme eut à peine à forcer pour faire sauter le loquet qui l’enfermait. Celle-ci profita des hurlements pour soulever la grille et sortir de sa prison, elle-même ne perçut le grincement ainsi produit par son évasion. Les rats morts jonchaient le sol, tel un tapis répugnant, une couche pour les malheureux en proie au désespoir, l’odeur y était peu agréable. Un rapide examen du reste de la salle permit à Maeva de trouver le reste d’un pied de chaise, seul et abandonné, comme elle l’était. Ce morceau de bois fit une parfaite arme improvisée, il ne valait pas ses pistolets et ses sabres, cependant, l’objet la rassura, car il incarnait ses chances de survie. Sans plus attendre, l’ancienne écuyère se dirigea vers l’ouverture. Prudente, elle se glissa hors de sa geôle, agitant son regard d’un côté et de l’autre à la recherche de silhouettes hostiles. Rien. Devant elle, à la sortie de la prison, un immense gouffre s’étendait sur tout le diamètre d’une large tour ronde, de ses profondeurs, émanait cette fameuse lumière orangée, qui dansait en symbiose avec le chœur dément. L’espace entre le mur qui bordait l’escalier et le ravin était mince, aussi fallut-il redoubler de prudence, la mort tendait ses longs bras au moindre faux pas.

Maeva pesta intérieurement, où se trouvaient ses affaires ? Elle n’avait qu’une couverture en laine pour couvrir son corsage et ses bas, on l’avait dépouillée de sa tunique, de sa veste et de ses chausses. Ses pieds nus glissaient sur le sol, sans bruit, pour remonter une par une les marches de la tour. Qu’importait ses affaires, ses vêtements et ses armes, la jeune femme souhaitait avant tout préserver sa vie. À chacune des ouvertures dans le mur, elle s’arrêtait, jetait un œil, puis repartait en constatant l’absence totale de vie. Ses geôliers se trouvaient tous au fin fond des enfers, à hurler comme des bêtes sauvages. Avec un peu de chance, la voie était libre jusqu’à la sortie.

Vain espoir de liberté, brisé lorsqu’elle atteignit l’entrée de la forteresse. Mille précautions ne suffirent point à tromper sa présence. Une première porte fut franchie sans encombre, un vieil ouvrage en bois avec des gonds rouillés, que Maeva poussa sans bruit pour s’y faufiler. Hélas, ce passage menait à un corps de garde fermé d’une herse, où se massait un groupe de larrons en brigandine Orque et salade à visière vissée sur la tête. Ces brutes ne virent pas de suite la jeune femme, trop occupés à écouter la messe maudite, ils s’appuyaient sur des hallebardes et des lances usées, forgées au temps du Second Cataclysme. Mais l’ancienne écuyère commit une erreur. Ne comptant que sur son courage et un excès de zèle, celle-ci prit en otage le plus proche des vilains, le détroussant d’un poignard et menaçant les autres de tuer leur ami. Elle voulait la liberté et, de son accent tranchant, sans pitié, ordonna qu’on lui ouvre le passage. Personne ne bougea, malgré le ton toujours plus dur qu’elle employait, nul ne broncha. Acculée, après une ultime sommation, elle exécuta le fripon en plantant son arme dans la gorge du prisonnier, pour relâcher ensuite le corps inerte. L’idiote venait de se défaire de l’unique protection dont elle disposait. Jamais à court d’initiative, la femme empoigna la lance de sa victime, prête à faire face à ses adversaires, elle adopta une posture défensive.

Maeva mena la vie dure aux soudards qui l’entouraient, ceux-là étaient loin d’imaginer qu’ils affrontaient une guerrière du Cataclysme, écuyère de l’un des plus grands chevaliers de son temps. Trois furent blessés, la chair déchirée jusqu’au sang, tandis que deux autres durent reculer, désarmés par l’habileté technique et la force sauvage de la Princalienne. Cela étant, le nombre l’emporta sur le reste. La jeune femme fut encerclée et battue, une pluie de coups fondit sur son corps et son visage, la marquant ici et là d’infâmes ecchymoses. Et alors qu’elle s’écroula sur le sol, toujours ripostant aux assauts, elle s’aperçut que les cris ne résonnaient plus, qu’ils s’étaient tus. Bientôt, les habitants de ce trou à rat allaient rappliquer, la submerger et la tuer. Ce fut sa dernière pensée avant de s’effondrer, inconsciente.

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Arod29
Posté le 11/05/2024
Excellent chapitre. C'est toujours un plaisir de lire tes descriptions poétiques. Monumentale erreur de Maeva poussé par l'impatience mais je ne suis pas sûr que les soudards lui auraient laissé la voie libre de toute façon! ;-)
Bravo et merci!

Petite remarque:
"On l’oyait des profondeurs de la terre, elle émanait des tréfonds pour remonter, somptueuse, jusqu’aux cieux, ou le toit qui faisait office de voûte céleste."
C'est une belle phrase mais la fin de la phrase n'est pas claire ou alors c'est peut-être moi! ;-)
A bientôt
Rânoh
Posté le 11/05/2024
Bonjour Arod et merci !

Il est vrai que le caractère impulsif de Maeva a manqué de lui coûter la vie ! Mais qui aurait laissé passer une telle opportunité de s'enfuir ?
Je vais voir comment tourner la phrase pour la rendre plus claire, merci de l'avoir soulignée.
À plus !
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